Nationalisme corse et identités régionales

Natacha Gray • 19 mars 2018

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En France le problème corse est revenu au cœur de l’actualité avec l’incontestable victoire des nationalistes en décembre aux élections pour la nouvelle collectivité spécifique entrée en fonction le 1er janvier 2018, puis début février avec le voyage du président Macron sur l’île et sa fin de non-recevoir à la plupart des revendications qui lui ont été présentées. Où en sont les Corses ? Que veulent-ils ? Que veulent-ils encore ajouteront certains ? Un scénario à la catalane, avec le référendum pour l’indépendance et le bras de fer avec l’État espagnol, est-il possible ici ? Nous avons achevé le précédent article consacré à l’identité de la France (à consulter en cliquant ici ) sur l’idée d’identités emboîtées, du local à l’Europe, complémentaires et qui ne s’excluraient pas. L’identité corse peut-elle s’affirmer sans mettre en péril le caractère « un et indivisible » de la République française ? Le problème est complexe et demande une analyse dépassionnée, bien loin de la vision manichéenne et caricaturale qu’en donnent, depuis des années, les médias obsédés par le sensationnalisme ainsi que de nombreux politiques qui peinent à dépasser les incantations (République, indivisibilité…), les postures méprisantes, les rancœurs héritées de la violence terroriste du FLNC contre les intérêts continentaux et leurs craintes d’affaiblissement de l’État central.


Un constat : le renouveau des revendications régionales.


Un peu partout en Europe on assiste en effet à la montée de revendications identitaires à l’échelle régionale : Catalogne, Corse, Écosse, Italie du Nord, Flandre... Des coalitions regroupant partisans d’une autonomie approfondie et indépendantistes gagnent les élections locales, des référendums légaux (Écosse) ou non reconnus (Catalogne) sont organisés en vue d’obtenir l’indépendance. En Espagne on pensait les revendications progressivement éteintes depuis que la Constitution de 1978 avait donné de larges prérogatives aux «  autonomías  » aux identités marquées, mais le grave conflit entre la majorité nationaliste élue à la Generalitat suite au referendum d’autodétermination d’octobre 2017 et l’État espagnol montre qu’il n’en est rien. De même les tensions et provocations, de part et d’autre, qui ont accompagné le voyage du président Macron en Corse sont révélatrices du malaise et de l’incompréhension persistante entre pouvoir central et élus locaux.

Certes, tous les mouvements indépendantistes ont renoncé, les uns après les autres en Europe, à la lutte armée : en Catalogne Terra Lliure a abandonné les armes dès 1991, l’ETA a déposé officiellement les siennes en 2011 au Pays basque, le FLNC en a fait de même en Corse en 2014. On est bien loin des années 1970-1980 quand le nationalisme s’exprimait au travers de règlements de comptes, de mouvements terroristes, de bombes et d’assassinats politiques, le dernier en date étant celui du Préfet Érigna c en Corse le 6 février 1998. De cette époque ne restent que quelques prisonniers purgeant leur peine, que les États centraux considèrent comme relevant du droit commun et que les forces nationalistes revendiquent en tant que prisonniers politiques. Cet abandon de la violence correspond de fait à de réelles avancées institutionnelles, issues d’un dialogue renoué dans un cadre démocratique et que nous évoquerons plus tard.

Bien évidemment le sentiment identitaire ne date pas d’aujourd’hui ni même d’hier et repose sur le sentiment d’appartenance à une nation (au sens démographique, sociologique et historique du terme), qu’il faut distinguer de la nation (pays) au sens de laquelle le territoire régional est englobé. Pour éviter la confusion avec l’échelle de la France, on qualifie parfois de « régionales » les revendications nationalistes dans des régions historiquement dotées d’un fort sentiment d’appartenance (Corse, Catalogne). Rappelons qu’une nation rassemble des personnes, généralement sur un même territoire (même si une nation peut être diasporique), qui partagent entre elles un passé commun, une langue, une culture propre, souvent une religion et, dans le présent, «  le consentement mutuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l’héritage que l’on a reçu indivis  » pour reprendre une définition d’Ernest Renan. Cette définition est évidemment indissociable de la notion de peuple . La nation ajoute à l’idée de peuple la délimitation d’un territoire historique, des institutions ou, à défaut, la volonté de construire quelque chose ensemble pour conserver un certain nombre de valeurs, un patrimoine culturel, architectural, juridique, des pratiques, des coutumes. À ce titre, il est indéniable que les Corses, les Catalans, les Écossais, les Flamands furent et restent des nations, seule « l’identité padane », parmi ces courants nationalistes qui se font entendre aujourd’hui, semble être une construction récente (XXe siècle) de la Ligue du Nord (devenue la Ligue pour dépasser son périmètre historique) [i].


Nier la spécificité de la Corse et que ses habitants forment un peuple bien particulier, sur le prétexte que l’île est une collectivité territoriale française, c’est faire peu de cas de l’histoire et de la géographie, et se laisser aveugler par l’idéologie ou la rancœur héritée des temps où des militants indépendantistes armés défiaient la République, cagoulés et armés, tout en posant des bombes contre les intérêts continentaux. Difficile en effet d’oublier également, vingt ans après, le traumatisme face à la forfaiture impardonnable que fut, y compris pour de nombreux Corses, l’assassinat d’un préfet pour le seul motif qu’il incarnait par sa haute fonction la présence de l’État français sur l’île. Mais, quoi que l’on pense des revendications autonomistes ou indépendantistes, quelles que soient nos sympathies ou antipathies pour cette région longtemps « remuante » et frondeuse, cela ne doit pas conduire à des dénis de réalité qui empêchent tout dialogue constructif.

Géographes et sociologues peuvent témoigner que, comme toute île, sauf celles qui sont aisément reliées à un continent, la Corse a créé une civilisation originale qui est le syncrétisme de plusieurs influences, ce que Anne Meistersheim [ii] dans ses travaux sur le fait insulaire nomme la «  dialectique de l’ouverture/fermeture  » : une île est ouverte sur le monde, elle fut une étape sur les routes maritimes, recevant ainsi de nombreuses influences. Mais elle peut également se refermer sur elle-même, surtout quand il s’agit d’un espace montagneux, de faible superficie, et construire, au fil du temps, par synthèse des diverses influences, une civilisation originale à celle du continent lorsqu’il s’agit d’un espace intégré à un État plus ou moins lointain. Toutes les approches phénoménologiques, transdisciplinaires, s’appuyant sur le vécu des insulaires et l’expérience externe des continentaux, montrent la solidarité de fait entre les habitants, un lien social très vivant, des lois particulières fondées sur un code de l’honneur (toutes les îles méditerranéennes furent ainsi longtemps des régions de vendetta), des pratiques et coutumes spécifiques, un fort attachement au territoire et à ses spécificités, à la transmission de ce qui fait l’identité îlienne, et souvent une langue spécifique qui n’est pas un patois et a survécu aux multiples influences extérieures. Et de fait la Corse n’est française que depuis 1769, quand elle fut conquise militairement après 4 siècles de rattachement à la République de Gènes et quelques décennies d’indépendance au cours desquels elle mit en application la première constitution démocratique de l’Histoire, accordant même le droit de vote aux femmes en 1755 ! L’Université de Corse (à Corte) fut d’ailleurs pionnière dans l’étude des spécificités des espaces insulaires, mettant en évidence une triple caractéristique : l’insularité (ce qui caractérise un espace entouré par la mer, généralement montagneux, avec des coûts liés à l’éloignement, une économie particulière…), l’iléité (les coutumes, la vie quotidienne, le lien social, le fait d’être et de se sentir un îlien) et l’insularisme (une certaine propension à la révolte et aux revendications, la capacité à se soulever contre l’État central quand une île est rattachée administrativement à un espace exogène).

Ces caractéristiques s’appliquent à la Corse, il faudrait être aveugle ou de bien mauvaise foi pour le nier et faire semblant de croire que, parce que la collectivité relève administrativement de la République française, elle en aurait perdu de facto toute spécificité et que son identité particulière se serait effacée.


Les causes de ce renouveau régional sont multiples.

De façon générale cette progression des revendications régionales [iii] et leur durcissement récent peuvent être mis en relation avec plusieurs facteurs et il faut bien en prendre conscience afin de se convaincre que cette affirmation des nationalismes locaux est une réalité, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire.

D’une part la réaction à la mondialisation et l’homogénéisation des modes de vie, des paysages, la disparition de traditions locales, la crainte de l’extinction de langues locales faute de nouveaux locuteurs, l’ouverture des frontières et la mobilité résidentielle produisent à toutes les échelles un retour aux « racines », la volonté de s’ancrer dans un territoire, une culture, une histoire, de préserver les héritages du passé, de réactiver une identité propre. À cet égard le renouveau des nationalismes, qui dès les années 1980 a fait éclater des États comme la Yougoslavie qui fédérait plusieurs « nations » n’est qu’une traduction parmi d’autres (citons le renouveau des parlers et langues locaux, les régionalismes, le retour des produits à l’ancienne, le succès de la littérature du terroir…) de cet ancrage identitaire dans le local face à la perte de repères collectifs et individuels.

D’autre part le déclinisme français, les programmes scolaires qui n’enseignent plus la fierté d’appartenir à une patrie glorieuse, l’essor d’un communautarisme clivant ont effrité peu à peu le sentiment d’appartenance national et, par contrecoup, renforcé les mécanismes d’identification à des repères locaux.

En outre la réaction parfois rigide, à certaines périodes de l’histoire récente, des États centraux à toute demande d’approfondissement de l’autonomie n’ont fait que cristalliser le mécontentement et cela d’autant plus que les populations concernées ont l’impression qu’il y a véritablement deux poids deux mesures dans la prise en compte du sentiment identitaire. Sur le plan interne en effet les mêmes élus ou leaders politiques qui acceptent l’affirmation visible (par exemple par le vêtement) d’autres modes de vie et croyances, des entorses multiples aux lois de la République de populations d’origine exogène au nom d’un relativisme culturel très permissif sont souvent ceux qui se montrent les plus intransigeants envers les revendications identitaires de leurs propres minorités historiques (corses, basques, catalanes…). Sur le plan extérieur on félicite de même les Kurdes pour un référendum sans bases légales quand on le reproche aux Catalans, suscitant un profond sentiment d’injustice et un immense élan de solidarité pour la Catalogne espagnole chez les autonomistes et indépendantistes de régions françaises à forte identité. La France, reconnaîtrait aux autres peuples ce qu’elle refuse à ses propres minorités nationales. Pour se faire entendre, il s’agit donc de demander le plus pour obtenir au moins quelque chose. C’est ce qu’il s’est passé en Catalogne où nombre de votants, autonomistes, disent avoir soutenu l’indépendance pour faire pression sur l’État central face au blocage et au refus de dialogue depuis 2010 mis en place par le Partido popular.

En Corse les mêmes causes produisent les mêmes effets qu’ailleurs. Il est d’ailleurs amusant et (en apparence) paradoxal que le sentiment d’une démission de l’État central sur les questions identitaires ait fait des Corses au cours de l’été 2016, à la fois dans ce qu’ils exprimaient et dans le regard de nombreux continentaux, les défenseurs de l’identité nationale française lors de mouvements de protestations « musclés » face à des provocations et une agression islamiste sur la plage de Sisco, entraînant un arrêté municipal interdisant le burkini. Ce genre de réaction collective, épidermique, immédiate et identitaire, était présenté jadis par les médias comme une manifestation de xénophobie voire de racisme d’une île fermée sur elle-même hostile à toute modernité. Aujourd’hui elle est vécue par beaucoup au contraire comme un attachement aux valeurs laïques et une défense de l’identité et des modes de vie occidentaux face aux partisans de la charia. Les réseaux sociaux ont largement contribué à restaurer l’image de la Corse et à tempérer la présentation caricaturale de l’île par les politiques et les médias, incapables d’expliquer la complexité de ce territoire particulier et de sortir d’un manichéisme réducteur.

Rappelons que de très nombreuses revendications corses ont été satisfaites depuis les années 1980. La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région corse , complétée par la loi du 30 juillet 1982 relative aux compétences a été suivie par la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse qui fait de l’île l’exemple unique d’une collectivité territoriale qui n’était plus une véritable région mais qui restait malgré tout régi par le droit applicable aux régions, sauf dans tous les cas où existait une disposition spécifique. La loi du 22 janvier 2002 lui a donné des compétences nouvelles sans en modifier le statut. Et le 7 août 2015 la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République comporte plusieurs nouvelles dispositions : la Corse n’est plus qualifiée de « collectivité territoriale », mais de « collectivité de Corse ». Enfin, à compter du 1er janvier 2018 la Corse est devenue une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution qui remplace à la fois les deux conseils départementaux et l’actuelle collectivité territoriale. C’est qu’à partir de la présidence de François Mitterrand, en particulier avec Pierre Joxe ministre de l’Intérieur (pourtant particulièrement jacobin mais qui eut une compréhension particulièrement éclairée du problème corse), il y eut une réelle volonté politique de traiter un problème lui-aussi avant tout politique, que l’on déclinait ensuite en termes juridiques et constitutionnels, ce qui faisait apparaître des limites dans la concrétisation des décisions (comme avec la notion de « peuple corse », proposée par Pierre Joxe mais rejetée par le Conseil Constitutionnel). Ces précisions méthodologiques ont toute leur importance car l’on verra un peu plus tard que la démarche actuelle du Président Macron est inversée, partant d’arguties juridiques qui empêchent de considérer le problème sur le plan politique.

La situation n’était donc pas bloquée, ce qui explique d’ailleurs que les revendications politiques passent aujourd’hui par la voie légale de l’élection et non plus, comme autrefois, par la violence terroriste. Alors comment comprendre aujourd’hui les nouvelles revendications corses, à la fois institutionnelles et sociétales, présentées comme une surenchère par certains ?

Il y a déjà le fait que les nationalistes, alliés au sein de la coalition Pè a Corsica , ont obtenu une victoire indiscutable (56,5 %) aux élections de décembre 2017 pour la nouvelle collectivité territoriale unique qui a vu le jour au 1er janvier 2018, réunissant les deux courants rivaux, les autonomistes autour de Gilles Simeoni (élu président de l’Exécutif de Corse) et les indépendantistes avec Jean-Guy Talamoni (président de l’assemblée de Corse). Le programme est clair : «  obtenir sous trois ans un véritable statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice et de le mettre en œuvre en dix ans  », reconnaissant que l’indépendance, que tous les membres de la coalition ne demandent évidemment pas, est dans «  l’imaginaire collectif  » mais qu’elle n’est pas d’actualité. Les « natio » Corses, depuis le renouveau du nationalisme local dans les années 1960, se sont toujours vu conseiller par les politiques continentaux d’user d’abord de la voie légale pour porter leurs revendications, ensuite de se faire élire dans les assemblées représentatives. On en reparlerait après. Or c’est fait. Forts de cette nouvelle onction du suffrage universel, les deux présidents ont engagé un dialogue depuis cet été avec Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, et avec le Président du Sénat Gérard Larcher.

Ensuite, comme on l’a rappelé précédemment, le renouveau des nationalismes est un phénomène mondial face à ce qui est perçu comme une double menace, la mondialisation qui homogénéise les identités et les provocations islamistes qui touchent également l’île dans une moindre mesure que sur le continent.

En outre la révision constitutionnelle de 2003 a accordé de très larges statuts d’autonomie à d’autres collectivités en Outremer (statut ex generis pour la Nouvelle Calédonie avec compétence pour adopter des « lois de pays », compétences à la carte pour les autres), permis quelques « entorses » aux lois républicaines dans certains territoires, prix du maintien dans la République (rois à Wallis-et-Futuna, polygamie à Mayotte). Les Corses demandent donc une inscription spécifique et séparée de la collectivité dans la Constitution. Parallèlement ils mettent en avant la comparaison avec d’autres espaces insulaires en Europe qui bénéficient d’un plus large statut d’autonomie (Sardaigne, Sicile, Baléares, Canaries et Madère). L’idée soutenue par de nombreux juristes (non corses) est celle d’un nouveau statut hybride qui donnerait davantage d’autonomie à la collectivité à l’instar de ses voisines méditerranéennes et des territoires français ultramarins (notamment sur le foncier, la fiscalité et la langue ) mais qui ne contreviendrait pas au principe « d’indivisibilité de la République ».

A ces considérations institutionnelles s’ajoutent des revendications que l’on pourrait qualifier de sociétales, celles qui ont directement un impact sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Il en est ainsi de l’amnistie réclamée pour ceux que les Corses considèrent comme des « prisonniers politiques » (des prisonniers suspectés d’être mêlés à des affaires de terrorisme) ou à défaut d’un « rapprochement familial » par une incarcération locale pour faciliter la visite des proches. La langue corse est également un point de discorde fondamental avec Paris : les nationalistes demandent sa coofficialité sur le territoire, notamment l’autorisation d’employer le corse à égalité avec le français dans les collectivités locales, l’enseignement, le droit insulaire, etc. Le bilinguisme serait obligatoire à l’école et un rapport de l’exécutif préconise même une obligation statutaire de formation en langue corse pour les fonctionnaires, agents publics et personnels des médias. Les Corses souhaitent également la création d’un statut de résident pour lutter contre la spéculation immobilière et de voir l’île envahie par des résidences secondaires et les locaux, dans l’incapacité d’acheter, contraints de partir sans espoir de retour. On rejoint ici les revendications institutionnelles : empêcher les gens qui en ont les moyens d’acheter en Corse au détriment des insulaires serait évidemment une discrimination, donc contraire à la Constitution, sauf si l’on y insère un dispositif spécifique pour la Corse, ce qui est précisément demandé.


Une situation qui semble bloquée

Du côté corse de nombreux espoirs avaient été placés dans la récente visite du Président Macron sur l’Île. Hélas, malgré de timides avancées, la situation paraît bloquée. Le Président avait choisi manifestement des symboles (la date anniversaire de l’assassinat du Préfet Érigna c il y a vingt ans ; se faire accompagner de Jean-Pierre Chevènement, un des plus fermes opposants à l’autonomie corse et qui avait même démissionné en 2000 en raison de son hostilité aux accords de Matignon [iv] ; assister à une cérémonie d’hommage au préfet avant même de rencontrer les élus nationalistes de l’île) auxquels a répondu un autre symbole (le refus initial d’installer le drapeau français aux côtés des drapeaux corse et européen). Aujourd’hui le paradoxe est qu’au moment où le fait politique s’est renforcé, on ne prend plus en compte la spécificité de l’île. Si on compare avec d’autres périodes de discussions entre la Corse et l’État que ce soit en 1982 avec Mitterrand, en 1989 avec Joxe, en 1998-2002 avec Jospin, il y a eu, à chaque fois, d’abord un cadre et une volonté politiques qui révélaient l’acceptation claire par l’État de l’existence d’une spécificité corse. Ensuite on tentait de décliner ces avancées en termes juridiques et constitutionnels. Aujourd’hui on ergote au contraire sur des difficultés juridiques en pinaillant sur des mots : peut-il y avoir plusieurs peuples (dont le peuple corse) au sein d’un peuple (le peuple français) ? Pierre Joxe voulait l’inscrire dans la Constitution, le Conseil d’État avait rejeté cette proposition au nom de l’indivisibilité de la République : une nation, un peuple [v]. Vingt-cinq ans après, on revient et on bloque sur cette question purement sémantique en l’enrobant de grands principes incantatoires ! A l’heure où les nationalistes corses ont obtenu une écrasante majorité par les urnes, le gouvernement inverse la question et ne pose plus le problème en termes politiques mais insiste sur des difficultés techniques et juridiques , posant des préalables et des lignes rouges infranchissables. C’est un dialogue de sourds qui révèle d’une part l’absence de prise en compte du fait politique corse par le Président de la République et sa méconnaissance du dossier, non pas parce qu’il serait incapable de le comprendre mais parce que, de toute évidence, cette échelle locale ne l’intéresse pas. Son attitude cassante lors de sa venue sur l’île démontre clairement qu’il n’y a pas de volonté politique de situer le dialogue en cours à la hauteur des enjeux. C’est le triste constat fait par les nationalistes, principalement par Gilles Simeoni, parlant « d’occasion historique manquée » de faire avancer conjointement les revendications corses tout en inscrivant l’île plus fermement dans le cadre de la République française.


Certes le problème n’est pas simple. Bien évidemment beaucoup, à commencer par nos dirigeants, craignent que la reconnaissance d’identités locales affaiblisse le sentiment d’appartenance à la nation, déjà fort mal en point. Or l’on sait que, face aux multiples menaces qui pèsent sur nos États (terrorisme, déclassement économique…), l’échelle nationale doit être plus que jamais renforcée. À ceci s’ajoute le fait que la reconnaissance de micro-États affaiblirait des économies nationales déjà en crise. En effet les territoires « sécessionnistes » sont souvent riches (mais pas toujours, comme le montre l’exemple corse) et, à ce titre, contribuent à la solidarité nationale bien plus qu’ils n’en reçoivent, et cela sans contrepartie en termes d’approfondissement de l’autonomie. C’était notamment le cas des Catalans qui non seulement n’ont rien obtenu en termes d’autonomie fiscale ou de reconnaissance symbolique au niveau de la Constitution mais qui, en outre, ont vu reculer certains de leurs droits spécifiques reconnus par l’ Estatut de 2006, supprimés en 2010. Enfin le morcellement de l’Europe en États nouveaux rendrait tout accord majoritaire de plus en plus difficile. Et à l’heure où l’on parle de mettre en place une défense européenne, elle n’en serait que plus compromise par l’indépendance de petits territoires dont on sait que la défense n’est pas une dépense prioritaire et qu’ils délèguent cette compétence aux États les plus puissants.


Le maintien du dialogue est nécessaire

Au-delà des ressentiments (et l’auteur de cet article a toujours du mal à oublier les groupuscules cagoulés défiant la République et le traumatisme de l’assassinat d’un préfet de la République) et des convictions personnelles (à dominante jacobine ou girondine, pour reprendre la vieille opposition politique), l’honnêteté intellectuelle oblige à dépasser le manichéisme, à tenter de penser la complexité et à agir avec pragmatisme dans la recherche du Bien commun.

La réaffirmation de l’identité nationale et des valeurs françaises est une priorité, mais il faut bien comprendre, comme nous l’expliquent les autonomistes, qu’elle n’exclut nullement la reconnaissance des identités régionales et des « nationalismes » au sens historique du terme (Corses, Catalans…).

Le fait est que cette affirmation identitaire est une réalité, qu’elle s’est constituée sur des bases historiques et culturelles, qu’elle sera durable et ne fera qu’augmenter. Refuser le dialogue ne fera pas disparaître ce phénomène, bien au contraire. Le dialogue est plus que jamais nécessaire afin de renforcer le camp autonomiste et éviter une escalade des revendications indépendantistes comme en Catalogne, dont les élus ont été contraints, devant la surdité de l’État central, de demander le plus pour espérer relancer le processus et avancer a minima . Ensuite la puissance d’une nation repose, entre autres éléments essentiels, sur le consensus, l’envie de populations disparates de se réunir sur des valeurs, un héritage et un projet commun.

Il faut donc reconnaître ces cultures communautaires, ces usages régionaux, ces spécificités marquées, et en Corse en particulier, dès lors que le sentiment identitaire ne se conçoit plus majoritairement en dehors du continent mais dans un système d’identités emboîtées et complémentaires et où de nombreux « natios » envisagent désormais une autonomie renforcée en parfaite intégration dans la République française. Il s’agit de comprendre la spécificité de ce bout de France îlien, comme on l’a fait pour les territoires ultramarins lors de la révision constitutionnelle de 2003. Il semble définitivement acté, puisque le Président Macron s’y est, comme Mme Gouraud, engagé, qu’un article spécifique sera consacré à la Corse dans la Constitution (ce qui permettra de ne plus la ramener aux articles 72, 73 et 74 qui énumèrent les statuts et compétences des diverses collectivités au sein de la République). Mais ce n’est là qu’un aspect de ce que les nationalistes veulent présenter au Président Macron. Les questions relevant de la vie quotidienne sont prioritaires aux yeux des électeurs corses. Le contexte est favorable, un rendez-vous historique reste possible après le dialogue de sourds de février. Puisse le chef de l’État être bien conseillé ou prendre la peine d’étudier le dossier corse au-delà des caricatures, des rancœurs et des a priori .




[i] Il est néanmoins est indéniable que l’unité italienne est récente et que le morcellement géographique de l’Italie a permis, jusqu’au siècle dernier, la permanence de territoires multiples aux identités variées, irréductibles aux autres, comme l’avait si bien montré Fernand Braudel dans son ouvrage sur la Méditerranée et le monde méditerranéen .


[ii] Anne Meistersheim, Figures de l’île , Ajaccio, 2001

Fondatrice de l’IDIM (Institut de développement des îles de la Méditerranée. Université de Corse).


[iv] Les « Accords de Matignon», résultats de tractations entre le gouvernement de Lionel Jospin et les mouvements nationalistes corses, avaient pour objectif de redéfinir la place de la langue corse et les relations avec les mouvements nationalistes. Ils aboutissent à la loi de janvier 2002 et à la démission le 29 août 2000 du Ministre de l’Intérieur, en désaccord avec le Premier Ministre et qui en avait appelé à «  la vigilance républicaine  » : «  Les nationalistes corses doivent être — politiquement s’entend — combattus ».


[v] L’article 1er du statut de 1991, adopté par le Parlement malgré l’avis défavorable du Conseil d’État, qui l’avait considéré comme inconstitutionnel, disposait que «  la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques  ». Le Conseil constitutionnel a jugé que « la mention faite par le législateur du “ peuple corse, composante du peuple français ” est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (cons. n° 13).


par Une interview de François Lenglet par Ronan Planchon dans FigaroVox 5 août 2025
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-lenglet-la-commission-europeenne-court-comme-un-canard-sans-tete-desorientee-par-la-disparition-du-monde-d-hier-20250803 ENTRETIEN - Après l’accord signé avec les États-Unis de Donald Trump le 27 juillet en Écosse, l’Europe entame son «siècle de l’humiliation», estime le journaliste économique et essayiste. François Lenglet est éditorialiste économique à TF1-LCI et RTL. Son prochain livre : Qui sera le prochain maître du monde ?, Éditions Plon, octobre 2025. LE FIGARO. - Dans le cadre de son accord avec Trump , l’Union européenne accepte de voir la quasi-totalité de ses exportations de biens vers les États-Unis frappées de droits de douane à hauteur de 15 % et n’obtient ni ne sanctionne rien en retour. Une autre issue était-elle possible ? Passer la publicité François LENGLET. - Non, cet accord est tout sauf surprenant. Il matérialise le rapport de force entre l’Amérique de Trump et l’Europe : tout pour moi, le reste pour toi. C’est la conséquence du rôle nouveau qu’occupent les États-Unis dans les affaires du monde, la « superpuissance voyou », pour reprendre les termes de l’universitaire américain Michael Beckley. C’est-à-dire la puissance numéro un sans autre ambition que de se renforcer au détriment des autres, à commencer par les alliés de naguère - ce sont eux qui offrent le meilleur rendement dans le chantage, parce qu’ils sont faibles. Le plus frappant dans cette affaire, c’est que l’Union européenne est contente. Humiliée et satisfaite. Alors même qu’en plus des tarifs, Bruxelles piétine ses propres politiques, pour satisfaire Trump. Elle accepte ainsi d’investir 600 milliards en Amérique, alors que l’exode de l’investissement est justement le principal problème pointé par le rapport Draghi… Elle s’engage à acheter des armes américaines, alors qu’elle exhorte les pays membres à renforcer leur base industrielle de défense… Elle s’engage à acheter des tombereaux de gaz américains alors qu’elle œuvre pour le zéro carbone ! Quant à la prétendue « prévisibilité » offerte par l’accord aux exportateurs, c’est une vaste blague. Un condamné à dix ans de prison peut évidemment se féliciter de la prévisibilité de son cadre de vie pour la prochaine décennie. Londres a obtenu de la Maison-Blanche le taux de tarifs douaniers les plus bas possible à ce jour (10 %). Cette « victoire » participe-t-elle à la décrédibilisation de l’Union européenne ? Le commerce américain avec le Royaume-Uni n’est pas déficitaire, cela peut expliquer le traitement plus favorable qu’a obtenu Londres. Dans la hiérarchie des royaumes tributaires de l’empire américain, nous occupons un rang intermédiaire, entre le Royaume-Uni, qui s’en sort mieux, et le Japon, duquel Trump a obtenu le versement de plusieurs centaines de milliards directement au Trésor américain. Et tous ceux qui sont menacés aujourd’hui de 30 % ou 40 % s’ils ne concluent pas d’accord cette semaine. Si l’Union européenne n’était pas en position de force, est-ce parce qu’elle ne maîtrise aucune de ses positions stratégiques à l’échelle de l’économie globale ? Oui, sans aucun doute. Il faut se souvenir que l’Union européenne n’a pas été conçue pour peser dans le jeu mondial. La raison d’être fondamentale de la Commission de Bruxelles, c’est de surveiller les États membres pour qu’ils se soumettent aux règles du marché unique et de la concurrence. Bruxelles a été dressé pour éradiquer les frontières et le nationalisme économique à l’intérieur de l’Union. L’édification de ce marché unique a d’ailleurs été une propédeutique utile pour apprivoiser la mondialisation, surtout pour la France et sa bureaucratie. Mais les temps sont bouleversés. La mondialisation change de nature et de périmètre, elle se fragmente, à cause du recentrage de la puissance principale sur ses intérêts exclusifs au détriment d’un ordre mondial. Il ne peut y avoir de mondialisation sans maître du monde assumé. La Commission devrait donc s’appuyer sur les frontières et pratiquer une sorte de nationalisme européen, si cette expression n’était pas un oxymore, pour défendre les États membres dans la grande confrontation entre les empires. Elle en est incapable car il faudrait pour cela qu’elle renie les traités. Elle court donc comme un canard sans tête, désorientée par la disparition du monde d’hier. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. François Lenglet L’Europe-puissance est une chimère, entretenue par les fédéralistes qui voudraient encore sauver leur rêve. C’est le dernier stade du déni, avant l’acceptation de la réalité : l’Europe entame son « siècle de l’humiliation », comme la Chine de 1842, après la guerre de l’opium. Trump, exactement comme les Britanniques de l’époque, force l’ouverture de nos ports. Avec ces accords, l’Europe signe donc son traité de Nankin, qui avait asservi l’empire du Milieu aux intérêts commerciaux britanniques. Mais à la décharge de Bruxelles, le problème est plus grave que celui de la seule Commission. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui rechignent à la puissance et aux sacrifices qu’elle exigerait d’eux. « Nous n’avons pas été craints », aurait dit Emmanuel Macron juste après cet accord-capitulation. C’est ce qu’on appelle une litote… Le problème pour être craint, c’est bien sûr d’avoir des moyens de rétorsion, mais c’est surtout de vouloir les utiliser. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. Pire, les officiels français expliquaient à la veille de l’accord qu’il n’y aurait pas de rétorsions tarifaires, car les économistes avaient calculé qu’elles seraient préjudiciables à nos consommateurs ! Pour Trump, ces tarifs visent-ils surtout à relocaliser la production aux États-Unis ? Oui, il veut siphonner la croissance mondiale. Il récuse la position de « consommateur en dernier ressort », qui avait toujours été celle du maître du monde, les États-Unis au XXe siècle, le Royaume-Uni au XIXe. Il vise au contraire la réindustrialisation de son pays. C’est pour cela qu’il veut des tarifs et un dollar faible, afin d’inciter les industriels du monde entier à s’installer aux États-Unis. Il ne s’arrêtera pas là. Ces tarifs vont servir à la coercition des partenaires, afin qu’ils réévaluent leurs devises ou financent gratuitement la dette américaine, avec les fameuses obligations à coupon zéro prônées par l’un des inspirateurs de Trump, Stephen Miran. L’autre objectif est bien sûr budgétaire. Les taxes douanières vont remplir les coffres de Washington. Rien que l’accord avec l’Europe pourrait lui fournir une centaine de milliards de ressources annuelles supplémentaires. Il s’agit de financer le « Big and Beautiful Budget », les baisses d’impôts votées par le Congrès le mois dernier. Dans les deux cas, c’est la stratégie de la prédation : l’Amérique pompe les investissements pour arroser son sol, et les ressources financières des autres pour les redistribuer à ses entreprises sous forme de baisse d’impôt. Ne surestime-t-on pas la victoire de Trump ? Les engagements d’achats et d’investissements européens n’ont d’autre valeur que politique… C’est vrai que les chiffres sont tellement fous qu’ils ne sont pas crédibles. Ursula von der Leyen s’est engagée à 250 milliards d’achats de gaz liquéfié par an, alors que nous sommes, pour l’Europe entière, en dessous de 100 milliards aujourd’hui… Mais cela crée quand même une pression pour les années qui viennent, et c’est sans doute ce que cherchaient les négociateurs américains. Aussi déraisonnables qu’ils soient, ces montants ont été semble-t-il validés par l’Europe. Et, au-delà des considérations sur les montants, une leçon doit être retenue : l’accès aux marchés internationaux a un prix, car il a une valeur. Et ce prix est à la hausse, depuis l’élection de Trump. L’Europe ferait donc bien de réfléchir au prix de l’accès à son propre marché, l’un des plus grands du monde, et à la façon de négocier les prochains accords commerciaux. À quoi peut-on s’attendre, concrètement, sur le plan commercial ? Toute la question est de savoir qui va payer les tarifs. En bonne logique, c’est le consommateur américain, qui verra augmenter le prix des biens importés. Non pas de 15 %, car dans le prix final, les coûts de distribution comptent pour jusqu’à un tiers. En réalité, chacun des intervenants dans le circuit commercial, exportateur, transporteur, importateur, distributeur et consommateur va être mis sous pression pour réduire ses marges ou payer un peu plus. La répartition de ces efforts sera variable en fonction du rapport de force sur le marché, très différent selon les secteurs. Tout cela devrait contracter les flux commerciaux à destination de l’Amérique. Avec des conséquences sur la croissance, moins fortes en France qu’en Allemagne et en Italie, plus exportatrices, comme on le constate déjà sur les chiffres du deuxième trimestre 2025. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. François Lenglet Quels seront les secteurs les plus touchés ? Les entreprises de luxe peuvent supporter à la fois une augmentation de prix et une contraction de leurs marges, qui sont importantes. En revanche, pour les produits laitiers et fromage, c’est l’un de nos postes d’exportation importants, le consommateur sera moins enclin à payer. Ce seront les exportateurs qui vont devoir encaisser la moins-value, s’ils ne veulent pas perdre des parts de marché. Idem pour la cosmétique, également l’une de nos forces à l’export. Le haut de gamme s’en sortira, grâce à la puissance des marques et à l’image du « made in France », mais les produits grand public, plus sensibles au prix, devraient souffrir. L’automobile n’est concernée qu’indirectement, car nous n’exportons pas de voitures françaises outre-Atlantique. Les équipementiers français, sous-traitants des constructeurs européens, pourraient toutefois subir les conséquences de la pression sur les exportateurs allemands. Dans tous ces domaines, les industriels vont tenter de produire davantage aux États-Unis, pour échapper aux taxes. Il peut donc y avoir une nouvelle vague de délocalisations. Restent enfin des industries dans l’incertitude, car leur régime douanier n’a pas encore été défini, comme la pharmacie. Peut-on s’attendre désormais à une marginalisation de la Commission européenne ? Von der Leyen va-t-elle devenir l’amie que les États membres n’assument plus ? Les questions commerciales divisent l’Europe depuis toujours, à la fois entre États membres, qui n’ont pas les mêmes intérêts, et d’un secteur à l’autre au sein d’un même pays. Cette fois-ci, pourtant, le continent n’est pas vraiment divisé, il se partage entre les perdants résignés et les perdants soulagés. Soulagés parce qu’ils redoutaient pire - c’est la force de Trump que d’avoir attendri la viande pendant les négociations, en menaçant de taxes encore plus punitives. Au-delà des jérémiades, il n’y a donc pas de réelle volonté de remettre en cause l’accord avalisé par la présidente de la Commission. De plus, plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis ont déjà avalé leur pilule, le Japon, la Corée du Sud, et tous ceux qui attendent dans le couloir de la Maison-Blanche… Il n’y a plus guère que la Chine qui tienne tête à l’Amérique. Il faut espérer que cette affaire aura au moins eu pour effet de révéler à l’Europe, à ses citoyens et ses dirigeants, l’ampleur des changements en cours dans les relations internationales. Dans la confrontation qui s’intensifie, tout est stratégique, y compris les questions commerciales. Tout a un prix. Tout est levier pour obtenir de l’influence ou des ressources. Cela exige de nous une révolution, dans l’idéologie et dans l’action, après quarante ans où le libre-échange était considéré comme l’état naturel des rapports internationaux, indépendant des questions politiques et profitables à tous. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. Pour reprendre un aphorisme de l’économiste Marc de Scitivaux, dans la longue histoire du coup de pied au derrière, ce n’est pas toujours le pied le plus coupable.
par Henri Guaino 4 août 2025
"Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets" Une tribune d'Henri Guaino parue dans Le Figaro le 28 juillet 2025 : https://www.notrefrance.fr/index.php/medias/
par Louise Morice 26 juillet 2025
"Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le solde naturel est négatif. Ce que l’on attendait pour 2027 est déjà là, en 2025. Trop tôt. Trop vite. Et pourtant, pas un sursaut. Pas un électrochoc. Le pays continue, imperturbable, comme sous anesthésie. Ce chiffre, pourtant fondamental, ne suscite ni débat national, ni mobilisation. On le constate, on le commente, puis on passe à autre chose. Comme toujours." https://www.frontieresmedia.fr/tribunes/tribune-louise-morice-le-silence-des-enfants-le-prix-du-renoncement
par Mathieu Bock-Côté 26 juillet 2025
Une tribune de Mathieu Bock-Côté dans FigaroVox (25/07/2025) https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mathieu-bock-cote-de-la-fin-du-macronisme-20250724 CHRONIQUE - Le macronisme, dont Bruno Retailleau a prédit la fin une fois qu’Emmanuel Macron ne sera plus président de la République, a d’abord été le réflexe de survie d’un régime en panne, avant de se muer en une forme de centrisme autoritaire. C’est une des polémiques de l’été : sommes-nous témoins de la fin du macronisme ? La question peut se comprendre au premier degré : dans quelle mesure Emmanuel Macron peut-il encore peser jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 ? Pour certains, elle relève de l’hérésie. La garde prétorienne du président accuse ainsi de lèse macronisme les figures du gouvernement qui n’ont pourtant jamais caché leur hostilité à son endroit. Voyons-y la joute politique ordinaire. À découvrir La question ne devient pourtant intéressante qu’en se détachant de la personnalité du président de la République pour faire plutôt le bilan de la synthèse qu’il a cherché à composer en 2017. Ce qui nous oblige à revenir à ses origines. Le macronisme fut d’abord le réflexe de survie d’un régime en panne, aux clivages devenus stériles, sentant monter une menace « populiste » et voulant se donner les moyens de la mater en ripolinant sa façade et en confiant la direction du pays à un jeune homme qu’on disait exceptionnel. Les élites politiques concurrentes qui, jusqu’alors, s’affrontaient selon la loi de l’alternance entre la gauche et la droite, se fédérèrent alors dans ce qu’on allait appeler un bloc central revendiquant le monopole de la République, de ses valeurs et de la légitimité démocratique, mobilisé contre des extrêmes, censées menacer la démocratie. L’alternative était posée : macronisme ou barbarie ! La rhétorique anti-extrêmes au cœur du macronisme masquait toutefois une fixation bien plus précise sur la droite nationale - alors qu’il convergeait culturellement avec la gauche radicale. Le macronisme n’a jamais cessé de proposer une offre politique conjuguant diversitarisme et mondialisme, auxquels s’est ajoutée la transition énergétique, sous le signe d’un empire européen à construire. L’homme européen auquel rêvent les macronistes a souvent eu les traits d’un l’homo sovieticus revampé. Le macronisme semblait faire du multiculturalisme une promesse. Il croyait les tensions dans les quartiers solubles dans la croissance, convaincu qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre certaines civilisations, que l’islam est une religion comme une autre, et que le nombre, en matière migratoire, est une variable insignifiante. Il n’a pas vu et ne voit toujours pas la submersion migratoire, sauf pour la célébrer. Il se représente moins l’immigration comme une fatalité que comme un projet. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit Mathieu Bock-Côté Le macronisme se voulait aussi un technocratisme : les meilleurs enfin rassemblés pourraient facilement résoudre les problèmes de la France, dégraisser l’État social, relancer l’économie et libérer les énergies du pays. La pensée unique trouvait sa traduction pratique et quiconque entendait gouverner à partir d’autres principes était accusé de se laisser emporter par des bouffées idéologiques délirantes. La situation financière de la France laisse croire que cette stratégie était moins performante que prévu. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit. De 2017 à 2025, les initiatives se sont multipliées pour assurer une régulation publique de l’information, pour lutter contre les discours haineux, pour étendre la surveillance des pensées coupables au discours privé, sans oublier la dissolution de nombreux groupes identitaires, l’acharnement judiciaire et financier contre le RN et la fermeture d’une chaîne de télévision décrétée d’opposition. Le régime n’a plus de base populaire C’est ce qui a permis au macronisme de fédérer, l’an passé, les partis du système dans un front républicain allant de l’extrême gauche à la droite classique pour empêcher l’arrivée au pouvoir du RN. Le macronisme, à ce stade, abolissait le pluralisme politique authentique. Il n’y avait de diversité idéologique légitime qu’au sein du bloc central. L’extrême centre et la gauche radicale ont l’antifascisme en langage partagé. La droite classique, évidemment, s’est tue, de peur de déplaire. La seule opposition autorisée est celle qui se structure dans les paramètres du régime, et qui célèbre ses principes, avant de le contredire dans les détails. La révolte fiscale se fait entendre, la révolte identitaire et sécuritaire travaille la France depuis un bon moment, mais le macronisme est résolu à mater les gueux et les lépreux, qu’il se représente comme un peuple factieux, presque comme une meute de dégénérés dangereux. Le régime n’a plus vraiment de base populaire, mais ne s’en émeut guère. Le macronisme en est ainsi venu à confondre les palais de la République avec le maquis. Derrière les appels à répétition à sauver la démocratie, on trouve surtout une caste, qui est aussi une élite moins douée qu’elle ne le croit, résolue à prendre tous les moyens nécessaires pour conserver ses privilèges et ses avantages, effrayée devant la possibilité qu’une autre élite la congédie et la balaie. Les prébendes de la République valent bien la peine qu’on se batte pour elles.
par Julien Abbas (Valeurs Actuelles) 26 juillet 2025
Une tribune de Julien Abbas dans Valeurs Actuelles "La France, bercée par ses souvenirs de grandeur, se trouve aujourd’hui, après huit ans de présidence d’Emmanuel Macron, fragilisée sur l’échiquier mondial. L’action de Jean-Noël Barrot à la tête du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne fait qu’accentuer cette dérive." https://www.valeursactuelles.com/politique/jean-noel-barrot-un-ministre-etranger-aux-affaires
par Eric Chol (L'Express) 26 juillet 2025
Un edito d'Eric Chol dans l'Express (16/07) Et si on appliquait le plan Pinay-Rueff à la France ? Arrivé à Matignon en 1958, le général de Gaulle trouve un pays au bord de la banqueroute, comparable à la situation actuelle. Le président de la République a eu beau appeler à « la force d’âme », le pays aura du mal à se défaire du bonnet d’âne qui désormais le caractérise en Europe. Car comment qualifier autrement l’abyssesse des finances publiques, rendue possible par une croissance moribonde et dix ans de promesses mensongères successifs pour l’intendance, de la démagogie d’un personnel politique plus soucieux des élections que de l’intérêt national, et de l’addiction incurable de nos compatriotes aux chèques et à l’Etat ? On connaît (depuis 1974) la chanson, mais n’y fait : la France, année après année, déchoit. Même le plan Bayrou ne lui ressemble qu’à une énième incantation qui nourrira une gêne ou elle sera vite oubliée. Et si l’on essayait vraiment un plan de redressement national ? C’est ce qu’avait fait l’un des ministres des Finances les plus brillants, Antoine Pinay, nommé en 1958 par le général de Gaulle. Un esprit comparable mentalement au plus lucide des conseillers de Gaulle, lorsqu’il arrive à Matignon, c’est d’avoir compris que la crise budgétaire de la France, anémique, asphyxiée par les dépenses, dissuadait le grand débiteur d’agir. Pinay demande donc l’aide d’un directeur général du FMI de l’époque, le Suédois Per Jacobsson, ni plus ni moins. Le plus fou est qu’à Paris, comme à Washington, ce fut le diagnostic économique qui fit l’unanimité : la France, dans sa totalité – Intérieur, Défense, Affaires étrangères… – devait rendre les comptes à l’Etat, dans les moindres détails. Et c’est à ce moment-là que le général de Gaulle, aidé par Jacques Rueff, inspecteur des finances, met le pied dans la fourmilière. L’événement économique déterminant de décembre 1958, pour assainir le pays, Car oui, c’était possible, et de Gaulle l’a fait. Comment ? Tout d’abord en misant sur Jacques Rueff, un inspecteur des finances habitué à voler au secours des économies fragiles : trente ans plus tôt, dépêché par la Société des nations, cet ancien du cabinet Poincaré avait testé l’efficacité de ses recettes en Bulgarie, en Grèce ou au Portugal. De ces sauvetages, le polytechnicien a tiré une devise : « Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage. » Le plan Pinay-Rueff, adopté en décembre 1958, n’a rien d’un chemin de roses : augmentation de taxes et des impôts, compression des dépenses publiques, fin de nombreuses subventions, dévaluation du franc… La purge a un goût amer. « Et bien, les Français crient. Et après ? », rétorque de Gaulle à ses ministres inquiets. Mais les Français n’ont pas crié, et les comptes de la nation ont été rétablis en six mois. « La force de ce programme, c’est qu’il touchait l’ensemble des classes sociales : agriculteurs, retraités, fonctionnaires, chefs d’entreprise… Tout le monde a dû mettre la main à la poche », analyse l’historienne Laure Quennouëlle-Corre. Le plan Pinay-Rueff avait d’autres atouts. La popularité de Pinay, pour faire passer la pilule auprès des Français. « Sa mise en œuvre a été faite par un homme fort qui disposait d’un ascendant et d’une majorité très importante dans le pays. Le plan a été accepté parce qu’il était porté par de Gaulle, » précise l’auteur du Dénî de la dette. Une histoire française (Flammarion). Sept décennies plus tard, on a la recette, mais incontestablement, on manque encore d’un chef !
par LD31 26 juillet 2025
On croyait que la suppression des 2 jours fériés, ce serait pour réduire le cout du travail ? Raté ... ce sera pour financer un impôt supplémentaire sur les entreprises !
par François Vannesson 17 juillet 2025
Un post Linkedin de François Vannesson, avocat au barreau des Hauts-de-Seine et fondateur du cabinet Morpheus Avocats Najat Vallaud-Belkacem, L’avatar capillaire du pédagogisme invertébré, vient d’être bombardée à la Cour des comptes. Une récompense bien méritée pour l’immense œuvre de destruction méthodique qu’elle a menée contre l’instruction publique : elle a vidé les cerveaux avec une cuillère en bois, puis repeint les murs de la salle de classe avec les restes. À l’époque, elle nous vendait l’école comme un espace d’auto-expression émotive où la syntaxe était fasciste, la chronologie raciste, la discipline patriarcale et l’excellence un attentat psychologique. Elle dirigeait le ministère comme on organise une orgie dans un hospice : sans scrupule, sans hygiène, sans témoin. Et maintenant elle va compter. Pas les fautes, non, ni les manques, ni les milliards égarés entre deux lubies. Elle va compter avec sa méthode : à la louche, au ressenti, à l’échelle du trauma perçu. Chaque déficit sera une blessure symbolique, chaque trou dans le budget une opportunité de réinvention inclusive. Mais la meilleure part, c’est le parrainage. François Bayrou, incarnation ambulante du compromis diarrhéique, l’a propulsée là. L’homme qui croit encore à son destin présidentiel comme un vieil ivrogne croit au retour de l’amour conjugal. Il négocie une nomination comme un souteneur distribue des faveurs : contre une abstention PS sur la censure. République mon amour, tu n’es plus qu’un kiosque à prostitutions morales. La scène est si grotesque qu’on en pleurerait de rage : l’ancienne démolisseuse de la langue française promue gardienne des comptes. L’incompétence sanctifiée, l’idéologie élevée au rang de compétence, l’erreur transformée en critère de sélection. Bientôt viendra son premier rapport : « Vers une comptabilité intersectionnelle : décoloniser les bilans, racialiser les soldes ». Elle y ajoutera une bibliographie lacrymale, quelques verbes en inclusif approximatif, et un graphique en arc-en-ciel pour masquer l’effondrement. La France, pendant ce temps, crève à petit feu. On supprime les jours fériés, on broie les actifs, on appuie sur la gorge des classes moyennes jusqu’à ce qu’elles n’aient plus que l’impôt pour respirer. Mais au sommet de la pyramide invertie, les fossoyeurs se félicitent. On ne leur demande plus d’être bons. Juste d’avoir bien nui. Et là, Najat coche toutes les cases. Avec application. Et un très joli stylo.
par Interview du philosoque Pierre-Henri Tavoillot par Eugénie Boilait dans FigaroVox 16 juillet 2025
ENTRETIEN - Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot*, cette affirmation est doublement erronée. * Maître de conférences à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot est aussi le référent laïcité de la région Île-de-France. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/quoi-qu-en-dise-le-ministre-la-realite-du-terrain-confirme-l-existence-d-un-islamo-gauchisme-dans-les-universites-20250709 LE FIGARO. – Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté le 7 juillet sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». « Il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas », a-t-il assuré. Selon vous, cet argumentaire tient-il la route ? Passer la publicité Pierre-Henri TAVOILLOT. - À vrai dire, ce propos est doublement erroné : d’abord parce que le concept d’« islamo-gauchisme » est clairement identifié, et ensuite parce que, comme toute idéologie, il est évidemment présent à l’université, réceptacle naturel de toutes les idéologies existantes. Mais chaque chose en son temps. Revenons au concept qui a été construit par Pierre-André Taguieff dans les années 2000 et dont l’histoire est parfaitement connue. L’historien des idées l’évoque notamment dans son ouvrage Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Hermann, 2021). À partir de là, la définition de l’idéal-type est simple à établir, avec trois points fondamentaux qui le caractérisent. Il y a d’abord l’idée que l’islam est la religion des « opprimés » - ce qui permet aux révolutionnaires de gauche d’abjurer leur aversion du religieux, la religion étant traditionnellement perçue comme l’« opium du peuple ». Et la révolte islamiste est, pour le révolutionnaire en herbe, une « divine surprise » qui permet de pallier la tendance conservatrice, voire réactionnaire, du prolétariat européen. En effet celui-ci se contente dorénavant de « défendre les acquis sociaux » ou de voter pour le Rassemblement national. Dans ces conditions, la révolution n’est plus envisageable avec lui, d’où la deuxième idée structurante qui réside dans l’urgence de faire venir un prolétariat actif et révolutionnaire. L’islamo-gauchisme soutient donc l’ouverture sans limite des frontières et l’accueil de ceux qu’ils pointent comme les « damnés de la terre ». Avec ces derniers, il redevient possible d’envisager la destruction de la pseudo-social-démocratie libérale et du système capitaliste. La troisième idée est que l’islamisme est lui-même une simple réaction de défense, légitime donc, face à un impérialisme occidental et néocolonial qui veut imposer à coups de canon son « idéologie des droits de l’homme » dans le monde entier. De ce point de vue, les plus à l’extrême vont percevoir les attentats comme des réactions, à l’instar du pogrom du 7 Octobre en Israël, que certains ont qualifié d’« acte de résistance ». D’ailleurs, la judéophobie est l’une des dernières composantes, et non des moindres, de cette idéologie. On a là un raisonnement qui donne sa cohérence à bien des prises de position étranges de la part de La France insoumise, notamment. Dire que le concept n’existe pas, c’est se priver du moyen de comprendre l’extrême gauche, et même une partie de la gauche, qui met par exemple Gaza et le drapeau palestinien en tête de toutes ses revendications. D’après le ministre, tous les atermoiements des dernières années à l’université témoignent donc simplement d’une tradition française bien ancrée, celle de la forte politisation des universités. Sur ce point, il n’a pas tort : qu’est-ce qui différencie vraiment la période actuelle ? Il existe tout de même une inquiétude supplémentaire par rapport au passé : on a affaire là, potentiellement, à de la violence. Ce ne sont pas seulement des débats d’idées. On a vu ce qui s’est passé à l’école avec Samuel Paty et Dominique Bernard quand la haine est attisée. Ces choses sont à prendre au sérieux. Ce n’est pas majoritaire, mais c’est une minorité fanatique. Entre les débats même violents que l’on a pu connaître par le passé à l’université et ceux d’aujourd’hui, il y a un potentiel changement de nature. Cette idéologie existe donc à l’université ? Elle n’est pas majoritaire ni structurelle, mais elle est bien présente. Et cela dépend largement des secteurs. On peut en donner bien des exemples : il n’a par exemple échappé à personne qu’un certain nombre de blocages qui avaient eu lieu ces derniers mois devant ou dans nos universités se justifiaient par l’hostilité envers la guerre à Gaza. De prime abord, on peut se demander pourquoi, dans une université française, on bloque les cours du fait de la guerre au Moyen-Orient ? En effet, la France n’est pas cobelligérante : sur le strict plan universitaire, ça n’a pas de sens. Il a donc fallu trouver des justifications et on les a trouvées au cœur de ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme. Il faut arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime Pierre-Henri Tavoillot Plus personnellement, en tant que référent laïcité de la région Île-de-France, j’ai de nombreuses remontées de terrain qui témoignent de ce que l’on appelle l’« entrisme islamiste ». Ce n’est pas un fantasme. Il y a quelques mois, notre collègue Fabrice Balanche a été interrompu dans son propre cours par des activistes. À Lyon, on sait aussi qu’il existe des salles de prière au sein des établissements. Il y a le spectacle de l’Unef dont la dimension de gauche laïque cède la place aujourd’hui à une dimension « frériste » - cela laisse d’ailleurs dans la stupéfaction ceux qui furent ses anciens militants. Les étudiants sont-ils les seuls concernés ? Les professeurs le sont également. J’ai de nombreux collègues proches de La France insoumise, et ils sont d’ailleurs dans leur bon droit. Certains, comme François Burgat, se revendiquent même de l’islamo-gauchisme. Preuve, s’il en fallait, que, si, aujourd’hui, pour nombre de gens, ce terme est péjoratif, il est en premier lieu descriptif et renvoie à des idées et à un raisonnement. Je ne suis pas d’accord avec cette position, mais elle a de la cohérence : ainsi, dire que ça n’existe pas n’a absolument aucun sens… C’est une grille incontestable qui explique une partie des débats aujourd’hui en France. Dans la classification de la gauche selon Jacques Julliard, il y a la gauche collectiviste, la gauche libertaire, la gauche libérale et la gauche jacobine. Il y a beaucoup d’antagonismes entre elles, mais ce qui réunit les gauches libertaire et collectiviste, c’est précisément l’islamo-gauchisme. Elles vont se retrouver ensemble comme à la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Cette dernière avait réuni la CGT, l’Unef, le Parti communiste, Les Verts, Lutte ouvrière, LFI, le NPA. Il y avait une unification des deux gauches radicales qui s’opposaient, de ce point de vue, aux deux autres gauches, laïcardes. Il faut donc arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime. D’autant qu’il est de plus en plus marginal. Il faut être clair pour établir un diagnostic fiable. Ce serait d’ailleurs bienheureux pour tout le monde, car cela nous empêcherait à la fois de sous-réagir et de surréagir. Il faut plutôt accepter le réel, pour, ensuite, voir ce qui relève de la liberté d’expression politique et ce qui relève des attitudes et des actions contraires à l’esprit et à la lettre des universités. Là est le véritable enjeu. D’autant que la prise de parole du ministre s’oppose à ce que disaient certains de ses prédécesseurs… Cet effet yoyo est une constante depuis que Jean-Michel Blanquer a cessé d’être ministre. Lui a eu l’immense mérite d’avoir une politique claire et de long terme sur le sujet. Maintenant, les allers-retours sont permanents, alors même que la réalité commence à apparaître au grand jour.
par Stéphane Loignon et Solenn Poullennec (Les Echos) 14 juillet 2025
Les propositions pour réformer les dépenses publiques ne manquent pas et le Sénat a rendu récemment une nouvelle copie. Mais François Bayrou aura t'il ne courage de n'en retenir ne serait ce que quelques unes plutôt que de tomber dans la lâcheté habituelle des augmentations d’impôts ... https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-les-propositions-chocs-du-senat-pour-redresser-les-comptes-publics-2175473 Budget : les propositions chocs du Sénat pour redresser les comptes publics Gel des crédits, non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, jours de carence des fonctionnaires, « année blanche » sur les prestations sociales… La majorité sénatoriale a livré des recommandations drastiques pour redresser les comptes.Par Stéphane Loignon, Solenn Poullennec Le Sénat a rendu sa copie budgétaire au Premier ministre. Son contenu donne une idée de l'ampleur des sacrifices qui pourraient être demandés. Lundi, le président de la Chambre haute, Gérard Larcher, s'est rendu à Matignon pour dévoiler la contribution de la majorité sénatoriale au prochain budget, à une semaine de l'annonce par François Bayrou de son plan de redressement des finances publiques. « Les Echos » ont pu se procurer ce document révélé par Contexte. Sans prétendre remplacer le gouvernement, les sénateurs de la majorité du centre et de droite ont souhaité apporter leur pierre à l'édifice, en compilant des pistes d'économies pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB l'an prochain, contre 5,4 % visés cette année. « Il y a une voie, qui est exigeante, mais c'est maintenant qu'il faut le faire », insiste le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), à l'issue de ce travail collégial entamé mi-mai. « On a essayé d'équilibrer entre les entreprises, les retraités, les actifs. Que chacun puisse considérer qu'il est soumis au même régime d'effort… », témoigne la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales. Selon elle, « ce n'est pas la copie définitive » mais plutôt « des options ». Baisse des dépenses Alors que le gouvernement a estimé l'effort nécessaire à 40 milliards d'euros en 2026, les propositions sénatoriales aboutissent à une fourchette comprise entre 30 à 50 milliards d'euros. « Sur les presque 50 milliards, environ 45 milliards concernent la baisse de la dépense publique, ça ne s'est jamais fait », souligne Jean-François Husson. Le recours à la fiscalité se limite à un éventuel gel du barème de l'impôt sur le revenu, dans le cadre d'une « année blanche » si les baisses de dépenses ne suffisent pas, et à la pleine application du dispositif contre la fraude CumCum (1,5 à 2 milliards d'euros à la clé), prévu au budget 2025 et que les sénateurs jugent bridé par un texte d'application de Bercy. Tout le reste repose sur la baisse des dépenses, en premier lieu de l'Etat. A minima, le Sénat recommande le gel en valeur des crédits budgétaires - hors défense, charge de la dette et contribution à l'Union européenne -, qui produirait 10 milliards d'euros d'économies par rapport à l'évolution spontanée des dépenses. Chaque baisse de 1 % des crédits hors loi de programmation rapporterait 2,4 milliards d'euros supplémentaires. Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux Sauf pour les Armées, le Sénat propose même de « réinterroger » les lois de programmation qui encadrent les budgets du ministère de l'Intérieur, de la Justice et de la Recherche. Au maximum, ramener les crédits au niveau du dernier budget avant Covid (soit celui de 2019), en tenant compte de l'inflation, rapporterait carrément 22 milliards d'euros (un objectif qui ne pourrait être atteint que progressivement). Pour réaliser des économies dans la durée, les sénateurs veulent aussi que l'Etat reprenne le contrôle de sa masse salariale, qui a grimpé de 6,7 % l'an passé. Ils remettent sur la table le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy puis abandonné sous François Hollande. La mesure rapporterait 500 millions d'euros l'an prochain. Ils réclament également l'harmonisation du régime des jours de carence dans la fonction publique (un jour actuellement) avec celui du privé (trois jours), avec 200 millions d'euros à la clé en 2026. La rationalisation des agences et opérateurs apporterait 540 millions d'euros d'économies sur leur fonctionnement, en suivant les recommandations du rapport de la sénatrice LR Christine Lavarde. « Année blanche » notamment sur les retraites. Les collectivités apporteraient un écot modeste au redressement des comptes, à hauteur d'un « maximum de 2 milliards d'euros », comme cette année. Celles-ci ne sont que « de manière anecdotique responsable de l'aggravation de la dette publique depuis 2019 », juge le Sénat, contrairement à la Cour des comptes. Les sénateurs voient en revanche de gros gains potentiels dans la lutte contre l'enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités. L'application des recommandations du rapport Ravignon rapporterait jusqu'à 7,5 milliards d'euros, éventuellement au bout de deux ans (3,8 milliards la première année). Une réforme des décrets tertiaires, dont le coût qui pèse sur les collectivités aurait atteint 3,3 milliards d'euros en 2023, permettrait de récupérer cette somme, potentiellement en deux ans. Enfin, la Sécurité sociale fournirait environ 10 milliards d'euros d'économies en 2026 dans le plan des sénateurs, notamment via une « année blanche » (non-indexation) des prestations sociales (5 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros pour les retraites). L'Assurance Maladie apporterait aussi 5 milliards d'euros, par différentes mesures concernant entre autres la prise en charge des affections de longue durée, les médicaments et les dispositifs médicaux. Les assureurs santé pourraient se voir confier des missions de prévention, aujourd'hui assumées par la « Sécu ». Reste à savoir dans quelle mesure le gouvernement s'inspirera de ces nombreuses propositions.