Education Nationale : le constat d’une crise multiforme et généralisée

Natacha Gray • 19 février 2018

Nous avons évoqué dans un précédent article (ici) l’affaire du lycée Galliéni de Toulouse. Ces situations, lorsqu’elles éclatent au grand jour, médiatisées soit par des professeurs à bout de nerfs, soit par les élèves eux-mêmes fiers de leurs transgressions multiples (comme la gifle administrée en octobre dernier à une enseignante d’un lycée de Seine-Saint-Denis, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux), provoquent la stupeur et l’indignation dans l’opinion publique. Nombreux sont ceux qui, il y a peu encore, considéreraient les écoles, collèges et lycées comme de véritables sanctuaires préservés des problèmes sociétaux et des comportements inciviques, à l’image de ce qu’ils avaient connu enfants puis adolescents : autant dire qu’ils tombent de haut en découvrant l’ampleur du désastre !

Mais il faut bien savoir que ces scandales qui occupent ponctuellement l’actualité ne sont que la partie émergée et devenue caricaturale d’un iceberg qui fragilise de très nombreux établissements en France qui ne sont pourtant pas tous classés en zone sensible, c’est-à-dire dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP). Seuls quelques cas, les plus graves, arrivent à la connaissance du grand public. Mais les insultes, les coups, le harcèlement, les intrusions de personnes extérieures au sein des établissements scolaires, le refus de l’autorité, sont hélas aujourd’hui vécus par de nombreux usagers de l’Éducation nationale. Le mot d’ordre est de ne pas faire de vagues. Alors on s’habitue au pire et la plupart des incivilités, à l’exception des plus graves ou de celles qui débordent sur l’extérieur, se règlent en interne. Il a fallu au lycée Galliéni l’ouverture d’une nouvelle option et l’arrivée concomitante d’une vingtaine de professeurs pour que ces derniers, horrifiés, ouvrent les yeux des anciens qui avaient fini par accepter que le non-droit et la violence fassent ainsi partie de leur quotidien.

Cependant la crise que traverse l’Éducation nationale ne se réduit pas à ces faits divers violents dont les échos parviennent, de façon de plus en plus audible aujourd’hui, au reste de la société. Le mal est infiniment plus profond, silencieux et multiforme comme si les bases de la vénérable institution avaient été rongées insidieusement depuis plusieurs décennies jusqu’à menacer tout l’édifice d’un effondrement inéluctable. Les causes du mal seront évoquées dans un prochain article, celui de ce jour se contentera d’en énumérer les symptômes principaux . Il s’agira juste de montrer que les épisodes du lycée Galliéni ou de la gifle médiatisée ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui se fissure de partout .


La remise en cause de l’autorité

Dans ces écoles, collèges, lycées en crise violente, nous assistons aujourd’hui à l’aboutissement d’un long processus de culpabilisation des victimes, de destruction de l’autorité et des bases de notre système éducatif, à l’œuvre depuis des années au mieux dans l’indifférence quasi générale, au pire dans un déni de réalité constant. La seule différence avec un lycée bourgeois de centre-ville c’est que ce refus de toute forme d’autorité et de la hiérarchie, qui s’exprime ici en menaces explicites, souvent mises à exécution (règlements de compte, destructions matérielles, vandalisme sur les véhicules des professeurs) ou en agressions physiques et verbales violentes, se traduit ailleurs, dans les lycées calmes, en bavardages incessants, en refus de travailler et en chahuts récurrents.

Un exemple : obtenir le silence, en l’absence de sanctions (systématiquement contestées et qui doivent s’inscrire dans un règlement intérieur qui les rend de plus en plus difficiles à donner), y compris dans une bonne classe, est devenu quasiment impossible au point que les penseurs de l’École, appelés en interne les « pédagos », dans leur grande créativité et surtout mauvaise foi dès lors que l’expérience met en échec leurs réflexions théoriques, ont dû inventer deux parades successives. S’il y a une vingtaine d’années ces apprentis-sorciers préconisaient auprès des enseignants stagiaires « le silence pédagogique » (l’enseignant se tait jusqu’à ce que les élèves, surpris, fassent silence progressivement à leur tour afin que le cours recommence), certains en sont réduits aujourd’hui dans les instituts de formation des professeurs à vanter les mérites du « bruit pédagogique » (les élèves parlent entre eux dans la classe, s’interrogent et se répondent, se déplacent, en quasi autonomie, ils doivent se sentir comme chez eux, car la classe « ça doit être comme la vie », le professeur veillant juste à ce que le niveau des décibels reste supportable.

Dans les lycées qui font la une de l’actualité, il y a juste que le nivellement des exigences par le bas pour obtenir puis conserver un semblant de paix intérieure et le renoncement aux moyens de faire respecter l’autorité du professeur ou de l’administration ont commencé ici plus tôt qu’ailleurs, compte tenu souvent d’un contexte social et culturel particulier. Il ne fallait pas « stigmatiser » ni « décourager » des élèves venant des quartiers défavorisés, souvent de culture différente à la maison. La dégradation y est donc allée également plus vite, car les établissements scolaires ne sont plus des sanctuaires imperméables à tout ce qui se passe à l’extérieur de leurs enceintes : le trafic, le sexisme, les nouvelles formes de racisme, l’antisémitisme, la remise en cause des codes républicains et des valeurs françaises y entrent, en sortent, y entrent à nouveau, transformant ces anciens « sanctuaires » en zones de non-droit où la violence verbale et physique a remplacé les lois de la République par celles de la jungle. Et cela d’autant plus qu’au tournant des années 2000 les pédagogistes ont promu l’idée de « lycée ouvert » sur son environnement, ce qui supposait des interactions avec l’extérieur (invitations mais aussi sorties hors-les murs) et une architecture particulière pour les établissements qui se construisaient alors (avec des zones publiques, réservées, semi-réservées). En définitive les maux de la société s’y propagent, et réciproquement, dans une dialectique toxique permanente, comme on le voit dans le cas du lycée Galliéni.

S’il fut aisé de détruire un à un les fondements de l’autorité, parce que certains pédagogues pensaient encore qu’il était interdit d’interdire, la restaurer aujourd’hui paraît nettement plus difficile, en particulier parce que les premières générations, à qui l’on a donné tous les droits sans les contraindre à respecter leurs devoirs, sont aujourd’hui sorties du système scolaire et ont « importé » leurs comportements individualistes, leur refus de l’autorité et de toute contrainte, leurs comportements d’anciens « enfants-roi » dans la société tout entière. La plupart des maux dont souffre l’École sont ceux qui minent de nos jours la société tout entière.


La génération « j’ai le droit »

Car nous assistons bel et bien presque partout, à l’exception d’établissements qui prônent encore l’excellence et l’élitisme républicain et qui sont d’ailleurs pris d’assaut par les familles qui ont les moyens de contourner la carte scolaire, à un phénomène d’acculturation, de destruction de nos civilités et de la morale citoyenne, au triomphe de la génération « J’ai le droit » (pour reprendre le titre récent du professeur d’histoire-géographie Barbara Lefebvre [i] ). La démotivation des bons élèves pousse sur le désert culturel qu’on propose au nom d’un égalitarisme niveleur. Il devient de plus en plus difficulté d’enseigner sa matière puisque de nombreux élèves, soutenus par leurs parents, contestent aujourd’hui le contenu des programmes scientifiques ou d’histoire-géographie s’il ne va pas dans le sens de leurs croyances et exigent parfois d’en être dispensés. Parallèlement nous assistons à l’augmentation constante des violences verbales et physiques dont les élèves les plus faibles ont été les premières victimes et qui atteint aujourd’hui les professeurs. L’enseignante giflée évoquée précédemment avait eu comme seul tort aux yeux de ces enfants-rois et petits caïds que d’avoir osé confisquer le portable d’un élève en pleine classe : à ses yeux et ceux de ses camarades, elle n’en avait pas le droit. Tout est prétexte d’une part à contestation (le travail donné à la maison, l’interrogation écrite, une sanction, une conversation interrompue en classe), d’autre part à l’affirmation de ses droits. Encore une fois « la survalorisation du moi » prônée par les pédagogistes en réaction à une éducation traditionnelle jugée peu épanouissante et trop contraignante a forgé des générations revendicatives centrées sur elles-mêmes et sur leurs droits. Le professeur n’a pas le droit de les ennuyer, de les contrarier, de contredire les principes éducatifs et les croyances inculqués à la maison, il ne doit pas contraindre ni punir mais convaincre et tant pis pour lui s’il n’y parvient pas. En revanche certains élèves s’arrogent celui de l’humilier, de le provoquer. De nombreux parents se sont déchargés de leurs responsabilités éducatives sur les « experts » qu’étaient censés être les enseignants. Scène vécue dans une école toulousaine : deux mamans convoquées par la directrice et la maîtresse de leurs enfants (racketteurs, violents, harceleurs), clament à la cantonade en sortant, furieuses : « si les maîtresses ne sont pas capables d’éduquer les gosses, qu’elles changent de métier ».

Mais comment convaincre les familles que l’objet principal de l’École est de transmettre des connaissances et des méthodes, d’émanciper les esprits, quand la secte pédagogiste se répand depuis vingt-cinq ans en interne, et dans les médias séduits par ces nouveaux discours, que l’important ce ne sont pas les connaissances mais « l’estime de soi », « l’élève au centre du système éducatif », « l’apprenant autonome construisant seul son propre savoir » ,que la mission d’un enseignant est « d’éduquer au vivre ensemble » et non pas d’instruire comme au temps du ministère de l’Instruction publique [ii] !

L’entrisme islamiste

Sur ce point les problèmes rencontrés à l’école sont les mêmes que dans la société tout entière. Dans de nombreux établissements, et pas seulement dans les zones sensibles, l’École doit également faire face à la propagande islamiste qui pousse certains élèves à demander le droit de ne pas suivre certains cours qui heurtent leurs croyances ou qui contestent en permanence les enseignements. Il y a quelques mois l’ancien chef d’établissement Bernard Ravet [iii] témoignait du cas du collège marseillais dont il fut le principal, mais, au-delà, libéré du devoir de réserve, de celui de nombreux d’établissements publics où administration et enseignants, totalement démunis, sont confrontés à une véritable guerre de position menée par l’islamisme. Un enseignement parallèle et contradictoire est dispensé dans des écoles coraniques fréquentées par les élèves hors temps scolaire, par des brochures distribuées à la porte des établissements, des surveillants prosélytes, des élèves propagandistes et sexistes, des parents intrusifs. « Depuis plus de dix ans, écrit-il, le fanatisme frappe à la porte de dizaines d’établissements. Il cherche à empiéter sur le territoire physique de la République, centimètre par centimètre, en imposant ses signes et ses normes dans l’espace scolaire, dans les cours de récréation, les cantines, les piscines. Il cherche aussi à envahir les salles de classe. » Et Bernard Ravet de décrire comment, sur de multiples sujets (l’égalité entre les hommes et les femmes, darwinisme, Shoah, astronomie, SVT …), les professeurs sont de plus en plus contestés dans leur enseignement.

Le Livret sur la laïcité distribué aux enseignants en octobre 2015 stipule dangereusement qu’il « faut pouvoir éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, physique-chimie, etc.), il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité ». Mais aujourd’hui on n’en est plus là : des élèves contestent les programmes, arguant qu’en cas de différences ou d’oppositions, c’est ce qui est écrit dans le Coran qui fait loi, ou que la charia est supérieure aux lois de la République. Les dispenses de sport abondent chez les jeunes filles voire les enfants musulmanes pour des raisons de « pudeur » souvent justifiées par des certificats médicaux de complaisance. Les relations entre certains garçons et les femmes professeurs (et bien entendu avec leurs camarades filles) dont ils refusent l’autorité et même la proximité physique sont devenues parfois délicates. Parallèlement, antisémitisme et sexisme progressent dans ces établissements grignotés et déstabilisés par les coups de boutoir islamistes.


La multiplication des enseignements parallèles.

Parallèlement il faut également noter l’éclosion d’établissements privés sous et hors contrat. Ces dernières sont majoritairement confessionnelles et musulmanes.


Le privé sous-contrat (environ 13 000 établissements), essentiellement confessionnel et catholique (fin 2015 il n’y avait que 3 écoles musulmanes sous contrat et environ 130 écoles juives) financé en partie et contrôlé par l’État, ne pose pas de problème car il applique des programmes nationaux et emploie des enseignants titulaires d’un concours de recrutement validé et organisé par l’Éducation nationale. Néanmoins son essor actuel est révélateur du malaise : ainsi l’enseignement catholique notamment ne peut-il plus faire face à la demande et a demandé à l’État de revoir les règles de financement (fixées au milieu des années 1980 selon le ratio de l’époque entre élèves inscrits dans le public et dans le privé) pour pouvoir répondre aux innombrables demandes insatisfaites de familles qui ne vont pas tant y chercher un enseignement religieux (en général facultatif et extrêmement discret) mais des valeurs et une instruction, les parents espérant retrouver la paix scolaire, de bonnes conditions d’étude, le respect ou la discipline qui sont trop souvent remises en cause dans le public. D’abord réservé aux classes sociales aisées, ce phénomène a gagné aujourd’hui des classes moyennes et modestes, et cela d’autant plus que le coût de la scolarité est généralement proportionnel aux ressources. Cet essor est un symptôme du désamour et de la rupture de confiance de nombreuses familles avec l’école publique.


Le principal problème est posé par les écoles hors contrat , à 90% musulmanes (et souvent de tendance salafiste), en plein essor : 500 000 enfants sont scolarisés actuellement dans un des 1300 établissements (début 2017) proposant une éducation confessionnelle ou, pour à peine 10% d’entre elles, alternative (méthodes Montessori, Steiner…). La dernière enquête diffusée publiquement datant de 2016, il y en a certainement davantage aujourd’hui : au premier trimestre 2017, pour la seule académie de Versailles, il y avait 40 ouvertures prévues. Un rapport interne y pointait déjà en 2016 « d’inquiétantes dérives dans les écoles inspectées, notamment une faillite éducative bien réelle ». Car ces écoles ne sont pas tenues de suivre les programmes de l'Éducation nationale et leurs professeurs ne sont pas des fonctionnaires, l’État n’y a aucun droit de regard et une simple déclaration d’ouverture suffit. Certes il faut encore trouver le lieu ou le terrain, voire parfois des financements locaux, mais le clientélisme de certains maires y pourvoit malheureusement. Le gouvernement a tenté de mettre fin à cette lacune juridique en exigeant un droit de regard avant l’ouverture, mais le texte a été rejeté par le Conseil d’État l’année dernière. À défaut, de plus en plus de contrôles renforcés sont effectués sur les écoles déjà ouvertes, mais il est rare d’en obtenir la fermeture pour insuffisance pédagogique ou troubles à l'ordre public. Ainsi à Toulouse la justice a-t-elle annulé en août 2017 l’interdiction d’ouverture de l’école coranique Al Badr [iv] , qui avait ému au Rectorat en raison des risques de propagande salafiste. Pire, la plupart des contrôles sont aujourd’hui refusés par les responsables, faisant de ces écoles coraniques des lieux difficilement contrôlables, initialement financés de l’étranger, actuellement plutôt par les Frères musulmans via l’UOIF, comme en témoigne cet article du Figaro (ici) [v] relatant l’inquiétude du gouvernement socialiste dès 2016. Ainsi, les parents qui refusent de scolariser leurs enfants dans un établissement dépendant de l’Éducation nationale en raison de programmes et codes contraires à leur culture et leurs croyances, peuvent-ils éviter que leurs enfants ne soient confrontés au contre-modèle que l’École est censée offrir aux élèves bénéficiant d’une double culture.

Enfin citons, à un échelon d’apprentissage supérieur, l’entrisme islamiste ou de mouvements communautaristes contraires à la tradition universaliste républicaine dans les universités ou dans la formation des enseignants, entorses récurrentes sur lesquelles le Grand Orient de France [vi] alertait explicitement en décembre dernier par une adresse publique au Président de la République et aux parlementaires, citant notamment quelques cas dont certains ont fait l’actualité (comme les stages syndicaux en non-mixité) et rompant avec les vagues invocations républicaines généralement de mise dans ce genre de communiqué.


Depuis une quinzaine d’années, le marché du soutien scolaire privé connaît également un essor spectaculaire, creusant encore les inégalités entre les élèves, alors que le gauchisme de salon qui a longtemps inspiré réformes et programmes prétendait précisément les réduire. Le recours aux cours particuliers, autrefois réservé aux classes aisées s’est étendu aux classes moyennes et même aux ménages les plus modestes. Des entreprises le dominent (Complétude, Acadomia, Bordas, Keepschool …) et tentent de se démarquer de l’enseignement traditionnel (fondé sur le bachotage et la restitution de savoirs) en vantant l’acquisition des savoir-faire et en se présentant comme des « contre-modèles » du système scolaire, profitant ainsi de la détérioration de son image et des inquiétudes parentales. La distance s’accroît entre élèves qui peuvent en bénéficier (occasionnellement, un peu, beaucoup, au tarif étudiant ou avec des professeurs expérimentés) et entre ces derniers et ceux qui n’y ont pas accès.

Presque partout, et pas seulement dans les quartiers défavorisés, on cherche donc à échapper à la baisse des exigences et à la violence scolaire en évitant telle école, tel collège, tel lycée par le privé sous et hors contrat ou par diverses ruses pour contourner la carte scolaire. Les stratégies parentales d'évitement et de complément ne sont pas la cause du problème, comme l'ancienne ministre de l'Éducation le faisait croire par une culpabilisation des familles, elles sont les symptômes les plus manifestes de la détérioration de notre école publique.

Un effondrement du niveau

Une des conséquences en effet de cette situation désastreuse c’est bien évidemment l’effondrement du niveau que soulignent de plus en plus fréquemment des enquêtes internes ou internationales depuis 25 ans, quel que soit le niveau socioprofessionnel des familles.

C’est ainsi que l’étude Pirls (Progress in International Reading Literacy Study) réalisée tous les cinq ans en 50 pays sur des classes de CM1 a révélé en décembre 2017 le faible niveau des écoliers français en matière de lecture et de compréhension . Non seulement notre pays, arrivé en 34e position, régresse dans le classement, mais il passe au-dessous de la moyenne européenne. C’est là sans doute l'échec le plus emblématique de l'école « de la République » qui ne permet même plus à une classe d’âge de sortir du système scolaire en maîtrisant sa propre langue. C’est aussi la faillite la plus grave, car elle conditionne toutes les autres. Les causes, sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article, en sont multiples : des méthodes d’apprentissage que le ministre actuel a annoncé vouloir réformer ; la vacuité dangereuse des idéologies pédagogistes (respecter le « rythme » des élèves, ne jamais contraindre, leur donner le temps, refuser le redoublement, supprimer les devoirs de mécanisation et mémorisation des apprentissages, affirmer que la grammaire vient toute seule, par « l’usage », ce qui témoigne au passage d’un incroyable mépris pour l’intelligence des élèves et leur capacité à progresser par l’effort, en particulier ceux des quartiers difficiles) ; et enfin le recrutement au rabais, faute de vocations, d’enseignants mal formés dont une enquête récente pointait en décembre les graves lacunes en orthographe, grammaire et syntaxe [vii]

Pour ce qui est des sciences, en décembre 2016 l’enquête Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves) avait testé dans 70 pays le niveau des élèves de 3e en mathématiques, culture scientifique et compréhension de l'écrit : les résultats montraient un recul de quatre points en mathématiques et 40 % d’élèves défavorisés en difficulté (contre 34 % en moyenne ailleurs).

En septembre 2017 une autre enquête Pisa testant le niveau de 3e pour 32 pays pour ce qui est du travail en groupe , révélait que la France était classée 20e sur 32 pays. Un bon tiers des élèves se situait au niveau le plus bas, seuls 6 % des élèves français décrochaient la note maximale.

L’enquête Timss ( Trends in International Mathematics and Science Study ), publiée en novembre 2016 et testant le niveau de CM1 (50 pays) et de terminale scientifique (9 pays) témoignait que la France dans ces disciplines était très en dessous de la moyenne internationale, devancée très largement par plusieurs pays d’Asie, mais également par des pays voisins comme l’Allemagne ou le Portugal. À peine 11 % des élèves français arrivent à se hisser au niveau des meilleurs en mathématiques et sciences. Les résultats de cette étude révélaient également que seul 1 % réussissaient à se classer dans le niveau avancé contre 15 % 1995, 11 % à un niveau élevé contre … 64 % en 95 !

Plus inquiétant encore : la dictée du ministère de l’Éducation nationale sur le niveau CM2 testé en 1987, 2007 et 2015, ce qui permet d’étudier le niveau des élèves sur le temps long et dans un même pays, révélait qu’il y avait bel et bien un déclin important : non seulement les écoliers d’aujourd’hui faisaient 7 fautes de plus que leurs prédécesseurs des années 80, mais la catégorie de ceux qui font « au moins 25 fautes » a bondi de de 5,4 % à 19,8 ! Et pourtant le texte ne présentait aucune difficulté linguistique particulière, les lacunes portaient essentiellement sur des accords simples et sur le respect de la syntaxe.

Évidemment, comme à chaque enquête qui pointe du doigt la dégringolade, on trouve toujours au sein de l’institution quelques obstinés dans le déni pour prétendre que les outils s’appliquent mal à la France, que tel contexte n’était pas comparable à tel autre. Il n’en reste pas moins qu’en ce qui concerne le niveau des écoliers ou des étudiants français les études se suivent et se ressemblent hélas. Toutes pointent le retard de la France par rapport aux meilleurs standards européens.


Des professeurs en souffrance


À la démotivation des élèves, y compris les meilleurs qui ne trouvent plus de sens dans les apprentissages, les programmes déconnectés des besoins réels et les exigences au rabais, répond depuis des années celle des enseignants. Plus que la démotivation, la souffrance ! Le succès inattendu de l’ouvrage paru en août 2017 « Éducation nationale une machine à broyer » d’Isabelle Dignocourt, professeur de français depuis 25 ans, témoigne par l’écho qu’il a reçu en interne d’un titre qui fait mouche.

À l’appui de ce constat, on peut citer par exemple la multiplication inquiétante des démissions constatées par un rapport sénatorial (rapport Carles-Ferrat) en janvier 2017, lesquelles avaient triplé depuis 2012 pour les jeunes enseignants en collège, doublé au lycée. Il en est de même parmi les enseignants titulaires qui sont deux fois plus nombreux en 2017 à démissionner que 6 ans auparavant. Les statistiques des syndicats un an plus tard témoignent non seulement de la poursuite, mais aussi d’une explosion du phénomène. Et encore la tendance est-elle freinée par la difficulté actuelle à pouvoir poser sa démission, celle-ci étant de plus en plus refusée ou retardée en raison des « nécessités du service ».

Les congés maladie pour dépression augmentent et il faut des semaines voire des mois pour obtenir un rendez-vous dans les cellules reconversion des Rectorats. Car les stratégies de reconversion se multiplient, le site « Aide aux Profs » devenu depuis 2016 « Après Prof » dit avoir été contacté depuis sa fondation en 2006 par 13 000 enseignants et les accompagne dans la volonté de changer de carrière (en 2014 une enquête ministérielle montrait que 68% des enseignants envisageaient de quitter la profession). Fort heureusement pour l’institution, les professeurs, fonctionnant en vase clos et peu ouverts sur les réalités économiques de la société, non aidés voire entravés aujourd’hui dans cette volonté de seconde carrière par leur administration, en restent souvent au niveau des intentions.

Non seulement l’Éducation nationale ne retient plus ses enseignants (surtout les jeunes effrayés et découragés par cette confrontation brutale au réel après cinq ans d’études minimum et de nombreux fantasmes sur un métier rêvé), mais elle fait face dans le même temps à une crise profonde du recrutement des professeurs puisque l’on ne parvient plus à remplir les postes offerts aux différents concours de recrutement, faute de candidats ou parce que les jurys, conservant encore quelques exigences de qualité académique refusent bien souvent des candidats dont le niveau est bien en deçà du minimum exigible. Ce sont donc de nombreux contractuels qui comblent les postes vacants, souvent pris sur une licence ou un simple CV. C’est ainsi qu’en plus des candidatures spontanées, il est arrivé que des chefs d’établissements, désespérés d’attendre en vain un enseignant ou un remplaçant que le Rectorat peine à dégoter, recrutent directement via … Le Bon Coin ! On en est là.

Une série d’autres symptômes traduit d’ailleurs en négatif la crise que de l’extérieur le grand public peine peut-être à imaginer : les syndicats dénoncent en effet une tendance de l’administration en 2017 à refuser toute demande de détachement dans le Supérieur aux enseignants du secondaire qui avaient obtenu un poste de PrCe (professeur certifié) ou PrAg (professeur agrégé) dans une université. Les Rectorats émettent un avis négatif sur les demandes de congé formation, refusent les temps partiels, y compris le prolongement de ceux qui déjà avait été obtenu depuis des années, font la sourde oreille devant les démissions posées. Comme toujours, au lieu de réfléchir aux causes, on tente, de façon autoritaire, de mettre la poussière sous le tapis et d’en masquer les symptômes. Augmentant en cela le désespoir d’enseignants qui ne voient plus de porte de sortie et perdent l’estime d’eux-mêmes devant ce manque de considération tout en ruminant leur rancœur contre l’institution.


Devant cette série de constats alarmants qui, pour la première fois, sont enfin reconnus publiquement au plus haut niveau, on comprend les espoirs immenses placés par le corps enseignant, le personnel non enseignant et les parents dans les réformes et mesures à venir. La rénovation de l’École, devant un tel chantier, ne pourra se faire que sur le temps long, loin de toute idéologie et posture politicienne, et dans le climat de confiance réciproque que Jean-Michel Blanquer, qui bénéficie déjà de celle des usagers, a restaurée entre tous les acteurs de terrain et leur ministère de tutelle. Il était temps !


Dans les deux prochains articles, nous nous demanderons comment notre École a pu en arriver là, des responsabilités sociétales au triomphe et aux ravages des théories pédagogistes.



Notes et références

[i]Barbara LEFEVRE, Génération « J’ai le droit », la faillite de notre éducation , Albin Michel, 2018

[ii] Le ministère de l’Instruction publique a pris le nom d’Éducation nationale » sous le gouvernement Herriot en 1932. Depuis certains, comme Jean-Pierre Chevènement (ministre de l’EN de 1984 à 1986) avaient tenté de rappeler que l’objectif premier de l’éducation était d’instruire et de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour souhaiter que ce ministère retrouve son nom initial.

[iii] Bernard RAVET, Principal de collège ou imam de la République ? , Edition Kéro, 2017

par Nicolas Conquer (Valeurs Actuelles) 23 novembre 2025
A l’heure de l’IA, l’immigration choisie devient un grand déclassement "Cette question deviendra l’une des dimensions majeures des prochaines échéances électorales en France. Ceux qui continueront de célébrer « l’immigration choisie » sans condition seront jugés pour ce qu’ils sont : les fossoyeurs silencieux de la mobilité sociale de nos enfants." https://www.valeursactuelles.com/economie/a-lheure-de-lia-limmigration-choisie-devient-un-grand-declassement
par Louise Morice dans Frontières 23 novembre 2025
Je suis de la génération Bataclan. La génération qui n’a pas connu la guerre, mais qui voit le sang couler sur son propre sol. Chaque année, chaque mois, chaque semaine. Nous avons grandi dans l’ombre des sirènes et des bougies, dans la peur sourde des métros bondés, des gares trop silencieuses, des sacs abandonnés. Je fais partie d’une génération qui vit la barbarie à chaque coin de rue ; d’une génération de femmes qui hésite à mettre une jupe, de garçons qui baissent les yeux pour éviter une provocation. Nous sommes ceux qui ont appris trop tôt ce que veut dire mourir pour rien. Je suis de la génération qui n’oubliera jamais, et qui ne pardonnera pas. Remplie de colère, parce qu’on ne nous protège pas. Remplie de colère, parce qu’ils ont les clés mais préfèrent le déni, la lâcheté, plutôt que le courage d’affronter le réel. Ils disent craindre la guerre civile, mais la guerre est déjà là, diffuse, rampante, dans les cœurs et dans les rues. J’avais seize ans, j’étais au lycée. Je me souviens du message sur la conversation de classe : « Y’a encore un attentat à Paris. » Encore. Ce mot résonne encore plus fort que les balles. Ce n’était pas le premier. Et nous savons, hélas, que ce ne sera pas le dernier. Louise Morice, média Frontières
par Jeanne Durieux (Le Figaro) 10 novembre 2025
"Contrairement au conflit à Gaza, ou à la guerre en Ukraine, la guerre au Soudan passe largement sous les radars politiques et médiatiques." "il n’y a pas d’armes actionnées par des Juifs, donc pas d’antisémitisme à galvaniser sous le masque de la bonne cause" Deux poids et deux mesures avec Gaza ? Une chronique de Jeanne Durieux sur un conflit qui passe largement sous les radars politiques et médiatiques à lire dans le Figaro : https://www.lefigaro.fr/international/pourquoi-parle-t-on-moins-du-conflit-au-soudan-que-de-gaza-ou-de-l-ukraine-20251108 DÉCRYPTAGE - Contrairement au conflit à Gaza, ou à la guerre en Ukraine, la guerre au Soudan passe largement sous les radars politiques et médiatiques. Des civils abattus d’une rafale de kalachnikov le long des talus, des hommes rassemblés en groupe pour être brûlés vifs, des enfants épuisés et muets qui déambulent sans parents le long des camps de réfugiés, des femmes atones au regard hanté qui taisent les viols collectifs dont elles ont été victimes. Voilà quelques-unes de la kyrielle d’images insoutenables qui ont envahi les réseaux sociaux ces derniers jours, presque deux semaines après la prise de la ville soudanaise d’El-Fasher par les FSR, les Forces de soutien rapide. Un premier bilan fait état d’environ 3000 civils abattus, mais le bilan pourrait être en réalité considérablement plus élevé. À découvrir Ces massacres de civils, dont l’horreur augmente à chaque témoignage rapporté par les ONG, jettent une lumière crue sur le conflit sanglant qui sévit au Soudan depuis plus de deux ans. Il oppose, sur un échiquier soudanais très complexe mêlé d’enjeux ethniques et religieux, les généraux Al-Burhan, chef de l’armée régulière, à Mohamed Daglo dit Hemedti, à la tête des FSR. Et s’inscrit dans le temps long d’une guerre multifactorielle qui ensanglante la région du Darfour depuis des décennies. Et pourtant, les massacres qui sévissent dans ce pays d’Afrique de l’Est bordé par la mer Rouge peinent à bénéficier d’une couverture médiatique ou de dénonciations proportionnelles à la hauteur des 150.000 morts et des 12 millions de déplacés depuis 2023. Contrairement au conflit à Gaza qui engendre depuis deux ans nombre de mobilisations, réactions, et polarise profondément la société française, la guerre au Soudan ne génère qu’une discrète indignation, voire un silence indifférent, malgré plusieurs récits publiés par les médias (dont Le Figaro ). Comment, malgré tout, expliquer cet angle mort ? Le Soudan échappe aux schémas impérialistes et colonialistes Le Soudan est un pays «inclassable», présente d’emblée le chercheur Marc Lavergne. À cheval sur l’Afrique noire et le monde arabe, multiethnique et multireligieux, lié à la Méditerranée, mais aussi à l’Afrique centrale et au Sahel, il échappe à toute catégorisation géographique mais également historique. Le Soudan a été conquis par les Britanniques et les Égyptiens à la fin du XIXe siècle, qui y ont établi un condominium [un territoire sur lequel plusieurs puissances exercent conjointement une souveraineté, NDLR], avant que le pays ne proclame son indépendance en 1956. Mais en réalité, «les Anglais n’ont pas vraiment colonisé le pays puisqu’ils n’y voyaient qu’une mainmise formelle. Ils sont d’ailleurs regrettés par les Soudanais», pointe encore Marc Lavergne. Par cette histoire, le Soudan échappe aux schémas classiques «impérialistes et colonialistes» qui ont profondément forgé les dynamiques actuelles de la plupart des pays africains. Et c’est d’abord là que le bât blesse. Concrètement, le Soudan n’est pas considéré comme un pays où doit s’exercer une lutte anti-impérialiste ou décoloniale, matrice des discours actuels qui défendent par exemple ardemment la Palestine en «lutte» contre «l’État colonisateur» que serait Israël. En réalité, «le conflit qui déchire le Soudan n’est pas une guerre idéologique mais un conflit pour l’argent», avance Marc Lavergne. Les factions en guerre cherchent en partie à contrôler le pays pour des motivations économiques : ils se disputent notamment la mainmise sur le contrôle des ressources économiques soudanaises agricoles et minières (comme l’or et pétrole). Et dans ce conflit, «le sort, comme l’opinion des civils, est complètement évacué» pointe le spécialiste. Le conflit à Gaza accapare la question du génocide Or, c’est précisément le conflit idéologique qui fait de Gaza une tragédie abondamment exposée. Se joue là le paradoxe de la solidarité sélective : les défendeurs de la cause palestinienne requièrent une prise en charge mondiale de cette tragédie mais s’opposent de l’autre «à l’universalité funéraire» pour d’autres conflits, pointait l’écrivain Kamel Daoud dans les colonnes du Point dès novembre 2024. Selon le prix Goncourt, il n’est pas populaire de plaindre tous les morts, quelles que soient leurs origines. Il poursuivait : «Si vous abordez ce sujet tragique [de la guerre au Soudan, NDLR], vous êtes accusé de cacher un conflit armé ’exclusif’ [celui de Gaza, NDLR], de changer de sujet, de procrastiner et de manipuler.» Par ailleurs, de façon évidente, les mobilisations autour du conflit armé à Gaza servent de relais à l’antisémitisme. Très concrètement au Soudan, «il n’y a pas d’armes actionnées par des Juifs, donc pas d’antisémitisme à galvaniser sous le masque de la bonne cause. (...)», appuie Kamel Daoud. Ce que corrobore l’avocat et essayiste Gilles William Golnadel dans une tribune publiée au Figaro : «[Il y a] une focalisation sur la chose juive par une sorte de fascination», expose-t-il pour justifier l’exposition qui entoure Gaza. Or, au Soudan, «les musulmans y tuent d’autres musulmans, ce qui équivaut à zéro. La mort ne devient importante que si elle suscite des émotions collectives à travers un casting précis», pointe encore Kamel Daoud. Davantage de personnes peuvent avoir été assassinées en une semaine à el-Fasher, sans aucune exagération, qu’en deux ans à Gaza. Nathaniel Raymond, directeur exécutif du laboratoire humanitaire de recherches à Yale Pourtant, les ethnies du Darfour (Fours, Masalit et Zaghawa) ont été victimes d’un génocide au début des années 2000, notamment de la part des Janjawid, ces milices arabes dont découlent aujourd’hui les FSR. Et ces violences contre les ethnies non arabes ont redoublé avec la reprise du conflit en 2023. Mais aujourd’hui, la question du «génocide» dans le débat public est presque exclusivement captée par les événements à Gaza. «Les informations qui remontent du terrain [au Soudan] témoignent d’un nettoyage ethnique voire d’un génocide en cours. On s’est posé des questions très longtemps sur Gaza, on a eu toutes sortes de débats, “est-ce un génocide ou pas ?” alors qu’au Darfour, on avait des éléments [pour le caractériser] et on n’en parlait pas du tout», a pointé le 6 novembre 2025 sur le plateau de C ce soir Meriem Amellal, journaliste spécialiste de l’Afrique à France 24. Plus prosaïque, Nathaniel Raymond, directeur exécutif du laboratoire humanitaire de recherches à Yale, établissait un parallèle cette semaine : «davantage de personnes peuvent avoir été assassinées en une semaine à el-Fasher, sans aucune exagération, qu’en deux ans à Gaza». Et pour cause : après la prise de cette ville, il n’y a pas eu de mouvement massif de population, comme c’est normalement le cas dans une zone nouvellement conquise. Cette constatation «augmente la probabilité que la majorité des civils soient morts, capturés ou cachés» dans l’enceinte de la ville, indique un rapport établi par l’université de Yale et cité par le Middle East Eye . Les Nations unies estiment à environ 60.000 le nombre de personnes ayant réussi à fuir el-Fasher − près de 200.000 personnes sont en conséquence toujours entre les mains des sanguinaires milices. À titre de comparaison, 67.000 civils environ auraient trouvé la mort à Gaza depuis le 7 octobre 2023, selon le décompte (invérifiable) du Hamas. En clair, le Soudan est bien loin des projections collectives et des débats qui agitent et polarisent nos sociétés occidentales. Au sein de cette guerre africaine s’entrelacent de nombreux enjeux internes qui entravent notre implication morale dans le conflit. En Occident, «on ne fait pas la différence entre tous les Soudanais, même s’il existe de nombreuses différences ethniques», éclaire Marc Lavergne, - à l’inverse, là encore, du conflit à Gaza, qui oppose deux parties clairement connues et identifiées. Ce que corrobore encore Kamel Daoud dans sa chronique au Point : «Le corps d’un Soudanais est-il moins choquant parce qu’il n’a pas d’histoire qui nous ressemble ?» s’interroge-t-il. Par ailleurs, depuis deux ans, le conflit soudanais oppose deux généraux belligérants unanimement dénoncés. Les Forces de soutien rapide se sont certes rendues complices de nombreux massacres de civils, largement documentés ces derniers jours, mais les exactions du gouvernement dit «légal» du général Al-Burhan les talonnent sur l’échelle de la violence. «Concrètement, les troupes d’Al-Burhan tuent certes moins de gens, mais les milices qui sont alliées à l’armée régulière font les basses besognes. Et de façon générale, l’armée n’a que faire des civils», résume Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris. Par ailleurs, les acceptions des termes «gouvernement légal» et «gouvernement rebelle» ne s’appliquent pas réellement au Soudan. «Lorsque deux généraux anciens complices s’affrontent, qui est dans la légalité et qui ne l’est pas ?» interroge le chercheur Marc Lavergne. Et ce dernier de poursuivre : «Entre une armée putschiste, dirigée par al-Burhan, qui a ruiné le pays et pris le pouvoir par un coup d’État, et les Forces de sécurité rapide dirigées par le général Hemedti, grand responsable de la crise du Darfour en 2005, qu’on présente comme des rebelles alors qu’ils sont avant tout des Bédouins, à qui accorder la légitimité ?» De quel côté se placer ? Un tel parti pris est, à l’inverse, plus évident dans le cas du conflit en Ukraine : il y a d’un côté l’agresseur, la Russie, et l’agressé, l’Ukraine, dont une partie des terres a été envahie par l’armée russe. Peu d’intérêt stratégique La donne géopolitique impose également sa grille de lecture : celle des Européens est d’abord liée aux décisions de Washington et à la menace russe. Là encore, l’attention constante qu’accorde la France au conflit russo-ukrainien se justifie ainsi par la proximité géographique et culturelle avec l’Ukraine. Cette dernière étant aux portes de l’Europe et candidate à l’UE et l’Otan, les Français ont tout intérêt à peser pour la victoire de l’Ukraine et la résolution du conflit. Dans le cas du Soudan, la France, qui avait soutenu la chute du régime d’Omar el-Béchir en 2019 en s’affirmant se placer du côté «de ce nouveau Soudan», y accorde en réalité peu d’intérêt. «Il n’y a plus cette génération de gens qui ont connu la Françafrique et qui conservent des liens et des intérêts forts sur le continent», dépeint Marc Lavergne, pour qui «la France s’est désintéressée du Soudan».
par Olivier Babeau / Valeurs Actuelles 4 novembre 2025
"Fuite des cerveaux, désindustrialisation, endettement, services publics défaillants, dépendance au luxe et à l’aéronautique : la France adopte les caractéristiques économiques des pays pauvres" Une tribune à lire dans Valeurs Actuelles : https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/economie/olivier-babeau-la-france-se-tiers-mondise
par Guillaume Roquette dans FigaroVox 3 novembre 2025
Un edito de Guillaume Roquette dans FigaroVox suite à la large victoire de Javier Milei aux législatives de mi-mandat en Argentine. Javier Milei a mis ses actes en accord avec ses paroles depuis qu’il dirige le pays. Et pendant ce temps là, en France, on cogite sur la meilleure façon d'augmenter encore un peu plus la fiscalité alors que nous sommes déjà champion du monde toutes catégories ! https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-editorial-du-figaro-magazine-la-lecon-argentine-20251031 "Large vainqueur aux législatives de mi-mandat, avec un peu plus de 40% des voix pour son parti au niveau national, Javier Milei a mis ses actes en accord avec ses paroles depuis qu’il dirige le pays. Une victoire éclatante. En remportant haut la main les dernières élections législatives en Argentine, Javier Milei a ridiculisé les pseudo-experts qui affirmaient qu’un président aussi libéral serait nécessairement désavoué par les électeurs. À travers ce scrutin, le peuple de ce pays nous administre une magnifique leçon de courage : oui, on peut choisir en toute conscience la voie du redressement, accepter des efforts douloureux, couper à la tronçonneuse dans les dépenses publiques si c’est la condition pour ne pas sombrer. Pour nous autres Français, les Argentins sont des Martiens. Malgré notre dette vertigineuse, notre administration obèse et nos prélèvements obligatoires suffocants, nous refusons collectivement de rompre avec un modèle pourtant à bout de souffle, comme si nous pouvions indéfiniment vivre à crédit sans en payer un jour le prix. L’essayiste Mathieu Laine dresse ce constat désabusé : « Les peuples ne deviennent libéraux que quand ils ont touché le fond de la piscine keynésienne. » Passer la publicité Nous en sommes loin. Le patron du Parti socialiste français, Olivier Faure, continue au contraire de claironner qu’ « il va falloir prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire dans les poches de ceux qui ont les moyens ». Voilà les gens avec lesquels le premier ministre Sébastien Lecornu a dangereusement choisi de pactiser : des démagogues d’une médiocrité crasse qui vont tuer notre pays si on les laisse faire. Là-bas, Nicolás ne veut plus payer Pourquoi les Argentins sont-ils capables d’un sursaut auquel nous nous refusons, en tout cas pour l’instant ? La démographie est l’une des réponses : leur pyramide des âges est moins déséquilibrée que la nôtre. Plus nombreux et plus jeunes, les actifs ne veulent plus d’un système qui les empêche de vivre décemment. Là-bas, Nicolás ne veut plus payer. On connaît le franc-parler de Javier Milei. Quand on lui demande ce qu’il pense de ses adversaires progressistes, il les traite de « gauchistes de m… » et affirme : « Il ne faut pas leur laisser un millimètre, si vous le faites, ils vont l’utiliser pour vous détruire. »« Ma mission est de botter le cul des keynésiens et des fils de p… collectivistes. » Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… Et sa franchise ne s’arrête pas aux discours. Contrairement à ce qui se passe habituellement avec la droite française quand elle est au pouvoir, le président argentin a mis ses actes en accord avec ses paroles depuis qu’il dirige le pays. Il a baissé la dépense publique de 30% et supprimé 60 000 postes de fonctionnaires. Le nombre de ministères est passé de 21 à 10. « Afuera » (ça dégage) ! Pour la gauche française, Milei est le mal personnifié. En rétablissant l’équilibre budgétaire de son pays (une première depuis 14 ans), il a coupé les vivres à des centaines de structures politiques, médiatiques et culturelles qui vivaient au crochet de l’État. Un cauchemar pour nos progressistes ; un modèle à suivre pour une droite digne de ce nom."
par Pierre Brochand (ancien directeur général de la DGSE) 18 octobre 2025
Immigration de masse, insécurité, risque de guerre civile... Le cri d’alarme de Pierre Brochand (ex-DGSE) "EXCLUSIF - Vingt ans après les émeutes qui avaient éclaté à Clichy-sous-Bois puis dans toutes les banlieues, l’ancien directeur général de la DGSE dresse le constat inquiétant d’une France au bord de la « confrontation interne »." Une tribune à lire dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/immigration-de-masse-insecurite-risque-de-guerre-civile-le-cri-d-alarme-de-pierre-brochand-ex-dgse-20251017 LE FIGARO MAGAZINE. - Il y a tout juste vingt ans, le 27 octobre 2005, éclataient les premières grandes émeutes de banlieue. Plus qu’une expression de violence passagère, était-ce le début d’un long processus nous conduisant à une forme de « guerre civile » ? Pierre BROCHAND. - Avec le recul, ce qui s’est passé, il y a vingt ans, apparaît, d’abord, comme un révélateur cruel de l’état du pays. Depuis les années 1980, s’était dessiné un paysage inédit : des émeutes ethniques, jamais vues, fusaient ponctuellement en zones urbaines, sur fond de délinquance, d’islamisation et de séparation. La vague d’octobre, en étendant l’incendie à plusieurs villes simultanément, a sonné un réveil en fanfare. Deux tiers de nos compatriotes en ont déduit qu’il fallait « arrêter l’immigration ». Ceux qui détenaient le pouvoir ne les ont pas écoutés. Résultat : rien n’a été fait. Ce qui nous amène directement aux angoisses d’aujourd’hui, que résume la prophétie de « guerre civile ». Je doute que celle-ci se réalise à court terme. En revanche, je tiens pour certaines les affirmations suivantes : – Si nous restons bras croisés, nous irons vers le pire. – Ce pire sera la régression de notre pays en tous domaines, à commencer par la sécurité de ses habitants et, plus généralement, leur bonheur de vivre. – L’épicentre en sera la débâcle de la confiance sociale, clé de voûte des peuples heureux, dont la perte disloque non seulement les sociétés « multi » mais aussi les fondements de l’État-providence. – Je ne vois pas d’autre ferment à ces ébranlements que l’irruption d’une immigration de masse, aux caractéristiques antagoniques des nôtres. Qu’est-ce qui vous rend dubitatif à l’égard du terme « guerre civile », pourtant repris par nombre de responsables politiques ? D’abord, les mots eux-mêmes. Je viens de le dire : pour moi, le fait générateur de troubles à venir ne peut être qu’importé. En effet, dans une démocratie avancée et apaisée, les différends, entre autochtones, ne semblent plus de nature à ressusciter la Révolution ou la Commune. La parenthèse de la « question sociale », ouverte en 1848, refermée en 1968, a laissé la place à des compromis quantitatifs sur le partage d’un gâteau commun, autour de la notion de pouvoir d’achat. De même, les problèmes sociétaux, qui ont pris la suite, n’ont jamais donné lieu à échanges de coups de feu : la haute tenue de la Manif pour tous en a fourni la preuve. Pour faire simple, je dirais qu’entre citoyens de souche, la violence, politique et sociale, n’est plus de mise : pour eux, l’Histoire est finie, au sens de Fukuyama. Leurs débats sont canalisés pour converger fatalement vers un centrisme bien-pensant, quel que soit le numéro de la République. Ceux qui le contestent ne sont pas nombreux : les black blocs ont affiché leurs limites, l’ultradroite parade modestement. L’échec des « gilets jaunes » a, en outre, confirmé qu’aucun projet, centré sur la redistribution du gâteau, ne pouvait renverser la table. Pour la même raison, j’écarte les concepts de « décivilisation » et d’« ensauvagement », qui, en douce, tendent à mettre tout le monde dans le même sac. J’irai plus loin : c’est le thème même de l’immigration, qui, par rétroaction, risque de susciter les plus graves dissensions chez les natifs, entre « universalistes » (mondialistes mercantiles, humanistes rêveurs, wokistes justiciers) et « localistes » (patriotes têtus, régionalistes renaissants, communautaires de tradition). Schisme, qui, d’ailleurs, réintroduit, dans le jeu belliqueux, certains de nos extrémistes, tenants d’une mythique « convergence des luttes », prêts à servir de cheval de Troie aux factions les plus militantes de l’immigration. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière Pierre Brochand Ensuite, le fait que les fauteurs de troubles de 2005, comme leurs prédécesseurs et successeurs, soient majoritairement de nationalité française ne change en rien le diagnostic. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière. Ces bagages étaient même si pesants qu’une partie de leurs arrière-petits-enfants continuent à les porter. Énumérons-les, une fois encore, puisque tout en découle : origine du tiers-monde, mœurs communautaires, majorité musulmane, culture de l’honneur, passé colonisé, démographie dynamique, endogamie élevée, faible niveau culturel, productivité et employabilité inférieures, coagulation en isolats géographiques et, surtout, donc, aggravation de ces dispositions au fil des générations dans un contexte global de vengeance du Sud sur le Nord. De ce point de vue, la distinction entre guerre « civile » et « étrangère » ressort brouillée. Nous sommes, au minimum, dans un cas hybride, qui efface, dès le départ, la dimension fratricide des luttes entre Armagnacs et Bourguignons, catholiques et protestants, et où la géopolitique intervient au moins autant que la politique. C’est pourquoi je préfère parler de confrontation interne, vulnérable à des ingérences extérieures. Dans ce tableau, il faut toutefois réserver un sort particulier à l’outre-mer, héritier lui aussi de l’ère coloniale, et doté d’une géographie lointaine et insulaire : on peut y voir des « laboratoires », où des débuts d’insurrection ont déjà opposé des citoyens français, selon leur origine ethnique. Enfin, une « vraie » guerre civile est une lutte armée, au sein d’une même collectivité, entre parties organisées qui s’en disputent le contrôle. Soit le basculement, brutal et total, d’un pays tout entier dans une violence physique concertée. Je le redis : cette vision paraît simpliste. Car d’innombrables hypothèses, plus complexes, sortant des sentiers battus, peuvent se vérifier. Même si nous pensons très fort à l’Empire romain, nul précédent ne saurait nous guider. Gardons à l’esprit qu’aucune société, avant la nôtre, n’a vécu sous le règne de l’individualisme de masse, sorte de terra incognita, sans carte ni boussole. Si nous ne nous dirigeons pas tout à fait vers une « guerre civile », vers quoi allons-nous ? Mon sentiment est le suivant. Bien avant d’en arriver à une bataille à mort pour la souveraineté, nous allons continuer de nous enfoncer dans des sables mouvants. Le raz-de-marée migratoire, s’il persiste, va produire un enchaînement de dégradations, à la fois sous-jacentes dans la durée et explosives dans l’instant. L’immigration actuelle est un fait social total dont les ondes de choc se font sentir partout. Pour les schématiser, elles raniment, d’abord, les clivages non négociables, c’est-à-dire non solubles en procédures, que nous pensions derrière nous : discorde religieuse, inimitié coloniale, fléau racial, gouffre culturel, allégeances nationales incompatibles, auxquels s’ajoute, pour faire bonne mesure, inadéquation économique. En bref, nous prenons, en pleine figure, le boomerang d’une Histoire, loin d’être finie ailleurs. Cheminement souterrain, donc, quand ces disruptions, imperceptibles au jour le jour, finissent par émerger à force de cumulation. Bouffées détonantes lorsque, de ces transformations, naissent des contradictions que les mécanismes d’absorption – autrefois performants avec les eurochrétiens – ne parviennent plus à surmonter. La violence devient, alors, la seule issue. Violence multiforme – délinquante, nihiliste, métapolitique –, d’abord sporadique et dispersée, mais prenant une tournure agglutinante, au fur et à mesure qu’empirent les dérèglements. Soit, au final, un processus quasi volcanique, associant un magma souterrain, porteur de tendances lourdes, et des éruptions soudaines, survenant à tout prétexte. Étant entendu que le choix n’est pas toujours entre la vie et la mort, mais aussi entre une existence qui mérite d’être vécue et d’autres qui n’en valent pas la peine. Sinon, à quoi bon ? J’ai bien conscience qu’ainsi esquissé, ce futur reste nébuleux. Ce qui n’interdit pas d’ouvrir un cadre de réflexion, qui, tout en essayant d’exclure la paranoïa – tâche parfois difficile – met en évidence un éventail de possibles. Sous la forme de l’État de droit, l’État régalien n’est plus que l’ombre de lui-même Pierre Brochand Vous parlez d’un « cadre de réflexion ». Pouvez-vous mieux le cerner ? À mon avis, il faut commencer par prendre conscience du point d’arrivée, lui, irrécusable : une France à majorité africaine et musulmane, bien avant la fin de ce siècle. Bouleversement que je défie quiconque d’espérer paisible et débonnaire. La logique conduit, donc, d’abord à identifier les acteurs de cette tragédie. Si l’on en croit la grille de lecture en vigueur, ils sont en nombre illimité, puisque tout n’est que cas particuliers. Ce n’est pas mon approche. Mon expérience professionnelle m’incite à commettre le péché d’amalgame. Les groupes restent des agents historiques déterminants, et le redeviennent encore plus quand refont surface les casus belli d’antan. Pour moi, ces groupes sont au nombre de quatre. Le plus proactif est constitué de « ceux venus d’ailleurs ». Le critère pertinent, pour l’analyser, est celui de l’acculturation. Faute de statistiques, je m’en tiendrais à l’intuition. Sur un effectif qui atteint désormais 25 à 30% des résidents (sur trois générations), les « assimilés » ne sont plus, à mon sens, que 5 à 10%, les « intégrés » comptent pour 30 à 40% et le reste flotte de la non-adhésion à la haine sur fond d’assistanat. La jeunesse masculine en représente le fer de lance. C’est à travers cette dernière strate que sont ravivés, dans l’espace public, les us et coutumes des pays de départ, avec lesquels nous n’avons jamais demandé à cohabiter. J’attire l’attention sur le fait que l’intégration, « espoir suprême et suprême pensée », n’est qu’un CDD (le respect de la loi contre l’emploi, chacun gardant son quant-à-soi) : en période de basculement, les intégrés pèseront naturellement dans ce sens. Restent « ceux d’ici », les « déjà-là », rejoints par la frange des assimilés. Là aussi, en usant d’une sociologie de la hache, j’y distinguerai trois sous-groupes. « Ceux d’en haut » forment un noyau dur minoritaire, à l’abri des métropoles, à partir desquelles ils font rayonner l’idéologie du « laissez passer, laissez tomber », apothéose prétendue de la « civilisation ». Métropoles où se nouent, d’autre part, des relations pragmatiques de connivence, au moins matérielles, avec « ceux d’ailleurs », rassemblés alentour. « Ceux d’en bas » (65 à 70% du grand total) n’ont pas la même vision : soumis en permanence à des chocs avec des « civilisations » (minuscules, plurielles) aux pratiques antithétiques des leurs, ils n’acceptent plus cette situation et cherchent à le faire savoir poliment, sans y parvenir. Néanmoins, le haut et le bas se retrouvent pour rejeter l’autodéfense et se blottir derrière un quatrième agent : les forces de l’ordre, seule formation armée autorisée sur le territoire français. Ce monopole de la violence est, toutefois, soumis à fortes contraintes. D’abord budgétaires : l’efficacité de ces « gardiens de la paix » est conditionnée par la taille de leurs effectifs, ce qui pose le problème crucial de leur saturation en cas de coup dur. Restrictions juridiques, surtout, sous la forme de l’État de droit, pierre angulaire de la « société des individus » : sous ce régime, l’État national régalien, modèle prédominant auparavant, n’est plus que l’ombre de lui-même. D’une certaine façon, il est même un adversaire à désarmer, car menaçant, du reste de son autorité, les droits fondamentaux de chacun, étrangers et malfaisants compris. Cette impuissance voulue est source d’une incohérence mortelle. En effet, l’immigration ne tombe pas du ciel. Elle est, elle aussi, la conséquence du renversement de paradigme, survenu dans les années 1970, quand nous sommes passés de l’autodétermination des peuples, délimitée par des frontières, à celle des individus, libres de se mouvoir à l’échelle planétaire. Révolution qui, d’un même élan, a donné le feu vert à des exodes massifs, et empêché la puissance publique des pays de destination de les entraver. Or, la survie d’un tissu social, aussi fragile que le nôtre, ne tient qu’à un fil : celui d’une homogénéité culturelle parfaite, autour d’un « néochristianisme païen » unanime, seul à même d’intérioriser l’injonction du vivre-ensemble. Personne ne niera que les nouveaux venus n’ont pas du tout – mais, alors, pas du tout – suivi ce parcours historique, qui nous a conduit à l’épuisement de l’inimitié. D’où la quadrature du cercle : une société qui se veut ouverte mais ne peut se perpétuer que fermée à ceux qui ne partagent pas sa xénophilie. Voilà pour la distribution de la pièce, où nous jouons notre survie. Les réseaux sociaux enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. OLIVIER CORET / OLIVIER CORET pour le Figaro Mag Si nous continuons d’explorer votre cadre de réflexion entre ces acteurs, quels sont les paramètres principaux des évolutions à venir ? Ce que vous me demandez, c’est comment va évoluer le rapport des forces. Si l’on reprend la métaphore d’un fleuve souterrain incandescent, la question devient : quels sont les éléments qui l’accélèrent et ceux qui le ralentissent ? L’accélérateur décisif est, bien sûr, la démographie, indicateur le plus fiable des temps futurs. On ne le répétera jamais assez : nous nous acheminons vers une inversion de majorité, ethnique et religieuse, dans notre pays. Ce n’est plus l’épaisseur du trait. De surcroît, ce chassé-croisé, hors de contrôle, tend à l’exponentialité : il se nourrit des droits opposables, dont se prévalent les immigrés, mais aussi de l’auto-engendrement des diasporas, qui génèrent un fort excédent naturel, disparu chez « ceux d’ici ». En outre, l’immigration est une grandeur non scalable, dont la qualité mute avec la quantité. D’où la notion de masse critique, au-delà de laquelle ce qui était possible en deçà ne l’est plus. Les quartiers où tous ces seuils sont dépassés sont la vitrine de ce qui nous attend. On y retrouve les réminiscences des pays de départ, dont aucun n’est démocratique, développé et égalitaire : incivisme, xénophobie, intolérance, banditisme, omerta, consanguinité, corruption, clientélisme, etc. Ce chamboulement, annoncé par l’arithmétique, ne peut se dérouler sans convulsions. Il y a aussi des « retardants » au processus. Mais ce ne sont, hélas, que des expédients temporaires visant à reculer pour mieux sauter. Le premier est l’évitement, entre anciens et nouveaux. Chacun vote avec ses pieds et se regroupe par affinités, preuve par neuf qu’on ne s’apprécie que mollement : « ceux d’en haut » dans la zone verte des centres-villes, « ceux d’en bas » en France périphérique, « ceux d’ailleurs » dans les banlieues. À ce contournement primaire s’ajoutent des fuites secondaires : la ruée vers l’enseignement privé, l’expatriation des jeunes diplômés, l’alya des Français juifs. Mais le vase déborde déjà : en attestent la répartition autoritaire des demandeurs d’asile en milieu rural et l’implantation obligatoire de logements sociaux dans des villes qui n’en veulent pas. Ensuite, viennent les petits arrangements pour acheter la paix sociale, voire des gains électoraux, sans secouer le cocotier. Ces concessions unilatérales se pratiquent à tous les échelons, depuis la politique de la ville au niveau national, jusqu’aux compromissions municipales, avec des consultants peu recommandables (imams, caïds, grands frères). On songe à la du Barry : « Encore une minute, monsieur le bourreau ! » Autre aspect : les deux minorités actives, susceptibles de coordonner les « révoltés » – trafiquants et Frères musulmans –, n’ont pas intérêt à renverser immédiatement la table. Les premiers en sont au stade embryonnaire de la cartellisation (DZ Mafia), avec pour ambition d’éliminer la concurrence et d’exploiter la poule aux œufs d’or, sans l’achever. Les seconds préfèrent l’entrisme à bas bruit afin d’imposer progressivement les codes de leur religion, en comptant sur l’inexorable loi du nombre pour triompher. Reste le plus grand frein à la belligérance : le comportement des « natifs d’en bas ». Chacun admire leur retenue («vous n’aurez pas notre haine »). Certes, leurs votes, croissants, en faveur de la « maîtrise des flux » montrent que leur imaginaire demeure national. Mais leur choix dans l’isoloir ne se double d’aucune démonstration de rue, pourtant circuit le plus court pour se faire entendre en France. Le poids des seniors ne pousse, évidemment, pas à l’action ni aux changements de cap. Mais, surtout, l’ensemble de la société vit sous les sédatifs obligatoires, que réclame le traitement de l’anarchie individualiste et de l’agressivité multiculturaliste. Citons pêle-mêle : la recherche du bien-être par la consommation, comme unique but commun ; la manipulation des émotions tétanisantes, telles que la peur (épidémies, Russie, climat) et la culpabilité (Vichy, colonialisme, racisme) ; le recours transversal au divertissement. Encore davantage, l’individu-roi, replié sur lui-même, attache un prix démesuré à sa vie biologique, occasion unique à ne pas rater, face à des extraterrestres (terroristes, délinquants) dont les valeurs « héroïques » lui sont devenues illisibles. C’est pourquoi les manifestations qu’il s’autorise – marches blanches, bougies, peluches – clament, avant tout, son refus d’en découdre. Les Français n’ont-ils pas restitué 150.000 armes en 2022 ? Notre orgueil de civilisé est de refouler nos pulsions. Attitude louable et honorable. Mais, alors, ne nous plaignons pas si nous sommes confrontés à des dissidences, que notre passivité enhardit. "La tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux" Pierre Brochand Vous évoquez un fleuve souterrain qui avance, mais aussi fait éruption en surface. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point ? Notre pronostic vital est-il engagé, comme vous l’envisagiez en 2023 ? Il faut partir de l’état des lieux ! 1500 portions de territoire, en « peau de léopard », échappent au plein contrôle des autorités publiques, et la pression sociale qui s’y exerce va à rebours de nos façons de vivre et de penser. Se répand, dans ces contre-sociétés enclavées, une guérilla de basse intensité contre ce qui y subsiste de l’État national et, plus généralement, d’influence française (pompiers, médecins, enseignants, arbitres). Un pessimiste y décèlerait même le retour, en mode mineur, des insurrections coloniales : commissariats-fortins, check-points, « hits and runs » réciproques, caves-sanctuaires, contraste jour/nuit, lutte pour la « conquête des cœurs » (la politique de la ville, resucée du Plan de Constantine, contre l’entraide sociale fournie par imams et dealers), recherche d’interlocuteurs valables, « porteurs de valise », omerta ordinaire, etc. Ne manque – et ce n’est pas rien – que l’armature du FLN. La crainte la plus plausible est que cet écosystème ne gagne en extension, fréquence et intensité, en vertu de la combinaison d’effectifs qui s’accroissent et d’une distance culturelle qui ne se réduit pas. Le modèle, que je privilégie, vous l’aurez compris, est celui de plaques tectoniques, mises en branle par le couple infernal individualisme-immigration, dont le frottement produit des étincelles qui finissent par embraser la plaine. Sur cette base, rien, hélas, n’interdit que soient franchis, un à un, des seuils critiques irréversibles : usage d’armes létales, pénétrations en « zone verte », submersion des forces classiques, entrée en scène de l’armée, prises d’otages, etc. Parmi les phénomènes déstabilisants, un sort à part doit être fait au terrorisme, bien sûr, mais encore plus aux pillages, auxquels les jeunes des quartiers se sont déjà adonnés : rien n’est plus facile, contagieux et efficace pour réduire à zéro la confiance sociale, libérer les instincts et mettre à genoux une société, bien au-delà des méfaits eux-mêmes. Et, voilà que, pour couronner le tout, pointent les drones, innovation stupéfiante qui met à portée de chacun des capacités incalculables de dissémination de la terreur. En fond de tableau, il faut aussi garder à l’esprit que nous vivons sur le fil du rasoir, en raison de notre dépendance à des réseaux, qui sont autant de catalyseurs de chaos. Les réseaux « sociaux » remettent au premier plan la psychologie des foules, décuplent le potentiel de tangage et enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. Quant aux « vitaux » – électricité, eau, gaz, transports, communication –, leur rupture nous renverrait en un éclair à un état de nature, où régneraient les moins inhibés, dont on devine qui ils seraient. À l’échelle nationale, ce scénario, qui suppose un haut degré de planification et exécution, relève de la science-fiction et nous éloigne des quartiers pour nous renvoyer vers des activistes indigènes, voire des services étrangers. Mais, on ne saurait écarter des applications locales, dont tireraient parti les éléments incontrôlés, dont il est question ici. Quant aux détonateurs proprement dits, la liste en est plus longue qu’on ne croit : aux attentats d’ampleur, « bavures », heurts communautaires habituels s’ajoutent des situations insoupçonnées, comme une brutale sortie de l’euro, suscitant une ruée vers les banques et, par engrenage, une déstabilisation de la rue, livrée aux exactions. Sans doute aucun de ces « fantasmes raisonnés » ne se produira, à brève échéance. Sans doute allons-nous continuer à vivre sur les pentes d’un Etna, dont les projections ne frapperont pas tout le monde, tout le temps, mais de plus en plus de monde, de plus en plus souvent. En tout cas, restons sûrs que la tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux, y compris physiques. Jusqu’à l’engagement du pronostic vital ? À très long terme, on ne peut malheureusement qu’opiner, en raison de la dynamique démographique, hors laquelle, il faut bien le reconnaître, tout n’est que bavardage, plus ou moins informé. Cette grande régression peut-elle être enrayée ? Un redressement est-il possible ? Comment ? Contrairement aux apparences, c’est votre question la plus facile, car les réponses existent et sont devenues banales. Mais, elles sont aussi inévitablement féroces, à proportion du temps et du terrain perdus. S’il reste une petite chance d’éteindre la mèche, il n’est d’autre voie que celle d’un radicalisme sans remords. Soit, à la fois, réduire les flux d’entrée à leur plus simple expression, reprendre le contrôle des diasporas et rétablir l’ordre public. Ce qui est tout à fait possible, mais exige un formidable regain de volonté. D’abord, prendre des mesures immédiatement opérationnelles en matière d’immigration (gel des régularisations, réduction drastique des naturalisations, raréfaction des visas des pays à risque). Puis, enjamber le préambule constitutionnel, indispensable au rétablissement des droits, collectifs et autonomes, du peuple français. Enfin, sur ce canevas, faire flèche de tout bois : externaliser les demandes d’asile, ramener à zéro l’attractivité sociale et médicale de la France, dégonfler les diasporas en agissant sur les titres de séjour, muscler la laïcité en l’étendant à l’espace public. Plus généralement, s’attaquer au virus mortel de l’impunité, par une réforme pénale décomplexée, s’adressant au moins autant aux peines, telles qu’elles sont décidées et appliquées, en cas de récidive, qu’à leur quantum. Sous cette brève formulation, l’ordonnance cache, on le sait, une entreprise herculéenne, dont, les choses étant ce qu’elles sont, j’ai le plus grand mal à imaginer qu’elle soit mise en œuvre. Mais, à l’inverse, je suis en mesure de garantir à vos lecteurs que, si nous persistons à céder au biais de normalité, pour repousser à plus tard ce qui aurait dû être fait hier, nous ne préparons pas à nos descendants des lendemains qui chantent.
par Pierre Nerval 15 octobre 2025
Un post X de Pierre Nerval : Lundi 13 octobre 2025, Emmanuel Macron s’envolera pour l’Égypte, persuadé qu’il va marquer l’Histoire en soutenant la première phase du plan de paix élaboré sous l’impulsion de Donald Trump, en coordination avec le Qatar, la Turquie et l’Égypte. En réalité, il n’y marquera rien... sinon la confirmation d’un trouble narcissique devenu incompatible avec la fonction de chef d’État. Car tout, chez Emmanuel Macron, est désormais mise en scène. Ce déplacement, présenté comme un geste diplomatique fort, n’est qu’un nouveau chapitre du roman qu’il écrit sur lui-même : Macron, l’homme providentiel. Mais la diplomatie ne se nourrit pas de poses, et la paix ne se bâtit pas à coups de photos devant les pyramides. Ce président vit dans un théâtre permanent. Il ne gouverne pas, il se projette. Il n’écoute pas, il parle de lui. Il ne consulte pas, il s’impose. Chaque déplacement devient un plateau de tournage, chaque déclaration une réplique, chaque crise une occasion d’apparaître. La France, elle, n’est plus qu’un décor de prestige... un arrière-plan commode pour ses ambitions d’acteur global. ... Pendant qu’il parade au Caire, les Français s’enlisent dans la crise économique, la perte de confiance, la fatigue morale d’un pays sans cap. Et tandis que les grandes puissances mènent la partie diplomatique à coups d’influence, d’énergie et de stratégie, notre président se rêve en chef de paix universel sans en avoir ni les moyens ni la crédibilité. Il ne voit pas que son narcissisme étouffe l’efficacité, que sa parole lasse autant qu’elle divise, et que son image, devenue son obsession, ridiculise la France qu’il prétend incarner. Un président qui s’aime trop finit toujours par oublier son peuple. Ce voyage en Égypte, qu’on nous vend comme un acte de diplomatie, n’est qu’un pèlerinage à son propre culte. Macron n’ira pas chercher la paix : il ira chercher son reflet.
par Alexandre Devecchio dans FigaroVox 4 octobre 2025
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par Étienne Gernelle 1 octobre 2025
Un éditorial d'Étienne Gernelle dans Le Point : https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle-le-zucmano-lepenisme-ou-le-fantasme-du-quelqu-un-d-autre-paiera-25-09-2025-2599534_32.php L’incroyable opération Zucman a encore frappé. Dans une France oppressée de ses difficultés économiques, on peut comprendre que l’appel pour la beauté des démonstrations mathématiques, l’autorité conférée par l’aura d’une grande université américaine (Stanford, rien de moins !) et l’image flatteuse de l’exil fiscal retourné contre lui séduisent. Mais ce n’est pas parce qu’une idée est enrobée dans des habits de prestige qu’elle est juste. Gabriel Zucman, économiste de gauche, très respecté dans son milieu, mène depuis des années une campagne pour la création d’un impôt mondial sur la fortune. Son raisonnement est simple : puisque les riches peuvent déplacer leurs fortunes pour éviter l’impôt, il faut créer un prélèvement coordonné à l’échelle planétaire. Avec cette manœuvre habile, on peut faire passer l’utopie du grand soir pour un pragmatisme de bon sens. L’idée séduit les partis de gauche, évidemment, mais aussi le RN, qui l’utilise dans sa rhétorique « anti-riches » tout en caressant l’espoir de voir cet argent magique remplir les caisses de l’État français. Le problème est que l’impôt mondial, même présenté avec le sérieux des économistes bardés de diplômes, reste une chimère. Il n’existe aucune instance capable de le mettre en œuvre, aucun mécanisme de contrainte universelle pour obliger tous les pays à l’adopter, et encore moins à le percevoir et le redistribuer. Déjà qu’à l’échelle européenne, l’harmonisation fiscale ressemble à un chemin de croix interminable, on imagine mal la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie et d’autres accepter de s’aligner sur une taxation commune des patrimoines. En réalité, cet impôt mondial, c’est un peu la version contemporaine du mythe de l’argent magique. L’idée que l’on pourrait financer les dépenses publiques toujours croissantes non pas en faisant des choix, en hiérarchisant, en arbitrant – bref en gouvernant –, mais en allant chercher ailleurs des ressources illimitées. Le grand fantasme du « quelqu’un d’autre paiera ». Dans son livre Le triomphe de l’injustice, Zucman, avec son complice Emmanuel Saez, avait déjà popularisé cette vision, qui a rencontré un immense écho. Le discours est rassurant, flatteur : si les services publics se dégradent, si la dette explose, ce n’est pas à cause d’un excès de dépenses, d’une fuite en avant budgétaire, mais de la rapacité des riches et de l’insuffisance de la redistribution. La réalité, d’abord, est que la France n’est pas avare en matière de prélèvements : elle figure parmi les pays les plus taxés au monde, avec une fiscalité déjà très redistributive. Ensuite, croire qu’un impôt mondial règlerait tout revient à s’installer dans une illusion dangereuse. Au lieu d’affronter nos problèmes réels – la faible productivité, l’absence de réformes structurelles, l’endettement chronique –, on préfère croire qu’une baguette magique fiscale viendra nous sauver. La facilité d’adoption de ce discours tient au fond à un trait bien français : le refus de la responsabilité budgétaire. Depuis quarante ans, la dépense publique croît sans frein, chaque gouvernement repoussant le moment de la vérité en empruntant davantage. Comme si le monde entier était condamné à payer notre confort. Bref, le zucmano-lépénisme est une jolie fiction. Mais elle ne résout rien. Au contraire, elle alimente notre incapacité à voir la réalité en face. À force de rêver d’un impôt universel et miraculeux, on se prive des vraies solutions, certes moins spectaculaires, mais infiniment plus efficaces : réformer, produire plus et dépenser mieux.
par Franz-Olivier Giesbert 1 octobre 2025
Un edito de Franz-Olivier Giesbert dans Le Point https://www.lepoint.fr/editos-du-point/fog-comme-un-champ-de-ruines-24-09-2025-2599462_32.php Que la gauche ait perdu toutes les élections depuis 2017, même quand elle clamait victoire, cela ne l’empêche pas de détenir les clés du pouvoir : tel est le paradoxe qui contribue à ruiner notre vieille démocratie. D’où le sentiment qu’ont les Français de n’être plus gouvernés et leur tentation de renverser la table. Certes, il est toujours sain, dans une démocratie, qu’un pouvoir soit confronté sans cesse à des contre-pouvoirs. Mais à condition que ceux-ci ne finissent pas par le paralyser ou par prendre sa place. Or la gauche d’atmosphère contrôle à peu près toutes les institutions de la République. Sur le papier, c’est beau comme l’antique : vigie de la République, le Conseil constitutionnel est censé vérifier notamment que les lois sont conformes à la Constitution. Sauf qu’il penche fortement à gauche et à la peur du crédit, notamment en censurant, l’an dernier, la commande d’Emmanuel Macron et de son ministre Laurent Fabius, près de soixante textes d’application de la loi immigration dédiée au contrôle et à l’intégration et pilotée, entre autres, par Bruno Retailleau. L’immigration est un totem, pas touche ! Le 19 juin, le Conseil constitutionnel, toujours dans la même logique immigrationniste, a réduit à néant la loi Attal sur la justice des mineurs, qui, dans notre pays, continuent ainsi de bénéficier d’une sorte de sauf-conduit après avoir commis leurs forfaits, au grand dam d’une majorité de Français. Le 7 août, il a encore enfoncé le même clou en retoquant, au nom de la liberté individuelle, la loi visant à autoriser le maintien en rétention d’étrangers jugés dangereux. En somme, le vénérable institut ignore de moins en moins le droit, tout comme le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, qui a inscrit dans le marbre le regroupement familial en 1978, sans en référer bien sûr à la souveraineté populaire. Les magistrats jugent souvent en fonction de leur conviction – de gauche ou d’extrême gauche. Pas tous, Dieu merci, mais, pour paraphraser La Fontaine, selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements vous rendront blanc ou noir. Une preuve parmi tant d’autres : apparemment, la justice a mis un mouchoir sur l’affaire des assistants des eurodéputés du parti de Jean-Luc Mélenchon, soupçonné de détournements de fonds, comme l’a rappelé opportunément l’Office européen de lutte antifraude, alors que, pour des faits semblables, François Bayrou a déjà été jugé et qu’une peine d’inéligibilité menace Marine Le Pen. Vous avez dit bizarre ? À voir ses « trophées », le célèbre Parquet national financier (PNF) est surtout une machine de guerre contre la droite, avec une obsession : Nicolas Sarkozy, coupable d’avoir comparé un jour les magistrats à des « cassation » à « des petits pois qui se ressemblent tous ». Pour avoir critiqué dans ce journal ses méthodes, nous savons à quoi nous en tenir : ce n’est pas l’objet du PNF, acharnant judiciairement depuis vingt ans à ruiner des hommes et des femmes, souvent avant même un début de moyens. C’est bien simple : avec sa présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’audiovisuel public est presque totalement noyauté à gauche, sous la houlette de l’inévitable Arcom, « régulateur des médias » qui dépend, entre autres, de l’Éducation nationale... Dans sa “Déambulation dans les ruines”, un livre magnifique, Michel Onfray nous emmène en voyage dans la civilisation gréco-romaine, qui est morte pour laisser place à la nôtre, la judéo-chrétienne, aujourd’hui en point. Dans son introduction, il cite les Fragments posthumes de Nietzsche, où le philosophe allemand évoque les « valeurs du déclin », et force est de constater qu’elles commencent à recouvrir le mur sur notre vieux continent : la désagrégation de la volonté ; le triomphe de la populace ; la domination de la lâcheté sociale ; la honte du mariage et de la famille ; la haine de la tolérance ; la généralisation de la paresse ; le goût du remords ; une nouvelle conception de la vertu ; le dégoût de la situation présente. Réveillons-nous. Maintenant que, grâce à la pédagogie de François Bayrou, les Français saisissent la gravité de la situation financière du pays, il est temps de se ressaisir et de relever la tête. De passer à l’espoir ! Comme disait Tocqueville, « ce n’est pas parce qu’on voit poindre à l’horizon qu’il faut arrêter d’avancer ».