Requiem pour l'honneur et la confiance
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« Si j’ai la moindre interface qui sort par le moindre élève, là, pour le coup, ça se passera très mal », avait prévenu Laurent Wauquiez lors d’une conférence privée devant une trentaine d’élèves de l’EM. Lyon sur le « diktat de la transparence ». Et d’ajouter : « Sinon ça ne peut pas être un espace de liberté, et ce que je vais vous sortir serait juste le bullshit que je peux sortir sur un plateau médiatique . »
Ah quel scandale ! Le président des Républicains ose-t-il insinuer qu’un élu ne parle pas en toute transparence sur un plateau ? Soyons sérieux avant de faire semblant de s’en indigner ! Comment pourrait-il en être autrement, en raison de la discipline de parti, des obligations morales de soutien réciproques qu’elle suppose, des postures attendues des uns et des autres par leurs « camps » respectifs car, malgré leur volonté affichée lors des dernières élections présidentielles de dépasser les clivages politiques, nous avons tous les jours la preuve que les Français restent profondément marqués par la bipolarisation manichéenne de la vie politique. Il n’est qu’à regarder Jean-Michel Blanquer, qui ne se revendique dans son action d’aucune appartenance et dont la dernière prestation télévisée fut appréciée par 71% des Français, dont 69% des électeurs de la France Insoumise, mais dont on discute moins les mesures annoncées que de savoir si le ministre le plus populaire du gouvernement Philippe est de droite ou … de droite ! Catalogué ! On n’y peut rien, il faudra du temps pour faire évoluer les cartes mentales des électeurs, trop profondément ancrées dans les esprits. Alors on récite la doxa, on fait de la « comm », on soigne son image, on fait semblant d’être différent et franc sur les plateaux de télévision, dans des talk show à la radio, en réunion publique, en laissant filer une ou deux confidences privées qui rapprochent des téléspectateurs et auditeurs mais qui ne coûtent rien à la popularité. Bien au contraire ! On le voit bien : quiconque prend des risques pour affirmer ses opinions, Onfray, Finkielkraut, Zemmour …, au lieu d’être contré le cas échéant par des arguments peaufinés avec intelligence ou par un échange rhétorique de qualité (même si ce genre de jeu formel ne fait guère avancer la réflexion), se trouve aussitôt ostracisé, criminalisé, ses propos souvent déformés, enlevés de leur contexte et livrés à la vindicte publique sur les réseaux sociaux. Alors, à l’ère de la communication et de l’image, on fait du bullshit , rien de plus et on contrôle sa parole en sachant que la moindre phrase ambiguë ou maladresse d’expression sera relevée, disséquée par les médias et les internautes sur les réseaux sociaux, jusqu’à en faire un « buzz », en d’autres termes une nouvelle polémique, qui n’a plus grand-chose à voir avec le propos initial.
Alors où trouver encore de la sincérité dans les propos ? Où entendre un responsable politique, économique, militaire qui parle vrai et donne à entendre et comprendre les tenants et les aboutissants d’une affaire, d’un événement, d’une réalité sociale, de questions internationales, commerciales, des relations entre les êtres également qui, derrière une unité de façade, jouent un rôle certain dans les jeux de pouvoirs ? Une règle formalisée en 1927 pour protéger l’anonymat des échanges au sein du Royal Institute of Internationale Affairs (Chatham House) est aujourd’hui largement utilisée (et respectée !) dans tout le monde anglo-saxon pour faciliter la liberté d’expression et la sincérité des participants. Cette règle, dite de Chatham House , garantit en effet la confidentialité des propos de tout contributeur au débat : « Quand une réunion, ou l'une de ses parties, se déroule sous la règle de Chatham House, les participants sont libres d'utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l'identité, ni l'affiliation des personnes à l'origine de ces informations, de même qu'ils ne doivent pas révéler l'identité des autres participants. ». Et ça marche, car il est encore des pays et des lieux où l’on est encore capable de respecter la parole donnée, même si celle-ci n’est pas formalisée par un engagement écrit qui pourrait, en cas de trahison, donner lieu à des poursuites.
En France l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale) travaille sous la règle de Chatham House pour former des auditeurs civils à comprendre les enjeux de la Défense. Des militaires, des politiques y parlent sans fard, en toute franchise et liberté, car ils savent que leurs propos seront certes répétés, utilisés (ils sont là pour ça, car c’est un des moyens utilisés par la Grande Muette pour s’autoriser à parler sans tomber sous le coup du manquement au devoir de réserve) mais qu’ils ne seront pas attribués. Autrement dit, qu’ils resteront anonymes. Tous ceux qui ont la chance d’être autorisés à assister à de telles conférences ou à pénétrer dans des lieux protégés par le secret Défense pourraient témoigner que, grâce à cette règle de confiance qui perdure parce que personne ne la trahit, ils ont entendu un tout autre son de cloche sur les questions militaires ou internationales, argumenté, prouvé, illustré, que la bouillie orientée diffusée sur les médias mainstream , même ceux où des journalistes prétendument rebelles annoncent « vouloir faire la vérité » sur telle ou telle affaire. Une chance inestimable ! Mais pour combien de temps encore ? Jusqu’à présent le respect de la parole donnée n’a pas souffert de manquement grave dans les lieux où la règle de Chatham House fut expliquée et l’engagement à la confidentialité demandé aux participants. Cela s’appelle tout simplement l’honneur, qui a ses codes, qualité d’un individu honnête que visiblement certains, parmi les supposées élites des jeunes générations, ont mise en sommeil ou n’ont jamais acquise.
Laurent Wauquiez a fait confiance à un auditoire restreint, auquel il a explicitement demandé de ne pas diffuser ses propos, seule solution pour parler en toute liberté, en expliquant les conséquences fâcheuses que l’inverse provoquerait. Certes il n’a pas dû parler de la règle de Chatham House, il n’a probablement pas menacé de poursuites en cas de trahison, il n’a sans doute fait signer aucun papier dans un pays où l’écrit a longtemps régné en maître dans les transactions. Mais il a dit clairement ce qui ne devait pas être. Devait-il se méfier ? Il est d’une génération où l’on savait encore garder un secret lorsqu’on nous demandait de ne pas le trahir. Il pouvait supposer que des élèves ayant été reçus à un concours sélectif où l’on entre après une classe préparatoire à bac+3 ou plus tard à bac+4 et 5 étaient capables d’entendre et de respecter une promesse implicite à laquelle ils s’étaient engagés par leur présence-même à une réunion privée où la confidentialité avait été exigée.
Le contenu de ses propos n’a guère d’importance en soi. Plaisanteries ? Phrases sorties de leur contexte ? Pensée réelle exprimée avec sincérité et sans méfiance ? Le président des Républicains penserait donc du mal de certains membres de son parti ? Du Président ? Et alors ? Il s’agissait d’une conversation privée et qui devait le rester, comme en témoigne le début de l’enregistrement rapporté en introduction, du genre de celles que nous pouvons tous tenir en pleine confiance face à des amis ou des membres de notre famille devant lesquels on se laisse aller à se moquer d’Untel, à dire tout le mal que nous pensons d’un autre, alors qu’au dehors la simple civilité, ou la nécessité de relations professionnelles apaisées, la primauté des intérêts communs au-delà des antipathies réciproques, le jeu social tout simplement, nous obligent à faire bonne figure, à faire semblant, et à reléguer notre « affectif » au second plan.
Personnellement, je n’ai rien pour ou contre Laurent Wauquiez. Je ne suis pas membre de LR. Dans l’état actuel des choses, ne sachant pas dans quelle direction se dirigera mon vote aux prochaines élections, il m’indiffère, je regarde juste la reconstruction de son mouvement avec curiosité, de l’extérieur, comme je le fais d’autres partis. Mais sur le plan des valeurs et des principes, ce qui vient de se passer est terrifiant, de très mauvais augure. Les personnes sans honneur qui ont manqué à l’engagement de confidentialité sont des étudiants d’une grande école de management, ils seront demain aux commandes d’une entreprise, d’un service public, responsables politiques. Quelles relations de confiance ces individus de peu de foi pourront-ils instaurer dans leur cercle professionnel ? Et que dire de ces internautes ou de ces médias qui préfèrent s’indigner du contenu de propos privés qui ne sont que des piques entre collègues, dignes d’une cour de récréation, comme on en tient tous hors caméras, que de la mise en ligne honteuse de ce que l’on s’était engagé à ne pas filmer. À l’heure où l’on parle beaucoup de civisme, de citoyenneté, bref de valeurs, peut-être faut-il s’inquiéter de voir ainsi piétiner celles qui sont à la base de tout contrat entre les êtres (la confiance, le respect, l’honneur), et peut-être davantage encore de ce que le manquement grave à ces principes ne semble émouvoir personne. On blâme la victime d’une trahison, on ne dit rien du ou des traîtres. Significatif et désolant !
Il faut espérer que les indélicats ne représentent pas la jeunesse d’aujourd’hui. Un tel comportement individualiste (pour faire le buzz, au mépris des relations humaines et de l’intérêt collectif) est la négation de la notion de contrat, de confiance, de respect, de solidarité, toutes ces valeurs que l’on prétend aujourd’hui réinsuffler dans une République malade.
Les politiciens mentent, entend-on souvent reprocher à nos élus. Mais comment pourrait-il en être autrement devant de tels comportements ?







