Société | Valeurs

par Pierre Brochand (ancien directeur général de la DGSE) 18 octobre 2025
Immigration de masse, insécurité, risque de guerre civile... Le cri d’alarme de Pierre Brochand (ex-DGSE) "EXCLUSIF - Vingt ans après les émeutes qui avaient éclaté à Clichy-sous-Bois puis dans toutes les banlieues, l’ancien directeur général de la DGSE dresse le constat inquiétant d’une France au bord de la « confrontation interne »." Une tribune à lire dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/immigration-de-masse-insecurite-risque-de-guerre-civile-le-cri-d-alarme-de-pierre-brochand-ex-dgse-20251017 LE FIGARO MAGAZINE. - Il y a tout juste vingt ans, le 27 octobre 2005, éclataient les premières grandes émeutes de banlieue. Plus qu’une expression de violence passagère, était-ce le début d’un long processus nous conduisant à une forme de « guerre civile » ? Pierre BROCHAND. - Avec le recul, ce qui s’est passé, il y a vingt ans, apparaît, d’abord, comme un révélateur cruel de l’état du pays. Depuis les années 1980, s’était dessiné un paysage inédit : des émeutes ethniques, jamais vues, fusaient ponctuellement en zones urbaines, sur fond de délinquance, d’islamisation et de séparation. La vague d’octobre, en étendant l’incendie à plusieurs villes simultanément, a sonné un réveil en fanfare. Deux tiers de nos compatriotes en ont déduit qu’il fallait « arrêter l’immigration ». Ceux qui détenaient le pouvoir ne les ont pas écoutés. Résultat : rien n’a été fait. Ce qui nous amène directement aux angoisses d’aujourd’hui, que résume la prophétie de « guerre civile ». Je doute que celle-ci se réalise à court terme. En revanche, je tiens pour certaines les affirmations suivantes : – Si nous restons bras croisés, nous irons vers le pire. – Ce pire sera la régression de notre pays en tous domaines, à commencer par la sécurité de ses habitants et, plus généralement, leur bonheur de vivre. – L’épicentre en sera la débâcle de la confiance sociale, clé de voûte des peuples heureux, dont la perte disloque non seulement les sociétés « multi » mais aussi les fondements de l’État-providence. – Je ne vois pas d’autre ferment à ces ébranlements que l’irruption d’une immigration de masse, aux caractéristiques antagoniques des nôtres. Qu’est-ce qui vous rend dubitatif à l’égard du terme « guerre civile », pourtant repris par nombre de responsables politiques ? D’abord, les mots eux-mêmes. Je viens de le dire : pour moi, le fait générateur de troubles à venir ne peut être qu’importé. En effet, dans une démocratie avancée et apaisée, les différends, entre autochtones, ne semblent plus de nature à ressusciter la Révolution ou la Commune. La parenthèse de la « question sociale », ouverte en 1848, refermée en 1968, a laissé la place à des compromis quantitatifs sur le partage d’un gâteau commun, autour de la notion de pouvoir d’achat. De même, les problèmes sociétaux, qui ont pris la suite, n’ont jamais donné lieu à échanges de coups de feu : la haute tenue de la Manif pour tous en a fourni la preuve. Pour faire simple, je dirais qu’entre citoyens de souche, la violence, politique et sociale, n’est plus de mise : pour eux, l’Histoire est finie, au sens de Fukuyama. Leurs débats sont canalisés pour converger fatalement vers un centrisme bien-pensant, quel que soit le numéro de la République. Ceux qui le contestent ne sont pas nombreux : les black blocs ont affiché leurs limites, l’ultradroite parade modestement. L’échec des « gilets jaunes » a, en outre, confirmé qu’aucun projet, centré sur la redistribution du gâteau, ne pouvait renverser la table. Pour la même raison, j’écarte les concepts de « décivilisation » et d’« ensauvagement », qui, en douce, tendent à mettre tout le monde dans le même sac. J’irai plus loin : c’est le thème même de l’immigration, qui, par rétroaction, risque de susciter les plus graves dissensions chez les natifs, entre « universalistes » (mondialistes mercantiles, humanistes rêveurs, wokistes justiciers) et « localistes » (patriotes têtus, régionalistes renaissants, communautaires de tradition). Schisme, qui, d’ailleurs, réintroduit, dans le jeu belliqueux, certains de nos extrémistes, tenants d’une mythique « convergence des luttes », prêts à servir de cheval de Troie aux factions les plus militantes de l’immigration. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière Pierre Brochand Ensuite, le fait que les fauteurs de troubles de 2005, comme leurs prédécesseurs et successeurs, soient majoritairement de nationalité française ne change en rien le diagnostic. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière. Ces bagages étaient même si pesants qu’une partie de leurs arrière-petits-enfants continuent à les porter. Énumérons-les, une fois encore, puisque tout en découle : origine du tiers-monde, mœurs communautaires, majorité musulmane, culture de l’honneur, passé colonisé, démographie dynamique, endogamie élevée, faible niveau culturel, productivité et employabilité inférieures, coagulation en isolats géographiques et, surtout, donc, aggravation de ces dispositions au fil des générations dans un contexte global de vengeance du Sud sur le Nord. De ce point de vue, la distinction entre guerre « civile » et « étrangère » ressort brouillée. Nous sommes, au minimum, dans un cas hybride, qui efface, dès le départ, la dimension fratricide des luttes entre Armagnacs et Bourguignons, catholiques et protestants, et où la géopolitique intervient au moins autant que la politique. C’est pourquoi je préfère parler de confrontation interne, vulnérable à des ingérences extérieures. Dans ce tableau, il faut toutefois réserver un sort particulier à l’outre-mer, héritier lui aussi de l’ère coloniale, et doté d’une géographie lointaine et insulaire : on peut y voir des « laboratoires », où des débuts d’insurrection ont déjà opposé des citoyens français, selon leur origine ethnique. Enfin, une « vraie » guerre civile est une lutte armée, au sein d’une même collectivité, entre parties organisées qui s’en disputent le contrôle. Soit le basculement, brutal et total, d’un pays tout entier dans une violence physique concertée. Je le redis : cette vision paraît simpliste. Car d’innombrables hypothèses, plus complexes, sortant des sentiers battus, peuvent se vérifier. Même si nous pensons très fort à l’Empire romain, nul précédent ne saurait nous guider. Gardons à l’esprit qu’aucune société, avant la nôtre, n’a vécu sous le règne de l’individualisme de masse, sorte de terra incognita, sans carte ni boussole. Si nous ne nous dirigeons pas tout à fait vers une « guerre civile », vers quoi allons-nous ? Mon sentiment est le suivant. Bien avant d’en arriver à une bataille à mort pour la souveraineté, nous allons continuer de nous enfoncer dans des sables mouvants. Le raz-de-marée migratoire, s’il persiste, va produire un enchaînement de dégradations, à la fois sous-jacentes dans la durée et explosives dans l’instant. L’immigration actuelle est un fait social total dont les ondes de choc se font sentir partout. Pour les schématiser, elles raniment, d’abord, les clivages non négociables, c’est-à-dire non solubles en procédures, que nous pensions derrière nous : discorde religieuse, inimitié coloniale, fléau racial, gouffre culturel, allégeances nationales incompatibles, auxquels s’ajoute, pour faire bonne mesure, inadéquation économique. En bref, nous prenons, en pleine figure, le boomerang d’une Histoire, loin d’être finie ailleurs. Cheminement souterrain, donc, quand ces disruptions, imperceptibles au jour le jour, finissent par émerger à force de cumulation. Bouffées détonantes lorsque, de ces transformations, naissent des contradictions que les mécanismes d’absorption – autrefois performants avec les eurochrétiens – ne parviennent plus à surmonter. La violence devient, alors, la seule issue. Violence multiforme – délinquante, nihiliste, métapolitique –, d’abord sporadique et dispersée, mais prenant une tournure agglutinante, au fur et à mesure qu’empirent les dérèglements. Soit, au final, un processus quasi volcanique, associant un magma souterrain, porteur de tendances lourdes, et des éruptions soudaines, survenant à tout prétexte. Étant entendu que le choix n’est pas toujours entre la vie et la mort, mais aussi entre une existence qui mérite d’être vécue et d’autres qui n’en valent pas la peine. Sinon, à quoi bon ? J’ai bien conscience qu’ainsi esquissé, ce futur reste nébuleux. Ce qui n’interdit pas d’ouvrir un cadre de réflexion, qui, tout en essayant d’exclure la paranoïa – tâche parfois difficile – met en évidence un éventail de possibles. Sous la forme de l’État de droit, l’État régalien n’est plus que l’ombre de lui-même Pierre Brochand Vous parlez d’un « cadre de réflexion ». Pouvez-vous mieux le cerner ? À mon avis, il faut commencer par prendre conscience du point d’arrivée, lui, irrécusable : une France à majorité africaine et musulmane, bien avant la fin de ce siècle. Bouleversement que je défie quiconque d’espérer paisible et débonnaire. La logique conduit, donc, d’abord à identifier les acteurs de cette tragédie. Si l’on en croit la grille de lecture en vigueur, ils sont en nombre illimité, puisque tout n’est que cas particuliers. Ce n’est pas mon approche. Mon expérience professionnelle m’incite à commettre le péché d’amalgame. Les groupes restent des agents historiques déterminants, et le redeviennent encore plus quand refont surface les casus belli d’antan. Pour moi, ces groupes sont au nombre de quatre. Le plus proactif est constitué de « ceux venus d’ailleurs ». Le critère pertinent, pour l’analyser, est celui de l’acculturation. Faute de statistiques, je m’en tiendrais à l’intuition. Sur un effectif qui atteint désormais 25 à 30% des résidents (sur trois générations), les « assimilés » ne sont plus, à mon sens, que 5 à 10%, les « intégrés » comptent pour 30 à 40% et le reste flotte de la non-adhésion à la haine sur fond d’assistanat. La jeunesse masculine en représente le fer de lance. C’est à travers cette dernière strate que sont ravivés, dans l’espace public, les us et coutumes des pays de départ, avec lesquels nous n’avons jamais demandé à cohabiter. J’attire l’attention sur le fait que l’intégration, « espoir suprême et suprême pensée », n’est qu’un CDD (le respect de la loi contre l’emploi, chacun gardant son quant-à-soi) : en période de basculement, les intégrés pèseront naturellement dans ce sens. Restent « ceux d’ici », les « déjà-là », rejoints par la frange des assimilés. Là aussi, en usant d’une sociologie de la hache, j’y distinguerai trois sous-groupes. « Ceux d’en haut » forment un noyau dur minoritaire, à l’abri des métropoles, à partir desquelles ils font rayonner l’idéologie du « laissez passer, laissez tomber », apothéose prétendue de la « civilisation ». Métropoles où se nouent, d’autre part, des relations pragmatiques de connivence, au moins matérielles, avec « ceux d’ailleurs », rassemblés alentour. « Ceux d’en bas » (65 à 70% du grand total) n’ont pas la même vision : soumis en permanence à des chocs avec des « civilisations » (minuscules, plurielles) aux pratiques antithétiques des leurs, ils n’acceptent plus cette situation et cherchent à le faire savoir poliment, sans y parvenir. Néanmoins, le haut et le bas se retrouvent pour rejeter l’autodéfense et se blottir derrière un quatrième agent : les forces de l’ordre, seule formation armée autorisée sur le territoire français. Ce monopole de la violence est, toutefois, soumis à fortes contraintes. D’abord budgétaires : l’efficacité de ces « gardiens de la paix » est conditionnée par la taille de leurs effectifs, ce qui pose le problème crucial de leur saturation en cas de coup dur. Restrictions juridiques, surtout, sous la forme de l’État de droit, pierre angulaire de la « société des individus » : sous ce régime, l’État national régalien, modèle prédominant auparavant, n’est plus que l’ombre de lui-même. D’une certaine façon, il est même un adversaire à désarmer, car menaçant, du reste de son autorité, les droits fondamentaux de chacun, étrangers et malfaisants compris. Cette impuissance voulue est source d’une incohérence mortelle. En effet, l’immigration ne tombe pas du ciel. Elle est, elle aussi, la conséquence du renversement de paradigme, survenu dans les années 1970, quand nous sommes passés de l’autodétermination des peuples, délimitée par des frontières, à celle des individus, libres de se mouvoir à l’échelle planétaire. Révolution qui, d’un même élan, a donné le feu vert à des exodes massifs, et empêché la puissance publique des pays de destination de les entraver. Or, la survie d’un tissu social, aussi fragile que le nôtre, ne tient qu’à un fil : celui d’une homogénéité culturelle parfaite, autour d’un « néochristianisme païen » unanime, seul à même d’intérioriser l’injonction du vivre-ensemble. Personne ne niera que les nouveaux venus n’ont pas du tout – mais, alors, pas du tout – suivi ce parcours historique, qui nous a conduit à l’épuisement de l’inimitié. D’où la quadrature du cercle : une société qui se veut ouverte mais ne peut se perpétuer que fermée à ceux qui ne partagent pas sa xénophilie. Voilà pour la distribution de la pièce, où nous jouons notre survie. Les réseaux sociaux enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. OLIVIER CORET / OLIVIER CORET pour le Figaro Mag Si nous continuons d’explorer votre cadre de réflexion entre ces acteurs, quels sont les paramètres principaux des évolutions à venir ? Ce que vous me demandez, c’est comment va évoluer le rapport des forces. Si l’on reprend la métaphore d’un fleuve souterrain incandescent, la question devient : quels sont les éléments qui l’accélèrent et ceux qui le ralentissent ? L’accélérateur décisif est, bien sûr, la démographie, indicateur le plus fiable des temps futurs. On ne le répétera jamais assez : nous nous acheminons vers une inversion de majorité, ethnique et religieuse, dans notre pays. Ce n’est plus l’épaisseur du trait. De surcroît, ce chassé-croisé, hors de contrôle, tend à l’exponentialité : il se nourrit des droits opposables, dont se prévalent les immigrés, mais aussi de l’auto-engendrement des diasporas, qui génèrent un fort excédent naturel, disparu chez « ceux d’ici ». En outre, l’immigration est une grandeur non scalable, dont la qualité mute avec la quantité. D’où la notion de masse critique, au-delà de laquelle ce qui était possible en deçà ne l’est plus. Les quartiers où tous ces seuils sont dépassés sont la vitrine de ce qui nous attend. On y retrouve les réminiscences des pays de départ, dont aucun n’est démocratique, développé et égalitaire : incivisme, xénophobie, intolérance, banditisme, omerta, consanguinité, corruption, clientélisme, etc. Ce chamboulement, annoncé par l’arithmétique, ne peut se dérouler sans convulsions. Il y a aussi des « retardants » au processus. Mais ce ne sont, hélas, que des expédients temporaires visant à reculer pour mieux sauter. Le premier est l’évitement, entre anciens et nouveaux. Chacun vote avec ses pieds et se regroupe par affinités, preuve par neuf qu’on ne s’apprécie que mollement : « ceux d’en haut » dans la zone verte des centres-villes, « ceux d’en bas » en France périphérique, « ceux d’ailleurs » dans les banlieues. À ce contournement primaire s’ajoutent des fuites secondaires : la ruée vers l’enseignement privé, l’expatriation des jeunes diplômés, l’alya des Français juifs. Mais le vase déborde déjà : en attestent la répartition autoritaire des demandeurs d’asile en milieu rural et l’implantation obligatoire de logements sociaux dans des villes qui n’en veulent pas. Ensuite, viennent les petits arrangements pour acheter la paix sociale, voire des gains électoraux, sans secouer le cocotier. Ces concessions unilatérales se pratiquent à tous les échelons, depuis la politique de la ville au niveau national, jusqu’aux compromissions municipales, avec des consultants peu recommandables (imams, caïds, grands frères). On songe à la du Barry : « Encore une minute, monsieur le bourreau ! » Autre aspect : les deux minorités actives, susceptibles de coordonner les « révoltés » – trafiquants et Frères musulmans –, n’ont pas intérêt à renverser immédiatement la table. Les premiers en sont au stade embryonnaire de la cartellisation (DZ Mafia), avec pour ambition d’éliminer la concurrence et d’exploiter la poule aux œufs d’or, sans l’achever. Les seconds préfèrent l’entrisme à bas bruit afin d’imposer progressivement les codes de leur religion, en comptant sur l’inexorable loi du nombre pour triompher. Reste le plus grand frein à la belligérance : le comportement des « natifs d’en bas ». Chacun admire leur retenue («vous n’aurez pas notre haine »). Certes, leurs votes, croissants, en faveur de la « maîtrise des flux » montrent que leur imaginaire demeure national. Mais leur choix dans l’isoloir ne se double d’aucune démonstration de rue, pourtant circuit le plus court pour se faire entendre en France. Le poids des seniors ne pousse, évidemment, pas à l’action ni aux changements de cap. Mais, surtout, l’ensemble de la société vit sous les sédatifs obligatoires, que réclame le traitement de l’anarchie individualiste et de l’agressivité multiculturaliste. Citons pêle-mêle : la recherche du bien-être par la consommation, comme unique but commun ; la manipulation des émotions tétanisantes, telles que la peur (épidémies, Russie, climat) et la culpabilité (Vichy, colonialisme, racisme) ; le recours transversal au divertissement. Encore davantage, l’individu-roi, replié sur lui-même, attache un prix démesuré à sa vie biologique, occasion unique à ne pas rater, face à des extraterrestres (terroristes, délinquants) dont les valeurs « héroïques » lui sont devenues illisibles. C’est pourquoi les manifestations qu’il s’autorise – marches blanches, bougies, peluches – clament, avant tout, son refus d’en découdre. Les Français n’ont-ils pas restitué 150.000 armes en 2022 ? Notre orgueil de civilisé est de refouler nos pulsions. Attitude louable et honorable. Mais, alors, ne nous plaignons pas si nous sommes confrontés à des dissidences, que notre passivité enhardit. "La tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux" Pierre Brochand Vous évoquez un fleuve souterrain qui avance, mais aussi fait éruption en surface. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point ? Notre pronostic vital est-il engagé, comme vous l’envisagiez en 2023 ? Il faut partir de l’état des lieux ! 1500 portions de territoire, en « peau de léopard », échappent au plein contrôle des autorités publiques, et la pression sociale qui s’y exerce va à rebours de nos façons de vivre et de penser. Se répand, dans ces contre-sociétés enclavées, une guérilla de basse intensité contre ce qui y subsiste de l’État national et, plus généralement, d’influence française (pompiers, médecins, enseignants, arbitres). Un pessimiste y décèlerait même le retour, en mode mineur, des insurrections coloniales : commissariats-fortins, check-points, « hits and runs » réciproques, caves-sanctuaires, contraste jour/nuit, lutte pour la « conquête des cœurs » (la politique de la ville, resucée du Plan de Constantine, contre l’entraide sociale fournie par imams et dealers), recherche d’interlocuteurs valables, « porteurs de valise », omerta ordinaire, etc. Ne manque – et ce n’est pas rien – que l’armature du FLN. La crainte la plus plausible est que cet écosystème ne gagne en extension, fréquence et intensité, en vertu de la combinaison d’effectifs qui s’accroissent et d’une distance culturelle qui ne se réduit pas. Le modèle, que je privilégie, vous l’aurez compris, est celui de plaques tectoniques, mises en branle par le couple infernal individualisme-immigration, dont le frottement produit des étincelles qui finissent par embraser la plaine. Sur cette base, rien, hélas, n’interdit que soient franchis, un à un, des seuils critiques irréversibles : usage d’armes létales, pénétrations en « zone verte », submersion des forces classiques, entrée en scène de l’armée, prises d’otages, etc. Parmi les phénomènes déstabilisants, un sort à part doit être fait au terrorisme, bien sûr, mais encore plus aux pillages, auxquels les jeunes des quartiers se sont déjà adonnés : rien n’est plus facile, contagieux et efficace pour réduire à zéro la confiance sociale, libérer les instincts et mettre à genoux une société, bien au-delà des méfaits eux-mêmes. Et, voilà que, pour couronner le tout, pointent les drones, innovation stupéfiante qui met à portée de chacun des capacités incalculables de dissémination de la terreur. En fond de tableau, il faut aussi garder à l’esprit que nous vivons sur le fil du rasoir, en raison de notre dépendance à des réseaux, qui sont autant de catalyseurs de chaos. Les réseaux « sociaux » remettent au premier plan la psychologie des foules, décuplent le potentiel de tangage et enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. Quant aux « vitaux » – électricité, eau, gaz, transports, communication –, leur rupture nous renverrait en un éclair à un état de nature, où régneraient les moins inhibés, dont on devine qui ils seraient. À l’échelle nationale, ce scénario, qui suppose un haut degré de planification et exécution, relève de la science-fiction et nous éloigne des quartiers pour nous renvoyer vers des activistes indigènes, voire des services étrangers. Mais, on ne saurait écarter des applications locales, dont tireraient parti les éléments incontrôlés, dont il est question ici. Quant aux détonateurs proprement dits, la liste en est plus longue qu’on ne croit : aux attentats d’ampleur, « bavures », heurts communautaires habituels s’ajoutent des situations insoupçonnées, comme une brutale sortie de l’euro, suscitant une ruée vers les banques et, par engrenage, une déstabilisation de la rue, livrée aux exactions. Sans doute aucun de ces « fantasmes raisonnés » ne se produira, à brève échéance. Sans doute allons-nous continuer à vivre sur les pentes d’un Etna, dont les projections ne frapperont pas tout le monde, tout le temps, mais de plus en plus de monde, de plus en plus souvent. En tout cas, restons sûrs que la tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux, y compris physiques. Jusqu’à l’engagement du pronostic vital ? À très long terme, on ne peut malheureusement qu’opiner, en raison de la dynamique démographique, hors laquelle, il faut bien le reconnaître, tout n’est que bavardage, plus ou moins informé. Cette grande régression peut-elle être enrayée ? Un redressement est-il possible ? Comment ? Contrairement aux apparences, c’est votre question la plus facile, car les réponses existent et sont devenues banales. Mais, elles sont aussi inévitablement féroces, à proportion du temps et du terrain perdus. S’il reste une petite chance d’éteindre la mèche, il n’est d’autre voie que celle d’un radicalisme sans remords. Soit, à la fois, réduire les flux d’entrée à leur plus simple expression, reprendre le contrôle des diasporas et rétablir l’ordre public. Ce qui est tout à fait possible, mais exige un formidable regain de volonté. D’abord, prendre des mesures immédiatement opérationnelles en matière d’immigration (gel des régularisations, réduction drastique des naturalisations, raréfaction des visas des pays à risque). Puis, enjamber le préambule constitutionnel, indispensable au rétablissement des droits, collectifs et autonomes, du peuple français. Enfin, sur ce canevas, faire flèche de tout bois : externaliser les demandes d’asile, ramener à zéro l’attractivité sociale et médicale de la France, dégonfler les diasporas en agissant sur les titres de séjour, muscler la laïcité en l’étendant à l’espace public. Plus généralement, s’attaquer au virus mortel de l’impunité, par une réforme pénale décomplexée, s’adressant au moins autant aux peines, telles qu’elles sont décidées et appliquées, en cas de récidive, qu’à leur quantum. Sous cette brève formulation, l’ordonnance cache, on le sait, une entreprise herculéenne, dont, les choses étant ce qu’elles sont, j’ai le plus grand mal à imaginer qu’elle soit mise en œuvre. Mais, à l’inverse, je suis en mesure de garantir à vos lecteurs que, si nous persistons à céder au biais de normalité, pour repousser à plus tard ce qui aurait dû être fait hier, nous ne préparons pas à nos descendants des lendemains qui chantent.
par Franz-Olivier Giesbert 1 octobre 2025
Un edito de Franz-Olivier Giesbert dans Le Point https://www.lepoint.fr/editos-du-point/fog-comme-un-champ-de-ruines-24-09-2025-2599462_32.php Que la gauche ait perdu toutes les élections depuis 2017, même quand elle clamait victoire, cela ne l’empêche pas de détenir les clés du pouvoir : tel est le paradoxe qui contribue à ruiner notre vieille démocratie. D’où le sentiment qu’ont les Français de n’être plus gouvernés et leur tentation de renverser la table. Certes, il est toujours sain, dans une démocratie, qu’un pouvoir soit confronté sans cesse à des contre-pouvoirs. Mais à condition que ceux-ci ne finissent pas par le paralyser ou par prendre sa place. Or la gauche d’atmosphère contrôle à peu près toutes les institutions de la République. Sur le papier, c’est beau comme l’antique : vigie de la République, le Conseil constitutionnel est censé vérifier notamment que les lois sont conformes à la Constitution. Sauf qu’il penche fortement à gauche et à la peur du crédit, notamment en censurant, l’an dernier, la commande d’Emmanuel Macron et de son ministre Laurent Fabius, près de soixante textes d’application de la loi immigration dédiée au contrôle et à l’intégration et pilotée, entre autres, par Bruno Retailleau. L’immigration est un totem, pas touche ! Le 19 juin, le Conseil constitutionnel, toujours dans la même logique immigrationniste, a réduit à néant la loi Attal sur la justice des mineurs, qui, dans notre pays, continuent ainsi de bénéficier d’une sorte de sauf-conduit après avoir commis leurs forfaits, au grand dam d’une majorité de Français. Le 7 août, il a encore enfoncé le même clou en retoquant, au nom de la liberté individuelle, la loi visant à autoriser le maintien en rétention d’étrangers jugés dangereux. En somme, le vénérable institut ignore de moins en moins le droit, tout comme le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, qui a inscrit dans le marbre le regroupement familial en 1978, sans en référer bien sûr à la souveraineté populaire. Les magistrats jugent souvent en fonction de leur conviction – de gauche ou d’extrême gauche. Pas tous, Dieu merci, mais, pour paraphraser La Fontaine, selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements vous rendront blanc ou noir. Une preuve parmi tant d’autres : apparemment, la justice a mis un mouchoir sur l’affaire des assistants des eurodéputés du parti de Jean-Luc Mélenchon, soupçonné de détournements de fonds, comme l’a rappelé opportunément l’Office européen de lutte antifraude, alors que, pour des faits semblables, François Bayrou a déjà été jugé et qu’une peine d’inéligibilité menace Marine Le Pen. Vous avez dit bizarre ? À voir ses « trophées », le célèbre Parquet national financier (PNF) est surtout une machine de guerre contre la droite, avec une obsession : Nicolas Sarkozy, coupable d’avoir comparé un jour les magistrats à des « cassation » à « des petits pois qui se ressemblent tous ». Pour avoir critiqué dans ce journal ses méthodes, nous savons à quoi nous en tenir : ce n’est pas l’objet du PNF, acharnant judiciairement depuis vingt ans à ruiner des hommes et des femmes, souvent avant même un début de moyens. C’est bien simple : avec sa présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’audiovisuel public est presque totalement noyauté à gauche, sous la houlette de l’inévitable Arcom, « régulateur des médias » qui dépend, entre autres, de l’Éducation nationale... Dans sa “Déambulation dans les ruines”, un livre magnifique, Michel Onfray nous emmène en voyage dans la civilisation gréco-romaine, qui est morte pour laisser place à la nôtre, la judéo-chrétienne, aujourd’hui en point. Dans son introduction, il cite les Fragments posthumes de Nietzsche, où le philosophe allemand évoque les « valeurs du déclin », et force est de constater qu’elles commencent à recouvrir le mur sur notre vieux continent : la désagrégation de la volonté ; le triomphe de la populace ; la domination de la lâcheté sociale ; la honte du mariage et de la famille ; la haine de la tolérance ; la généralisation de la paresse ; le goût du remords ; une nouvelle conception de la vertu ; le dégoût de la situation présente. Réveillons-nous. Maintenant que, grâce à la pédagogie de François Bayrou, les Français saisissent la gravité de la situation financière du pays, il est temps de se ressaisir et de relever la tête. De passer à l’espoir ! Comme disait Tocqueville, « ce n’est pas parce qu’on voit poindre à l’horizon qu’il faut arrêter d’avancer ».
par Julien Lagarde 26 août 2025
Le débat énergétique français est trop souvent dominé par une approche idéologique, où l’écologie politique promeut massivement l’éolien et le solaire, en occultant leurs limites structurelles. Or, les données sont claires : selon RTE et l’ADEME, le solaire et l’éolien présentent des facteurs de charge faibles (15 % pour le photovoltaïque, 25 % pour l’éolien terrestre), nécessitent un renforcement massif des réseaux et des moyens de compensation, générant ainsi des surcoûts pouvant atteindre 40 à 75 €/MWh . À cela s’ajoute une dépendance stratégique à la Chine pour plus de 80 % de la production mondiale de panneaux solaires, produite à partir d’un mix électrique carboné. Ces réalités démontrent que ces filières ne peuvent constituer, seules, la colonne vertébrale de notre système énergétique. À l’inverse, le nucléaire français affiche des performances inégalées : 4 à 6 g de CO₂/kWh contre 14 g pour l’éolien et 25 à 44 g pour le solaire , une durée de vie deux à trois fois plus longue (60 ans contre 20-25 ans pour les renouvelables) et un coût de production maîtrisé autour de 53 €/MWh pour le parc existant, sans coûts système additionnels grâce à sa pilotabilité. Ces chiffres soulignent que le nucléaire constitue non seulement l’outil le plus écologique, mais aussi le plus économique et le plus souverain. En ce sens, la droite porte aujourd’hui une vision écologique fondée sur la rationalité et la responsabilité. Refusant l’utopie et la démagogie, elle s’appuie sur les données factuelles pour défendre une stratégie qui allie compétitivité économique, souveraineté énergétique et protection du climat. Là où certains cèdent à l’illusion d’une transition reposant exclusivement sur les renouvelables, la droite affirme que seule une combinaison équilibrée, centrée sur le nucléaire, peut réellement garantir l’avenir écologique et industriel de la France. Pour plus de détails, nous vous invitons à lire ci dessous un comparatif très détaillé couvrant les points de vue à la fois économique, écologique et social, réalisée par notre ami Julien Lagarde de manière objective et couvrant tous les aspects de ce débat fondamental pour l'avenir de notre stratégie énergétique. Le bureau de LD31 (Maxime Duclos) Énergies renouvelables et nucléaire en France : une analyse écologique, économique et sociale pour mieux comprendre les enjeux I. Introduction La question de l’articulation entre nucléaire et énergies renouvelables occupe une place centrale dans le débat public depuis l’accord conclu entre Europe Écologie-Les Verts (EELV) et le Parti Socialiste lors de l’élection présidentielle de 2012. Cet accord prévoyait le soutien des Verts à condition que la part du nucléaire dans la production électrique Française soit réduite à 50 %. Depuis, le sujet reste régulièrement évoqué, mais souvent de manière partisane, sans véritable analyse objective de l’apport respectif des différentes sources d’énergie. Il y a encore quelques années, défendre le nucléaire revenait à s’exposer à de vives critiques, voire à être perçu comme insensible aux enjeux écologiques. Toutefois, l’évolution récente du contexte énergétique, marquée par la forte hausse des prix de l’électricité (notamment du fait du mécanisme de l’ARENH) a contribué à faire émerger de nouvelles voix en faveur du nucléaire, désormais majoritaires dans l’opinion publique. Aujourd’hui, la transition énergétique Française soulève plus que jamais des débats structurants. Les partisans des énergies renouvelables et ceux du nucléaire s’affrontent sur leurs mérites respectifs. Dans un contexte de lutte contre le changement climatique et de recherche d’indépendance énergétique, il apparaît indispensable d’évaluer de manière factuelle les performances de l’éolien, du solaire et du nucléaire, tant sur le plan écologique qu’économique. II. Le paysage énergétique Français actuel : les données de RTE 2024 La France se distingue en Europe par un mix énergétique dominé par le nucléaire, qui représente encore près de 70 % de sa production électrique. Néanmoins, les énergies renouvelables connaissent une progression soutenue : selon le bilan électrique 2024 publié par RTE, l’éolien et le solaire ont produit 70 TWh en 2024, contre 46 TWh en 2019, soit une croissance de plus de 50 % en cinq ans. Cette dynamique s’inscrit pleinement dans les orientations stratégiques fixées par les pouvoirs publics. EDF prévoit une augmentation de plus de 70 % de la capacité installée en énergies renouvelables entre 2021 et 2030, pour atteindre 60 GW nets. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe, quant à elle, un double objectif à l’horizon 2030 : porter la part des énergies renouvelables à 33 % de la consommation finale brute et assurer que 58 % de la consommation finale d’énergie provienne de sources décarbonées, incluant le nucléaire. À l’échelle européenne, la tendance est tout aussi marquée. Fin 2024, les capacités installées en énergies renouvelables au sein de l’Union européenne atteignaient 338 GW, en hausse de 66 GW en un an, confirmant l’accélération du déploiement de ces technologies. III. Analyse écologique détaillée : des performances carbone exceptionnelles A. La supériorité du nucléaire Français en matière d'émissions Sur le plan des émissions de CO₂, le parc nucléaire Français affiche des performances inégalées à l’échelle mondiale. Selon une analyse du cycle de vie menée par EDF, chaque kilowattheure produit en France par le nucléaire n’émet en moyenne que 4 g de CO₂, faisant de cette technologie la plus décarbonée au monde. Cette excellence est corroborée par la Base Carbone de l’ADEME, qui chiffre les émissions à 6 g de CO₂/kWh pour le nucléaire. Ce niveau reste nettement inférieur à celui des principales filières renouvelables : environ 14 g de CO₂/kWh pour l’éolien terrestre, et entre 25 et 44 g de CO₂/kWh pour le solaire photovoltaïque selon l’origine de fabrication des panneaux. Cette différence s'explique par plusieurs facteurs : • Durée de vie exceptionnelle : 60 ans pour les centrales nucléaires contre 20-25 ans pour les éoliennes et les panneaux solaires • Densité énergétique : Une centrale nucléaire produit sur une superficie réduite l'équivalent de centaines de km² d'éoliennes • Matériaux nécessaires : Le nucléaire nécessite 40 fois moins de matériaux que l'éolien pour produire la même quantité d'électricité B. Les défis cachés des renouvelables Contrairement aux idées reçues, les énergies renouvelables présentent plusieurs défis environnementaux significatifs. 1. Pour l'éolien : • Impact sur la biodiversité : Mortalité aviaire et perturbation des corridors migratoires • Matières premières critiques : Besoin massif de terres rares et de cuivre • Recyclage complexe : Les pales d'éoliennes, composées de matériaux composites, sont difficilement recyclables 2. Pour le solaire : • Dépendance à la Chine : 80% des panneaux produits avec un mix électrique très carboné (charbon) • Matières toxiques : Utilisation de solvants et métaux lourds lors de la fabrication • Artificialisation des sols : Les centrales au sol consomment des surfaces agricoles considérables C. Temps de retour énergétique En moyenne, une éolienne compense les émissions générées lors de sa fabrication en seulement quelques mois d’exploitation, ce qui explique la solidité de son bilan carbone sur l’ensemble de son cycle de vie. IV. Analyse économique approfondie : la révolution des coûts A. L'effondrement des coûts des énergies renouvelables Sur le plan économique, la compétitivité des énergies renouvelables s’est fortement renforcée au cours de la dernière décennie. Selon une étude de l’ADEME publiée en décembre 2024, le coût actualisé de production (LCOE) de l’électricité éolienne terrestre s’élevait en 2022 à 59 €/MWh pour les nouvelles installations, contre plus de 80 €/MWh il y a dix ans. Cette évolution traduit une baisse structurelle et continue des coûts. L’ADEME estime ainsi que les parcs mis en service entre 2015 et 2020 affichent un coût de production en moyenne 18 % inférieur à celui de la période précédente. Le solaire photovoltaïque a connu une trajectoire encore plus spectaculaire. D’après le dernier rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), le coût actualisé moyen pondéré de l’électricité produite par les centrales solaires à grande échelle s’élevait en 2024 à 40 €/MWh (0,040 €/kWh), confirmant la place du solaire parmi les sources d’énergie les plus compétitives au niveau mondial. B. L'éolien offshore : une baisse spectaculaire L’éolien en mer illustre de manière exemplaire la baisse rapide des coûts de production. Lors des premiers appels d’offres attribués en France, les tarifs garantis avoisinaient 130 €/MWh. Depuis, les coûts ont fortement reculé : le dernier appel d’offres, portant sur le futur parc de Dunkerque, a abouti à un prix de 44 €/MWh pour une mise en service prévue autour de 2025. Cette diminution de plus de 65 % en l’espace de quelques années témoigne des avancées technologiques et des gains industriels majeurs réalisés par la filière. C. Le coût réel du renouvelable : au-delà du LCOE Si les coûts de production (LCOE) de l'éolien (59 €/MWh) et du solaire (40 €/MWh) paraissent attractifs, le coût réel pour le système électrique est bien supérieur une fois intégrés tous les coûts annexes : Coûts-système de l'intermittence : • Renforcement du réseau électrique : 15-25 €/MWh • Moyens de backup thermiques : 10-20 €/MWh • Stockage et équilibrage : 15-30 €/MWh • Total des surcoûts : 40-75 €/MWh Soutiens publics persistants : Le coût de soutien public à l'éolien représente encore 1€ par mois et par foyer Français selon la CRE. Ces subventions, payées par tous les consommateurs via la CSPE, masquent la réalité économique des renouvelables. D. L'avantage économique durable du nucléaire existant Le parc nucléaire Français, largement amorti, présente un coût de production imbattable : • Coût marginal : 30-40 €/MWh selon EDF • Coût complet incluant maintenance : 53 €/MWh • Aucun coût système additionnel grâce à la pilotabilité La compétitivité économique du parc nucléaire existant génère une rente significative, qui contribue à financer la transition énergétique tout en garantissant des prix de l’électricité attractifs pour les consommateurs Français. V. L'intermittence des renouvelables : un défi systémique majeur A. La pilotabilité, avantage décisif du nucléaire Un des atouts majeurs du nucléaire Français réside dans sa pilotabilité. Contrairement aux énergies renouvelables intermittentes, il assure une production constante et contribue au maintien de la stabilité du réseau électrique, un facteur essentiel pour l’équilibre permanent entre production et consommation. Le facteur de charge du parc nucléaire Français dépasse 70 %, contre environ 25 % pour l’éolien terrestre et 15 % pour le solaire photovoltaïque. En pratique, cela signifie qu’une centrale nucléaire de 1 000 MW produit chaque année trois à quatre fois plus d’électricité qu’un parc éolien de capacité équivalente. B. Les coûts cachés de l'intermittence qui changent la réalité L'intermittence de l'éolien et du solaire génère des coûts système significatifs rarement pris en compte dans les comparaisons de prix. Ces coûts incluent : • Le renforcement du réseau électrique : L'intégration massive d'énergies renouvelables nécessite des investissements considérables dans les infrastructures de transport et de distribution pour gérer la variabilité de la production • Les moyens de backup : Il faut maintenir des centrales thermiques ou hydrauliques en réserve pour compenser l'absence de vent ou de soleil • Le stockage d'énergie : Batteries, stations de pompage (STEP), ou hydrogène vert représentent des investissements colossaux • Les coûts d'équilibrage : La gestion en temps réel des fluctuations nécessite des systèmes sophistiqués et coûteux Ces coûts additionnels peuvent représenter 20 à 40 €/MWh supplémentaires selon les études, réduisant considérablement l'avantage économique apparent des énergies renouvelables. VI. L'acceptabilité sociale : les défis des énergies renouvelables A. Impact visuel et dégradation paysagère L’implantation des parcs éoliens soulève des questions d’acceptabilité, en raison des effets sur la qualité de vie des riverains. Les nuisances sonores et visuelles, y compris l’effet stroboscopique nocturne, ainsi que certaines atteintes à l’environnement, sont fréquemment évoquées. Les éoliennes modernes, atteignant jusqu’à 200 mètres de hauteur – soit plus que la tour Montparnasse – génèrent un impact visuel significatif sur plusieurs kilomètres. Cette dimension esthétique et patrimoniale fait l’objet d’un examen attentif de la part des riverains et des autorités Françaises, posant des questions légitimes sur la préservation des paysages ruraux et du patrimoine culturel. B. Dépréciation immobilière À cela s'ajoute la baisse de valeur des biens immobiliers situés à proximité des parcs éoliens. Cette dépréciation, documentée par plusieurs études notariales, peut atteindre 10 à 30% de la valeur initiale selon la distance aux éoliennes. C. Nuisances pour les populations rurales Les populations rurales subissent de manière disproportionnée les nuisances liées au développement éolien : • Nuisances sonores continues (45 à 50 dB la nuit) • Effet stroboscopique des pales en rotation • Détérioration des chemins ruraux par le transport de matériel lourd • Artificialisation de zones agricoles Le nucléaire, concentré sur quelques sites, évite cette dispersion des nuisances sur l'ensemble du territoire rural. VII. Les scénarios prospectifs de RTE : vers une complémentarité RTE, gestionnaire du réseau de transport électrique Français, a étudié plusieurs scénarios visant la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de maximiser la production d’électricité décarbonée, en particulier d’ici 2030. Selon ces modélisations, un mix associant énergies renouvelables et nucléaire apparaît comme la solution la plus efficace pour réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de la France à cette échéance. Cette analyse officielle souligne l’urgence de définir dès maintenant des orientations stratégiques cohérentes et confirme que ces technologies doivent être considérées comme complémentaires plutôt que comme opposées. VIII. Impact macroéconomique et acceptabilité sociale Au-delà des coûts de production, il convient de considérer l'impact sur les ménages Français. On estime à 1€ par mois par foyer, le coût de l'énergie éolienne pour les Français et ce, en 2016. C'est le coût annuel du soutien à l'éolien pour un ménage consommant 2,5 MWh par an, selon la CRE. Ce coût de soutien public tend à diminuer avec la baisse des coûts de production. A. Défis technologiques et industriels 1. Pour les énergies renouvelables D'après les projections, ces montants pourraient aussi être divisés par deux d'ici 2050 pour les coûts de maintenance de l'éolien, illustrant les perspectives d'amélioration continue. L'enjeu principal reste le développement d'une industrie européenne compétitive face à la concurrence asiatique, particulièrement pour le solaire. 2. Pour le nucléaire Le défi du nucléaire Français réside dans la capacité à maintenir l'excellence technique tout en maîtrisant les coûts des nouvelles générations de réacteurs. Les projets de petits réacteurs modulaires (SMR) et l'optimisation des processus de construction constituent les principales pistes d'amélioration. B. Vers une stratégie énergétique intégrée L'analyse des données récentes montre que l'opposition frontale entre nucléaire et énergies renouvelables apparaît de plus en plus dépassée. Au global, l'énergie éolienne terrestre est la filière renouvelable la plus compétitive économiquement, tandis que le nucléaire existant reste un atout précieux pour la stabilité du réseau et la décarbonation. La stratégie Française semble s'orienter vers un mix diversifié exploitant les avantages de chaque technologie : la stabilité et la puissance du nucléaire pour la base de production, complétées par le développement massif des énergies renouvelables pour répondre à la croissance de la demande électrique et au remplacement progressif des énergies fossiles. IX. Conclusion : le nucléaire, pilier indispensable de la transition énergétique Française L’analyse des données 2024 confirme que le nucléaire français conserve des atouts déterminants face aux énergies renouvelables. Avec des émissions limitées à 4 à 6 g de CO₂ par kWh, il affiche les meilleures performances carbone au monde, surpassant l’éolien terrestre (14 g CO₂/kWh) et le solaire photovoltaïque (25 à 44 g CO₂/kWh). Les atouts du nucléaire sont multiples : • Pilotabilité totale : Production stable 24h/24, 365 jours par an • Facteur de charge supérieur : 70% contre 25% pour l'éolien et 15% pour le solaire • Emprise territoriale minimale : Une centrale remplace des centaines de km² d'éoliennes • Durée de vie exceptionnelle : 60 ans contre 20-25 ans pour les installations renouvelables • Acceptabilité sociale : Concentration sur quelques sites évitant la dispersion des nuisances Les défis persistants des renouvelables : • Intermittence : Coûts système de 20 à 40 €/MWh supplémentaires • Impact paysager : Dégradation des paysages ruraux et dépréciation immobilière • Dépendance technologique : 80% du solaire produit en Chine avec un mix carboné • Matières critiques : Besoin massif de terres rares et métaux stratégiques Si les énergies renouvelables peuvent jouer un rôle complémentaire, le nucléaire demeure le pilier central d’une stratégie énergétique efficace pour la France. Il convient de prioriser le renouvellement et l’extension du parc nucléaire, qui constitue un atout concurrentiel unique face aux défis climatiques. Maintenir une prédominance nucléaire, tout en développant de manière ciblée les renouvelables là où elles apportent une réelle valeur ajoutée, apparaît comme la stratégie la plus rationnelle pour concilier les impératifs climatiques, économiques et d’acceptabilité sociale. La France dispose avec son parc nucléaire d’un avantage industriel et environnemental considérable, qu’il serait contre‑productif de compromettre au profit d’une vision exclusivement renouvelable, déconnectée des réalités techniques et économiques du système électrique. Sources principales : • RTE (Réseau de Transport d'Électricité) - Bilans électriques 2023 et 2024 • ADEME (Agence de la Transition Écologique) - Base Carbone et études de coûts 2024 • EDF - Analyse du cycle de vie du kWh nucléaire • EDF - "Produire une énergie respectueuse du climat" (2025) - Objectifs 60 GW renouvelables 2030 • IRENA (Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables) - Rapport mondial des coûts 2024 • Commission de Régulation de l'Énergie (CRE) - Rapports sur les coûts des énergies renouvelables • Ministère de la Transition Écologique - Chiffres clés des énergies renouvelables 2024
par Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne 25 août 2025
Après les décisions du Conseil constitutionnel, dénoncer la «politisation» des juges constitutionnels ne suffit plus, estime le député LR Jean-Louis Thiériot, dans une tribune dans FigaroVox avec 2 propositions concrètes : 1/ redéfinir de façon plus stricte et plus précise les notions de bloc de constitutionnalité 2/ l’instauration, en cas de censure d’une procédure de passer outre, votée par les deux Chambres réunies dans la forme du Congrès https://www.lefigaro.fr/vox/politique/loi-duplomb-retention-des-etrangers-dangereux-reformons-le-controle-de-constitutionnalite-pour-revenir-a-l-esprit-de-la-ve-republique-20250813 Les récentes décisions du Conseil constitutionnel, notamment celle censurant l’allongement de la durée de rétention administrative de 90 à 210 jours pour les étrangers « condamnés pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive », ont semé un grave trouble dans l’opinion, surtout lorsque l’on sait les difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires et le rôle de l’inexécution des OQTF dans certains faits divers tragiques, comme le meurtre sordide de la jeune Philippine. L’objet de ce propos n’est pas de débattre de la décision, sur laquelle il y aurait pourtant beaucoup à dire. À droit constant, elle s’impose à tous. Il s’agit de s’interroger sur le champ du contrôle de constitutionnalité qui est devenu un objet politique à part entière, car il relève du pouvoir constituant, c’est-à-dire du peuple souverain. Avant de faire un peu d’histoire pour comprendre comment on en est arrivé là et de proposer les pistes de réforme qui s’imposent, un préalable doit être posé pour éviter tout malentendu. Débattre de la nature du contrôle de constitutionnalité, discuter une décision de justice, fût-elle du Conseil constitutionnel, n’est ni remettre en cause les juges constitutionnels ni contester l’État de droit. C’est le travail habituel du juriste. C’est celui des professeurs de droit, qui, à longueur d’articles, dans les revues de doctrine, critiquent les jurisprudences, les décortiquent et en suggèrent des évolutions. C’est celui des avocats, qui, dans les cours et les tribunaux, s’efforcent d’obtenir des revirements de jurisprudence. Le droit est une matière vivante et évolutive. Par nature, il s’affûte par l’interprétation, constamment enrichie de la norme. Dès lors, ce débat est totalement légitime. Les arrière-pensées politiques ne font aucun doute Dans l’esprit des constituants de la Ve République, adoptée par référendum en 1958, l’article 61, qui instituait le Conseil constitutionnel, avait une fonction claire. En vertu de la distinction, classique en droit, des textes à valeur normative et des textes à valeur programmatique, seul le texte même de la Constitution pouvait fonder une décision. Le préambule de 1946 en était exclu. Le contrôle constitutionnel avait pour mission de vérifier, dans le cadre du parlementarisme rationalisé que les procédures et les prérogatives respectives du gouvernement et du Parlement étaient respectées. C’est ainsi qu’a fonctionné le Conseil constitutionnel jusqu’en 1971. Tout change alors quand, par la décision dite « liberté d’association », le Conseil constitutionnel censure la possibilité de contrôler a priori les associations « loi de 1901 », au nom des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution ». Ces principes n’ont été définis et listés par aucun texte constituant. C’est une pure création prétorienne – que le Conseil d’État avait faite en son temps. C’est la première pierre du « bloc de constitutionnalité ». Les arrière-pensées politiques ne font aucun doute. Alors que le rapporteur, le Pr François Goguel, avait conclu à la conformité de la loi, le président du conseil, Gaston Palewski, alors en délicatesse avec Georges Pompidou, avait arraché la décision. Il avait dit au président du Sénat, Alain Poher : « Il faut faire prendre conscience à Pompidou qu’il n’est pas de Gaulle, lui donner une leçon, le rappeler à l’ordre. » À l’époque, certains s’en étaient émus. Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle, gardien vigilant de l’héritage avait parlé de « coup d’État juridique » et avait incité, en vain, le président Pompidou à y mettre bon ordre. Ce ne sont pas les règles européennes qui ont fondé la censure de la durée de rétention en CRA Depuis lors, le bloc de constitutionnalité a connu une extension indéfinie de son contenu. Il intègre aujourd’hui le préambule de 1946, la Déclaration des droits de l’homme de 1789, la charte de l’environnement, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les objectifs de valeur constitutionnelle. Concrètement, c’est devenu un inventaire à la Prévert, largement jurisprudentiel, jamais clairement défini, qui va de l’indépendance des professeurs d’université à l’existence d’une justice des mineurs en passant par un principe de fraternité assez gazeux, qui a permis, en 2018, de censurer une loi créant un délit d’aide aux migrants en situation irrégulière… Il est à noter que ces créations jurisprudentielles sont purement nationales. On lit souvent que la place de la législation européenne dans la hiérarchie des normes paralyserait l’action publique. C’est parfois vrai, mais c’est souvent un prétexte. Ce ne sont pas les règles européennes qui ont fondé la censure de la durée de rétention en CRA. Certains pays vont jusqu’à 18 mois et, comme nous, ils appartiennent à l’UE et sont signataires de la CEDH. Alors que faire ? Plutôt que de « sauter comme des cabris » en dénonçant la « politisation » des juges constitutionnels qui ne font qu’appliquer un droit qu’on a laissé se développer de manière anarchique, changeons le droit. L’État de droit, c’est l’état du droit. Sinon pourquoi voter des lois qui en abrogent d’autres ? Ces réformes supposent évidemment d’en référer au peuple souverain Pour éviter la paralysie de l’action publique, dans des matières plébiscitées par le pays, on n’échappera pas à une réforme du contrôle de constitutionnalité. Le sujet est trop sérieux et trop sensible pour en esquisser les grands traits en quelques lignes. Retenons simplement qu’elle peut prendre deux formes, celle d’une délimitation plus stricte et plus précise du bloc de constitutionnalité ou celle de l’instauration, en cas de censure d’une procédure de passer outre, votée par les deux Chambres réunies dans la forme du Congrès. Les deux hypothèses ne s’excluent d’ailleurs pas l’une l’autre. Pour être mises en œuvre, ces réformes supposent évidemment d’en référer au peuple souverain, soit par la procédure classique de révision constitutionnelle du congrès, soit par voie référendaire. Ces évolutions sont nécessaires et légitimes, car l’impuissance du politique suscite frustration et incompréhension. C’est la semence de toutes les démagogies et de tous les populismes. Pour que les Français retrouvent confiance en leurs institutions, ce débat devra être au cœur de la campagne de l’élection présidentielle de 2027. Tant qu’il en est encore temps, notre devoir est de retrouver l’esprit de la Ve République, de réparer la table avant que certains ne soient tentés de la renverser.
par Une interview de François Lenglet par Ronan Planchon dans FigaroVox 5 août 2025
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-lenglet-la-commission-europeenne-court-comme-un-canard-sans-tete-desorientee-par-la-disparition-du-monde-d-hier-20250803 ENTRETIEN - Après l’accord signé avec les États-Unis de Donald Trump le 27 juillet en Écosse, l’Europe entame son «siècle de l’humiliation», estime le journaliste économique et essayiste. François Lenglet est éditorialiste économique à TF1-LCI et RTL. Son prochain livre : Qui sera le prochain maître du monde ?, Éditions Plon, octobre 2025. LE FIGARO. - Dans le cadre de son accord avec Trump , l’Union européenne accepte de voir la quasi-totalité de ses exportations de biens vers les États-Unis frappées de droits de douane à hauteur de 15 % et n’obtient ni ne sanctionne rien en retour. Une autre issue était-elle possible ? Passer la publicité François LENGLET. - Non, cet accord est tout sauf surprenant. Il matérialise le rapport de force entre l’Amérique de Trump et l’Europe : tout pour moi, le reste pour toi. C’est la conséquence du rôle nouveau qu’occupent les États-Unis dans les affaires du monde, la « superpuissance voyou », pour reprendre les termes de l’universitaire américain Michael Beckley. C’est-à-dire la puissance numéro un sans autre ambition que de se renforcer au détriment des autres, à commencer par les alliés de naguère - ce sont eux qui offrent le meilleur rendement dans le chantage, parce qu’ils sont faibles. Le plus frappant dans cette affaire, c’est que l’Union européenne est contente. Humiliée et satisfaite. Alors même qu’en plus des tarifs, Bruxelles piétine ses propres politiques, pour satisfaire Trump. Elle accepte ainsi d’investir 600 milliards en Amérique, alors que l’exode de l’investissement est justement le principal problème pointé par le rapport Draghi… Elle s’engage à acheter des armes américaines, alors qu’elle exhorte les pays membres à renforcer leur base industrielle de défense… Elle s’engage à acheter des tombereaux de gaz américains alors qu’elle œuvre pour le zéro carbone ! Quant à la prétendue « prévisibilité » offerte par l’accord aux exportateurs, c’est une vaste blague. Un condamné à dix ans de prison peut évidemment se féliciter de la prévisibilité de son cadre de vie pour la prochaine décennie. Londres a obtenu de la Maison-Blanche le taux de tarifs douaniers les plus bas possible à ce jour (10 %). Cette « victoire » participe-t-elle à la décrédibilisation de l’Union européenne ? Le commerce américain avec le Royaume-Uni n’est pas déficitaire, cela peut expliquer le traitement plus favorable qu’a obtenu Londres. Dans la hiérarchie des royaumes tributaires de l’empire américain, nous occupons un rang intermédiaire, entre le Royaume-Uni, qui s’en sort mieux, et le Japon, duquel Trump a obtenu le versement de plusieurs centaines de milliards directement au Trésor américain. Et tous ceux qui sont menacés aujourd’hui de 30 % ou 40 % s’ils ne concluent pas d’accord cette semaine. Si l’Union européenne n’était pas en position de force, est-ce parce qu’elle ne maîtrise aucune de ses positions stratégiques à l’échelle de l’économie globale ? Oui, sans aucun doute. Il faut se souvenir que l’Union européenne n’a pas été conçue pour peser dans le jeu mondial. La raison d’être fondamentale de la Commission de Bruxelles, c’est de surveiller les États membres pour qu’ils se soumettent aux règles du marché unique et de la concurrence. Bruxelles a été dressé pour éradiquer les frontières et le nationalisme économique à l’intérieur de l’Union. L’édification de ce marché unique a d’ailleurs été une propédeutique utile pour apprivoiser la mondialisation, surtout pour la France et sa bureaucratie. Mais les temps sont bouleversés. La mondialisation change de nature et de périmètre, elle se fragmente, à cause du recentrage de la puissance principale sur ses intérêts exclusifs au détriment d’un ordre mondial. Il ne peut y avoir de mondialisation sans maître du monde assumé. La Commission devrait donc s’appuyer sur les frontières et pratiquer une sorte de nationalisme européen, si cette expression n’était pas un oxymore, pour défendre les États membres dans la grande confrontation entre les empires. Elle en est incapable car il faudrait pour cela qu’elle renie les traités. Elle court donc comme un canard sans tête, désorientée par la disparition du monde d’hier. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. François Lenglet L’Europe-puissance est une chimère, entretenue par les fédéralistes qui voudraient encore sauver leur rêve. C’est le dernier stade du déni, avant l’acceptation de la réalité : l’Europe entame son « siècle de l’humiliation », comme la Chine de 1842, après la guerre de l’opium. Trump, exactement comme les Britanniques de l’époque, force l’ouverture de nos ports. Avec ces accords, l’Europe signe donc son traité de Nankin, qui avait asservi l’empire du Milieu aux intérêts commerciaux britanniques. Mais à la décharge de Bruxelles, le problème est plus grave que celui de la seule Commission. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui rechignent à la puissance et aux sacrifices qu’elle exigerait d’eux. « Nous n’avons pas été craints », aurait dit Emmanuel Macron juste après cet accord-capitulation. C’est ce qu’on appelle une litote… Le problème pour être craint, c’est bien sûr d’avoir des moyens de rétorsion, mais c’est surtout de vouloir les utiliser. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. Pire, les officiels français expliquaient à la veille de l’accord qu’il n’y aurait pas de rétorsions tarifaires, car les économistes avaient calculé qu’elles seraient préjudiciables à nos consommateurs ! Pour Trump, ces tarifs visent-ils surtout à relocaliser la production aux États-Unis ? Oui, il veut siphonner la croissance mondiale. Il récuse la position de « consommateur en dernier ressort », qui avait toujours été celle du maître du monde, les États-Unis au XXe siècle, le Royaume-Uni au XIXe. Il vise au contraire la réindustrialisation de son pays. C’est pour cela qu’il veut des tarifs et un dollar faible, afin d’inciter les industriels du monde entier à s’installer aux États-Unis. Il ne s’arrêtera pas là. Ces tarifs vont servir à la coercition des partenaires, afin qu’ils réévaluent leurs devises ou financent gratuitement la dette américaine, avec les fameuses obligations à coupon zéro prônées par l’un des inspirateurs de Trump, Stephen Miran. L’autre objectif est bien sûr budgétaire. Les taxes douanières vont remplir les coffres de Washington. Rien que l’accord avec l’Europe pourrait lui fournir une centaine de milliards de ressources annuelles supplémentaires. Il s’agit de financer le « Big and Beautiful Budget », les baisses d’impôts votées par le Congrès le mois dernier. Dans les deux cas, c’est la stratégie de la prédation : l’Amérique pompe les investissements pour arroser son sol, et les ressources financières des autres pour les redistribuer à ses entreprises sous forme de baisse d’impôt. Ne surestime-t-on pas la victoire de Trump ? Les engagements d’achats et d’investissements européens n’ont d’autre valeur que politique… C’est vrai que les chiffres sont tellement fous qu’ils ne sont pas crédibles. Ursula von der Leyen s’est engagée à 250 milliards d’achats de gaz liquéfié par an, alors que nous sommes, pour l’Europe entière, en dessous de 100 milliards aujourd’hui… Mais cela crée quand même une pression pour les années qui viennent, et c’est sans doute ce que cherchaient les négociateurs américains. Aussi déraisonnables qu’ils soient, ces montants ont été semble-t-il validés par l’Europe. Et, au-delà des considérations sur les montants, une leçon doit être retenue : l’accès aux marchés internationaux a un prix, car il a une valeur. Et ce prix est à la hausse, depuis l’élection de Trump. L’Europe ferait donc bien de réfléchir au prix de l’accès à son propre marché, l’un des plus grands du monde, et à la façon de négocier les prochains accords commerciaux. À quoi peut-on s’attendre, concrètement, sur le plan commercial ? Toute la question est de savoir qui va payer les tarifs. En bonne logique, c’est le consommateur américain, qui verra augmenter le prix des biens importés. Non pas de 15 %, car dans le prix final, les coûts de distribution comptent pour jusqu’à un tiers. En réalité, chacun des intervenants dans le circuit commercial, exportateur, transporteur, importateur, distributeur et consommateur va être mis sous pression pour réduire ses marges ou payer un peu plus. La répartition de ces efforts sera variable en fonction du rapport de force sur le marché, très différent selon les secteurs. Tout cela devrait contracter les flux commerciaux à destination de l’Amérique. Avec des conséquences sur la croissance, moins fortes en France qu’en Allemagne et en Italie, plus exportatrices, comme on le constate déjà sur les chiffres du deuxième trimestre 2025. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. François Lenglet Quels seront les secteurs les plus touchés ? Les entreprises de luxe peuvent supporter à la fois une augmentation de prix et une contraction de leurs marges, qui sont importantes. En revanche, pour les produits laitiers et fromage, c’est l’un de nos postes d’exportation importants, le consommateur sera moins enclin à payer. Ce seront les exportateurs qui vont devoir encaisser la moins-value, s’ils ne veulent pas perdre des parts de marché. Idem pour la cosmétique, également l’une de nos forces à l’export. Le haut de gamme s’en sortira, grâce à la puissance des marques et à l’image du « made in France », mais les produits grand public, plus sensibles au prix, devraient souffrir. L’automobile n’est concernée qu’indirectement, car nous n’exportons pas de voitures françaises outre-Atlantique. Les équipementiers français, sous-traitants des constructeurs européens, pourraient toutefois subir les conséquences de la pression sur les exportateurs allemands. Dans tous ces domaines, les industriels vont tenter de produire davantage aux États-Unis, pour échapper aux taxes. Il peut donc y avoir une nouvelle vague de délocalisations. Restent enfin des industries dans l’incertitude, car leur régime douanier n’a pas encore été défini, comme la pharmacie. Peut-on s’attendre désormais à une marginalisation de la Commission européenne ? Von der Leyen va-t-elle devenir l’amie que les États membres n’assument plus ? Les questions commerciales divisent l’Europe depuis toujours, à la fois entre États membres, qui n’ont pas les mêmes intérêts, et d’un secteur à l’autre au sein d’un même pays. Cette fois-ci, pourtant, le continent n’est pas vraiment divisé, il se partage entre les perdants résignés et les perdants soulagés. Soulagés parce qu’ils redoutaient pire - c’est la force de Trump que d’avoir attendri la viande pendant les négociations, en menaçant de taxes encore plus punitives. Au-delà des jérémiades, il n’y a donc pas de réelle volonté de remettre en cause l’accord avalisé par la présidente de la Commission. De plus, plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis ont déjà avalé leur pilule, le Japon, la Corée du Sud, et tous ceux qui attendent dans le couloir de la Maison-Blanche… Il n’y a plus guère que la Chine qui tienne tête à l’Amérique. Il faut espérer que cette affaire aura au moins eu pour effet de révéler à l’Europe, à ses citoyens et ses dirigeants, l’ampleur des changements en cours dans les relations internationales. Dans la confrontation qui s’intensifie, tout est stratégique, y compris les questions commerciales. Tout a un prix. Tout est levier pour obtenir de l’influence ou des ressources. Cela exige de nous une révolution, dans l’idéologie et dans l’action, après quarante ans où le libre-échange était considéré comme l’état naturel des rapports internationaux, indépendant des questions politiques et profitables à tous. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. Pour reprendre un aphorisme de l’économiste Marc de Scitivaux, dans la longue histoire du coup de pied au derrière, ce n’est pas toujours le pied le plus coupable.
par Henri Guaino 4 août 2025
"Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets" Une tribune d'Henri Guaino parue dans Le Figaro le 28 juillet 2025 : https://www.notrefrance.fr/index.php/medias/
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