Qui a peur de l’identité nationale ? #1

Natacha Gray • 25 février 2018

Première partie

Identité, identités ? Des régions à l’Europe, en passant évidemment par la France comme nation, les questions dites « identitaires » sont aujourd’hui omniprésentes dans l’actualité, dans les discours, et dans les priorités, revendications ou inquiétudes exprimées par une majorité de citoyens français. Identités régionales, identité nationale, identité européenne s’emboîtent sans nécessairement s’opposer. Plus que jamais les premières s’affirment, la dernière reste encore à construire. Lignes Droites lance la réflexion sur ces questions, en commençant par le sujet sensible, parfois tabou, de l’identité nationale.


Première partie

Quel paradoxe ! À l’heure où l’on n’a jamais autant revendiqué ses racines ou ses héritages, où les sondages confirment que les électeurs de droite comme de gauche qui font de la défense de « l’identité nationale » une de leurs priorités sont de plus en plus nombreux, car ils la jugent « menacée », les partis politiques semblent encore effrayés par un mot devenu presque tabou. L’adjectif « identitaire » reste employé par certains Français comme une insulte. S’interroger publiquement sur ce que c’est qu’être français aujourd’hui, sur les valeurs et principes qui fondent notre nation est encore présenté par beaucoup comme une tentative de racolage des seuls électeurs du Front national. Affirmer son amour pour la France et sa fierté d’y être né revient à risquer de se voir accuser d’un « dérapage » xénophobe, voire raciste, par la bien-pensance politico-médiatique qui tente de modeler l’opinion selon son manichéisme réducteur.


Et pourtant savoir qui l’on est, d’où l’on vient, s’enraciner dans un héritage historique et culturel dans sa globalité, revendiquer une sorte de génie collectif qui fait que l’on se sent un « peuple », une « nation » et pas simplement une collection d’individus emportés dans le tourbillon d’un multiculturalisme mondialisé, avoir quelque chose à défendre ensemble et dont on peut être fier pour lutter contre le déclinisme ambiant, mettre en exergue ce qui rapproche et non ce qui divise pour se rassurer, pour mieux intégrer aussi ceux qui aspirent à nous rejoindre, semble plus que jamais au centre des priorités des citoyens français, et au-delà européens.


Chez les individus les « troubles de l’identité » sont du ressort des psychiatres. L’individu va mieux lorsqu’il se « retrouve », qu’il définit ses valeurs, ses aspirations, ses talents et qu’il s’accepte enfin tel qu’il est. Mais dans les territoires et à l’échelle de la nation entière, qui soignera les identités blessées ? La responsabilité des élus est grande, des médias aussi, qui participent presque tous, depuis des années, à cette grande braderie des valeurs et à ce relativisme culturel où tout se vaut et tout s’accepte.

Après un court historique de la question (1.), nous verrons aujourd’hui comment l’identité nationale revient aujourd’hui au cœur de l’actualité (2), avant de nous interroger sur sa définition (3) puis de lister les différents éléments qui semblent fonder l’identité de la France (4). Le prochain article s’intéressera au sentiment d’une identité menacée (4), ce qui nous amènera à développer plus particulièrement la question sensible de l’immigration et de l’intégration (5) puis l’actuel dévoiement de l’altérité en « l’autruisme [i] », mettant en danger la tradition d’intégration à la française (6). Enfin, un troisième et dernier article traitera des appartenances multiples et emboîtées, des identités régionales encore fortement ancrées dans les mémoires et les pratiques, revigorées par une mondialisation sans racines et l’affaiblissement des nations, jusqu’à l’échelle européenne qui reste à (re) construire ? (7)

1. Elle court elle court, l’identité …

Elle est passée par ici, elle repassera par là. En France la question de l’identité nationale naît véritablement à gauche à la fin des années 1970 (par anti-américanisme puis avec Jack Lang dans les années 1980, pour justifier « l’exception culturelle » française) avant d’être reprise par la droite à la fin des années 1980 puis monopolisée par l’extrême droite au début du XXIe siècle. En 2007 Nicolas Sarkozy tente de la ramener à droite et en fait un de ses thèmes de campagne, créant un « ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement » et lance en 2009 un grand débat sur le sujet, qui n’aura guère de retombées. Car la polémique survient aussitôt, y compris au sein de son propre camp. La mise en relation de l’identité et de l’immigration dans la titulature du ministère scandalise comme à chaque fois que la réflexion tente de se porter sur les questions migratoires. Réfléchir à l’identité de la France, aux valeurs portées par le concept, à l’intégration des populations qui aspirent à faire partie de la Nation est aussitôt taxé à gauche de « racisme », de « xénophobie », l’adjectif « identitaire », repris par de nombreux mouvements à l’extrême droite, étant supposé renvoyer aux « thèses du Front national » derrière laquelle la droite serait supposée courir pour séduire son électorat.

Le problème alors, et encore aujourd’hui, n’est pas tant que l’opposition se lance dans les habituels procès d’intention qui n’élèvent pas le niveau du débat politique, mais qu’une partie non négligeable de la droite se soit alors tue, honteuse, comme s’il revenait au camp d’en face de définir seul les critères de respectabilité des idées , de juger qu’un thème est toxique, ou « nauséabond » ou qu’un leader politique se livre à des « dérapages ». Il est vrai que la défense de l’identité nationale est sensible et donne prise à la critique systématique par la gauche de l’époque, car intrinsèquement liée à la réflexion sur l’immigration et l’intégration, même si évidemment elle ne s’y réduit pas. Parce que certains à gauche et même à droite prétendent, tel un postulat non discutable, que réfléchir à ce qui fonde l’identité nationale serait un moyen d’en exclure ceux qui n’ont pas la nationalité du pays ou qui, français, n’en ont pas encore intégré les codes et les valeurs, que ce serait « faire le jeu du FN », on déclare alors le débat clos avant même qu’il ne commence et l’on cache vite sous le tapis cette pauvre identité nationale que l’on ne saurait voir.


2. Et elle revient aujourd’hui au cœur des débats

Sa résurgence récente dans le débat politique est évidemment à mettre en rapport avec le communautarisme, les atteintes à la laïcité, l’extension des zones de non-droit en France où des habitants , y compris de nombreux Français, défient régulièrement les lois et les valeurs de la République, mais également à la vague migratoire massive de populations portant une culture radicalement différente et apparemment moins facilement intégrables que les précédentes, avant tout en raison du nombre (qui diminue les moyens et le temps accordé à chaque « migrant »), mais également parce qu’une partie d’entre eux ne manifestent aujourd’hui nullement le désir ni la volonté d’accepter les règles et codes en vigueur dans la société d’accueil (respect de la laïcité, égalité des droites entre hommes et femmes…). Parallèlement des Cassandres propagent le thème anxiogène du Grand Remplacement surfant sur de nombreux faits divers surmédiatisés dans l’actualité, mais également sur la visibilité amplifiée des minorités ethniques et culturelles. En effet une partie de celles-ci cherche à s’imposer et à défier les lois de la République par des comportements ostentatoires (par exemple par le voile intégral, la barbe et le kami, les prières de rue, la non-mixité, le refus de travailler avec une femme…) ou des revendications (menus hallal, mise en cause de programmes scolaires) sous l’inspiration de la propagande islamiste qui pousse les croyants à adopter, par conviction ou sous pression, un certain nombre de (supposés) codes religieux. L’entrisme islamiste dans l’espace public, par sa remise en cause de symboles en lesquels beaucoup veulent lire l’identité de la France (racines chrétiennes, sapin et fêtes de Noël en entreprise, crèches, liberté des femmes…) accentue ce sentiment de déperdition des valeurs traditionnelles et de dépossession. « On est chez nous », entend-on dans la rue et sur les réseaux, et pas seulement en provenance de l’extrême-droite qui est loin de confisquer de nos jours la cause identitaire. Parallèlement la réflexion sur ces questions n’a jamais été aussi fertile même si les définitions, constats et propositions peuvent différer (Mathieu Bock-Côté, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Pascal Bruckner, François-Xavier Bellamy…).

En 2017 le thème revient donc dans la campagne, de manière apparemment décomplexée, évidemment récurrent dans les discours du Front national, mais également dans les propos du candidat Fillon (discours du Puy-en-Velay notamment), mais également de Jean-Luc Mélenchon qui, selon ses propres termes, « relève le gant du débat sur l’identité », pour ne pas le laisser confisquer par la droite : « À partir du moment où l'on est Français, on adopte le récit national » proclame-t-il sur sa chaîne YouTube en même temps que son amour de la France, certainement par conviction sincère, mais également parce que le candidat de la France insoumise a compris qu’il s’agissait là d’un thème porteur, d’une des priorités et principales inquiétudes de l’électorat. D’ailleurs ne dit-on pas que si Marine Le Pen a porté le Front national jusqu’au second tour, c’est qu’elle a su rassembler, bien au-delà de son parti, sur cette question sensible de l’identité et qu’inversement, elle a perdu les élections précisément parce qu’elle l’a totalement et étrangement oubliée lors du débat du second tour qui l’opposait à Emmanuel Macron.

De la même manière Laurent Wauquiez [ii] a rassemblé sur le thème de l’identité nationale, qu’il décline en « ancrage, racines, fidélité, constance », « racines chrétiennes », « valeurs » articulant son discours sur les menaces que font peser sur la cohésion et l’identité françaises un islam politique, le communautarisme et une immigration trop massive pour permettre l’intégration. Et à nouveau il reçoit des critiques, y compris en interne à droite, sur cette ligne « identitaire » jugée trop dure, trop « trop à droite », en concurrence avec l’extrême droite dont il « récupérerait » les idées et tenterait de séduire les électeurs. Puisqu’à gauche on prétend que toute référence identitaire serait le signe d’une influence voire d’une appartenance à la « fachosphère », beaucoup à droite préfèrent se taire ou, pire, faire écho à ces accusations en dressant des procès d’intention à tous ceux qui, dans leur camp, osent se soucier d’identité nationale. Paradoxalement, on constate d’un côté une extraordinaire fertilité du débat avec des penseurs de qualité, mais aussi au travers de tous les échanges qui fleurissent sur les réseaux entre internautes anonymes, et de l’autre la permanence d’une série de tabous (nation, patriotisme, régulation de l’immigration, progression de l’islamisme, de l’antisémitisme, affirmation d’autres formes de racisme, fragmentation de l’unité nationale par le communautarisme, non-mixité, restauration de l’autorité …) dont on ne peut même plus débattre sans être aussitôt criminalisé par la bien-pensance encore dominante : on est donc un « facho », si l’on est suspecté d’être sincère, ou un arriviste, si on est jugé coupable d’une tentative électoraliste de séduction des électeurs du FN. On comprend que, terrifiés par ces accusations prévisibles, beaucoup se censurent, se justifient, se taisent. Alors que l’identité n’appartient à personne et mérite d’être débattue !


3. L’identité nationale, qu’es aqu ò ?

L’identité nationale est l’objet de nombreuses controverses, mais si personne ne semble s’entendre à son sujet, c’est aussi parce que sa définition est floue et que son usage est souvent équivoque, d’où la volonté de clarifier le concept et de se mettre d’accord sur les valeurs communes qui sous-tendait le débat maladroitement lancé sous Nicolas Sarkozy.

Voltaire parlait déjà des identités nationales comme de « mœurs », de « caractères » et de « génies » respectifs [iii] et Renan [iv] les définissait comme un ensemble de points communs incluant « la race, la langue, les intérêts, l'affinité religieuse, la géographie, les nécessités militaires », mais qui ne suffisent pas à définir la nation qui est avant tout « une âme, un principe spirituel » et s’exprimant clairement dans le présent par ce que nous appellerions aujourd’hui le consensus : « le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ». Ce qu'on lit de ces définitions générales, c’est qu’une identité nationale est censée s’imposer à tous ceux qui se réclament de la nation dont elle serait l’expression, une sorte « d’âme », ou de « génie » forgés par l’Histoire siècle après siècle. Elle n’est évidemment ni de droite ni de gauche. C’est d’ailleurs contre le risque de confiscation du concept que s’élevait fermement l’historien Fernand Braudel dans un entretien au Monde en 1985 : « Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu'on s'amuse avec l'identité » [v].


Il s’agirait donc d’une sorte d’état d'esprit commun aux individus qui composent une nation, révélant leur adhésion à des valeurs collectives . Déjà, à ce niveau des définitions, on voit où le bât blesse : quelles sont ces valeurs communes censées rassembler les Français quand on voit que même la laïcité divise aujourd’hui ? Quel « principe spirituel » guide notre organisation collective ? En d’autres termes quel sens donnons-nous à notre engagement dans la Cité ? Qu’en est-il du sentiment d’appartenance de toutes ses composantes ? Comment s’exercent les droits et se respectent les obligations communes ? La force d'une nation repose sur la fierté de tous ses éléments. Les Français sont-ils encore fiers de leur pays ? Et d’abord, qu’est-ce que l’identité nationale ? Est-elle l’identité de la République ou celle de la France ?


Un changement notable s’est en effet opéré ces dernières années dans la sémantique employée : il était de coutume de brandir en permanence les « valeurs républicaines » dont « l’égalité républicaine » (employée à toutes les sauces), les « lois de la République », termes flous, car polysémiques dont on ne pouvait dessiner avec précision les contours. Or dans les discours de nombreux élus tout comme sur les réseaux sociaux, la France est en train de remplacer la République , réintroduisant dans le concept le temps long de l’Histoire, de la tradition, des héritages, bref la continuité d’une nation au-delà des régimes successifs qui se sont succédé. Alors bien évidemment parler d’identité française ne signifie nullement que cette identité ne soit pas évolutive, dynamique , s’enrichissant et se modifiant au fur et à mesure de ses apports, comme il en est d’un peuple ouvert dont les frontières se sont élargies par l’ajout de territoires aux identités propres (Bretagne, Corse, Catalogne…) et par vagues migratoires successives. Mais il n’en reste pas moins des invariants , comme la langue, les héritages culturels, littéraires, paysagers, les comportements liés à la domination séculaire d’une religion, un certain sens de la liberté, des rapports entre hommes et femmes, une certaine impertinence, un attachement particulier aux arts et à l’intelligence.


4. L’identité de la France ?

Si l’on s’est tous réjouis de voir la France se rassembler au lendemain de chaque attentat majeur, on entend souvent se lamenter que ce sursaut collectif n’a pas duré. Mais c’est que l’on ne fédère pas sur le long terme contre (le terrorisme, les atteintes à la liberté d’expression…), mais pour quelque chose qui doit être clairement défini ou ressenti. Alors quelles sont ces valeurs potentiellement rassembleuses censées être l’âme de cette France ?

La plupart des enquêtes [vi] , à la question « Quels sont les éléments importants qui constituent l'identité de la France ? » rejoignent les résultats d’un grand sondage paru en 2009 et placent en tête la langue française (80%), la République (64%), le drapeau tricolore (63%), la laïcité (61%), les services publics (60%), la Marseillaise (50%), l’accueil d’immigrés (31%).

Remarquons ici au passage l’importance pour les 4/5 des personnes interrogées (dont tous ne sont pas français) de la langue . La langue française passe pour être une langue littéraire, et non une langue de communication simplifiable à l’excès (pour se faire, il existe déjà ce global English dit globish) , ayant inspiré tout un patrimoine d’œuvres écrites et orales à transmettre aux générations suivantes. On note d’ailleurs le foisonnement créatif de la littérature francophone et aussi le fait que parmi ses plus grands défenseurs et thuriféraires se trouvent des personnes issues de l’immigration pour qui la découverte de cette langue fut un émerveillement, son apprentissage puis sa maîtrise une fierté immense. Il est assez significatif que lors de chaque tentative de la simplifier, à chaque réforme de l’orthographe ou de la grammaire, parmi les témoignages les plus indignés et les plus attristés se trouvent ceux d’étrangers qui ne comprennent pas cet acharnement de certaines « élites » pour la rendre accessible à tous sans effort ni celui des éditeurs pour expurger des œuvres littéraires, quitte à les réécrire, les termes qui apportent les nuances, les temps du passé, les mots compliqués.

La France terre d’accueil , peuple issu de métissages successifs, de l’ajout au fil des siècles de territoires aux identités fortes était alors également citée (en 2009 soit avant les vagues d’immigration actuelle) par un tiers des personnes interrogées parmi lesquelles beaucoup sont issus, récemment ou de longue date, d’une immigration de travail ou de la tradition d’accueil des réfugiés (en témoignent les patronymes aux sonorités espagnoles, portugaises, allemandes, suisses, anglo-saxonnes, russes, polonaises, arabes). Mais la France est ici présentée comme un melting pot dans lequel les identités, sans disparaître pour autant, qu’il s’agisse de peuples qui ont rejoint il y a des siècles le giron de la France (Corses, Catalans, Bretons, Basques …) ou des migrations du XXe-XXIe siècles, adhèrent à un projet global et supérieur qui les réunit toutes . C’est le principe de l’accueil et de l’assimilation à la française qui est ici présenté comme indissociable de l’identité nationale : accueillir et intégrer sur des ressemblances , la plupart du temps acquises. Il s’agit là d’une tradition essentielle de la République, voulue une et indivisible, issue d’un melting pot (creuset) au sein duquel les différences se fondent jusqu’à ce que ce qui réunit devienne plus important que ce qui différencie. Cela s’oppose au principe des nations multiculturalistes qui, elles, juxtaposent des dissemblances et des dissonances , comme aux États-Unis où le salad bowl (présence d’éléments qui ne se mélangent plus) a remplacé l’ancien melting pot . La France, aujourd’hui fragmentée entre communautés dont beaucoup se sont repliées sur elles-mêmes, d’autres exprimant agressivité, racisme, refus de s’intégrer et volonté expansionniste et parfois prosélyte est, aux yeux de nombreux Français en train de se transformer en salad bowl à l’américaine. Pour beaucoup, elle y perdrait son identité propre.

Cette France terre d’accueil est à mettre en relation avec un autre trait constituant de son identité selon les historiens : son ouverture sur le monde , et plus précisément le fait de se sentir investie d’une responsabilité de contribuer au progrès de l’humanité que, malgré nombre de points communs, on retrouve assez peu chez nos voisins (sauf, dans une moindre mesure, en Grande Bretagne). Cela correspond à la différence entre la conception française de la nation, fondée sur l’adhésion volontaire à un projet que l’on cherche à faire partager au plus grand nombre (le contrat social) à une conception allemande reposant sur l’exaltation des origines (le Volksgeist ou esprit du peuple) même si cette seconde conception d’une identité plus « fermée » rejoint le nationalisme d’un Maurras ou d’un Barrès qui mettent l’accent sur l’hérédité, l’enracinement (d’où les références fréquentes à la « terre », aux « morts », à « l’identité catholique »).

À suivre : Aujourd’hui le succès des discours identitaires tient avant tout au fait que des Français de plus en plus nombreux, venant d’horizons politiques très variés, expriment le sentiment de graves menaces sur l’identité nationale.



[i] « L’autruisme » est un terme forgé par la philosophe Françoise Bonardel. Il désigne la déviance actuelle qui tend à minorer, voire effacer ou dénigrer sa propre culture face à la culture de l’autre, ce qui ne permet plus l’intégration en l’absence d’un modèle présenté comme désirable. Il s’oppose à l’altérité.


[ii] L’auteur de ce texte, qui n’est pas membre de LR ni d’ailleurs aucun parti, complètement extérieure aux rivalités internes et aux courants de pensée qui se sont opposé à l’occasion de l’élection à la présidence des Républicains, tient à préciser qu’elle n’exprime ici qu’un ressenti forgé sur une observation de l’extérieur des prises de position des uns ou des autres.


[iii] Voltaire : Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756)


[iv] Ernest Renan, « Qu'est-ce qu'une nation ? Conférence à la Sorbonne, 1882


[v] Fernand BRAUDEL, entretien au Monde les 24 et 25 mars 1985,

http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/16/l-identite-francaise-selon-fernand-braudel_883988_3224.html#swG3Tim0j6eIwyW5.99 et L’identité de la France , Paris, Arthaud, 3 volumes, 1986


[vi] Par exemple ce sondage CSA sur « les Français et l’identité nationale », publié le 2 novembre 2009 dans Le Parisien/Aujourd’hui en France .

par Alexandre Devecchio dans FigaroVox 4 octobre 2025
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par Étienne Gernelle 1 octobre 2025
Un éditorial d'Étienne Gernelle dans Le Point : https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle-le-zucmano-lepenisme-ou-le-fantasme-du-quelqu-un-d-autre-paiera-25-09-2025-2599534_32.php L’incroyable opération Zucman a encore frappé. Dans une France oppressée de ses difficultés économiques, on peut comprendre que l’appel pour la beauté des démonstrations mathématiques, l’autorité conférée par l’aura d’une grande université américaine (Stanford, rien de moins !) et l’image flatteuse de l’exil fiscal retourné contre lui séduisent. Mais ce n’est pas parce qu’une idée est enrobée dans des habits de prestige qu’elle est juste. Gabriel Zucman, économiste de gauche, très respecté dans son milieu, mène depuis des années une campagne pour la création d’un impôt mondial sur la fortune. Son raisonnement est simple : puisque les riches peuvent déplacer leurs fortunes pour éviter l’impôt, il faut créer un prélèvement coordonné à l’échelle planétaire. Avec cette manœuvre habile, on peut faire passer l’utopie du grand soir pour un pragmatisme de bon sens. L’idée séduit les partis de gauche, évidemment, mais aussi le RN, qui l’utilise dans sa rhétorique « anti-riches » tout en caressant l’espoir de voir cet argent magique remplir les caisses de l’État français. Le problème est que l’impôt mondial, même présenté avec le sérieux des économistes bardés de diplômes, reste une chimère. Il n’existe aucune instance capable de le mettre en œuvre, aucun mécanisme de contrainte universelle pour obliger tous les pays à l’adopter, et encore moins à le percevoir et le redistribuer. Déjà qu’à l’échelle européenne, l’harmonisation fiscale ressemble à un chemin de croix interminable, on imagine mal la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie et d’autres accepter de s’aligner sur une taxation commune des patrimoines. En réalité, cet impôt mondial, c’est un peu la version contemporaine du mythe de l’argent magique. L’idée que l’on pourrait financer les dépenses publiques toujours croissantes non pas en faisant des choix, en hiérarchisant, en arbitrant – bref en gouvernant –, mais en allant chercher ailleurs des ressources illimitées. Le grand fantasme du « quelqu’un d’autre paiera ». Dans son livre Le triomphe de l’injustice, Zucman, avec son complice Emmanuel Saez, avait déjà popularisé cette vision, qui a rencontré un immense écho. Le discours est rassurant, flatteur : si les services publics se dégradent, si la dette explose, ce n’est pas à cause d’un excès de dépenses, d’une fuite en avant budgétaire, mais de la rapacité des riches et de l’insuffisance de la redistribution. La réalité, d’abord, est que la France n’est pas avare en matière de prélèvements : elle figure parmi les pays les plus taxés au monde, avec une fiscalité déjà très redistributive. Ensuite, croire qu’un impôt mondial règlerait tout revient à s’installer dans une illusion dangereuse. Au lieu d’affronter nos problèmes réels – la faible productivité, l’absence de réformes structurelles, l’endettement chronique –, on préfère croire qu’une baguette magique fiscale viendra nous sauver. La facilité d’adoption de ce discours tient au fond à un trait bien français : le refus de la responsabilité budgétaire. Depuis quarante ans, la dépense publique croît sans frein, chaque gouvernement repoussant le moment de la vérité en empruntant davantage. Comme si le monde entier était condamné à payer notre confort. Bref, le zucmano-lépénisme est une jolie fiction. Mais elle ne résout rien. Au contraire, elle alimente notre incapacité à voir la réalité en face. À force de rêver d’un impôt universel et miraculeux, on se prive des vraies solutions, certes moins spectaculaires, mais infiniment plus efficaces : réformer, produire plus et dépenser mieux.
par Franz-Olivier Giesbert 1 octobre 2025
Un edito de Franz-Olivier Giesbert dans Le Point https://www.lepoint.fr/editos-du-point/fog-comme-un-champ-de-ruines-24-09-2025-2599462_32.php Que la gauche ait perdu toutes les élections depuis 2017, même quand elle clamait victoire, cela ne l’empêche pas de détenir les clés du pouvoir : tel est le paradoxe qui contribue à ruiner notre vieille démocratie. D’où le sentiment qu’ont les Français de n’être plus gouvernés et leur tentation de renverser la table. Certes, il est toujours sain, dans une démocratie, qu’un pouvoir soit confronté sans cesse à des contre-pouvoirs. Mais à condition que ceux-ci ne finissent pas par le paralyser ou par prendre sa place. Or la gauche d’atmosphère contrôle à peu près toutes les institutions de la République. Sur le papier, c’est beau comme l’antique : vigie de la République, le Conseil constitutionnel est censé vérifier notamment que les lois sont conformes à la Constitution. Sauf qu’il penche fortement à gauche et à la peur du crédit, notamment en censurant, l’an dernier, la commande d’Emmanuel Macron et de son ministre Laurent Fabius, près de soixante textes d’application de la loi immigration dédiée au contrôle et à l’intégration et pilotée, entre autres, par Bruno Retailleau. L’immigration est un totem, pas touche ! Le 19 juin, le Conseil constitutionnel, toujours dans la même logique immigrationniste, a réduit à néant la loi Attal sur la justice des mineurs, qui, dans notre pays, continuent ainsi de bénéficier d’une sorte de sauf-conduit après avoir commis leurs forfaits, au grand dam d’une majorité de Français. Le 7 août, il a encore enfoncé le même clou en retoquant, au nom de la liberté individuelle, la loi visant à autoriser le maintien en rétention d’étrangers jugés dangereux. En somme, le vénérable institut ignore de moins en moins le droit, tout comme le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, qui a inscrit dans le marbre le regroupement familial en 1978, sans en référer bien sûr à la souveraineté populaire. Les magistrats jugent souvent en fonction de leur conviction – de gauche ou d’extrême gauche. Pas tous, Dieu merci, mais, pour paraphraser La Fontaine, selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements vous rendront blanc ou noir. Une preuve parmi tant d’autres : apparemment, la justice a mis un mouchoir sur l’affaire des assistants des eurodéputés du parti de Jean-Luc Mélenchon, soupçonné de détournements de fonds, comme l’a rappelé opportunément l’Office européen de lutte antifraude, alors que, pour des faits semblables, François Bayrou a déjà été jugé et qu’une peine d’inéligibilité menace Marine Le Pen. Vous avez dit bizarre ? À voir ses « trophées », le célèbre Parquet national financier (PNF) est surtout une machine de guerre contre la droite, avec une obsession : Nicolas Sarkozy, coupable d’avoir comparé un jour les magistrats à des « cassation » à « des petits pois qui se ressemblent tous ». Pour avoir critiqué dans ce journal ses méthodes, nous savons à quoi nous en tenir : ce n’est pas l’objet du PNF, acharnant judiciairement depuis vingt ans à ruiner des hommes et des femmes, souvent avant même un début de moyens. C’est bien simple : avec sa présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’audiovisuel public est presque totalement noyauté à gauche, sous la houlette de l’inévitable Arcom, « régulateur des médias » qui dépend, entre autres, de l’Éducation nationale... Dans sa “Déambulation dans les ruines”, un livre magnifique, Michel Onfray nous emmène en voyage dans la civilisation gréco-romaine, qui est morte pour laisser place à la nôtre, la judéo-chrétienne, aujourd’hui en point. Dans son introduction, il cite les Fragments posthumes de Nietzsche, où le philosophe allemand évoque les « valeurs du déclin », et force est de constater qu’elles commencent à recouvrir le mur sur notre vieux continent : la désagrégation de la volonté ; le triomphe de la populace ; la domination de la lâcheté sociale ; la honte du mariage et de la famille ; la haine de la tolérance ; la généralisation de la paresse ; le goût du remords ; une nouvelle conception de la vertu ; le dégoût de la situation présente. Réveillons-nous. Maintenant que, grâce à la pédagogie de François Bayrou, les Français saisissent la gravité de la situation financière du pays, il est temps de se ressaisir et de relever la tête. De passer à l’espoir ! Comme disait Tocqueville, « ce n’est pas parce qu’on voit poindre à l’horizon qu’il faut arrêter d’avancer ».
par Vincent Trémolet de Villers 30 septembre 2025
Une tribune de Vincent Trémolet de Villers dans FigaroVox https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-editorial-de-vincent-tremolet-de-villers-sur-les-ruines-de-la-democratie-20250926 L’autorité judiciaire, en état d’ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Il faudrait Juvénal pour décrire cet effondrement. Entre parade du président à New York et conciliabules à Matignon, l’exécutif mime un pouvoir qui lui échappe. Sur à peu près tous les sujets, comme nos ministres, il est démissionnaire. L’Assemblée nationale, nouvelle nef des fous, fait tourner les députés comme des hamsters, de censure d’humeur en budget de fortune. L’autorité judiciaire, en état d’ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Motif de condamnation ? « Association de malfaiteurs » ! Apparemment c’est ainsi que certains magistrats envisagent les politiques, encore plus s’ils sont de droite, et par principe s’ils s’appellent Nicolas Sarkozy. Il faudrait Blaise Pascal pour peindre une telle confusion des ordres. Nos cours suprêmes font de la théologie morale ; après que le contribuable a payé la dîme, la gauche de droit divin prêche dans les médias publics ; un ancien garde des Sceaux fait sa grosse voix pour nous rappeler le grand dogme : une décision de justice, même incompréhensible, ne peut pas être critiquée. Celui qui cède à cette tentation met en péril la démocratie : qu’il soit anathème ! Parlons-en de la démocratie ! Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, dit la Constitution. Pour nos prédicateurs, le peuple n’est plus qu’un monstre hostile à tenir à distance. C’est lui pourtant qui ploie sous le poids de la dette, vit le supplice de l’enfer normatif, subit les effets dissolvants d’une politique d’immigration suicidaire, supporte, dans sa chair et celle de ses enfants, une délinquance de plus en plus barbare. Il faudrait Albert Camus pour rappeler que l’État de droit, trésor des démocraties libérales, n’est pas le paravent des pulsions despotiques de quelques-uns mais « l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières ». Il faudrait de la hauteur de vue, de la clairvoyance, du courage - de la démocratie -, sinon, à force d’osciller entre radicalisation et faiblesse, le régime finira par tomber sur lui-même.
par Arno Klarsfeld dans FigaroVox 20 septembre 2025
Une tribune de Arno Klarsfeld à lire dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/arno-klarsfeld-l-hostilite-des-elites-europeennes-a-l-egard-d-israel-est-une-forme-d-aveuglement-20250915 TRIBUNE - Alors que les chefs de gouvernement européens sont de plus en plus nombreux à élever la voix contre la guerre menée par Israël, l’ancien avocat des Fils et filles des déportés juifs de France rappelle l’enjeu existentiel que représente le conflit au Moyen-Orient pour le petit État juif. Accuser l’État d’Israël de génocide aujourd’hui à Gaza est comparable à l’accusation faite aux Juifs d’empoisonner les puits au XIVe siècle. Beaucoup y croyaient alors et certains y croient aujourd’hui. Quand Emmanuel Macron renvoie aux historiens la responsabilité de déterminer si Israël commet un génocide et qu’il accuse Israël de se comporter de manière barbare, y croit-il ? S’il prend les chiffres du ministère de la Santé du Hamas comme véridiques, c’est-à-dire 60.000 morts dont sans doute près la moitié de combattants du Hamas sur une période de deux ans et sur une population de plus de 2 millions pour Gaza (ou près de 6 millions si l’on inclut la Judée-Samarie ou Cisjordanie), comment croire, alors, qu’Israël commettrait un génocide ? Lors des commémorations du Débarquement durant lequel les Alliés ont bombardé les villes normandes, causant en peu de temps plusieurs dizaines de milliers de morts parmi la population française, le président de la République a-t-il évoqué un génocide ? A-t-il parlé de génocide lors de son discours en 2024 devant la Frauenkirche à Dresde, auquel j’assistais avec mes parents, alors qu’en deux nuits en février 1945 les Alliés ont tué par leurs bombardements des dizaines de milliers de civils allemands ? Et pour Hambourg avec 50.000 morts en un mois de bombardement ? Et pour Tokyo, 100.000 morts en deux nuits ? Hiroshima et Nagasaki ? Contrairement aux Israéliens, les Alliés n’ont jamais cherché à prévenir la population allemande avant les bombardements. Et pourtant, dans le Bureau ovale, le chancelier allemand il y a trois mois remerciait les États-Unis d’avoir libéré l’Allemagne du nazisme. Les Israéliens se battent aujourd’hui pour que la Shoah, qui s’est déroulée avec des complicités dans tous les pays européens, ne se reproduise pas en Israël. Rendons hommage à la population française qui, nourrie de valeurs républicaines et de charité chrétienne, a protesté durant les grandes rafles de l’été 1942 et a permis ainsi aux trois quarts des Juifs de France de survivre. Mais excepté ces Justes, les élites ont été silencieuses ou complices. Et, aujourd’hui encore, au lieu de faire pression sur le Hamas pour libérer les otages et baisser les armes – ce qui arrêterait aussitôt la guerre –, c’est sur Israël que bien des gouvernements européens font pression. Cette hostilité des élites européennes est une forme d’aveuglement, ce sont les fondements de la civilisation occidentale qui sont sapés, l’Europe et Israël ayant le même ennemi inflexible : l’islam radical qui doit être vaincu. Le monde arabe n’a-t-il pas obtenu au bout d’un siècle et demi la disparition des royaumes francs en Palestine ? Évidemment, comme le président de la République le dit, la sécurité d’Israël passe par la paix et une solution étatique pour le peuple palestinien. Il suffit de voir sur la carte ce petit bout de territoire qu’est Israël, plus réduit que la Bretagne, entouré de millions de kilomètres carrés du monde arabe avec des centaines de millions d’habitants (tout aussi intelligents que les Israéliens), avec des richesses incommensurables, et de se remémorer qu’il y a 14 millions de Juifs pour plus de 2 milliards de musulmans pour comprendre qu’Israël a intérêt à la paix. Israël est toujours David. Avec ces données, le président de la République comme de nombreux dirigeants européens pourraient également comprendre que c’est une grande partie de ce monde arabe qui ne veut pas la paix et qui est prête à sacrifier générations après générations pour obtenir ce qu’il désire avec passion : la destruction de l’État d’Israël comme État juif. Le monde arabe n’a-t-il pas obtenu au bout d’un siècle et demi la disparition des royaumes francs en Palestine ? Et c’est avec ce souvenir en tête qu’une partie du Quai d’Orsay et des élites européennes considèrent Israël comme une parenthèse dans l’histoire et que le monde serait moins compliqué si le Moyen-Orient était débarrassé de cet État juif qui « enquiquine tout le monde », selon les mots d’un ancien ambassadeur français. Après tout, en termes de fiction géostratégique, cela peut se comprendre. Mais, au moins, il ne faut pas reprocher à l’État qui est agressé de chercher à se défendre de manière bien moins cruelle que l’Occident lorsqu’il menait ses guerres d’expansion et même de défense. Tous les Juifs de France se demandent si leur avenir sera toujours en France. Quant à la majorité de la population française, elle comprend que si les Juifs sont chassés de France comme ils ont déjà été chassés des banlieues des grandes villes, ce n’est pas en raison d’un antisémitisme chrétien ou de celui de l’extrême droite. Elle comprend qu’elle risque ensuite d’avoir elle aussi à se soumettre ou à s’en aller.
par Henri Guaino 17 septembre 2025
Magnifique tribune d'Henri Guaino à lire dans le JDD : https://www.lejdd.fr/politique/henri-guaino-le-naufrage-des-politiciens-et-lexigence-dun-chef-161718
par Une interview de Sami Biasoni, docteur en philosophie et essayiste 16 septembre 2025
"Dans l’«Encyclopédie des euphémismes contemporains et autres manipulations militantes», le docteur en philosophie et essayiste a réuni 41 intellectuels, dont Chantal Delsol, Pierre Vermeren, Ferghane Azihari ou Christophe de Voogd pour déconstruire cette «novlangue»." Une interview de Sami Biasoni par Alexandre Devecchio dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/sami-biasoni-le-neoprogressisme-nous-fait-entrer-dans-une-nouvelle-ere-langagiere-20250911 «Antifascisme », « antispécisme », « écriture inclusive », « matrimoine », vous consacrez, avec 41 contributeurs, une encyclopédie aux termes chargés d’idéologie qui inondent nos débats. La langue est-elle devenue un champ de bataille idéologique ? Depuis quand ? Cette bataille sémantico-politique est-elle menée par l’État, les médias, le monde universitaire ? Dans mon précédent essai (Malaise dans la langue française, 2022), également consacré à la question de la langue française, je rappelais que « la langue est non seulement ce qui permet de dire, mais aussi le matériau premier de la pensée construite. Les idéologies, de quelque nature qu’elles soient, sont éprouvées par et dans la langue, mère de toutes les causes politiques ». Les manipulations militantes de la langue que nous analysons dans l’ouvrage s’inscrivent quant à elles dans une histoire plus récente : celle du « politiquement correct », dont on peut dater l’origine au tournant des années 1970. Il s’agit d’un phénomène nouveau car il n’est pas imposé par un régime totalitaire, mais émane surtout de normes culturelles et d’usages institutionnels « démocratiques ». Son vecteur de diffusion a trait à un conformisme moral qui se répand à mesure que nos sociétés se fragmentent. Comme l’a montré George Orwell , n’est-ce pas le propre des régimes totalitaires de vouloir transformer la langue ? Sommes-nous face à une nouvelle novlangue ? Les révolutionnaires de 1789 ont promu le « salut public », terrible antiphrase qui masquait l’horreur des exécutions arbitraires pendant la Terreur ; les bolcheviks ont imposé l’usage d’antinomies simplificatrices et manichéennes (par exemple, camarades contre ennemis du peuple) ; le nazisme avait instauré un système langagier complet qualifié de « langue du IIIe Reich » par Klemperer. Nous avons affaire en Occident à une novlangue soft, ce qui la rend d’autant plus pernicieuse. Toutefois, il ne faut pas négliger les forces militantes à l’œuvre : les x-studies (études de genre, de race, de subalternités, etc.), nées sur les campus américains en même temps que s’est diffusée la pratique du politiquement correct dans les milieux dits progressistes outre-Atlantique, ont proactivement et méthodiquement promu ce que je nomme le « foisonnement (pseudo) conceptuel ». En outre, la pensée de la déconstruction est intrinsèquement narrativiste : elle valorise le récit, la subjectivité et l’hyperbole. C’est pourquoi le néoprogressisme et son avatar radicalisé woke nous ont fait entrer dans une nouvelle ère langagière, celle de la saturation de l’espace par ces euphémismes contemporains et autres manipulations sémantiques qui sont l’objet de notre ouvrage. Il est bien plus aisé de vilipender un mauvais usage du mot « femme » que d’aller défendre physiquement celles que l’on opprime dans certaines de nos villes… Paradoxalement, vous montrez aussi que le politiquement correct langagier, souvent porté par une certaine gauche, est loin de favoriser concrètement le progrès social. Les conquêtes langagières symboliques remplacent les réelles avancées sociales… Cette manipulation du langage est-elle le fruit de l’impuissance du politique et en particulier de la gauche progressiste ? La situation actuelle me paraît résulter de la conjonction de deux phénomènes : d’une part celui que l’on nomme usuellement « paradoxe de Tocqueville », en vertu duquel « quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent » ; autrement dit, à mesure que nous approchons de l’égalité de facto, toute inégalité résiduelle, même infime, nous semble insupportable. D’autre part, il est effectivement probable que l’affaissement du pouvoir politique au sein des démocraties libérales contribue à une survalorisation des causes « symboliques ». Je crois qu’il ne faut pas non plus négliger le confort moral de l’indignation de salon : il est bien plus aisé de vilipender un mauvais usage du mot « femme » que d’aller défendre physiquement celles que l’on opprime dans certaines de nos villes, au Moyen-Orient ou ailleurs. Mais je crois que le sens commun continuera de résister à la rééducation forcée de ceux qui refusent le débat serein, je crois que l’humanisme sincère l’emportera au détriment de l’intolérance de ceux qui préfèrent la forme du discours au discours lui-même. À terme, quelles peuvent être les conséquences en matière d’éducation ? Nos enfants ne sauront-ils plus définir des mots aussi usuels qu’un « homme » et une « femme » ? Posez la question aux militants les plus radicaux : ils ne le peuvent plus ! Certaines définitions qui leur sont imposées relèvent de tautologies dangereuses (une femme est une femme parce qu’elle se sent femme), qui contreviennent à la fois à ce qu’énonce la science (l’existence du fait biologique, sans que soit niée la possibilité de vécus de genre différents de la norme statistique) et à ce que révèle le bon sens. Dans une perspective plus large, il faut comprendre que la langue est tout aussi organique que mécanique : on peut tolérer son évolution – c’est même nécessaire – mais elle ne doit pas être forcée. La brusquer revient à troubler non seulement la pensée des individus, mais aussi leur capacité à constituer un corps social stable. Selon vous, le politiquement correct langagier est également à l’origine de la montée des « populismes », en particulier du trumpisme. Pourquoi ? Ce que vous appelez le « populisme » est-il une réaction démagogique ou simplement une réponse salutaire ? Il s’agit de l’une des causes majeures de la montée des « populismes » dans la mesure où ces derniers prennent essor sur le décalage entre le réel perçu et vécu par les citoyens et la manière dont on décrit le monde. Le trumpisme substitue aux ratiocinations du néoprogressisme une proposition antithétique radicale : celle d’un langage dépouillé, rudimentaire et pragmatique. Or, la simplification outrancière du langage est un autre procédé que les totalitarismes ont toujours encouragé. En matière d’usage de la langue, le pouvoir américain tombe, à mon sens, de Charybde en Scylla. La France, heureusement, résiste. C’est pour cela que nous avons écrit cette Encyclopédie des euphémismes contemporains. Quant au populisme, il est à la fois salut, parce qu’il en revient au sens commun et au souci du corps social dans sa globalité, et un péril, dans la mesure où l’on sait les tentations de contrôle politique démagogique qu’il engendre. Votre livre s’attaque principalement à la novlangue néoprogressiste. Existe-t-il aussi une novlangue de droite ? Par exemple, le mot « woke » est-il employé de manière trop systématique et parfois dans le seul but de discréditer une pensée de gauche ? J’ai relevé près de 300 termes que l’on pourrait qualifier de « manipulations militantes de la langue » : la plupart sont promues par les tenants du néoprogressisme. Il existe bien sûr des néologismes de droite, mais ils sont moins nombreux et fonctionnent différemment. Il s’agit généralement, pour la droite, de résister ou de contre-attaquer. C’est ainsi que des termes comme politiquement correct ou woke ont servi à dénoncer des doléances excessives émanant de la gauche. Parfois, les néologismes issus des rangs de la droite servent à qualifier avec emphase des fantasmes ou des phénomènes émergents indûment présentés comme massifs : les expressions « zone de non-droit », « État profond », « submersion migratoire » sont de cet ordre. S’il est initialement destiné à mettre en lumière les personnes noires victimes de confrontations avec les forces de l’ordre, le terme « woke » se voit rapidement repris et amplifié par d’autres activistes des mouvements identitaristes Le mot woke a une histoire intéressante : il prend racine dans les années 1930 aux États-Unis, sous la forme de l’injonction « stay woke » (littéralement « restez éveillés ») reprise par divers auteurs et artistes noirs victimes du régime de ségrégation raciale prévalant alors. Il reste néanmoins peu usité durant plusieurs décennies, jusqu’à sa reprise par le mouvement Black Lives Matter en 2012. S’il est initialement destiné à mettre en lumière les personnes noires victimes de confrontations avec les forces de l’ordre, le terme se voit rapidement repris et amplifié par d’autres activistes des mouvements identitaristes pour progressivement prendre le sens plus large qu’on lui connaît aujourd’hui. Au gré du temps, comme dans le cas de la locution « politiquement correct », ce mot a servi à désigner les excès et dérives de la radicalité néoprogressiste, c’est pourquoi peu se réclament aujourd’hui ouvertement du wokisme. Il s’agit là d’une des rares victoires sémantiques dont peut se targuer la droite. Toutefois, il convient de constater que cela s’est produit au détriment de la rigueur, voire de l’honnêteté intellectuelle : nombreux sont ceux qui utilisent désormais ce terme pour qualifier des comportements qui n’en relèvent pas. C’est un abus malheureux. C’est pourquoi Sylvie Perez et moi-même consacrons deux entrées à ce mot central au sein de l’Encyclopédie. Aucune manipulation n’est souhaitable, quel que soit le dessein poursuivi.
par Jean-Baptiste Michau, professeur de macroéconomie à l’Ecole polytechnique 14 septembre 2025
Une tribune de Jean-Baptiste Michau, professeur de macroéconomie à l’Ecole polytechnique, dans les Echos à propos de la taxe Zucman https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/pourquoi-la-taxe-zucman-appauvrirait-la-france-2185537 "L’économiste Gabriel Zucman soutient l’instauration d’une taxe plancher de 2 % sur le patrimoine au-delà de 100 millions d’euros. L’adoption de cette taxe, qui est envisagée pour le budget 2026, serait profondément nuisible pour l’économie française. Un impôt sur la richesse soulève d’abord un problème de valorisation : la base taxable est fluctuante pour les entreprises cotées en Bourse et difficile à établir pour les entreprises non cotées. Il pose ensuite un problème de liquidité pour les propriétaires d’entreprises en croissance ne versant pas encore de dividendes. Cela pose la question de l’exil fiscal, dont l’ampleur est incertaine. D’un côté, les études empiriques suggèrent que le flux de départs serait limité. D’un autre côté, jamais une taxe aussi massive n’a été mise en œuvre. En outre, si les flux sont limités, le stock de Français fortunés installés à l’étranger est déjà substantiel. L’objectif devrait plutôt être de les faire revenir en France. Frein à l’innovation Outre ces effets, la taxation de la richesse poserait un problème de mécanicité à la croissance. Rappelons que la valorisation d’une entreprise est déterminée par les gains futurs escomptés. La taxation de la richesse diminue donc les perspectives de gains futurs en rendant plus difficile le financement des entreprises innovantes. De même, l’action d’une entreprise innovante valant essentiellement par ses perspectives de croissance future, une taxe sur la richesse lui est particulièrement nuisible. La taxe Zucman aurait donc un effet très négatif sur l’innovation et sur la croissance. La taxation de la richesse affaiblirait certainement notre potentiel de croissance à long terme. Une caractéristique des milliardaires est que leur taux d’épargne est particulièrement élevé, avec une consommation souvent négligeable au regard de leurs revenus. Par conséquent, une taxe sur leur richesse consiste pour l’Etat à prélever puis à dépenser des revenus du capital qui auraient sinon été épargnés et réinvestis. Ainsi, cette taxe réduit mécaniquement l’épargne et donc l’investissement. Plus précisément, l’Etat consacre environ 10 % de ses dépenses à l’investissement public et ses dépenses supplémentaires transférées aux Français, qui en consomment une large fraction. Or notamment aux Etats-Unis, l’investissement des entreprises représente environ 80 % des sommes investies, celui de l’Etat environ 20 %. L’investissement public étant en outre moins productif que l’investissement privé, une substitution de ce dernier par le premier réduit le potentiel de croissance. Ainsi, si la taxe Zucman rapportait 16 milliards d’euros par an (0,6 point de produit intérieur brut – PIB – privé), on devrait en conclure que l’investissement privé diminuerait d’autant et que l’investissement public augmenterait au mieux de 0,1 point de produit intérieur brut (PIB) – soit un manque à gagner net de 0,5 point de PIB d’investissement. En finançant l’investissement public par un impôt sur la richesse, on substitue de l’investissement public peu productif à de l’investissement privé productif, et on suscite une dégradation du solde de la balance commerciale. Donc, à PIB inchangé : soit l’investissement diminue de 16 milliards d’euros ; soit ils seraient financés par l’étranger et le déficit commercial se creuse alors de 16 milliards ; soit, plus vraisemblablement, on a une combinaison de ces deux possibilités. Pire : en France, les entreprises innovantes rencontrent souvent des difficultés à se financer. Or, les milliardaires sont précisément les investisseurs les plus à même d’effectuer des placements risqués au service des entreprises en croissance, avec à la clé des rendements élevés. La taxe Zucman entraverait ce vecteur de croissance. Mesure idéologique Bref, en appauvrissant les riches, et en empêchant les grandes fortunes de se constituer, c’est la France qu’on appauvrirait. D’ailleurs, peu après l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes au début des années 1980, les sociétaires ont été conduits à s’expatrier dans des Etats exonérés de l’impôt sur la fortune. La taxe Zucman affaiblirait certainement notre potentiel de croissance à long terme en réduisant l’investissement, en pesant sur l’innovation et en aggravant les déséquilibres extérieurs. En réduisant les recettes fiscales futures, elle pèserait en outre sur le financement des dépenses publiques, dont les principales sont : TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, etc. Cette taxe s’inscrit donc dans une logique purement idéologique et non pragmatique. En instaurant la taxe Zucman, la France serait probablement le seul pays à se l’imposer à elle-même, puisque d’autres pays refusent d’adopter une telle mesure d’idéologie purement idéologique et sans aucune pertinence économique."
par Alexandre Devecchio dans Le Figaro 14 septembre 2025
Une tribune très instructive d'Alexandre Devecchio dans FigaroVox sur la perception par les Français de notre nouveau Premier Ministre: https://www.lefigaro.fr/vox/politique/alexandre-devecchio-pourquoi-la-majorite-des-francais-n-attendent-rien-de-sebastien-lecornu-20250911 LA BATAILLE DES IDÉES - L’enquête Odoxa-Backbone pour Le Figaro révèle que 69% des Français jugent que le choix du nouveau premier ministre ne correspond pas à leurs attentes. Plus que son manque de notoriété, cela traduit la grande fatigue démocratique des Français. Au suivant ! La valse des locataires de Matignon continue. Moins de vingt-quatre heures après la chute de François Bayrou, l’Élysée a annoncé la nomination de Sébastien Lecornu en tant que nouveau premier ministre. Le troisième en moins d’un an. Le cinquième depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Compte tenu du fait que le président de la République a exclu toute dissolution ou démission, le choix d’un homme politique connu pour sa souplesse (il va lui en falloir !) et son humilité (qualité rare en Macronie !) était plutôt judicieux. Mais cela intéresse-t-il encore vraiment les Français ? « La vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide », observait le politologue Jérôme Fourquet dans Le Figaro après la chute de François Bayrou. Les sondages semblent lui donner raison. Une majorité de Français n’attend rien de Sébastien Lecornu. L’enquête Odoxa-Backbone pour Le Figaro révèle que 69% d’entre eux jugent que ce choix ne correspond pas à leurs attentes. Il est même moins bien accueilli que ses deux derniers prédécesseurs François Bayrou et Michel Barnier. Cela tient moins à son déficit de notoriété ou à ses qualités propres qu’à la grande fatigue démocratique des Français. Celle-ci est accentuée par le contexte politique lié à la dissolution : sans majorité claire et dans une situation budgétaire contrainte, les marges de manœuvre du nouveau locataire de Matignon seront très réduites. "Aucune institution ne peut être vraiment réformée si ses membres n’y consentent pas, à moins de faire table rase par la dictature ou la révolution" Le général de Gaulle à propos du ministère de l’Éducation nationale Mais elle vient de beaucoup plus loin. Depuis des décennies, les majorités politiques et les premiers ministres se succèdent, ce qui n’empêche pas la politique menée de s’inscrire dans une certaine continuité : les impôts augmentent en même temps que l’immigration avec les résultats que l’on connaît ! Sous la Ve République, le vrai pouvoir se situe à l’Élysée, non à Matignon, mais aussi au sein de l’administration. Celle-ci reste inamovible. Loin de se contenter d’exécuter les décisions des gouvernements, elle agit comme un État dans l’État, autonome et guidée par une idéologie progressiste en décalage croissant avec l’opinion publique. «Le désintérêt des Français pour la valse ministérielle actuelle» « Aucune institution ne peut être vraiment réformée si ses membres n’y consentent pas, à moins de faire table rase par la dictature ou la révolution », constatait déjà le général de Gaulle à propos du ministère de l’Éducation nationale. En vérité, aujourd’hui, ce constat s’étend bien au-delà de la Rue de Grenelle. Jusqu’au sein même de l’audiovisuel public, comme l’a montré la récente affaire France Inter. L’État profond, notamment par le biais de la justice administrative et constitutionnelle, décide du destin du pays au mépris de la souveraineté populaire. Le tournant a eu lieu en 1981 avec l’élection de François Mitterrand. À défaut de changer la vie, les socialistes se sont emparés de tous les postes clés de l’État faisant de la bureaucratie non élue l’épine dorsale de leur pouvoir. Quatre décennies plus tard, malgré la marginalisation du PS sur le plan électoral, les socialistes ont conservé leur emprise sur le pouvoir et sont toujours omniprésents à la tête des institutions majeures : du Conseil constitutionnel à la Cour des comptes, en passant par le ministère de l’Éducation nationale et les médias publics. Malgré les périodes d’alternance politique, la droite n’a jamais su ou voulu reconquérir ces institutions, se condamnant à l’impuissance. C’est ce qui explique le désintérêt des Français pour la valse ministérielle actuelle. Lassés que tout change pour que rien ne change, ils ont compris qu’un redressement du pays passerait non par un changement de premier ministre, mais par une reprise en main des commandes de l’administration pour la mettre enfin au service des citoyens.
par Sébastien Laye (Valeurs Actuelles) 13 septembre 2025
"L’attractivité d’un pays, du point de vue des investisseurs, dépend en partie de l’accueil qui y est fait à l’innovation et de la stabilité juridique. À l’heure actuelle, en cette matière, la France va à l’encontre de ses intérêts" https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/economie/le-principe-de-precaution-est-un-obstacle-a-la-croissance-economique