Qui a peur de l’identité nationale ? #2

Natacha Gray • 25 février 2018

Deuxième partie

Identité, identités ? Des régions à l’Europe, en passant évidemment par la France comme nation, les questions dites « identitaires » sont aujourd’hui omniprésentes dans l’actualité, dans les discours, et dans les priorités, revendications ou inquiétudes exprimées par une majorité de citoyens français. Identités régionales, identité nationale, identité européenne s’emboîtent sans nécessairement s’opposer. Plus que jamais les premières s’affirment, la dernière reste encore à construire. Lignes Droites lance la réflexion sur ces questions, en commençant par le sujet sensible, parfois tabou, de l’identité nationale.


Deuxième partie


Dans une première partie ( à consulter en cliquant ici ) nous avons vu que la question de l’identité nationale, qui réapparaît sous ce nom dans les années 1970, se nourrit en fait d’une réflexion déjà ancienne puisque déjà Voltaire et Renan avaient tenté de cerner ce qui faisait « le génie d’un peuple », son « âme » ou le « principe spirituel » d’une nation. La défense de principes et de valeurs jugées aujourd’hui menacés, dans un contexte de crise, de mondialisation uniformisante et de multiculturalisme devenu clivant, a longtemps été abandonnée à l’extrême droite, qui en a fait son cheval de bataille principal, ce qui a conduit les autres partis à contourner la question, de peur d’être accusés de faire le jeu du Front national. C ’est avec Nicolas Sarkozy et aujourd’hui Laurent Wauquiez que la droite s’est lancée à nouveau dans la défense et l’illustration de ce qui fait l’identité de la France, ce qui a provoqué d’inévitables remous au sein de leur famille politique. Nous en avons évoqué les principaux éléments constitutifs, sur lesquels semblent peser des menaces nouvelles et inquiétantes.

5. Le sentiment d’une identité menacée

Aujourd’hui le succès des discours identitaires tient en effet avant tout au fait que la majorité des Français, venant d’horizons politiques très variés, exprime le sentiment qu’ils sentent l’identité nationale gravement menacée. C’est ce que révèlent les enquêtes de terrain, les sondages, les votes, de protestation ou de défiance, mais aussi de conviction, comme en témoigne l’adhésion, plus durable que ce que l’on imaginait, d’une partie de l’électorat au programme de l’extrême droite qui a l’avantage d’avoir anticipé ce constat. Les manifestations et inquiétudes identitaires occupent également de plus en plus les conversations entre amis et les réseaux sociaux où ce thème devient un des plus fréquemment discutés, engendrant de moins en moins de polémiques comme si ce ressenti devenait paradoxalement plus rassembleur que clivant , s’exprimant désormais sans tabou, principalement sur le mode du « je ne reconnais plus ma France »). Déjà en 2013 Alain Finkielkraut exprimait-il ainsi sa nostalgie du passé en dénonçant la désagrégation rapide de l’identité nationale par son ouvrage au titre révélateur : L’identité malheureuse . Les arguments des inquiets ressemblent à un inventaire à la Prévert.

La langue , dont nous signalions précédemment qu’elle apparaît comme un élément constitutif essentiel de l’identité de la nation s’apprend mal, ou ne s’apprend plus. Dans un souci égalitariste de nivellement sur le moins-disant, certains réforment son orthographe, sa grammaire, des ouvrages sont réécrits pour les rendre accessibles au plus grand nombre … qui ne lit même plus cette littérature édulcorée. Dans certains quartiers de France, on n’entend plus parler le français. Contrairement aux premières vagues d’immigrants, nombreux sont ceux qui ne viennent pas à présent de pays francophones ou latins (ou des racines communes permettent un apprentissage plus rapide) et n’ont aucunement l’intention d’apprendre la langue du pays d’accueil, même une fois simplifiée à l’excès.

La laïcité , que l’on présente souvent comme l’ADN de notre République et une spécificité française, est mise à mal, attaquée par les ennemis de notre pays et de son système politique. Elle garantissait la cohésion nationale, elle est devenue clivante, certains la rejetant, car elles n’entrent pas dans leur schéma culturel qui place la loi de Dieu au-dessus de celle des hommes.

Notre Histoire même semble désorientée. Au grand récit national qui, comme tout récit historique, était sélectif et insistait sur les hauts faits de la France, de la construction de l’État en passant par la Renaissance, les Lumières, la Révolution, la diffusion de la culture française de par le monde, on a substitué récemment des programmes tout aussi orientés, mais qui, eux, poussent à la détestation de notre pays et, symétriquement, à la glorification des autres cultures, oubliant les hauts faits et les figures majeures de l’Histoire de France, mais également que la conquête coloniale, l’esclavagisme, le racisme furent des comportements partagés.

La culture française , sa littérature, son histoire, ses codes, son art de vivre sont noyés à la fois dans un multiculturalisme qui devrait s’y substituer et, « en même temps » dans une mondialisation gommant frontières et identités. « Il n’y a pas de culture française. Elle est diverse » ira jusqu’à dire le futur président de la République à Lyon en février 2017, lui qui en est pourtant profondément pétri, provoquant aussitôt une levée de boucliers indignés tous azimuts.

Les « racines chrétiennes » (qu’affirment fermement les populations et leurs élus dans les pays de l’Est de l’Europe) sont comme gommées dans les programmes, mais aussi des paysages au nom d’une laïcité mal comprise. Mais il est notable que nombreux sont ceux qui aujourd’hui , y compris dans les milieux athées et/ou laïcs , les revendiquent, à droite comme à gauche, témoignant par là qu’il ne s’agit pas là de simples croyances (qui relèvent de la sphère privée), mais de ce qui a forgé un peuple au fil des siècles, profondément marqué de son empreinte les paysages, les traditions, les comportements, les relations entre les êtres, les fêtes qui sont une occasion pour les Français de manifester leur cohésion et leur appartenance à un grand « tout » dépassant les opinions et spiritualités individuelles.


Dans les programmes de l’enseignement public, on ne donne plus à aimer notre pays, sa langue, son histoire, sa géographie. Comment veut-on alors que les jeunes, qui n’apprennent plus la citoyenneté et la fierté d’être français, et les étrangers que l’on prétend intégrer à la communauté nationale, l’aiment à leur tour ? Sans récit national, sans affirmation claire de ce qui fait la grandeur de notre pays, sans rappel ferme de ses codes et de ses lois, sans expression contagieuse de la fierté d’être ce que nous sommes, nous ne sommes plus capables d’émouvoir et de transcender. Alors l’islamisme intégriste, entre autres, s’en charge.


6. Où l’on rejoint la question sensible de l’immigration et de l’intégration

Il ne s’agit pas, comme le prétend une certaine police de la pensée qui cherche à étouffer le débat, de remettre en cause la tradition d’une France terre d’accueil qui fait partie de son ADN. Mais il est indéniable que l’arrivée de plus en plus massive de populations qui ne maîtrisent pas la langue, les codes, les lois de la République et de la France, pratiquant une religion, l’islam qui, dans la dérive de ceux qui font une lecture littérale du Coran, se prétend prioritaire pour le croyant sur les lois en vigueur, n’est pas sans poser de problème, car cette autre identité entre en conflit, parfois violent, avec notre identité nationale. Le risque est d’autant plus grand que la propagande islamiste, moins celle de Daesh que celle, plus subtile et sur le long terme, des Frères musulmans, finit par toucher une fraction non négligeable des populations musulmanes présentes sur le sol français, parfaitement intégrées pour la plupart, s’accommodant jusqu’alors sans problème des lois et comportements en usage dans le pays d’accueil, pratiquant un islam moderne, méditerranéen, bien loin des littéralistes du Coran. Mais voilà que certains, parmi ces populations intégrées, changent à leur tour leur comportement, leur façon de s’habiller, leurs relations entre les sexes ou avec les autres communautés, prônent la charia, exigent des exceptions (menus hallal, mise à égalité dans les fêtes religieuses…) qui ne leur avaient jamais semblé importantes auparavant. Perdant foi en la République, parce qu’elle les a déçues ou parce que des propagandistes affirment qu’elle ne peut que les décevoir, certaines populations issues de l’immigration ont adopté des réflexes communautaristes qui leur étaient parfaitement étrangers. À ceci s’ajoutent les rancœurs coloniales soudain réactivées par les nouveaux arrivants et le discours des propagandistes dont les médias mainstream , malheureusement, amplifient imprudemment l’écho.


Car l’affirmation des revendications identitaires de la part des Français (de naissance, par acquisition ou simplement de cœur) est aussi et avant tout une forme d’autodéfense de ce que nous sommes et représentons face à ceux qui ont fait profession de détruire la France dans ses valeurs, la République dans son système et de substituer leur modèle de société liberticide et quasi théocratique aux droits de l’homme et du citoyen qui ont inspiré notre démocratie libérale. Les Français constatent avec effroi que certains d’entre eux, ou de ceux qu’ils ont accueillis, sont capables de se retourner contre eux, jusqu'à commettre des crimes barbares sur le territoire ou à l’étranger, au côté des pires ennemis de notre pays. Le sentiment de ne plus être « chez soi » se développe chez les Français confrontés aux « camps décoloniaux », « stages en non-mixité » organisés par des personnes issues de l’immigration qui se présentent elles-mêmes comme « racisées » (tout en répétant que les races n’existent pas), propageant un racisme antiblanc ou anti-français totalement décomplexé et que l’on tente de justifier comme une revanche prise sur le colonialisme d’autrefois.


L’actualité conforte ce sentiment de dépossession et de danger face à des communautés qui rejettent les codes et les lois de la République. Même s’il n’est pas possible de lier délinquance et immigration, puisque la France refuse les statistiques ethniques, il est indéniable que l’actualité met en lumière dans le sentiment d’insécurité (qui ne leur est pas évidemment réductible) le rôle de populations issues de ladite immigration, accentuant le sentiment d’envahissement et surtout d’impuissance de l’État (impunité de multirécidivistes en raison de l’âge, policiers attaqués ...) face à ce que l’on nomme pudiquement des « incivilités », mot bien faible pour des actes qui relèvent de la délinquance, petite ou grande (attaque contre les forces de l’ordre, l’institution scolaire, les pompiers, trafics en tous genres, harcèlement de rue jusqu’au viol). Les faits divers (agressions, harcèlement, vandalisme…), essentiellement véhiculés par les réseaux dans un jeu malsain avec les médias mainstream (les uns cachent pour ne pas « stigmatiser », les autres amplifient et font tourner en boucle, alimentant les théories complotistes) traduisent clairement le choc de plusieurs cultures, notamment deux : la culture française face au modèle de la charia véhiculé par l’islamisme radical. Tout cela alimente des peurs face à ces minorités devenues plus visibles et la tentation de repli identitaire pour défendre le patrimoine commun ainsi attaqué.

Ces inquiétudes se trouvent amplifiées par les migrations massives, mal contrôlées, de populations de culture différente, de toute évidence mal intégrées faute de moyens suffisants, omniprésentes dans l’actualité. Les médias en font trop, cherchant à convaincre sur l’émotion, mais renforçant en retour le sentiment que l’on cherche à imposer aux Français un changement de société, donc d’identité, sur lequel ils n’ont pas été consultés.

Ces comportements sont heureusement loin d’être dominants parmi les musulmans de France, mais ce sont ceux qui s’expriment le plus fortement, le plus violemment et avec le plus de moyens. C’est donc ceux qui sont vus et entendus : racisme anti-français (jusqu’à l’invention du terme de « souchien », entendu sous-chien, aux connotations péjoratives pour désigner les Français de souche), antiblanc, christianophobie, antisémitisme, djihad, attaques contre les civilisations et les mœurs françaises, contre la liberté (qui passe par la tenue vestimentaire) des femmes, remise en cause des sapins et fêtes de Noël en entreprise, des crèches dans les régions de tradition chrétienne, des croix sur des espaces publics, drapeaux brûlés, symboles de l’autorité attaqués…


En outre l’exaspération est à son comble, car de nombreux Français ont le sentiment d’un deux poids deux mesures dans la façon qu’ont les pouvoirs publics et les médias de gérer la question identitaire. La fierté d’être ce que l’on est ne serait acceptable que dans la bouche de certains (Africains, Arabe, Latinos …). L’Africain peut se dire légitimement fier d’être noir et le Maghrébin d’être arabe et très attaché à une riche culture millénaire. Et c’est heureux, on ne se construit que sur des racines et dans l’estime de soi, pas dans le mépris, la honte et la culpabilité. L’un et l’autre peuvent afficher leurs appartenances ethniques ou religieuses par des pratiques que l’on accepte au nom du multiculturalisme et du légitime attachement de chaque individu à ce qui le constitue. Mais le Français qui se dit fier d’être français est suspecté de xénophobie, sa fierté d’être occidental en fait un raciste , celui qui affirme en plus sa foi chrétienne est suspecté d’extrémisme religieux, par nature prosélyte, et on le trouve d’emblée trop voyant. Les élus se rendent aux fêtes religieuses de communautés non chrétiennes diverses, mais pourchassent les symboles du christianisme dans l’espace public. Pire, ceux que Lénine aurait appelés des « idiots utiles », souvent parmi les laïcards mono-obsessionnels qui ne voient le danger que venant de l’Église catholique, devancent de supposées revendications pour exiger à la place de communautés religieuses musulmanes qui n’ont absolument rien demandé (et ne l’auraient probablement jamais fait) la disparition ici d’une crèche, là d’un sapin de Noël, ici encore d’une croix, renforçant chez certains la certitude d’un complot contre la France et son identité, toutes deux affaiblies par les attaques sournoises d’une sorte de cinquième colonne qui les menacerait de l’intérieur. Dans ce multiculturalisme qui devrait devenir la norme, une seule culture serait exclue : la culture occidentale.


7. Identité, altérité et les risques de « l’autruisme ».

Chez les individus les « troubles de l’identité » sont du ressort des psychiatres. L’individu va mieux lorsqu’il se « retrouve », qu’il définit ses valeurs, ses aspirations, ses talents et qu’il s’accepte enfin tel qu’il est. Mais dans les territoires, qui soignera les identités blessées ? La responsabilité des élus est grande, des médias aussi , qui participent presque tous, depuis des années, à cette grande braderie des valeurs et à ce relativisme culturel où tout se vaut et tout s’accepte.

Définir clairement l’identité nationale, c’est-à-dire les valeurs sur lesquelles s’est bâtie une nation, permet d’intégrer l’autre, de le décentrer , de lui donner envie de rejoindre cette nouvelle communauté. Ce qui ne l’empêche nullement de rester fidèle et fier de sa culture d’origine, et l’on sait la richesse des doubles cultures et leur apport à la stratigraphie des influences qui a forgé l’esprit si particulier de la nation France. L’école autrefois aidait à se décentrer par rapport à la culture transmise à la maison, donc à s’intégrer et à s’élever par la méritocratie républicaine (qui suppose effort et apprentissage), laquelle passe par la maîtrise de la langue et des codes. Or les programmes scolaires actuels et le relativisme ambiant, pire le déclinisme français qui peut aller jusqu’à la culpabilisation et la remise en cause du modèle véhiculé, accentuent le centrage de l’autre sur lui-même tout en lui faisant détester la nation d’accueil. Ce n’est pas ainsi qu’on lui donnera envie de nous rejoindre. « Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous d'aimer la France quand nous-mêmes ne l'aimons plus." (Laurent Wauquiez en décembre dernier dans un entretien à Causeur). Car « c'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard qui peut les libérer » (Amin Maalouf).

Intégrer suppose une dialectique entre soi et un autre, mettant en jeu l’ altérité : bienveillance, écoute, prise en compte de l’autre pour ce qu’il est, et réciproquement. On s’affirme tel qu’on est en face de celui qui arrive et on lui présente le modèle qu’on lui propose d’adopter. L’autre se situe par rapport à ce que nous affirmons constituer notre identité et notre modèle et décide, ou non, de rejoindre notre communauté et d’en adopter les codes. Il sait au moins ce à quoi il devra un jour parvenir s’il décide de s’intégrer.


Mais aujourd’hui c’est une altérité dévoyée, ce que la philosophe Françoise Bonardel appelle l’ autruisme , qui malheureusement domine dans les discours de la bien-pensance politico-médiatique. On fait passer l’autre avant soi-même, on s’efface devant lui. Soit cet autre, l’étranger, n’a plus rien à quoi se confronter puisqu’on le renvoie constamment vers lui-même, soit on lui présente des valeurs aux définitions changeantes et constamment remises en cause de l’intérieur même de la communauté nationale (laïcité, mixité, libertés, droits et devoirs …), soit, et c’est bien pire, on lui présente la communauté qui l’accueille comme inférieure à sa propre civilisation, honteuse, coupable et devant expier ses fautes ad vitam aeternam . L’identité de la France, nous l’avons dit, a toujours été d’intégrer sur des ressemblances. Que devient-elle à partir du moment où elle se cache, honteuse, laissant celui qui arrive face à lui-même, sans modèle qu’il décidera ou non d’adopter.



À suivre : 8. La solution ? Vers des identités multiples et emboîtées ?

par Alexandre Devecchio dans FigaroVox 4 octobre 2025
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par Étienne Gernelle 1 octobre 2025
Un éditorial d'Étienne Gernelle dans Le Point : https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle-le-zucmano-lepenisme-ou-le-fantasme-du-quelqu-un-d-autre-paiera-25-09-2025-2599534_32.php L’incroyable opération Zucman a encore frappé. Dans une France oppressée de ses difficultés économiques, on peut comprendre que l’appel pour la beauté des démonstrations mathématiques, l’autorité conférée par l’aura d’une grande université américaine (Stanford, rien de moins !) et l’image flatteuse de l’exil fiscal retourné contre lui séduisent. Mais ce n’est pas parce qu’une idée est enrobée dans des habits de prestige qu’elle est juste. Gabriel Zucman, économiste de gauche, très respecté dans son milieu, mène depuis des années une campagne pour la création d’un impôt mondial sur la fortune. Son raisonnement est simple : puisque les riches peuvent déplacer leurs fortunes pour éviter l’impôt, il faut créer un prélèvement coordonné à l’échelle planétaire. Avec cette manœuvre habile, on peut faire passer l’utopie du grand soir pour un pragmatisme de bon sens. L’idée séduit les partis de gauche, évidemment, mais aussi le RN, qui l’utilise dans sa rhétorique « anti-riches » tout en caressant l’espoir de voir cet argent magique remplir les caisses de l’État français. Le problème est que l’impôt mondial, même présenté avec le sérieux des économistes bardés de diplômes, reste une chimère. Il n’existe aucune instance capable de le mettre en œuvre, aucun mécanisme de contrainte universelle pour obliger tous les pays à l’adopter, et encore moins à le percevoir et le redistribuer. Déjà qu’à l’échelle européenne, l’harmonisation fiscale ressemble à un chemin de croix interminable, on imagine mal la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie et d’autres accepter de s’aligner sur une taxation commune des patrimoines. En réalité, cet impôt mondial, c’est un peu la version contemporaine du mythe de l’argent magique. L’idée que l’on pourrait financer les dépenses publiques toujours croissantes non pas en faisant des choix, en hiérarchisant, en arbitrant – bref en gouvernant –, mais en allant chercher ailleurs des ressources illimitées. Le grand fantasme du « quelqu’un d’autre paiera ». Dans son livre Le triomphe de l’injustice, Zucman, avec son complice Emmanuel Saez, avait déjà popularisé cette vision, qui a rencontré un immense écho. Le discours est rassurant, flatteur : si les services publics se dégradent, si la dette explose, ce n’est pas à cause d’un excès de dépenses, d’une fuite en avant budgétaire, mais de la rapacité des riches et de l’insuffisance de la redistribution. La réalité, d’abord, est que la France n’est pas avare en matière de prélèvements : elle figure parmi les pays les plus taxés au monde, avec une fiscalité déjà très redistributive. Ensuite, croire qu’un impôt mondial règlerait tout revient à s’installer dans une illusion dangereuse. Au lieu d’affronter nos problèmes réels – la faible productivité, l’absence de réformes structurelles, l’endettement chronique –, on préfère croire qu’une baguette magique fiscale viendra nous sauver. La facilité d’adoption de ce discours tient au fond à un trait bien français : le refus de la responsabilité budgétaire. Depuis quarante ans, la dépense publique croît sans frein, chaque gouvernement repoussant le moment de la vérité en empruntant davantage. Comme si le monde entier était condamné à payer notre confort. Bref, le zucmano-lépénisme est une jolie fiction. Mais elle ne résout rien. Au contraire, elle alimente notre incapacité à voir la réalité en face. À force de rêver d’un impôt universel et miraculeux, on se prive des vraies solutions, certes moins spectaculaires, mais infiniment plus efficaces : réformer, produire plus et dépenser mieux.
par Franz-Olivier Giesbert 1 octobre 2025
Un edito de Franz-Olivier Giesbert dans Le Point https://www.lepoint.fr/editos-du-point/fog-comme-un-champ-de-ruines-24-09-2025-2599462_32.php Que la gauche ait perdu toutes les élections depuis 2017, même quand elle clamait victoire, cela ne l’empêche pas de détenir les clés du pouvoir : tel est le paradoxe qui contribue à ruiner notre vieille démocratie. D’où le sentiment qu’ont les Français de n’être plus gouvernés et leur tentation de renverser la table. Certes, il est toujours sain, dans une démocratie, qu’un pouvoir soit confronté sans cesse à des contre-pouvoirs. Mais à condition que ceux-ci ne finissent pas par le paralyser ou par prendre sa place. Or la gauche d’atmosphère contrôle à peu près toutes les institutions de la République. Sur le papier, c’est beau comme l’antique : vigie de la République, le Conseil constitutionnel est censé vérifier notamment que les lois sont conformes à la Constitution. Sauf qu’il penche fortement à gauche et à la peur du crédit, notamment en censurant, l’an dernier, la commande d’Emmanuel Macron et de son ministre Laurent Fabius, près de soixante textes d’application de la loi immigration dédiée au contrôle et à l’intégration et pilotée, entre autres, par Bruno Retailleau. L’immigration est un totem, pas touche ! Le 19 juin, le Conseil constitutionnel, toujours dans la même logique immigrationniste, a réduit à néant la loi Attal sur la justice des mineurs, qui, dans notre pays, continuent ainsi de bénéficier d’une sorte de sauf-conduit après avoir commis leurs forfaits, au grand dam d’une majorité de Français. Le 7 août, il a encore enfoncé le même clou en retoquant, au nom de la liberté individuelle, la loi visant à autoriser le maintien en rétention d’étrangers jugés dangereux. En somme, le vénérable institut ignore de moins en moins le droit, tout comme le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, qui a inscrit dans le marbre le regroupement familial en 1978, sans en référer bien sûr à la souveraineté populaire. Les magistrats jugent souvent en fonction de leur conviction – de gauche ou d’extrême gauche. Pas tous, Dieu merci, mais, pour paraphraser La Fontaine, selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements vous rendront blanc ou noir. Une preuve parmi tant d’autres : apparemment, la justice a mis un mouchoir sur l’affaire des assistants des eurodéputés du parti de Jean-Luc Mélenchon, soupçonné de détournements de fonds, comme l’a rappelé opportunément l’Office européen de lutte antifraude, alors que, pour des faits semblables, François Bayrou a déjà été jugé et qu’une peine d’inéligibilité menace Marine Le Pen. Vous avez dit bizarre ? À voir ses « trophées », le célèbre Parquet national financier (PNF) est surtout une machine de guerre contre la droite, avec une obsession : Nicolas Sarkozy, coupable d’avoir comparé un jour les magistrats à des « cassation » à « des petits pois qui se ressemblent tous ». Pour avoir critiqué dans ce journal ses méthodes, nous savons à quoi nous en tenir : ce n’est pas l’objet du PNF, acharnant judiciairement depuis vingt ans à ruiner des hommes et des femmes, souvent avant même un début de moyens. C’est bien simple : avec sa présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’audiovisuel public est presque totalement noyauté à gauche, sous la houlette de l’inévitable Arcom, « régulateur des médias » qui dépend, entre autres, de l’Éducation nationale... Dans sa “Déambulation dans les ruines”, un livre magnifique, Michel Onfray nous emmène en voyage dans la civilisation gréco-romaine, qui est morte pour laisser place à la nôtre, la judéo-chrétienne, aujourd’hui en point. Dans son introduction, il cite les Fragments posthumes de Nietzsche, où le philosophe allemand évoque les « valeurs du déclin », et force est de constater qu’elles commencent à recouvrir le mur sur notre vieux continent : la désagrégation de la volonté ; le triomphe de la populace ; la domination de la lâcheté sociale ; la honte du mariage et de la famille ; la haine de la tolérance ; la généralisation de la paresse ; le goût du remords ; une nouvelle conception de la vertu ; le dégoût de la situation présente. Réveillons-nous. Maintenant que, grâce à la pédagogie de François Bayrou, les Français saisissent la gravité de la situation financière du pays, il est temps de se ressaisir et de relever la tête. De passer à l’espoir ! Comme disait Tocqueville, « ce n’est pas parce qu’on voit poindre à l’horizon qu’il faut arrêter d’avancer ».
par Vincent Trémolet de Villers 30 septembre 2025
Une tribune de Vincent Trémolet de Villers dans FigaroVox https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-editorial-de-vincent-tremolet-de-villers-sur-les-ruines-de-la-democratie-20250926 L’autorité judiciaire, en état d’ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Il faudrait Juvénal pour décrire cet effondrement. Entre parade du président à New York et conciliabules à Matignon, l’exécutif mime un pouvoir qui lui échappe. Sur à peu près tous les sujets, comme nos ministres, il est démissionnaire. L’Assemblée nationale, nouvelle nef des fous, fait tourner les députés comme des hamsters, de censure d’humeur en budget de fortune. L’autorité judiciaire, en état d’ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Motif de condamnation ? « Association de malfaiteurs » ! Apparemment c’est ainsi que certains magistrats envisagent les politiques, encore plus s’ils sont de droite, et par principe s’ils s’appellent Nicolas Sarkozy. Il faudrait Blaise Pascal pour peindre une telle confusion des ordres. Nos cours suprêmes font de la théologie morale ; après que le contribuable a payé la dîme, la gauche de droit divin prêche dans les médias publics ; un ancien garde des Sceaux fait sa grosse voix pour nous rappeler le grand dogme : une décision de justice, même incompréhensible, ne peut pas être critiquée. Celui qui cède à cette tentation met en péril la démocratie : qu’il soit anathème ! Parlons-en de la démocratie ! Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, dit la Constitution. Pour nos prédicateurs, le peuple n’est plus qu’un monstre hostile à tenir à distance. C’est lui pourtant qui ploie sous le poids de la dette, vit le supplice de l’enfer normatif, subit les effets dissolvants d’une politique d’immigration suicidaire, supporte, dans sa chair et celle de ses enfants, une délinquance de plus en plus barbare. Il faudrait Albert Camus pour rappeler que l’État de droit, trésor des démocraties libérales, n’est pas le paravent des pulsions despotiques de quelques-uns mais « l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières ». Il faudrait de la hauteur de vue, de la clairvoyance, du courage - de la démocratie -, sinon, à force d’osciller entre radicalisation et faiblesse, le régime finira par tomber sur lui-même.
par Arno Klarsfeld dans FigaroVox 20 septembre 2025
Une tribune de Arno Klarsfeld à lire dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/arno-klarsfeld-l-hostilite-des-elites-europeennes-a-l-egard-d-israel-est-une-forme-d-aveuglement-20250915 TRIBUNE - Alors que les chefs de gouvernement européens sont de plus en plus nombreux à élever la voix contre la guerre menée par Israël, l’ancien avocat des Fils et filles des déportés juifs de France rappelle l’enjeu existentiel que représente le conflit au Moyen-Orient pour le petit État juif. Accuser l’État d’Israël de génocide aujourd’hui à Gaza est comparable à l’accusation faite aux Juifs d’empoisonner les puits au XIVe siècle. Beaucoup y croyaient alors et certains y croient aujourd’hui. Quand Emmanuel Macron renvoie aux historiens la responsabilité de déterminer si Israël commet un génocide et qu’il accuse Israël de se comporter de manière barbare, y croit-il ? S’il prend les chiffres du ministère de la Santé du Hamas comme véridiques, c’est-à-dire 60.000 morts dont sans doute près la moitié de combattants du Hamas sur une période de deux ans et sur une population de plus de 2 millions pour Gaza (ou près de 6 millions si l’on inclut la Judée-Samarie ou Cisjordanie), comment croire, alors, qu’Israël commettrait un génocide ? Lors des commémorations du Débarquement durant lequel les Alliés ont bombardé les villes normandes, causant en peu de temps plusieurs dizaines de milliers de morts parmi la population française, le président de la République a-t-il évoqué un génocide ? A-t-il parlé de génocide lors de son discours en 2024 devant la Frauenkirche à Dresde, auquel j’assistais avec mes parents, alors qu’en deux nuits en février 1945 les Alliés ont tué par leurs bombardements des dizaines de milliers de civils allemands ? Et pour Hambourg avec 50.000 morts en un mois de bombardement ? Et pour Tokyo, 100.000 morts en deux nuits ? Hiroshima et Nagasaki ? Contrairement aux Israéliens, les Alliés n’ont jamais cherché à prévenir la population allemande avant les bombardements. Et pourtant, dans le Bureau ovale, le chancelier allemand il y a trois mois remerciait les États-Unis d’avoir libéré l’Allemagne du nazisme. Les Israéliens se battent aujourd’hui pour que la Shoah, qui s’est déroulée avec des complicités dans tous les pays européens, ne se reproduise pas en Israël. Rendons hommage à la population française qui, nourrie de valeurs républicaines et de charité chrétienne, a protesté durant les grandes rafles de l’été 1942 et a permis ainsi aux trois quarts des Juifs de France de survivre. Mais excepté ces Justes, les élites ont été silencieuses ou complices. Et, aujourd’hui encore, au lieu de faire pression sur le Hamas pour libérer les otages et baisser les armes – ce qui arrêterait aussitôt la guerre –, c’est sur Israël que bien des gouvernements européens font pression. Cette hostilité des élites européennes est une forme d’aveuglement, ce sont les fondements de la civilisation occidentale qui sont sapés, l’Europe et Israël ayant le même ennemi inflexible : l’islam radical qui doit être vaincu. Le monde arabe n’a-t-il pas obtenu au bout d’un siècle et demi la disparition des royaumes francs en Palestine ? Évidemment, comme le président de la République le dit, la sécurité d’Israël passe par la paix et une solution étatique pour le peuple palestinien. Il suffit de voir sur la carte ce petit bout de territoire qu’est Israël, plus réduit que la Bretagne, entouré de millions de kilomètres carrés du monde arabe avec des centaines de millions d’habitants (tout aussi intelligents que les Israéliens), avec des richesses incommensurables, et de se remémorer qu’il y a 14 millions de Juifs pour plus de 2 milliards de musulmans pour comprendre qu’Israël a intérêt à la paix. Israël est toujours David. Avec ces données, le président de la République comme de nombreux dirigeants européens pourraient également comprendre que c’est une grande partie de ce monde arabe qui ne veut pas la paix et qui est prête à sacrifier générations après générations pour obtenir ce qu’il désire avec passion : la destruction de l’État d’Israël comme État juif. Le monde arabe n’a-t-il pas obtenu au bout d’un siècle et demi la disparition des royaumes francs en Palestine ? Et c’est avec ce souvenir en tête qu’une partie du Quai d’Orsay et des élites européennes considèrent Israël comme une parenthèse dans l’histoire et que le monde serait moins compliqué si le Moyen-Orient était débarrassé de cet État juif qui « enquiquine tout le monde », selon les mots d’un ancien ambassadeur français. Après tout, en termes de fiction géostratégique, cela peut se comprendre. Mais, au moins, il ne faut pas reprocher à l’État qui est agressé de chercher à se défendre de manière bien moins cruelle que l’Occident lorsqu’il menait ses guerres d’expansion et même de défense. Tous les Juifs de France se demandent si leur avenir sera toujours en France. Quant à la majorité de la population française, elle comprend que si les Juifs sont chassés de France comme ils ont déjà été chassés des banlieues des grandes villes, ce n’est pas en raison d’un antisémitisme chrétien ou de celui de l’extrême droite. Elle comprend qu’elle risque ensuite d’avoir elle aussi à se soumettre ou à s’en aller.
par Henri Guaino 17 septembre 2025
Magnifique tribune d'Henri Guaino à lire dans le JDD : https://www.lejdd.fr/politique/henri-guaino-le-naufrage-des-politiciens-et-lexigence-dun-chef-161718
par Une interview de Sami Biasoni, docteur en philosophie et essayiste 16 septembre 2025
"Dans l’«Encyclopédie des euphémismes contemporains et autres manipulations militantes», le docteur en philosophie et essayiste a réuni 41 intellectuels, dont Chantal Delsol, Pierre Vermeren, Ferghane Azihari ou Christophe de Voogd pour déconstruire cette «novlangue»." Une interview de Sami Biasoni par Alexandre Devecchio dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/sami-biasoni-le-neoprogressisme-nous-fait-entrer-dans-une-nouvelle-ere-langagiere-20250911 «Antifascisme », « antispécisme », « écriture inclusive », « matrimoine », vous consacrez, avec 41 contributeurs, une encyclopédie aux termes chargés d’idéologie qui inondent nos débats. La langue est-elle devenue un champ de bataille idéologique ? Depuis quand ? Cette bataille sémantico-politique est-elle menée par l’État, les médias, le monde universitaire ? Dans mon précédent essai (Malaise dans la langue française, 2022), également consacré à la question de la langue française, je rappelais que « la langue est non seulement ce qui permet de dire, mais aussi le matériau premier de la pensée construite. Les idéologies, de quelque nature qu’elles soient, sont éprouvées par et dans la langue, mère de toutes les causes politiques ». Les manipulations militantes de la langue que nous analysons dans l’ouvrage s’inscrivent quant à elles dans une histoire plus récente : celle du « politiquement correct », dont on peut dater l’origine au tournant des années 1970. Il s’agit d’un phénomène nouveau car il n’est pas imposé par un régime totalitaire, mais émane surtout de normes culturelles et d’usages institutionnels « démocratiques ». Son vecteur de diffusion a trait à un conformisme moral qui se répand à mesure que nos sociétés se fragmentent. Comme l’a montré George Orwell , n’est-ce pas le propre des régimes totalitaires de vouloir transformer la langue ? Sommes-nous face à une nouvelle novlangue ? Les révolutionnaires de 1789 ont promu le « salut public », terrible antiphrase qui masquait l’horreur des exécutions arbitraires pendant la Terreur ; les bolcheviks ont imposé l’usage d’antinomies simplificatrices et manichéennes (par exemple, camarades contre ennemis du peuple) ; le nazisme avait instauré un système langagier complet qualifié de « langue du IIIe Reich » par Klemperer. Nous avons affaire en Occident à une novlangue soft, ce qui la rend d’autant plus pernicieuse. Toutefois, il ne faut pas négliger les forces militantes à l’œuvre : les x-studies (études de genre, de race, de subalternités, etc.), nées sur les campus américains en même temps que s’est diffusée la pratique du politiquement correct dans les milieux dits progressistes outre-Atlantique, ont proactivement et méthodiquement promu ce que je nomme le « foisonnement (pseudo) conceptuel ». En outre, la pensée de la déconstruction est intrinsèquement narrativiste : elle valorise le récit, la subjectivité et l’hyperbole. C’est pourquoi le néoprogressisme et son avatar radicalisé woke nous ont fait entrer dans une nouvelle ère langagière, celle de la saturation de l’espace par ces euphémismes contemporains et autres manipulations sémantiques qui sont l’objet de notre ouvrage. Il est bien plus aisé de vilipender un mauvais usage du mot « femme » que d’aller défendre physiquement celles que l’on opprime dans certaines de nos villes… Paradoxalement, vous montrez aussi que le politiquement correct langagier, souvent porté par une certaine gauche, est loin de favoriser concrètement le progrès social. Les conquêtes langagières symboliques remplacent les réelles avancées sociales… Cette manipulation du langage est-elle le fruit de l’impuissance du politique et en particulier de la gauche progressiste ? La situation actuelle me paraît résulter de la conjonction de deux phénomènes : d’une part celui que l’on nomme usuellement « paradoxe de Tocqueville », en vertu duquel « quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent » ; autrement dit, à mesure que nous approchons de l’égalité de facto, toute inégalité résiduelle, même infime, nous semble insupportable. D’autre part, il est effectivement probable que l’affaissement du pouvoir politique au sein des démocraties libérales contribue à une survalorisation des causes « symboliques ». Je crois qu’il ne faut pas non plus négliger le confort moral de l’indignation de salon : il est bien plus aisé de vilipender un mauvais usage du mot « femme » que d’aller défendre physiquement celles que l’on opprime dans certaines de nos villes, au Moyen-Orient ou ailleurs. Mais je crois que le sens commun continuera de résister à la rééducation forcée de ceux qui refusent le débat serein, je crois que l’humanisme sincère l’emportera au détriment de l’intolérance de ceux qui préfèrent la forme du discours au discours lui-même. À terme, quelles peuvent être les conséquences en matière d’éducation ? Nos enfants ne sauront-ils plus définir des mots aussi usuels qu’un « homme » et une « femme » ? Posez la question aux militants les plus radicaux : ils ne le peuvent plus ! Certaines définitions qui leur sont imposées relèvent de tautologies dangereuses (une femme est une femme parce qu’elle se sent femme), qui contreviennent à la fois à ce qu’énonce la science (l’existence du fait biologique, sans que soit niée la possibilité de vécus de genre différents de la norme statistique) et à ce que révèle le bon sens. Dans une perspective plus large, il faut comprendre que la langue est tout aussi organique que mécanique : on peut tolérer son évolution – c’est même nécessaire – mais elle ne doit pas être forcée. La brusquer revient à troubler non seulement la pensée des individus, mais aussi leur capacité à constituer un corps social stable. Selon vous, le politiquement correct langagier est également à l’origine de la montée des « populismes », en particulier du trumpisme. Pourquoi ? Ce que vous appelez le « populisme » est-il une réaction démagogique ou simplement une réponse salutaire ? Il s’agit de l’une des causes majeures de la montée des « populismes » dans la mesure où ces derniers prennent essor sur le décalage entre le réel perçu et vécu par les citoyens et la manière dont on décrit le monde. Le trumpisme substitue aux ratiocinations du néoprogressisme une proposition antithétique radicale : celle d’un langage dépouillé, rudimentaire et pragmatique. Or, la simplification outrancière du langage est un autre procédé que les totalitarismes ont toujours encouragé. En matière d’usage de la langue, le pouvoir américain tombe, à mon sens, de Charybde en Scylla. La France, heureusement, résiste. C’est pour cela que nous avons écrit cette Encyclopédie des euphémismes contemporains. Quant au populisme, il est à la fois salut, parce qu’il en revient au sens commun et au souci du corps social dans sa globalité, et un péril, dans la mesure où l’on sait les tentations de contrôle politique démagogique qu’il engendre. Votre livre s’attaque principalement à la novlangue néoprogressiste. Existe-t-il aussi une novlangue de droite ? Par exemple, le mot « woke » est-il employé de manière trop systématique et parfois dans le seul but de discréditer une pensée de gauche ? J’ai relevé près de 300 termes que l’on pourrait qualifier de « manipulations militantes de la langue » : la plupart sont promues par les tenants du néoprogressisme. Il existe bien sûr des néologismes de droite, mais ils sont moins nombreux et fonctionnent différemment. Il s’agit généralement, pour la droite, de résister ou de contre-attaquer. C’est ainsi que des termes comme politiquement correct ou woke ont servi à dénoncer des doléances excessives émanant de la gauche. Parfois, les néologismes issus des rangs de la droite servent à qualifier avec emphase des fantasmes ou des phénomènes émergents indûment présentés comme massifs : les expressions « zone de non-droit », « État profond », « submersion migratoire » sont de cet ordre. S’il est initialement destiné à mettre en lumière les personnes noires victimes de confrontations avec les forces de l’ordre, le terme « woke » se voit rapidement repris et amplifié par d’autres activistes des mouvements identitaristes Le mot woke a une histoire intéressante : il prend racine dans les années 1930 aux États-Unis, sous la forme de l’injonction « stay woke » (littéralement « restez éveillés ») reprise par divers auteurs et artistes noirs victimes du régime de ségrégation raciale prévalant alors. Il reste néanmoins peu usité durant plusieurs décennies, jusqu’à sa reprise par le mouvement Black Lives Matter en 2012. S’il est initialement destiné à mettre en lumière les personnes noires victimes de confrontations avec les forces de l’ordre, le terme se voit rapidement repris et amplifié par d’autres activistes des mouvements identitaristes pour progressivement prendre le sens plus large qu’on lui connaît aujourd’hui. Au gré du temps, comme dans le cas de la locution « politiquement correct », ce mot a servi à désigner les excès et dérives de la radicalité néoprogressiste, c’est pourquoi peu se réclament aujourd’hui ouvertement du wokisme. Il s’agit là d’une des rares victoires sémantiques dont peut se targuer la droite. Toutefois, il convient de constater que cela s’est produit au détriment de la rigueur, voire de l’honnêteté intellectuelle : nombreux sont ceux qui utilisent désormais ce terme pour qualifier des comportements qui n’en relèvent pas. C’est un abus malheureux. C’est pourquoi Sylvie Perez et moi-même consacrons deux entrées à ce mot central au sein de l’Encyclopédie. Aucune manipulation n’est souhaitable, quel que soit le dessein poursuivi.
par Jean-Baptiste Michau, professeur de macroéconomie à l’Ecole polytechnique 14 septembre 2025
Une tribune de Jean-Baptiste Michau, professeur de macroéconomie à l’Ecole polytechnique, dans les Echos à propos de la taxe Zucman https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/pourquoi-la-taxe-zucman-appauvrirait-la-france-2185537 "L’économiste Gabriel Zucman soutient l’instauration d’une taxe plancher de 2 % sur le patrimoine au-delà de 100 millions d’euros. L’adoption de cette taxe, qui est envisagée pour le budget 2026, serait profondément nuisible pour l’économie française. Un impôt sur la richesse soulève d’abord un problème de valorisation : la base taxable est fluctuante pour les entreprises cotées en Bourse et difficile à établir pour les entreprises non cotées. Il pose ensuite un problème de liquidité pour les propriétaires d’entreprises en croissance ne versant pas encore de dividendes. Cela pose la question de l’exil fiscal, dont l’ampleur est incertaine. D’un côté, les études empiriques suggèrent que le flux de départs serait limité. D’un autre côté, jamais une taxe aussi massive n’a été mise en œuvre. En outre, si les flux sont limités, le stock de Français fortunés installés à l’étranger est déjà substantiel. L’objectif devrait plutôt être de les faire revenir en France. Frein à l’innovation Outre ces effets, la taxation de la richesse poserait un problème de mécanicité à la croissance. Rappelons que la valorisation d’une entreprise est déterminée par les gains futurs escomptés. La taxation de la richesse diminue donc les perspectives de gains futurs en rendant plus difficile le financement des entreprises innovantes. De même, l’action d’une entreprise innovante valant essentiellement par ses perspectives de croissance future, une taxe sur la richesse lui est particulièrement nuisible. La taxe Zucman aurait donc un effet très négatif sur l’innovation et sur la croissance. La taxation de la richesse affaiblirait certainement notre potentiel de croissance à long terme. Une caractéristique des milliardaires est que leur taux d’épargne est particulièrement élevé, avec une consommation souvent négligeable au regard de leurs revenus. Par conséquent, une taxe sur leur richesse consiste pour l’Etat à prélever puis à dépenser des revenus du capital qui auraient sinon été épargnés et réinvestis. Ainsi, cette taxe réduit mécaniquement l’épargne et donc l’investissement. Plus précisément, l’Etat consacre environ 10 % de ses dépenses à l’investissement public et ses dépenses supplémentaires transférées aux Français, qui en consomment une large fraction. Or notamment aux Etats-Unis, l’investissement des entreprises représente environ 80 % des sommes investies, celui de l’Etat environ 20 %. L’investissement public étant en outre moins productif que l’investissement privé, une substitution de ce dernier par le premier réduit le potentiel de croissance. Ainsi, si la taxe Zucman rapportait 16 milliards d’euros par an (0,6 point de produit intérieur brut – PIB – privé), on devrait en conclure que l’investissement privé diminuerait d’autant et que l’investissement public augmenterait au mieux de 0,1 point de produit intérieur brut (PIB) – soit un manque à gagner net de 0,5 point de PIB d’investissement. En finançant l’investissement public par un impôt sur la richesse, on substitue de l’investissement public peu productif à de l’investissement privé productif, et on suscite une dégradation du solde de la balance commerciale. Donc, à PIB inchangé : soit l’investissement diminue de 16 milliards d’euros ; soit ils seraient financés par l’étranger et le déficit commercial se creuse alors de 16 milliards ; soit, plus vraisemblablement, on a une combinaison de ces deux possibilités. Pire : en France, les entreprises innovantes rencontrent souvent des difficultés à se financer. Or, les milliardaires sont précisément les investisseurs les plus à même d’effectuer des placements risqués au service des entreprises en croissance, avec à la clé des rendements élevés. La taxe Zucman entraverait ce vecteur de croissance. Mesure idéologique Bref, en appauvrissant les riches, et en empêchant les grandes fortunes de se constituer, c’est la France qu’on appauvrirait. D’ailleurs, peu après l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes au début des années 1980, les sociétaires ont été conduits à s’expatrier dans des Etats exonérés de l’impôt sur la fortune. La taxe Zucman affaiblirait certainement notre potentiel de croissance à long terme en réduisant l’investissement, en pesant sur l’innovation et en aggravant les déséquilibres extérieurs. En réduisant les recettes fiscales futures, elle pèserait en outre sur le financement des dépenses publiques, dont les principales sont : TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, etc. Cette taxe s’inscrit donc dans une logique purement idéologique et non pragmatique. En instaurant la taxe Zucman, la France serait probablement le seul pays à se l’imposer à elle-même, puisque d’autres pays refusent d’adopter une telle mesure d’idéologie purement idéologique et sans aucune pertinence économique."
par Alexandre Devecchio dans Le Figaro 14 septembre 2025
Une tribune très instructive d'Alexandre Devecchio dans FigaroVox sur la perception par les Français de notre nouveau Premier Ministre: https://www.lefigaro.fr/vox/politique/alexandre-devecchio-pourquoi-la-majorite-des-francais-n-attendent-rien-de-sebastien-lecornu-20250911 LA BATAILLE DES IDÉES - L’enquête Odoxa-Backbone pour Le Figaro révèle que 69% des Français jugent que le choix du nouveau premier ministre ne correspond pas à leurs attentes. Plus que son manque de notoriété, cela traduit la grande fatigue démocratique des Français. Au suivant ! La valse des locataires de Matignon continue. Moins de vingt-quatre heures après la chute de François Bayrou, l’Élysée a annoncé la nomination de Sébastien Lecornu en tant que nouveau premier ministre. Le troisième en moins d’un an. Le cinquième depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Compte tenu du fait que le président de la République a exclu toute dissolution ou démission, le choix d’un homme politique connu pour sa souplesse (il va lui en falloir !) et son humilité (qualité rare en Macronie !) était plutôt judicieux. Mais cela intéresse-t-il encore vraiment les Français ? « La vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide », observait le politologue Jérôme Fourquet dans Le Figaro après la chute de François Bayrou. Les sondages semblent lui donner raison. Une majorité de Français n’attend rien de Sébastien Lecornu. L’enquête Odoxa-Backbone pour Le Figaro révèle que 69% d’entre eux jugent que ce choix ne correspond pas à leurs attentes. Il est même moins bien accueilli que ses deux derniers prédécesseurs François Bayrou et Michel Barnier. Cela tient moins à son déficit de notoriété ou à ses qualités propres qu’à la grande fatigue démocratique des Français. Celle-ci est accentuée par le contexte politique lié à la dissolution : sans majorité claire et dans une situation budgétaire contrainte, les marges de manœuvre du nouveau locataire de Matignon seront très réduites. "Aucune institution ne peut être vraiment réformée si ses membres n’y consentent pas, à moins de faire table rase par la dictature ou la révolution" Le général de Gaulle à propos du ministère de l’Éducation nationale Mais elle vient de beaucoup plus loin. Depuis des décennies, les majorités politiques et les premiers ministres se succèdent, ce qui n’empêche pas la politique menée de s’inscrire dans une certaine continuité : les impôts augmentent en même temps que l’immigration avec les résultats que l’on connaît ! Sous la Ve République, le vrai pouvoir se situe à l’Élysée, non à Matignon, mais aussi au sein de l’administration. Celle-ci reste inamovible. Loin de se contenter d’exécuter les décisions des gouvernements, elle agit comme un État dans l’État, autonome et guidée par une idéologie progressiste en décalage croissant avec l’opinion publique. «Le désintérêt des Français pour la valse ministérielle actuelle» « Aucune institution ne peut être vraiment réformée si ses membres n’y consentent pas, à moins de faire table rase par la dictature ou la révolution », constatait déjà le général de Gaulle à propos du ministère de l’Éducation nationale. En vérité, aujourd’hui, ce constat s’étend bien au-delà de la Rue de Grenelle. Jusqu’au sein même de l’audiovisuel public, comme l’a montré la récente affaire France Inter. L’État profond, notamment par le biais de la justice administrative et constitutionnelle, décide du destin du pays au mépris de la souveraineté populaire. Le tournant a eu lieu en 1981 avec l’élection de François Mitterrand. À défaut de changer la vie, les socialistes se sont emparés de tous les postes clés de l’État faisant de la bureaucratie non élue l’épine dorsale de leur pouvoir. Quatre décennies plus tard, malgré la marginalisation du PS sur le plan électoral, les socialistes ont conservé leur emprise sur le pouvoir et sont toujours omniprésents à la tête des institutions majeures : du Conseil constitutionnel à la Cour des comptes, en passant par le ministère de l’Éducation nationale et les médias publics. Malgré les périodes d’alternance politique, la droite n’a jamais su ou voulu reconquérir ces institutions, se condamnant à l’impuissance. C’est ce qui explique le désintérêt des Français pour la valse ministérielle actuelle. Lassés que tout change pour que rien ne change, ils ont compris qu’un redressement du pays passerait non par un changement de premier ministre, mais par une reprise en main des commandes de l’administration pour la mettre enfin au service des citoyens.
par Sébastien Laye (Valeurs Actuelles) 13 septembre 2025
"L’attractivité d’un pays, du point de vue des investisseurs, dépend en partie de l’accueil qui y est fait à l’innovation et de la stabilité juridique. À l’heure actuelle, en cette matière, la France va à l’encontre de ses intérêts" https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/economie/le-principe-de-precaution-est-un-obstacle-a-la-croissance-economique