Nationalisme corse et identités régionales
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En France le problème corse est revenu au cœur de l’actualité avec l’incontestable victoire des nationalistes en décembre aux élections pour la nouvelle collectivité spécifique entrée en fonction le 1er janvier 2018, puis début février avec le voyage du président Macron sur l’île et sa fin de non-recevoir à la plupart des revendications qui lui ont été présentées. Où en sont les Corses ? Que veulent-ils ? Que veulent-ils encore ajouteront certains ? Un scénario à la catalane, avec le référendum pour l’indépendance et le bras de fer avec l’État espagnol, est-il possible ici ? Nous avons achevé le précédent article consacré à l’identité de la France (à consulter en cliquant ici ) sur l’idée d’identités emboîtées, du local à l’Europe, complémentaires et qui ne s’excluraient pas. L’identité corse peut-elle s’affirmer sans mettre en péril le caractère « un et indivisible » de la République française ? Le problème est complexe et demande une analyse dépassionnée, bien loin de la vision manichéenne et caricaturale qu’en donnent, depuis des années, les médias obsédés par le sensationnalisme ainsi que de nombreux politiques qui peinent à dépasser les incantations (République, indivisibilité…), les postures méprisantes, les rancœurs héritées de la violence terroriste du FLNC contre les intérêts continentaux et leurs craintes d’affaiblissement de l’État central.
Un constat : le renouveau des revendications régionales.
Un peu partout en Europe on assiste en effet à la montée de revendications identitaires à l’échelle régionale : Catalogne, Corse, Écosse, Italie du Nord, Flandre... Des coalitions regroupant partisans d’une autonomie approfondie et indépendantistes gagnent les élections locales, des référendums légaux (Écosse) ou non reconnus (Catalogne) sont organisés en vue d’obtenir l’indépendance. En Espagne on pensait les revendications progressivement éteintes depuis que la Constitution de 1978 avait donné de larges prérogatives aux « autonomías » aux identités marquées, mais le grave conflit entre la majorité nationaliste élue à la Generalitat suite au referendum d’autodétermination d’octobre 2017 et l’État espagnol montre qu’il n’en est rien. De même les tensions et provocations, de part et d’autre, qui ont accompagné le voyage du président Macron en Corse sont révélatrices du malaise et de l’incompréhension persistante entre pouvoir central et élus locaux.
Certes, tous les mouvements indépendantistes ont renoncé, les uns après les autres en Europe, à la lutte armée : en Catalogne Terra Lliure a abandonné les armes dès 1991, l’ETA a déposé officiellement les siennes en 2011 au Pays basque, le FLNC en a fait de même en Corse en 2014. On est bien loin des années 1970-1980 quand le nationalisme s’exprimait au travers de règlements de comptes, de mouvements terroristes, de bombes et d’assassinats politiques, le dernier en date étant celui du Préfet Érigna c en Corse le 6 février 1998. De cette époque ne restent que quelques prisonniers purgeant leur peine, que les États centraux considèrent comme relevant du droit commun et que les forces nationalistes revendiquent en tant que prisonniers politiques. Cet abandon de la violence correspond de fait à de réelles avancées institutionnelles, issues d’un dialogue renoué dans un cadre démocratique et que nous évoquerons plus tard.
Bien évidemment le sentiment identitaire ne date pas d’aujourd’hui ni même d’hier et repose sur le sentiment d’appartenance à une nation (au sens démographique, sociologique et historique du terme), qu’il faut distinguer de la nation (pays) au sens de laquelle le territoire régional est englobé. Pour éviter la confusion avec l’échelle de la France, on qualifie parfois de « régionales » les revendications nationalistes dans des régions historiquement dotées d’un fort sentiment d’appartenance (Corse, Catalogne). Rappelons qu’une nation rassemble des personnes, généralement sur un même territoire (même si une nation peut être diasporique), qui partagent entre elles un passé commun, une langue, une culture propre, souvent une religion et, dans le présent, « le consentement mutuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l’héritage que l’on a reçu indivis » pour reprendre une définition d’Ernest Renan. Cette définition est évidemment indissociable de la notion de peuple . La nation ajoute à l’idée de peuple la délimitation d’un territoire historique, des institutions ou, à défaut, la volonté de construire quelque chose ensemble pour conserver un certain nombre de valeurs, un patrimoine culturel, architectural, juridique, des pratiques, des coutumes. À ce titre, il est indéniable que les Corses, les Catalans, les Écossais, les Flamands furent et restent des nations, seule « l’identité padane », parmi ces courants nationalistes qui se font entendre aujourd’hui, semble être une construction récente (XXe siècle) de la Ligue du Nord (devenue la Ligue pour dépasser son périmètre historique) [i].
Nier la spécificité de la Corse et que ses habitants forment un peuple bien particulier, sur le prétexte que l’île est une collectivité territoriale française, c’est faire peu de cas de l’histoire et de la géographie, et se laisser aveugler par l’idéologie ou la rancœur héritée des temps où des militants indépendantistes armés défiaient la République, cagoulés et armés, tout en posant des bombes contre les intérêts continentaux. Difficile en effet d’oublier également, vingt ans après, le traumatisme face à la forfaiture impardonnable que fut, y compris pour de nombreux Corses, l’assassinat d’un préfet pour le seul motif qu’il incarnait par sa haute fonction la présence de l’État français sur l’île. Mais, quoi que l’on pense des revendications autonomistes ou indépendantistes, quelles que soient nos sympathies ou antipathies pour cette région longtemps « remuante » et frondeuse, cela ne doit pas conduire à des dénis de réalité qui empêchent tout dialogue constructif.
Géographes et sociologues peuvent témoigner que, comme toute île, sauf celles qui sont aisément reliées à un continent, la Corse a créé une civilisation originale qui est le syncrétisme de plusieurs influences, ce que Anne Meistersheim [ii] dans ses travaux sur le fait insulaire nomme la « dialectique de l’ouverture/fermeture » : une île est ouverte sur le monde, elle fut une étape sur les routes maritimes, recevant ainsi de nombreuses influences. Mais elle peut également se refermer sur elle-même, surtout quand il s’agit d’un espace montagneux, de faible superficie, et construire, au fil du temps, par synthèse des diverses influences, une civilisation originale à celle du continent lorsqu’il s’agit d’un espace intégré à un État plus ou moins lointain. Toutes les approches phénoménologiques, transdisciplinaires, s’appuyant sur le vécu des insulaires et l’expérience externe des continentaux, montrent la solidarité de fait entre les habitants, un lien social très vivant, des lois particulières fondées sur un code de l’honneur (toutes les îles méditerranéennes furent ainsi longtemps des régions de vendetta), des pratiques et coutumes spécifiques, un fort attachement au territoire et à ses spécificités, à la transmission de ce qui fait l’identité îlienne, et souvent une langue spécifique qui n’est pas un patois et a survécu aux multiples influences extérieures. Et de fait la Corse n’est française que depuis 1769, quand elle fut conquise militairement après 4 siècles de rattachement à la République de Gènes et quelques décennies d’indépendance au cours desquels elle mit en application la première constitution démocratique de l’Histoire, accordant même le droit de vote aux femmes en 1755 ! L’Université de Corse (à Corte) fut d’ailleurs pionnière dans l’étude des spécificités des espaces insulaires, mettant en évidence une triple caractéristique : l’insularité (ce qui caractérise un espace entouré par la mer, généralement montagneux, avec des coûts liés à l’éloignement, une économie particulière…), l’iléité (les coutumes, la vie quotidienne, le lien social, le fait d’être et de se sentir un îlien) et l’insularisme (une certaine propension à la révolte et aux revendications, la capacité à se soulever contre l’État central quand une île est rattachée administrativement à un espace exogène).
Ces caractéristiques s’appliquent à la Corse, il faudrait être aveugle ou de bien mauvaise foi pour le nier et faire semblant de croire que, parce que la collectivité relève administrativement de la République française, elle en aurait perdu de facto toute spécificité et que son identité particulière se serait effacée.
Les causes de ce renouveau régional sont multiples.
De façon générale cette progression des revendications régionales [iii] et leur durcissement récent peuvent être mis en relation avec plusieurs facteurs et il faut bien en prendre conscience afin de se convaincre que cette affirmation des nationalismes locaux est une réalité, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire.
D’une part la réaction à la mondialisation et l’homogénéisation des modes de vie, des paysages, la disparition de traditions locales, la crainte de l’extinction de langues locales faute de nouveaux locuteurs, l’ouverture des frontières et la mobilité résidentielle produisent à toutes les échelles un retour aux « racines », la volonté de s’ancrer dans un territoire, une culture, une histoire, de préserver les héritages du passé, de réactiver une identité propre. À cet égard le renouveau des nationalismes, qui dès les années 1980 a fait éclater des États comme la Yougoslavie qui fédérait plusieurs « nations » n’est qu’une traduction parmi d’autres (citons le renouveau des parlers et langues locaux, les régionalismes, le retour des produits à l’ancienne, le succès de la littérature du terroir…) de cet ancrage identitaire dans le local face à la perte de repères collectifs et individuels.
D’autre part le déclinisme français, les programmes scolaires qui n’enseignent plus la fierté d’appartenir à une patrie glorieuse, l’essor d’un communautarisme clivant ont effrité peu à peu le sentiment d’appartenance national et, par contrecoup, renforcé les mécanismes d’identification à des repères locaux.
En outre la réaction parfois rigide, à certaines périodes de l’histoire récente, des États centraux à toute demande d’approfondissement de l’autonomie n’ont fait que cristalliser le mécontentement et cela d’autant plus que les populations concernées ont l’impression qu’il y a véritablement deux poids deux mesures dans la prise en compte du sentiment identitaire. Sur le plan interne en effet les mêmes élus ou leaders politiques qui acceptent l’affirmation visible (par exemple par le vêtement) d’autres modes de vie et croyances, des entorses multiples aux lois de la République de populations d’origine exogène au nom d’un relativisme culturel très permissif sont souvent ceux qui se montrent les plus intransigeants envers les revendications identitaires de leurs propres minorités historiques (corses, basques, catalanes…). Sur le plan extérieur on félicite de même les Kurdes pour un référendum sans bases légales quand on le reproche aux Catalans, suscitant un profond sentiment d’injustice et un immense élan de solidarité pour la Catalogne espagnole chez les autonomistes et indépendantistes de régions françaises à forte identité. La France, reconnaîtrait aux autres peuples ce qu’elle refuse à ses propres minorités nationales. Pour se faire entendre, il s’agit donc de demander le plus pour obtenir au moins quelque chose. C’est ce qu’il s’est passé en Catalogne où nombre de votants, autonomistes, disent avoir soutenu l’indépendance pour faire pression sur l’État central face au blocage et au refus de dialogue depuis 2010 mis en place par le Partido popular.
En Corse les mêmes causes produisent les mêmes effets qu’ailleurs. Il est d’ailleurs amusant et (en apparence) paradoxal que le sentiment d’une démission de l’État central sur les questions identitaires ait fait des Corses au cours de l’été 2016, à la fois dans ce qu’ils exprimaient et dans le regard de nombreux continentaux, les défenseurs de l’identité nationale française lors de mouvements de protestations « musclés » face à des provocations et une agression islamiste sur la plage de Sisco, entraînant un arrêté municipal interdisant le burkini. Ce genre de réaction collective, épidermique, immédiate et identitaire, était présenté jadis par les médias comme une manifestation de xénophobie voire de racisme d’une île fermée sur elle-même hostile à toute modernité. Aujourd’hui elle est vécue par beaucoup au contraire comme un attachement aux valeurs laïques et une défense de l’identité et des modes de vie occidentaux face aux partisans de la charia. Les réseaux sociaux ont largement contribué à restaurer l’image de la Corse et à tempérer la présentation caricaturale de l’île par les politiques et les médias, incapables d’expliquer la complexité de ce territoire particulier et de sortir d’un manichéisme réducteur.
Rappelons que de très nombreuses revendications corses ont été satisfaites depuis les années 1980. La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région corse , complétée par la loi du 30 juillet 1982 relative aux compétences a été suivie par la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse qui fait de l’île l’exemple unique d’une collectivité territoriale qui n’était plus une véritable région mais qui restait malgré tout régi par le droit applicable aux régions, sauf dans tous les cas où existait une disposition spécifique. La loi du 22 janvier 2002 lui a donné des compétences nouvelles sans en modifier le statut. Et le 7 août 2015 la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République comporte plusieurs nouvelles dispositions : la Corse n’est plus qualifiée de « collectivité territoriale », mais de « collectivité de Corse ». Enfin, à compter du 1er janvier 2018 la Corse est devenue une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution qui remplace à la fois les deux conseils départementaux et l’actuelle collectivité territoriale. C’est qu’à partir de la présidence de François Mitterrand, en particulier avec Pierre Joxe ministre de l’Intérieur (pourtant particulièrement jacobin mais qui eut une compréhension particulièrement éclairée du problème corse), il y eut une réelle volonté politique de traiter un problème lui-aussi avant tout politique, que l’on déclinait ensuite en termes juridiques et constitutionnels, ce qui faisait apparaître des limites dans la concrétisation des décisions (comme avec la notion de « peuple corse », proposée par Pierre Joxe mais rejetée par le Conseil Constitutionnel). Ces précisions méthodologiques ont toute leur importance car l’on verra un peu plus tard que la démarche actuelle du Président Macron est inversée, partant d’arguties juridiques qui empêchent de considérer le problème sur le plan politique.
La situation n’était donc pas bloquée, ce qui explique d’ailleurs que les revendications politiques passent aujourd’hui par la voie légale de l’élection et non plus, comme autrefois, par la violence terroriste. Alors comment comprendre aujourd’hui les nouvelles revendications corses, à la fois institutionnelles et sociétales, présentées comme une surenchère par certains ?
Il y a déjà le fait que les nationalistes, alliés au sein de la coalition Pè a Corsica , ont obtenu une victoire indiscutable (56,5 %) aux élections de décembre 2017 pour la nouvelle collectivité territoriale unique qui a vu le jour au 1er janvier 2018, réunissant les deux courants rivaux, les autonomistes autour de Gilles Simeoni (élu président de l’Exécutif de Corse) et les indépendantistes avec Jean-Guy Talamoni (président de l’assemblée de Corse). Le programme est clair : « obtenir sous trois ans un véritable statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice et de le mettre en œuvre en dix ans », reconnaissant que l’indépendance, que tous les membres de la coalition ne demandent évidemment pas, est dans « l’imaginaire collectif » mais qu’elle n’est pas d’actualité. Les « natio » Corses, depuis le renouveau du nationalisme local dans les années 1960, se sont toujours vu conseiller par les politiques continentaux d’user d’abord de la voie légale pour porter leurs revendications, ensuite de se faire élire dans les assemblées représentatives. On en reparlerait après. Or c’est fait. Forts de cette nouvelle onction du suffrage universel, les deux présidents ont engagé un dialogue depuis cet été avec Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, et avec le Président du Sénat Gérard Larcher.
Ensuite, comme on l’a rappelé précédemment, le renouveau des nationalismes est un phénomène mondial face à ce qui est perçu comme une double menace, la mondialisation qui homogénéise les identités et les provocations islamistes qui touchent également l’île dans une moindre mesure que sur le continent.
En outre la révision constitutionnelle de 2003 a accordé de très larges statuts d’autonomie à d’autres collectivités en Outremer (statut ex generis pour la Nouvelle Calédonie avec compétence pour adopter des « lois de pays », compétences à la carte pour les autres), permis quelques « entorses » aux lois républicaines dans certains territoires, prix du maintien dans la République (rois à Wallis-et-Futuna, polygamie à Mayotte). Les Corses demandent donc une inscription spécifique et séparée de la collectivité dans la Constitution. Parallèlement ils mettent en avant la comparaison avec d’autres espaces insulaires en Europe qui bénéficient d’un plus large statut d’autonomie (Sardaigne, Sicile, Baléares, Canaries et Madère). L’idée soutenue par de nombreux juristes (non corses) est celle d’un nouveau statut hybride qui donnerait davantage d’autonomie à la collectivité à l’instar de ses voisines méditerranéennes et des territoires français ultramarins (notamment sur le foncier, la fiscalité et la langue ) mais qui ne contreviendrait pas au principe « d’indivisibilité de la République ».
A ces considérations institutionnelles s’ajoutent des revendications que l’on pourrait qualifier de sociétales, celles qui ont directement un impact sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Il en est ainsi de l’amnistie réclamée pour ceux que les Corses considèrent comme des « prisonniers politiques » (des prisonniers suspectés d’être mêlés à des affaires de terrorisme) ou à défaut d’un « rapprochement familial » par une incarcération locale pour faciliter la visite des proches. La langue corse est également un point de discorde fondamental avec Paris : les nationalistes demandent sa coofficialité sur le territoire, notamment l’autorisation d’employer le corse à égalité avec le français dans les collectivités locales, l’enseignement, le droit insulaire, etc. Le bilinguisme serait obligatoire à l’école et un rapport de l’exécutif préconise même une obligation statutaire de formation en langue corse pour les fonctionnaires, agents publics et personnels des médias. Les Corses souhaitent également la création d’un statut de résident pour lutter contre la spéculation immobilière et de voir l’île envahie par des résidences secondaires et les locaux, dans l’incapacité d’acheter, contraints de partir sans espoir de retour. On rejoint ici les revendications institutionnelles : empêcher les gens qui en ont les moyens d’acheter en Corse au détriment des insulaires serait évidemment une discrimination, donc contraire à la Constitution, sauf si l’on y insère un dispositif spécifique pour la Corse, ce qui est précisément demandé.
Une situation qui semble bloquée
Du côté corse de nombreux espoirs avaient été placés dans la récente visite du Président Macron sur l’Île. Hélas, malgré de timides avancées, la situation paraît bloquée. Le Président avait choisi manifestement des symboles (la date anniversaire de l’assassinat du Préfet Érigna c il y a vingt ans ; se faire accompagner de Jean-Pierre Chevènement, un des plus fermes opposants à l’autonomie corse et qui avait même démissionné en 2000 en raison de son hostilité aux accords de Matignon [iv] ; assister à une cérémonie d’hommage au préfet avant même de rencontrer les élus nationalistes de l’île) auxquels a répondu un autre symbole (le refus initial d’installer le drapeau français aux côtés des drapeaux corse et européen). Aujourd’hui le paradoxe est qu’au moment où le fait politique s’est renforcé, on ne prend plus en compte la spécificité de l’île. Si on compare avec d’autres périodes de discussions entre la Corse et l’État que ce soit en 1982 avec Mitterrand, en 1989 avec Joxe, en 1998-2002 avec Jospin, il y a eu, à chaque fois, d’abord un cadre et une volonté politiques qui révélaient l’acceptation claire par l’État de l’existence d’une spécificité corse. Ensuite on tentait de décliner ces avancées en termes juridiques et constitutionnels. Aujourd’hui on ergote au contraire sur des difficultés juridiques en pinaillant sur des mots : peut-il y avoir plusieurs peuples (dont le peuple corse) au sein d’un peuple (le peuple français) ? Pierre Joxe voulait l’inscrire dans la Constitution, le Conseil d’État avait rejeté cette proposition au nom de l’indivisibilité de la République : une nation, un peuple [v]. Vingt-cinq ans après, on revient et on bloque sur cette question purement sémantique en l’enrobant de grands principes incantatoires ! A l’heure où les nationalistes corses ont obtenu une écrasante majorité par les urnes, le gouvernement inverse la question et ne pose plus le problème en termes politiques mais insiste sur des difficultés techniques et juridiques , posant des préalables et des lignes rouges infranchissables. C’est un dialogue de sourds qui révèle d’une part l’absence de prise en compte du fait politique corse par le Président de la République et sa méconnaissance du dossier, non pas parce qu’il serait incapable de le comprendre mais parce que, de toute évidence, cette échelle locale ne l’intéresse pas. Son attitude cassante lors de sa venue sur l’île démontre clairement qu’il n’y a pas de volonté politique de situer le dialogue en cours à la hauteur des enjeux. C’est le triste constat fait par les nationalistes, principalement par Gilles Simeoni, parlant « d’occasion historique manquée » de faire avancer conjointement les revendications corses tout en inscrivant l’île plus fermement dans le cadre de la République française.
Certes le problème n’est pas simple. Bien évidemment beaucoup, à commencer par nos dirigeants, craignent que la reconnaissance d’identités locales affaiblisse le sentiment d’appartenance à la nation, déjà fort mal en point. Or l’on sait que, face aux multiples menaces qui pèsent sur nos États (terrorisme, déclassement économique…), l’échelle nationale doit être plus que jamais renforcée. À ceci s’ajoute le fait que la reconnaissance de micro-États affaiblirait des économies nationales déjà en crise. En effet les territoires « sécessionnistes » sont souvent riches (mais pas toujours, comme le montre l’exemple corse) et, à ce titre, contribuent à la solidarité nationale bien plus qu’ils n’en reçoivent, et cela sans contrepartie en termes d’approfondissement de l’autonomie. C’était notamment le cas des Catalans qui non seulement n’ont rien obtenu en termes d’autonomie fiscale ou de reconnaissance symbolique au niveau de la Constitution mais qui, en outre, ont vu reculer certains de leurs droits spécifiques reconnus par l’ Estatut de 2006, supprimés en 2010. Enfin le morcellement de l’Europe en États nouveaux rendrait tout accord majoritaire de plus en plus difficile. Et à l’heure où l’on parle de mettre en place une défense européenne, elle n’en serait que plus compromise par l’indépendance de petits territoires dont on sait que la défense n’est pas une dépense prioritaire et qu’ils délèguent cette compétence aux États les plus puissants.
Le maintien du dialogue est nécessaire
Au-delà des ressentiments (et l’auteur de cet article a toujours du mal à oublier les groupuscules cagoulés défiant la République et le traumatisme de l’assassinat d’un préfet de la République) et des convictions personnelles (à dominante jacobine ou girondine, pour reprendre la vieille opposition politique), l’honnêteté intellectuelle oblige à dépasser le manichéisme, à tenter de penser la complexité et à agir avec pragmatisme dans la recherche du Bien commun.
La réaffirmation de l’identité nationale et des valeurs françaises est une priorité, mais il faut bien comprendre, comme nous l’expliquent les autonomistes, qu’elle n’exclut nullement la reconnaissance des identités régionales et des « nationalismes » au sens historique du terme (Corses, Catalans…).
Le fait est que cette affirmation identitaire est une réalité, qu’elle s’est constituée sur des bases historiques et culturelles, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire. Le dialogue est plus que jamais nécessaire afin de renforcer le camp autonomiste et éviter une escalade des revendications indépendantistes comme en Catalogne, dont les élus ont été contraints, devant la surdité de l’État central, de demander le plus pour espérer relancer le processus et avancer a minima . Ensuite la puissance d’une nation repose, entre autres éléments essentiels, sur le consensus, l’envie de populations disparates de se réunir sur des valeurs, un héritage et un projet commun.
Il faut donc reconnaître ces cultures communautaires, ces usages régionaux, ces spécificités marquées, et en Corse en particulier, dès lors que le sentiment identitaire ne se conçoit plus majoritairement en dehors du continent mais dans un système d’identités emboîtées et complémentaires et où de nombreux « natios » envisagent désormais une autonomie renforcée en parfaite intégration dans la République française. Il s’agit de comprendre la spécificité de ce bout de France îlien, comme on l’a fait pour les territoires ultramarins lors de la révision constitutionnelle de 2003. Il semble définitivement acté, puisque le Président Macron s’y est, comme Mme Gouraud, engagé, qu’un article spécifique sera consacré à la Corse dans la Constitution (ce qui permettra de ne plus la ramener aux articles 72, 73 et 74 qui énumèrent les statuts et compétences des diverses collectivités au sein de la République). Mais ce n’est là qu’un aspect de ce que les nationalistes veulent présenter au Président Macron. Les questions relevant de la vie quotidienne sont prioritaires aux yeux des électeurs corses. Le contexte est favorable, un rendez-vous historique reste possible après le dialogue de sourds de février. Puisse le chef de l’État être bien conseillé ou prendre la peine d’étudier le dossier corse au-delà des caricatures, des rancœurs et des a priori .
[i] Il est néanmoins est indéniable que l’unité italienne est récente et que le morcellement géographique de l’Italie a permis, jusqu’au siècle dernier, la permanence de territoires multiples aux identités variées, irréductibles aux autres, comme l’avait si bien montré Fernand Braudel dans son ouvrage sur la Méditerranée et le monde méditerranéen .
[ii] Anne Meistersheim, Figures de l’île , Ajaccio, 2001
[iv] Les « Accords de Matignon», résultats de tractations entre le gouvernement de Lionel Jospin et les mouvements nationalistes corses, avaient pour objectif de redéfinir la place de la langue corse et les relations avec les mouvements nationalistes. Ils aboutissent à la loi de janvier 2002 et à la démission le 29 août 2000 du Ministre de l’Intérieur, en désaccord avec le Premier Ministre et qui en avait appelé à « la vigilance républicaine » : « Les nationalistes corses doivent être — politiquement s’entend — combattus ».
[v] L’article 1er du statut de 1991, adopté par le Parlement malgré l’avis défavorable du Conseil d’État, qui l’avait considéré comme inconstitutionnel, disposait que « la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques ». Le Conseil constitutionnel a jugé que « la mention faite par le législateur du “ peuple corse, composante du peuple français ” est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (cons. n° 13).


Les trois piliers du vote à droite — immigration, insécurité, identité — forment désormais un socle commun
Ce que les états-majors n’osent pas faire, les électeurs le feront



EXCLUSIF- Après les révélations du Figaro sur l’existence de dizaines de millions d’euros de subventions attribuées à des organismes proches de l’islam radical, le ministre délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad tape du poing sur la table, et appelle à renforcer la lutte contre les discours de haine.
Paris fera-t-il plier Bruxelles? Selon les informations exclusives du Figaro , la France va dénoncer très prochainement auprès de la Commission européenne les multiples financements que l’UE a attribués à des organismes promouvant l’islam radical, l’antisémitisme ou le séparatisme.
Dans une note consultée par Le Figaro , qui sera portée par le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, Paris appelle «l’Union européenne à redoubler ses efforts» dans la lutte contre l’antisémitisme et contre les discours de haine, et à «défendre les valeurs européennes (...) en évitant tout financement à des entités et personnes hostiles aux valeurs européennes». Ces « défaillances (...) sont de nature à nuire gravement à l’adhésion de nos concitoyens au projet européen» , peut-on aussi lire.
«Scandales réguliers»
D’après une source proche du dossier, cela fait suite à des «scandales réguliers» qui ont été révélés par Le Figaro il y a quelques semaines, et qui «démontrent un défaut de vigilance de la Commission et une capacité des organisations islamistes à se jouer de sa naïveté».
Rappelons en quelques lignes le fonctionnement des subventions européennes. En théorie, toutes organisations cherchant à en profiter doivent porter des actions «respectant les valeurs de l’UE» , à savoir la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit ou les droits de l’homme. Une fois les subventions approuvées en commissions - et il en existe pléthore -, elles sont référencées dans le système de transparence financière (STF), un site internet public dont le contenu est actualisé tous les 30 juin, et accordées dans le cadre de «programmes» et par des agences européennes spécifiques.
À titre d’exemple, l’UE a engagé en septembre 2024 une contribution de près de 2,5 millions d’euros pour le projet «LIFE Vinoshield» , qui cherche à protéger les vignes européennes contre les effets du dérèglement climatique. Un autre projet plus controversé, celui du « Coran européen » , qui souhaite prouver que «le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses européennes médiévales et modernes» , a lui reçu 9,8 millions d’euros de subventions du Conseil européen de la recherche depuis son lancement en 2019. Des dizaines de milliers de projets aux ambitions aussi diverses que variées sont référencées ainsi sur le STF.
Une université qui appelait à l’«intifada mondiale»
Avec cette note, le gouvernement entend surtout dénoncer les organisations proches de l’islam radical ayant profité de l’argent européen. L’association FEMYSO, pour «Forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants» , qui représente une trentaine d’associations de jeunesse dans 22 pays européens, est notamment en ligne de mire. Elle a reçu plus de 210.000 euros de l’UE. Pourtant, l’association a toujours été réputée comme étant proche des Frères musulmans.
Après avoir critiqué plusieurs lois françaises, notamment celle interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école, FEMYSO, par la voix de sa présidente Hande Taner, avait critiqué la France dans une vidéo en novembre 2021, dans laquelle elle clamait que «la plus grosse exportation de la France est le racisme». Des propos tenus après le retrait d’une campagne de communication que l’association avait réalisé pour le Conseil de l’Europe, qui mettait en avant des affiches pro-voile, sur lesquelles on pouvait lire: «La beauté se trouve dans la diversité comme la liberté dans le hidjab» ou «Apportez de la joie, acceptez le hidjab».
L’ONG internationale Islamic Relief Worldwide a, elle, reçu pas moins de 18.834.433 euros de l’Europe entre 2014 et 2020. Cette association qui se présente comme caritative a pourtant été classée comme «terroriste» par Israël, la soupçonnant de financer le Hamas. L’un de ses responsables avait aussi qualifié en 2020 les juifs de «petits enfants de singes et de porcs». Son successeur avait lui caractérisé le Hamas comme étant le «plus pur mouvement de résistance de l’histoire moderne».
Les subventions versées à l’université islamique de Gaziantep sont également dans le collimateur de Paris. Cet établissement, situé en Turquie et qui a intégré le programme Erasmus+ en 2022, a profité d’un programme de subventions de 250.000 euros. Ses recteurs successifs avaient pourtant légitimé les mariages incestueux entre oncles et nièces, affirmé que les athées «adorent le diable» , que l’homosexualité est un «trouble psychologique» et appelé à une «intifada mondiale».
Près de deux millions d’euros ont aussi été versés à l’université islamique de Gaza, «établissement qui a accueilli des cadres du Hamas tels qu’ Ismail Haniyeh et Mohammed Deif » , expliquait au Figaro la sénatrice UDI de l’Orne Nathalie Goulet ( L’argent du terrorisme , éditions Le Cherche Midi, 2025).
«Lignes directrices»
Pour endiguer cette dilapidation d’argent public, la note portée par Benjamin Haddad soumet plusieurs propositions, comme la mise en place d’une «procédure de filtrage» et de «lignes directrices», pour que les agences européennes approuvant les subventions puissent être guidées face à des «concepts parfois abstraits, comme l’“hostilité aux valeurs européennes”», indique au Figaro notre source proche du dossier.
Elle appelle aussi à vérifier l’identité et les antécédents des personnes associées aux entités faisant la demande de financements. Actuellement, seuls les antécédents de l’entité elle-même sont scrutés - ce qui avait d’ailleurs été dénoncé en avril dernier par la Cour des comptes européenne dans un rapport au vitriol, portant sur l’opacité des subventions distribuées par l’UE. On pouvait y lire qu’ «aucune vérification n’est réalisée (par les gestionnaires) sur la dépendance financière ou les sources de financement (des entités subventionnées), alors que cela aurait permis d’obtenir des informations utiles sur les personnes qui se trouvent derrière (elles)».
La lutte contre l’antisémitisme comme priorité
Enfin, cette note prône une meilleure lutte contre l’antisémitisme, alors que les discours antijuifs ont explosé dans toute l’Europe depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, et la guerre à Gaza qui a suivi.
Pour ce faire, Paris compte proposer d’étendre le champ des «eurocrimes» - ces méfaits considérés comme graves dans toute l’Union (terrorisme, mariage forcé...) - aux discours et crimes de haine.
La France appelle également la Commission à «utiliser tous les outils à sa disposition pour réguler les très grandes plateformes en ligne, en particulier grâce au règlement européen sur les services numériques (DSA)» , et à enseigner la mémoire de la Shoah dans tous les établissements scolaires en Europe.
La Commission européenne cernée de toutes parts
Cette note dite «libre» sera présentée dans un premier temps ce lundi à la ministre fédérale autrichienne des Affaires européennes, Claudia Plakolm, lors d’une réunion à Paris à laquelle le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et Benjamin Haddad doivent participer. Elle sera ensuite présentée formellement au Conseil des affaires générales (CAG), où les ministres des affaires européennes de l’ensemble des 27 ainsi qu’un représentant de la Commission européenne se réunissent une fois par mois.
Le sujet des subventions de l’UE se veut de plus en plus prégnant au sein des partis politiques. Toujours selon nos informations, à la suite des révélations du Figaro , la délégation du Rassemblement national au Parlement européen, menée par Jean-Paul Garraud, a adressé le 24 avril dernier une lettre à Ursula von der Leyen. Le courrier, cosigné par l’ensemble de la délégation dont Jordan Bardella, demandait à la présidente de la Commission européenne «de mettre fin définitivement à la subvention de toute association, ONG, université et autre structure liée de près ou de loin à l’islamisme. Il est temps que l’Union européenne mette fin à sa naïveté», pouvait-on lire. Pour l’heure, ce courrier est resté lettre morte. À voir si la note du gouvernement connaît le même sort.




