Je suis de droite parce que....

NJ Gray • 29 août 2019

Ceci est le sous-titre de votre nouveau post

2. J’ai choisi la liberté

Il s’agit ici du second volet de la série “ Je suis de droite parce que …” destiné à dépasser les postures et les gesticulations rhétoriques et à réfléchir ce qui fonde notre engagement politique, le mien en l’occurrence aujourd’hui “plutôt à droite”, et nous fait apporter notre soutien à tel ou tel mouvement, varier éventuellement dans nos préférences, donc dans nos votes, au-delà des appartenances quasi pavloviennes qui nous font affirmer péremptoirement que l’on est de droite ou de gauche parce que “cela a toujours été comme ça”. Dans le brouillard des idées ambiant (expression qui date déjà des années 1980), où pour certains gauche et droite se confondent, il devient urgent pour chaque “camp” de redéfinir concrètement les valeurs qu’il défend. Aujourd’hui tout le monde est pour la liberté, la fraternité, l’égalité des droits, le social ... Oui mais dans les faits, ces priorités sont-elles toujours compatibles? S’il faut privilégier l’une ou l’autre composante de notre devise républicaine, laquelle choisit-on? Et pourquoi? Qu’est-ce qui nous différencie des autres dans la défense de telle ou telle valeur? Parle-t-on vraiment de la même chose derrière les mêmes mots?

Le premier volet ( https://www.facebook.com/notes/nj-gray/je-suis-de-droite-parce-que-/10218334859555945/ ) s’attachait à expliquer pourquoi je n’étais plus de gauche: n’ayant pas évolué sur mes valeurs fondamentales, les faits m’ont démontré que ces dernières n’étaient plus défendues par la gauche à laquelle j’ai cru appartenir mais par une (partie de la) droite devenue un peu plus audible parce que moins complexée par les procès d’intention et caricatures dressés par ses adversaires. Même si le chemin reste long à parcourir. Aujourd’hui nous nous attachons à la valeur “liberté”. Apparemment défendue par tous, la “vraie liberté” , réelle et concrète, est restée une valeur de droite.

*

« Oui, évidemment, me dira-t-on à droite, tu enfonces des portes ouvertes ». Et de fait la droite est souvent associée à la défense des libertés (libertés individuelles, libéralisme, école dite libre qui permet la liberté de choix et la différenciation…). Jusque dans les cours de sciences politiques, la liberté est présentée comme une valeur de droite, alors que l’égalité serait la référence forte de la gauche. C’est d’ailleurs ainsi depuis longtemps que les politologues différencient les deux grandes forces d’une France longtemps bipolarisée. Lorsqu’il faut choisir ou privilégier l’une au détriment de l’autre, la droite choisirait toujours la liberté, la gauche l’égalité. Ce n’est pas faux, comme nous le verrons, mais il va falloir creuser davantage ces définitions, car elles sont polysémiques.

« N’importe quoi », me rétorquera-t-on à gauche, la défense des libertés est l’un de nos combats principaux, notamment contre les actions et projets de la « droite liberticide ». Et il est indéniable que ce combat est également le mot d’ordre d’organisations de gauche et d’extrême-gauche qui appellent souvent à manifester contre les « atteintes aux libertés » (état d’urgence, déchéance de nationalité, loi Collomb encadrant l’immigration, actions des forces de l’ordre, interdiction de manifester en certains lieux, contrôles préventifs …), mises en place par des gouvernements qui attenteraient à la liberté de manifester, de se déplacer et de s’installer où l’on souhaite, voire même de s’attaquer aux biens d’autrui pour de bonnes raisons il s’agit d’un ennemi de classe, d’un traître ou d’un symbole…

Le fait est que tout le monde se réclame de la devise républicaine et de ses trois composantes. Il n’y a pas une idéologie qui ne se prononce pas en faveur de la liberté . À partir du moment où l’on constate cet état de fait, que l’une des valeurs souvent attribuée à la droite est partagée par tout le monde, que fait-on ? Se contente-t-on de continuer dans la posture, les discours et le mot d’ordre, pour ne pas dire les échanges de cours de récréation (– c’est moi qui défends le mieux la liberté. – Non c’est moi ! – Moi plus que toi ! – Non c’est moi qui l’ai choisie en premier, et c’est le premier qui l’a dit qui l’est) ? Ce genre de postulat, qui tient du prêt-à-penser ne peut que séduire les militants et électeurs déjà convaincus. Mais ce n’est pas avec des gesticulations que l’on peut espérer séduire les autres et déjà faire revenir ceux qui, déçus, sont partis. De deux choses l’une : si tout le monde est d’accord, il devient inutile de brandir un concept comme élément constitutif de son combat et, si ce dernier est menacé, il s’agit de s’allier, toutes tendances convaincues, pour en défendre le principe et permettre sa réalisation. Mais si l’on perçoit qu’il existe une différenciation, un malentendu lié à une interprétation différente du même mot, il faut expliquer clairement ce qui sépare les deux « camps », de sorte que chacun se positionne en fonction de ses valeurs et aspirations .

C’est ce que nous proposons d’esquisser ici. Nous verrons d’abord que la droite et la gauche ne sont pas attachées aux mêmes formes de liberté et n’en ont pas la même définition (A), qu’entre liberté et égalité elles n’ont pas la même hiérarchie de priorités (B), que la conception de la liberté selon la gauche peut s’avérer liberticide, contreproductive, conduire à la médiocratie quand celle de la droite libère l’individu, l’économie et reste le meilleur soutien de la démocratie représentative (C).

A. La droite défend une forme de liberté et la gauche une autre.

La première explication de cette apparente parenté de combat, c’est que la droite et la gauche ne défendent pas la même liberté. Il y a en effet en philosophie politique [1] deux conceptions de la liberté : la liberté négative (la seule liberté réelle ), qui est l’absence d’entraves pour faire quelque chose, en d’autres termes la liberté de ; et la liberté positive, la possibilité de faire quelque chose, la capacité de . Précisons au passage qu’il n’y a aucun jugement de valeur dans les termes « négatif » ou « positif ». Toutefois, la connotation du mot « négatif » explique qu’en politique, on utilise moins ce terme que des périphrases pour exprimer son contenu. Je le reprends donc ici sur le plan philosophique mais il est évident qu’il serait contre-productif sur le plan médiatique : qui oserait sembler se prononcer contre la liberté ?

La droite illustre la défense et le combat pour les libertés réelles, dites négatives.

Ce que les philosophes nomment liberté négative correspond en effet aux libertés réelles , c’est-à-dire la possibilité et le droit pour chacun de posséder un espace privé, inviolable donc sûr, dans lequel il puisse penser et s’exprimer librement (liberté de pensée et d’expression), posséder (droit de propriété), se déplacer (liberté de mouvement), croire (liberté de conscience) et choisir (liberté de choix) sans qu'aucun pouvoir extérieur ne puisse intervenir pour l’en empêcher, tant qu’évidemment ces activités personnelles ne contreviennent pas aux lois en vigueur (que l’on peut néanmoins s’efforcer de changer, par le débat démocratique, si on les juge trop liberticides). Ce « pouvoir extérieur » qui limite la volonté autonome d’un individu peut être, et de plus en plus aujourd’hui, la chape morale que l’on qualifie souvent de « gauchisme culturel » qui, par l’appel à la censure, la stigmatisation, l’insulte, le procès d’intention, la criminalisation de toute pensée divergente, voire la violence de rue, conduit à s’autocensurer et craindre le jugement, voire la réaction d’autrui.

Cette conception de la liberté bien évidemment s’entend dans l’acception que lui donnaient les philosophes des Lumières, c’est-à-dire qu’il ne s’agit évidemment pas d’une liberté sans aucune entrave , façon anarchisme, elle s’arrête là où commence la liberté d’autrui, ce qui revient à dire que l’on ne peut pas tout se permettre si cela doit nuire à son voisin ou à la société ou si cela doit perturber l’ordre public. Cette limitation des libertés devrait se faire naturellement par le bon sens et l’esprit civique des individus, qu’ils soient innés ou transmis par l’éducation nationale et parentale. À défaut, et c’est malheureusement de plus en plus le cas aujourd’hui en raison de la faillite des transmetteurs précédemment cités, c’est à l’État de garantir les droits et libertés de chacun et l’ordre social, y compris en dernier recours par ce dont il est le seul dépositaire, la « violence légitime » (Max Weber) par l’intermédiaire des forces chargées de garantir cet ordre et la sécurité de chacun. Violence, rappelons-le, qui n’est que la réaction légale à des actes illégaux. On voit ici que la sécurité n’est nullement antinomique du principe de liberté , comme le prétend une partie de la gauche. Bien au contraire, elle la garantit.

En concordance avec cette conception de la liberté, la droite défend donc les libertés civiles et politiques de pensée, d’expression, d’association, de résidence, de culte, de propriété, (d’acquérir, de transférer, de transmettre la propriété, d’en jouir librement), d’entreprise (créer, diriger, fusionner, diviser, mettre en faillite, réajuster ses effectifs, vendre, transmettre)… À noter que l’on peut remplacer le mot liberté, dans les exemples ci-dessus, par « le droit de », les deux termes étant inextricablement liés en philosophie politique, le droit étant une liberté encadrée dans le cadre du contrat social, et non une liberté absolue, effrénée et potentiellement liberticide pour autrui. Il s’agit de vivre et de pouvoir gagner sa vie sans entraves trop handicapantes de la part de l’État ou des institutions (noter la préposition négative). Ces libertés réelles, défendues par la droite, relèvent donc avant tout de l’économique et du social .

Ces valeurs sont-elles aussi de gauche ? Pour certaines, on verra qu’elles le sont dans les discours mais qu’elles ne peuvent l’être, du moins totalement, dans les faits car elles entrent en contradiction avec la priorité de la gauche qui est l’égalité, voir l’égalitarisme. Pour d’autres, elles lui sont totalement étrangères (sauf pour cette partie de la gauche convertie au libéralisme que les gens qui se disent de la « vraie » gauche accusent d’avoir trahi ). Ainsi la liberté de propriété et la liberté d’entreprise sont-elles deux valeurs essentielles de la droite auxquelles la gauche a continuellement fait obstacle : nationalisations, impôt progressif, réglementation du travail, contrôles permanents et tatillons (souvent prétextes, dont l’impact sur l’environnement, nécessaires mais souvent utilisés pour freiner l’investissement), interdictions de travailler davantage, alourdissement des droits de transmission des patrimoines, aujourd’hui IFI (mis en place par un gouvernement où la majeure partie des ministres sont à gauche)… Sans compter les caricatures manichéennes de l’entreprise, véhiculées par les discours et l’enseignement (surtout en sections économiques) présentant l’entreprise façon Germinal, patrons cruels et égoïstes, capitalistes obèses, ouvriers écrasés, salariés faméliques … Le patron (un gros mot !), qu’il soit celui d’une grande entreprise du CAC 40 ou le petit artisan dirigeant une équipe de trois ouvriers, est nécessairement un salaud, un profiteur et un « rentier » qui ne bosse pas et fait travailler les autres.

Aujourd’hui l’image de l’entreprise change, il faut reconnaître au gouvernement actuel de se battre à cet égard pour la réhabiliter, mais la description ci-dessus n’apparaissait même pas comme caricaturale, dans une France acquise au gauchisme culturel, il y a encore une dizaine d’années. Et la gauche continue de reprocher au libéralisme économique de créer des besoins qui n’existent pas. Il y a une part de vérité dans ce constat mais est-ce pour autant qu’il faudrait empêcher d’entreprendre et de vendre ? Il n’en reste pas moins que les principaux besoins auxquels l’économie libérale répond sont des besoins de base (se nourrir, se loger, se déplacer, s’instruire, se divertir …) et que la mondialisation a permis depuis quelques décennies, dans l’absolu, une augmentation spectaculaire du niveau de vie et une diminution de la pauvreté sensible à l’échelle de la planète. Ce qui ne veut pas dire que les inégalités n’ont pas augmenté et que la mondialisation aujourd’hui n’a pas besoin d’être révisée et repensée, ne serait-ce que pour des questions environnementales.

À gauche on défend également la liberté, mais ce n’est pas la même.

La gauche identifie en effet la liberté à l'égalité matérielle . C’est la conception de la liberté positive, c’est-à-dire la capacité de, la possibilité de… Pour la gauche peu importe les droits et libertés ci-dessus mentionnés : si l’on n’a pas les moyens de s’acheter une voiture, on ne bénéficie pas de la liberté de se déplacer à volonté. Si l’on a trop petit salaire ou que l’on n’a pas d’emploi, la liberté de propriété ne nous intéresse pas. Si l’on n’a pas les moyens de se soigner, on ne se soigne pas. La gauche reproche à la droite de promouvoir des libertés spécifiques garanties par un système légal mais ne pas donner à tous les moyens de s’en servir. Elle va promouvoir non pas le droit ou la liberté, qui sont acquis, mais la possibilité pour tout le monde d’accéder à la même chose. Et comme elle n’a pas une baguette magique pour donner à ceux qui n’ont pas la même chose que ceux qui ont, elle va piocher dans les poches des uns pour donner à d’autres, redistribuer, égaliser, limiter les libertés négatives au nom d’un chemin hypothétique vers des libertés positives.

Et c’est là où droite et gauche diffèrent. À partir de ce constat, qui est indéniable (tout le monde n’a pas la possibilité de), la gauche va donc limiter la liberté de ceux qui gagnent plus que d’autres de jouir librement de leur argent, les empêcher de s’enrichir davantage, en particulier par un impôt redistributif prétendant réduire les inégalités et en donnant aux plus démunis, ou plus exactement à ceux qu’elle considère (sincèrement ou par électoralisme) comme plus démunis. Que ces défavorisés, par le biais de transferts sociaux défiscalisés et d’aides diverses aient autant ou même davantage qu’une grande partie de ceux qui gagnent peu, et que cela ne pousse pas à travailler dur, ou à travailler tout simplement, est une autre question que nous n’aborderons pas aujourd’hui, celle du dérèglement de l’État-providence tombé dans un système d’assistanat décourageant le travail, et générateur d’importants flux migratoires vers une France généreuse au-dessus de ses moyens.

La gauche aujourd’hui est ainsi passée de la légitime et partagée par tous revendication de l’égalité des droits vers un égalitarisme nivelant et homogénéisant la société française sur le plus petit dénominateur commun. Puisqu’on ne peut tirer tout le monde vers le haut, limitons les droits et les libertés de ceux qui se détachent et dont la tête dépasse. Dans cette optique, l’État omnipotent et omniprésent joue un rôle essentiel. S’il limite par la loi et l’interventionnisme les possibilités (de posséder, de transmettre, d'entreprendre, de travailler au-delà des maxima légaux, de devenir riche…), il est certain que l’on réduira à termes, ce faisant, les inégalités. Mais en nivelant vers le bas. À droite au contraire, on considère que limiter droits et activités est contre-productif, on croit encore à l’ascenseur social et à l’exemplarité, aux réussites façon self made man à l’américaine, et l’on cherche à tirer le maximum de personnes vers le haut, ce qui n’exclut pas des mécanismes de correction et de redistribution , tant qu’ils n’handicapent pas trop les droits et libertés individuelles et ne deviennent pas contre-productifs en termes économiques. C’est une différence majeure.

Ajoutons enfin qu’à la gauche de la gauche, traditionnellement, on défendait également une autre conception de la liberté individuelle qui se manifeste, elle, par le droit de tout faire (au nom de l’idéal du camp du Bien), le rejet de toute autorité (professeurs, policiers, leaders …) et l’affirmation de la volonté de pouvoir vivre sa vie sans entraves ni de l’État, ni des institutions. Autrefois défendue par les seuls gauchistes, cette conception de la liberté absolue et sans entraves s’est aujourd’hui répandue dans l’ensemble de la gauche (et d’une partie de l’extrême droite), en particulier avec ce qu’est devenu à partir du mois de décembre le mouvement des « gilets jaunes », rejetant violemment et a priori la violence légitime de l’État, c’est-à-dire l’intervention légale contre des formes d’action illégales (violences urbaines…). La gauche légaliste est donc allée jusqu’à reprendre le slogan gauchiste des « violences policières », se donnant unilatéralement le droit d’attenter aux institutions, donc au contrat social, ce qui reste logique pour les courants révolutionnaires qui le rejettent, mais nettement plus ambigu et hypocrite pour ceux qui prétendent l’accepter et chercher à le réformer par la voie légale du débat et de l’élection. Cette seconde conception un peu particulière de la liberté sans entraves, c’est l’équivalent de ce que l’historienne Barbara Lefebvre a nommé pour les populations scolaires d’aujourd’hui la « génération j’ai le droit ». À noter que cette conception anarchiste ou gauchiste de la liberté, qui dans le cas présent se veut absolue (dans l’attente du chaos donc du Grand Soir à partir duquel on construira la société idéale, forcément égalitaire et homogène) entre en contradiction avec la conception de la gauche classique pour laquelle l’État interventionniste et redistributif est tout, possède tous les droits, notamment celui de prendre aux uns par les impôts ce que l’on redistribue aux autres, d’empêcher certains de faire pour permettre à d’autres de réaliser, ce qui a donné naissance, sous d’autres cieux … aux régimes parmi les plus totalitaires et liberticides qui soient.

Il s’agit donc de comprendre que la liberté négative défendue par la droite est une liberté réelle alors que la liberté positive de la gauche est virtuelle, intentionnelle, et indissociable de l’égalitarisme.

B. Quelle priorité entre liberté et égalité/égalitarisme ?

La droite et la gauche revendiquent le même objectif, le bien-être des populations tant sur le plan matériel que spirituel, pour tous sans exception. Mais elles diffèrent sur les moyens d’y parvenir. La gauche recherche la liberté à travers une priorité qui est l’égalité, la droite recherche la liberté, modérée par le principe d’égalité . Pour elle l’égalité doit introduire des corrections mais elles ne seront jamais que cela. L’égalité n’est pas l’objectif majeur, qui reste la liberté. Notons que l’on ne parle pas ici de l’égalité des droits, principe fondamental inscrit dans les droits de l’homme et du citoyen, sur laquelle évidemment tout le monde est d’accord et que nul ne discute, mais de la recherche de l’égalité réelle, c’est-à-dire l’uniformisation des niveaux et modes de vie, des croyances, des revenus, des patrimoines, ce que l’on nomme l’égalitarisme .

C’est avant tout sur la priorité accordée à l’un ou l’autre de ces deux principes inscrits dans notre trilogie républicaine que les politologues différencient droite et gauch e. La droite a élu la liberté négative (réelle) comme objectif moral primordial. Elle défend, comme tous, l’égalité des droits mais non l’égalité économique et sociale, par pragmatisme d’une part, droit à la différenciation individuelle de l’autre, qui est le fondement des libertés.

Pour la gauche au contraire, c’est l’égalité et son corolaire, l’uniformisation, qui est l’objectif ultime, elle part du principe qu’il faut réduire ou supprimer les inégalités entre les êtres humains ou entre les groupes sociaux, ce qui la conduit souvent à mettre des entraves croissantes au libertés réelles (dites négatives) défendues par la droite. Son combat est de donner à tous « la possibilité de » , donc d’œuvrer pour la liberté dite positive.

Or le réalisme, qui oblige au pragmatisme, nous enseigne qu’il faut souvent choisir le poids que l’on accorde à chacune des deux premières composantes de notre trilogie républicaine . Car la liberté et l'égalité ne sont pas toujours compatibles, et même rarement. Il est très souvent mensonger de prétendre défendre les deux en même temps, du moins en les plaçant sur le même plan. La permanence des inégalités, à l’échelle de la planète, est un constat : nous naissons libres et égaux en droit, mais pas tous dans le même contexte socio-économico-culturel (patrimoine, éducation, revenus, territoires), ni avec les mêmes potentialités (talent, santé, aptitude au travail et au risque, intelligence…). C’est exactement la même chose pour les territoires qui ne sont ni isotropes ni isomorphes : donc en clair, on peut brailler que l’on se bat pour « l’égalité des territoires », ce qui ne veut strictement rien dire, on ne fera jamais d'une montagne pentue, froide et à la mise en valeur difficile, un littoral plat, attrayant et favorable aux hommes et au commerce. Il est vain de réclamer « l’égalité territoriale » à grands cris, qu’il faut remplacer par la recherche de l’équité, ce qui est sensiblement différent. Sans compter que ce qui était répulsif autrefois (par exemple un littoral où l’ubac, le versant le moins ensoleillé d’une montagne, un sol crayeux comme en Champagne autrefois dite « pouilleuse ») devient, par l’évolution des systèmes économiques (maritimisation des économies, essor du tourisme montagnard et littoral, nouveaux intrants et mécanisation), aujourd’hui un atout. Jusqu’au prochain changement, quand des atouts deviennent des aménités, et d’anciens avantages des handicaps.

Si l’on cherche à corriger ces inégalités, il faut aller contre des tendances naturelles ou des réalités territoriales. Or aller contre revient souvent à contraindre. Donc lorsque l’on vise un monde plus égalitaire, nécessairement, on contraint, on empêche, on prend aux uns ce qui manque aux autres (ça peut aller jusqu’à l'impôt confiscatoire et la redistribution) au nom de la solidarité et l’on réduit les libertés (de gagner davantage, de créer, de profiter de ses richesses, de transmettre facilement…). Le principe est évidemment honorable et personne aujourd’hui, à commencer par les partis de droite, ne s’élève contre des mécanismes correctifs ou redistributifs, sauf quand ils tombent dans l'égalitarisme et la confiscation.

On dit la droite « conservatrice », ce qui signifie non pas qu’elle veut maintenir, coûte que coûte, des inégalités mais qu’elle ne fait pas de leur réduction une priorité en soi , si cela conduit à trop rogner sur les libertés précédemment citées, puisque la défense des libertés individuelles est, précisément, son objectif premier. Il ne s’agit pas d’être méchant ou gentil, généreux (avec l’argent des autres !) ou égoïste, comme on l’entend dire parfois dans des échanges politiques de café du commerce, c’est juste une question de mesure et de priorité. Les deux attitudes, privilégier la liberté ou faire passer en premier l’égalité, sont légitimes et dépendent des aspirations, de l’éducation ou de l’endoctrinement de chacun, il s’agit par contre d’être clair sur les objectifs, de ne pas défendre tout et son contraire en faisant semblant de croire que les deux sont compatibles, et de se positionner en connaissance de cause.

C. En ce qui me concerne, j’ai choisi la liberté réelle (dite négative), la « liberté de » .

Et cela pour plusieurs raisons.

D’une part parce que la défense des libertés positives (donc la recherche d’une égalité dans les possibilités) conduit souvent à des mesures liberticides.

Passons rapidement sur les exemples historiques qui montrent que là où la gauche a donné à l’État le droit de restreindre les libertés négatives pour donner à chacun la possibilité d’atteindre les libertés positives (cf. les grands totalitarismes du XXe siècle, URSS, Chine …), cela n’a nullement, au bout du compte, réduit les inégalités, l’appareil économique et les richesses restant aux mains d’une nomenklatura restreinte et le reste de la population, effectivement homogénéisé et aligné sur le minimum, s’étant collectivement appauvri, en proie à de grandes famines meurtrières récurrentes, privé au bout du compte à la fois des libertés négatives mais aussi des libertés positives. Sauf si l’on considère que d’avoir la possibilité d’accéder au strict minimum permettant à peine de reconstituer sa force de travail, le même pour tout le monde, est une véritable liberté.

La gauche effectivement, pour tenter de construire une société égalitaire (non en droits, elle l’est déjà, mais dans les faits) rogne sur les libertés économiques de « faire » : d’entreprendre librement, de transmettre facilement (la transmission augmentant les inégalités), de disposer de son argent librement via l’impôt, confiscatoire à partir d’un certain niveau de revenus… Comme cela se traduit logiquement, chez les individus ou les entreprises, atteints dans leurs libertés, par des tentatives de contourner les entraves, et cela produit automatiquement, en réaction, une augmentation de la surveillance, du contrôle, du fichage, de la « transparence » (qui, sur le plan financier ou privé, s’apparente à une volonté de mainmise absolue sur les individus).

En outre, l’égalitarisme d’extrême-gauche qui, on l’a vu, gagne aujourd’hui la gauche classique, conduit à limiter les libertés individuelles de multiples manières, la divergence d’opinion, la volonté de différenciation, étant considérées comme autant de coups de canif intolérables dans une société homogène où tous les hommes ont les mêmes droits mais aussi les mêmes besoins, et dont on attend d’eux qu’ils aient les mêmes comportements. L’État, sur les injonctions d’une gauche victimaire et stigmatisante, devient alors intrusif, restreint les libertés d’agir, de dire, de penser, et bientôt de croire (grâce aux procès d’intention) librement. Dans ce genre de société, au lieu d’éduquer (à penser autrement, à respecter, à rire de choses convenables, à ne pas utiliser de mots blessants, à ne pas blasphémer ni choquer…), on interdit et l’on sanctionne. Parce que certains dérapent (fumeurs, chiens sur les plages, enfants bruyants dans les hôtels), on interdit à tous. Certains intellectuels jugés mal-pensants sont mis à l’index, on appelle à leur boycott, voire leur interdiction (E. Zemmour, A. Finkielkraut…). On ne cherche pas à agir sur la cause, on gomme le symptôme. Une fois encore, la gauche préfère casser le thermomètre par l’interdiction ou la menace que de tenter de le comprendre, voire de le traiter.

Est-on libre de rire de tout ? Assurément non et nombre de comiques, qui n’auraient pas choqué il y a encore une vingtaine d’années, sont aujourd’hui ostracisés, voire condamnés ? La liberté pédagogique n’existe plus, nombre d’enseignants sont sanctionnés, voire mis à pied par des inspecteurs défenseurs de la bien-pensance, pour pédagogies rétrogrades. Sur les réseaux sociaux, il est extrêmement significatif que la quasi-totalité de ceux qui appellent à exclure un contradicteur, qui le bloquent, criminalisent la pensée d’autrui parce qu’elle diverge de la norme autoproclamée par le gauchisme culturel, se réclament, en grands défenseurs des libertés, d’une gauche généreuse et altruiste … sauf pour leurs adversaires. Le terrorisme intellectuel de la Bien-pensance musèle bien plus efficacement que la véritable censure. Vraie censure à laquelle une certaine gauche n’est, d’ailleurs, nullement hostile : la loi contre les fake news, au lieu d’éduquer les individus à les repérer, risque d’interdire beaucoup et à tort pour bloquer quelques informations effectivement erronées; la loi contre la haine sur Internet (ce avec quoi chacun ne peut qu’être d’accord) permet de confondre la haine véritable et la simple expression d’un désaccord (qu’appellera-t-on par exemple islamophobie ? L’expression d’un rejet de la charia islamiste ou un véritable appel à la haine de tout musulman ?). Comme on peut le voir dans les deux derniers exemples, pour interdire et sanctionner, ce gauchisme culturel accumule les lois, l’encadrement, la surveillance.

On touche là à une autre différence entre la gauche et la droite, la gauche infantilise, la droite responsabilise et compte sur l’éducation (comme la gauche d’antan), seule à même de développer un civisme véritable, de former des esprits libres et critiques, pour changer les comportements. Mais cela induit une autre différence, qui peut être perçue comme un apparent paradoxe, la droite, en présence de comportements déviants, en l’absence d’une responsabilisation des individus et lorsque ceux-ci attentent aux libertés individuelles, n’exclut pas des mesures sécuritaires pour protéger les libertés. Pour une certaine gauche, au contraire, la mise en œuvre de l’autorité de l’État à des fins sécuritaires (protéger les individus mais également la propriété individuelle et le bien commun) est liberticide. C’est que la droite fait intervenir la réaction sécuritaire a posteriori , quand le comportement déviant, incivique ou dangereux a été constaté. La gauche a l’inverse procède par procès d’intention et présomption de culpabilité : alors on interdit où l’on tente d’empêcher a priori, une pièce d’Eschyle ou une conférence d’A. Finkielkraut.

Parce que la liberté dite positive, qui est le faux-nez de l’égalitarisme, est «économiquement et même socialement contre-productive, a contrario de la liberté réelle .

Pour la droite, si l’on augmente la pression fiscale jusqu’à ce qu’elle devienne confiscatoire ou qu’elle décourage de travailler davantage, si l’on crée des milliers d’emplois inutiles dans la fonction publique (pour donner artificiellement un revenu donc la capacité de), si on nationalise et ne laisse plus l’émulation de la concurrence opérer pour faire baisser les prix, si on décourage la création et l’investissement par trop de contrôles et réglementations « liberticides », ce sont les mécanismes réels de création de la richesse qui se trouve bloqués. S’il n’y a plus de richesses à partager, c’est un appauvrissement général. Le discours de la gauche, généreux, en faveur des libertés sociales, se trouve arrêté dans sa réalisation puisqu’il y a, d’année en année, de moins en moins à redistribuer à de plus en plus de monde. Si l’on gagne autant sans travailler que les travailleurs aux revenus moyens, ou à peine moins mais avec la tranquillité en plus, tout en se trouvant éligible à des aides innombrables, ce n’est pas un encouragement à l’effort. Pire, on pousse nombre de travailleurs à quitter la vie active et l’on n’incite pas ceux qui, inactifs, bénéficient déjà des aides sociales, à retravailler. Le résultat est que cette générosité aveugle (avec l’argent de ceux qui travaillent dur ) annihile les possibilités de promotion de ceux qui font partie des couches sociales de faible revenu qu’elle n’incite pas à reprendre une activité et, s’ils en ont une, à gagner davantage.

Cette omniprésence de l’État pose problème. Pour le libéral, donc l’individu qui se prétend plutôt de droite, l’État est nécessaire, il est là pour organiser prendre en charge ce que les individus ne peuvent gérer par eux-mêmes (c’est le cas notamment de la sécurité via les forces de l’ordre, armée et police). Mais seulement ça ! Tout ce qui relève de l’individu, de sa responsabilité, doit lui être laissé afin qu’il gère librement sa vie, ses croyances, ses comportements, toujours dans la limite de ne pas empiéter sur la liberté d’autrui.


Pour la gauche française actuelle , profondément marquée par les idéologies collectivistes du XXe siècle [2] , l’État est là au contraire pour régler tous les problèmes des gens à leur place : pour elle, l’individu, surtout s’il est « possédant », est égoïste et ne pratiquera pas la solidarité de lui-même [3] , il s’agit donc de l’y obliger par une intrusion dans tous les secteurs de sa vie professionnelle et privée (culpabilisation, incitations). Mais même en supposant la mise en place un système entièrement étatisé, qui décidera de l’économie ? Au nom de quoi ? Il y aura nécessairement, comme dans les régimes totalitaires de gauche du XXe siècle, la constitution d’une nouvelle oligarchie dirigeante. On a vu trop souvent l’appareil d’État utilisé par des individus ou des entreprises privées comme un moyen de capter l’argent public au détriment de l’intérêt général. Mais pour la gauche, pour augmenter les libertés positives (la possibilité pour tous de faire), l’État a pour fonction également de réguler le libéralisme, de jouer un rôle d’arbitre entre les partenaires sociaux. C’est ainsi que l’État-providence et interventionniste est devenu pléthorique, un État omnipotent qui ne peut agir que par l’augmentation de la pression fiscale, déresponsabilisant l’individu, l’infantilisant, le maternant, suppléant ses manquements. Des parents sont défaillants ? Peu importe, au lieu de tenter de les responsabiliser, de les avertir, on va offrir le petit-déjeuner à l’école. On se démène sur tous les médias pour nous dire de manger cinq fruits et légumes par jour, de ne pas fumer, de boire quand il fait très chaud, de protéger ses rapports sexuels. Et on a raison de le faire car la situation d’assistanat (conséquence de cette omniprésence de l’État et de la déresponsabilisation des individus ) est telle aujourd’hui qu’en cas de problème, nombreux seraient ceux qui reprocheraient au gouvernement d’avoir manqué à ses obligations et à son devoir d’avertissement.

La conséquence est que d’un côté on ne cesse de demander « des aides », que l’on voudrait et imagine automatiques, au lieu de tenter de s’en sortir, que l’on n’abandonne pas la « logique de guichet » attendant tout (un emploi, de l’argent) d’un État, incarné par les gouvernements successifs, et l’accusant de tous les maux lorsque l’on n’obtient pas ce que l’on veut, alors même qu’une partie de ses prérogatives sont passées depuis longtemps aux collectivités locales. De l’autre, on voit augmenter l’irresponsabilité des citoyens, leur manque de culture politique, économique géopolitique (après tout, à quoi bon se former si l’État prend tout en charge?), ainsi que l’assistanat et les difficultés d’un État paupérisé, non en soi mais par l’augmentation exponentielle des demandes

Parce que la liberté négative permet l’éclosion des meilleurs, pas l’égalitarisme.

Toute économie, toute société, a besoin de talents, d’innovations, de capitaines d’industrie, d’individus capables de prendre des risques, d’imaginer autre chose, pour lui ou pour les autres, que ce qu’il a sous les yeux, de trouver des solutions à des problèmes sociétaux… Mais hélas la France, disait Cocteau, « a toujours cru que l’égalité consistait à couper tout ce qui dépasse ». Et c’est bien ce qu’il se passe avec la liberté positive, donc l’égalitarisme, qui limite les libertés de faire dans l’espoir de créer une société idéalement homogène où tout le monde aurait les mêmes besoins donc posséderait la même chose.

Malheureusement, dans les faits, cet idéal se heurte au désir de la majorité des individus de se différencier. On a pu le voir notamment dans l’échec des grands ensembles où l’on avait mis dans le même immeuble, voire sur le même palier, des individus de statuts très différents (ouvriers spécialisés, ouvriers qualifiés, contremaîtres, petits patrons). Très vite le souci de hiérarchisation a repris le dessus, les conflits de voisinage et la volonté de différenciation ce sont multipliés et dès l’industrialisations du pavillonnaire et l’accession au crédit immobilier, tous ceux qui le pouvaient sont allés vers l’habitat individuel, les grands ensembles ne gardant plus, captifs, que ceux qui n’avaient pas le choix. La gauche d’aujourd’hui, du moins en France, étant totalitaire, est liberticide de nature. Elle dit l'être pour de bonnes raisons, puisqu’elle prétend faire le bonheur des gens malgré eux. Mais comme on le voit dans l’exemple ci-dessus, la restriction des libertés, dont celle de se différencier d’autrui, peut provoquer des réactions, jusqu’à devenir totalement contre-productive.

De plus, cette propension de la gauche à tout uniformiser, à nier à l’individu la possibilité de différenciation (par exemple choisir un autre type d’école, d’enseignement, correspondant davantage à ses valeurs ou à ses croyances) empêche l’éclosion des meilleurs et conduit rapidement à la médiocratie. Car en limitant les possibilités, en coupant, rabotant « tout ce qui dépasse » au nom de l’égalité, en interdisant, en taxant, en augmentant la surveillance bureaucratique, en réprimant les initiatives qui n’entrent pas dans la norme, on ne tire pas vers le haut, on aligne sur le plus petit dénominateur commun.

Parce que la liberté négative, a contrario de la liberté positive, est à la base de la démocratie

Il est indéniable que, sur la question des libertés, un des points forts de la droite est sa contribution à l’idée de démocratie alors que la gauche traîne, dans les mémoires collectives, le poids des totalitarismes collectivistes du XXe siècle. La Magna Carta dans l’Angleterre du XIIIe siècle est l’œuvre d’aristocrates. Toutes les chartes de droits et libertés qui garantissent l’individu dans son autonomie personnelle et dans sa dignité relèvent de penseurs dits libéraux et ne font pas partie de l’acquis historique de la gauche. Ce furent encore des gouvernements de la droite libérale qui élargirent le suffrage pour le rendre véritablement universel. C’est encore la pensée de droite qui imagina le principe de la division des pouvoirs se surveillant et se modérant les uns les autres. Et c’est surtout la droite qui aujourd’hui encore défend la démocratie élective, pour mettre tout gouvernement à l’abri de la violence populaire et/ou de la tyrannie d’un seul ou des masses. Autant dire que la « dictature du prolétariat » n’est pas une valeur de droite. Au sens commun, c’est-à-dire l’opinion de la masse, la droite privilégiera toujours le bon sens, celui qui est construit par le recul critique, la connaissance, le refus du manichéisme et qui, de fait, est souvent exprimé par des « élites ». Ce sont ces élites, ces individus payés par des indemnités pour travailler, s’informer et décider à la place des autres qui, dans une démocratie qui fonctionne, représentent le peuple et agissent dans l’intérêt collectif. De nos jours il est indéniable que la démocratie représentative a connu de nombreux ratés, ce n’est pas pour autant que la droite prétend la remplacer par une démocratie directe, comme le RIC réclamé par les Gilets Jaunes. Encore une fois, à droite, on ne jette pas le thermomètre, on tente de guérir les maux .


En définitive, la droite admet de bon cœur que la liberté doive être réglementée et délimitée , pour que nous soyons tous libres dans la légalité et que l’on puisse réduire les inégalités, mais sans tomber dans un égalitarisme niveleur. Pour elle l’égalité est subordonnée à la liberté. C’est absolument l’inverse de la pensée de gauche.

Alors bien évidemment, ce qui précède ne s’en est tenu qu’aux principes généraux , ceux qui sont habituellement reconnus comme caractéristiques de la droite et de la gauche par la science politique. Dans les faits, l’échiquier politique est aujourd’hui beaucoup plus confus, situation qui ne date pas d’hier et que, dès les années 1990, on qualifiait de « brouillard des idées » : certaines personnes qui se réclament de la droite sont égalitaristes et étatistes, comme il y a à gauche des personnes hostiles à l’omnipotence de l’État et très attachées aux libertés négatives, qu’elles font passer avant la recherche de l’égalité. En soi, ce sont des valeurs qui ne sont ni de droite ni de gauche et qui peuvent être défendues par tous. Et tout le monde se dit “social”. L’important est de savoir ce que l’on veut et de déceler qui, ici et maintenant, défend le mieux les valeurs que l’on juge prioritaires.

Pour ma conception de la liberté, que je place au-dessus de toutes les autres valeurs, c’est assurément à droite que je me retrouve le mieux, ou le moins mal.

*

[1] Voir notamment travaux de Isaiah Berlin.

[2] Rappelons qu'au XIXe siècle les socialistes étaient partisans de cette même liberté négative au nom de la résistance à la toute-puissance de l’État et de la religion, jusqu’à ce que le collectivisme (théorisé au XXe siècle, léninisme, stalinisme, castrisme, maoïsme…) vienne remplacer le libéralisme socialiste.

[3] Ce que démentent les sociétés étatsunienne et anglaise, où l'individu est davantage maître de l'utilisation de ses revenus, qu'il utilise largement dans des actions de solidarité et de charité. La différence c’est qu’il décide librement vers qui orienter cette solidarité. Et que les destinataires potentiels font tout pour s’en rendre digne et attirer l’attention par leurs efforts ou leur attitude. De la même façon, au XIXe siècle, sans remettre en cause le rôle que jouèrent partis et syndicats de gauche dans l’obtention des “acquis sociaux”, un grand nombre d’avancées concrètes, réelles, améliorant la vie de l’ouvrier (cités-jardins, crèches, augmentations salariales …), sont le fait de grands capitaines d’industries pétris de “catholicisme social” et qui ont mis en place ces actions généreuses et solidaires librement, sans incitation et encore moins obligation de la part de l’Etat. Cette partie du patronat avait en outre compris que l’amélioration des conditions salariales et de vie est un gage d’efficacité, tant il est évident qu’un individu heureux, motivé, respecté et reconnaissant, travaille avec davantage d’ardeur. Alors que l’exploitation, à termes, devient contre-productive en termes économiques.


par Une interview de François Lenglet par Ronan Planchon dans FigaroVox 5 août 2025
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-lenglet-la-commission-europeenne-court-comme-un-canard-sans-tete-desorientee-par-la-disparition-du-monde-d-hier-20250803 ENTRETIEN - Après l’accord signé avec les États-Unis de Donald Trump le 27 juillet en Écosse, l’Europe entame son «siècle de l’humiliation», estime le journaliste économique et essayiste. François Lenglet est éditorialiste économique à TF1-LCI et RTL. Son prochain livre : Qui sera le prochain maître du monde ?, Éditions Plon, octobre 2025. LE FIGARO. - Dans le cadre de son accord avec Trump , l’Union européenne accepte de voir la quasi-totalité de ses exportations de biens vers les États-Unis frappées de droits de douane à hauteur de 15 % et n’obtient ni ne sanctionne rien en retour. Une autre issue était-elle possible ? Passer la publicité François LENGLET. - Non, cet accord est tout sauf surprenant. Il matérialise le rapport de force entre l’Amérique de Trump et l’Europe : tout pour moi, le reste pour toi. C’est la conséquence du rôle nouveau qu’occupent les États-Unis dans les affaires du monde, la « superpuissance voyou », pour reprendre les termes de l’universitaire américain Michael Beckley. C’est-à-dire la puissance numéro un sans autre ambition que de se renforcer au détriment des autres, à commencer par les alliés de naguère - ce sont eux qui offrent le meilleur rendement dans le chantage, parce qu’ils sont faibles. Le plus frappant dans cette affaire, c’est que l’Union européenne est contente. Humiliée et satisfaite. Alors même qu’en plus des tarifs, Bruxelles piétine ses propres politiques, pour satisfaire Trump. Elle accepte ainsi d’investir 600 milliards en Amérique, alors que l’exode de l’investissement est justement le principal problème pointé par le rapport Draghi… Elle s’engage à acheter des armes américaines, alors qu’elle exhorte les pays membres à renforcer leur base industrielle de défense… Elle s’engage à acheter des tombereaux de gaz américains alors qu’elle œuvre pour le zéro carbone ! Quant à la prétendue « prévisibilité » offerte par l’accord aux exportateurs, c’est une vaste blague. Un condamné à dix ans de prison peut évidemment se féliciter de la prévisibilité de son cadre de vie pour la prochaine décennie. Londres a obtenu de la Maison-Blanche le taux de tarifs douaniers les plus bas possible à ce jour (10 %). Cette « victoire » participe-t-elle à la décrédibilisation de l’Union européenne ? Le commerce américain avec le Royaume-Uni n’est pas déficitaire, cela peut expliquer le traitement plus favorable qu’a obtenu Londres. Dans la hiérarchie des royaumes tributaires de l’empire américain, nous occupons un rang intermédiaire, entre le Royaume-Uni, qui s’en sort mieux, et le Japon, duquel Trump a obtenu le versement de plusieurs centaines de milliards directement au Trésor américain. Et tous ceux qui sont menacés aujourd’hui de 30 % ou 40 % s’ils ne concluent pas d’accord cette semaine. Si l’Union européenne n’était pas en position de force, est-ce parce qu’elle ne maîtrise aucune de ses positions stratégiques à l’échelle de l’économie globale ? Oui, sans aucun doute. Il faut se souvenir que l’Union européenne n’a pas été conçue pour peser dans le jeu mondial. La raison d’être fondamentale de la Commission de Bruxelles, c’est de surveiller les États membres pour qu’ils se soumettent aux règles du marché unique et de la concurrence. Bruxelles a été dressé pour éradiquer les frontières et le nationalisme économique à l’intérieur de l’Union. L’édification de ce marché unique a d’ailleurs été une propédeutique utile pour apprivoiser la mondialisation, surtout pour la France et sa bureaucratie. Mais les temps sont bouleversés. La mondialisation change de nature et de périmètre, elle se fragmente, à cause du recentrage de la puissance principale sur ses intérêts exclusifs au détriment d’un ordre mondial. Il ne peut y avoir de mondialisation sans maître du monde assumé. La Commission devrait donc s’appuyer sur les frontières et pratiquer une sorte de nationalisme européen, si cette expression n’était pas un oxymore, pour défendre les États membres dans la grande confrontation entre les empires. Elle en est incapable car il faudrait pour cela qu’elle renie les traités. Elle court donc comme un canard sans tête, désorientée par la disparition du monde d’hier. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. François Lenglet L’Europe-puissance est une chimère, entretenue par les fédéralistes qui voudraient encore sauver leur rêve. C’est le dernier stade du déni, avant l’acceptation de la réalité : l’Europe entame son « siècle de l’humiliation », comme la Chine de 1842, après la guerre de l’opium. Trump, exactement comme les Britanniques de l’époque, force l’ouverture de nos ports. Avec ces accords, l’Europe signe donc son traité de Nankin, qui avait asservi l’empire du Milieu aux intérêts commerciaux britanniques. Mais à la décharge de Bruxelles, le problème est plus grave que celui de la seule Commission. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui rechignent à la puissance et aux sacrifices qu’elle exigerait d’eux. « Nous n’avons pas été craints », aurait dit Emmanuel Macron juste après cet accord-capitulation. C’est ce qu’on appelle une litote… Le problème pour être craint, c’est bien sûr d’avoir des moyens de rétorsion, mais c’est surtout de vouloir les utiliser. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. Pire, les officiels français expliquaient à la veille de l’accord qu’il n’y aurait pas de rétorsions tarifaires, car les économistes avaient calculé qu’elles seraient préjudiciables à nos consommateurs ! Pour Trump, ces tarifs visent-ils surtout à relocaliser la production aux États-Unis ? Oui, il veut siphonner la croissance mondiale. Il récuse la position de « consommateur en dernier ressort », qui avait toujours été celle du maître du monde, les États-Unis au XXe siècle, le Royaume-Uni au XIXe. Il vise au contraire la réindustrialisation de son pays. C’est pour cela qu’il veut des tarifs et un dollar faible, afin d’inciter les industriels du monde entier à s’installer aux États-Unis. Il ne s’arrêtera pas là. Ces tarifs vont servir à la coercition des partenaires, afin qu’ils réévaluent leurs devises ou financent gratuitement la dette américaine, avec les fameuses obligations à coupon zéro prônées par l’un des inspirateurs de Trump, Stephen Miran. L’autre objectif est bien sûr budgétaire. Les taxes douanières vont remplir les coffres de Washington. Rien que l’accord avec l’Europe pourrait lui fournir une centaine de milliards de ressources annuelles supplémentaires. Il s’agit de financer le « Big and Beautiful Budget », les baisses d’impôts votées par le Congrès le mois dernier. Dans les deux cas, c’est la stratégie de la prédation : l’Amérique pompe les investissements pour arroser son sol, et les ressources financières des autres pour les redistribuer à ses entreprises sous forme de baisse d’impôt. Ne surestime-t-on pas la victoire de Trump ? Les engagements d’achats et d’investissements européens n’ont d’autre valeur que politique… C’est vrai que les chiffres sont tellement fous qu’ils ne sont pas crédibles. Ursula von der Leyen s’est engagée à 250 milliards d’achats de gaz liquéfié par an, alors que nous sommes, pour l’Europe entière, en dessous de 100 milliards aujourd’hui… Mais cela crée quand même une pression pour les années qui viennent, et c’est sans doute ce que cherchaient les négociateurs américains. Aussi déraisonnables qu’ils soient, ces montants ont été semble-t-il validés par l’Europe. Et, au-delà des considérations sur les montants, une leçon doit être retenue : l’accès aux marchés internationaux a un prix, car il a une valeur. Et ce prix est à la hausse, depuis l’élection de Trump. L’Europe ferait donc bien de réfléchir au prix de l’accès à son propre marché, l’un des plus grands du monde, et à la façon de négocier les prochains accords commerciaux. À quoi peut-on s’attendre, concrètement, sur le plan commercial ? Toute la question est de savoir qui va payer les tarifs. En bonne logique, c’est le consommateur américain, qui verra augmenter le prix des biens importés. Non pas de 15 %, car dans le prix final, les coûts de distribution comptent pour jusqu’à un tiers. En réalité, chacun des intervenants dans le circuit commercial, exportateur, transporteur, importateur, distributeur et consommateur va être mis sous pression pour réduire ses marges ou payer un peu plus. La répartition de ces efforts sera variable en fonction du rapport de force sur le marché, très différent selon les secteurs. Tout cela devrait contracter les flux commerciaux à destination de l’Amérique. Avec des conséquences sur la croissance, moins fortes en France qu’en Allemagne et en Italie, plus exportatrices, comme on le constate déjà sur les chiffres du deuxième trimestre 2025. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. François Lenglet Quels seront les secteurs les plus touchés ? Les entreprises de luxe peuvent supporter à la fois une augmentation de prix et une contraction de leurs marges, qui sont importantes. En revanche, pour les produits laitiers et fromage, c’est l’un de nos postes d’exportation importants, le consommateur sera moins enclin à payer. Ce seront les exportateurs qui vont devoir encaisser la moins-value, s’ils ne veulent pas perdre des parts de marché. Idem pour la cosmétique, également l’une de nos forces à l’export. Le haut de gamme s’en sortira, grâce à la puissance des marques et à l’image du « made in France », mais les produits grand public, plus sensibles au prix, devraient souffrir. L’automobile n’est concernée qu’indirectement, car nous n’exportons pas de voitures françaises outre-Atlantique. Les équipementiers français, sous-traitants des constructeurs européens, pourraient toutefois subir les conséquences de la pression sur les exportateurs allemands. Dans tous ces domaines, les industriels vont tenter de produire davantage aux États-Unis, pour échapper aux taxes. Il peut donc y avoir une nouvelle vague de délocalisations. Restent enfin des industries dans l’incertitude, car leur régime douanier n’a pas encore été défini, comme la pharmacie. Peut-on s’attendre désormais à une marginalisation de la Commission européenne ? Von der Leyen va-t-elle devenir l’amie que les États membres n’assument plus ? Les questions commerciales divisent l’Europe depuis toujours, à la fois entre États membres, qui n’ont pas les mêmes intérêts, et d’un secteur à l’autre au sein d’un même pays. Cette fois-ci, pourtant, le continent n’est pas vraiment divisé, il se partage entre les perdants résignés et les perdants soulagés. Soulagés parce qu’ils redoutaient pire - c’est la force de Trump que d’avoir attendri la viande pendant les négociations, en menaçant de taxes encore plus punitives. Au-delà des jérémiades, il n’y a donc pas de réelle volonté de remettre en cause l’accord avalisé par la présidente de la Commission. De plus, plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis ont déjà avalé leur pilule, le Japon, la Corée du Sud, et tous ceux qui attendent dans le couloir de la Maison-Blanche… Il n’y a plus guère que la Chine qui tienne tête à l’Amérique. Il faut espérer que cette affaire aura au moins eu pour effet de révéler à l’Europe, à ses citoyens et ses dirigeants, l’ampleur des changements en cours dans les relations internationales. Dans la confrontation qui s’intensifie, tout est stratégique, y compris les questions commerciales. Tout a un prix. Tout est levier pour obtenir de l’influence ou des ressources. Cela exige de nous une révolution, dans l’idéologie et dans l’action, après quarante ans où le libre-échange était considéré comme l’état naturel des rapports internationaux, indépendant des questions politiques et profitables à tous. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. Pour reprendre un aphorisme de l’économiste Marc de Scitivaux, dans la longue histoire du coup de pied au derrière, ce n’est pas toujours le pied le plus coupable.
par Henri Guaino 4 août 2025
"Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets" Une tribune d'Henri Guaino parue dans Le Figaro le 28 juillet 2025 : https://www.notrefrance.fr/index.php/medias/
par Louise Morice 26 juillet 2025
"Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le solde naturel est négatif. Ce que l’on attendait pour 2027 est déjà là, en 2025. Trop tôt. Trop vite. Et pourtant, pas un sursaut. Pas un électrochoc. Le pays continue, imperturbable, comme sous anesthésie. Ce chiffre, pourtant fondamental, ne suscite ni débat national, ni mobilisation. On le constate, on le commente, puis on passe à autre chose. Comme toujours." https://www.frontieresmedia.fr/tribunes/tribune-louise-morice-le-silence-des-enfants-le-prix-du-renoncement
par Mathieu Bock-Côté 26 juillet 2025
Une tribune de Mathieu Bock-Côté dans FigaroVox (25/07/2025) https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mathieu-bock-cote-de-la-fin-du-macronisme-20250724 CHRONIQUE - Le macronisme, dont Bruno Retailleau a prédit la fin une fois qu’Emmanuel Macron ne sera plus président de la République, a d’abord été le réflexe de survie d’un régime en panne, avant de se muer en une forme de centrisme autoritaire. C’est une des polémiques de l’été : sommes-nous témoins de la fin du macronisme ? La question peut se comprendre au premier degré : dans quelle mesure Emmanuel Macron peut-il encore peser jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 ? Pour certains, elle relève de l’hérésie. La garde prétorienne du président accuse ainsi de lèse macronisme les figures du gouvernement qui n’ont pourtant jamais caché leur hostilité à son endroit. Voyons-y la joute politique ordinaire. À découvrir La question ne devient pourtant intéressante qu’en se détachant de la personnalité du président de la République pour faire plutôt le bilan de la synthèse qu’il a cherché à composer en 2017. Ce qui nous oblige à revenir à ses origines. Le macronisme fut d’abord le réflexe de survie d’un régime en panne, aux clivages devenus stériles, sentant monter une menace « populiste » et voulant se donner les moyens de la mater en ripolinant sa façade et en confiant la direction du pays à un jeune homme qu’on disait exceptionnel. Les élites politiques concurrentes qui, jusqu’alors, s’affrontaient selon la loi de l’alternance entre la gauche et la droite, se fédérèrent alors dans ce qu’on allait appeler un bloc central revendiquant le monopole de la République, de ses valeurs et de la légitimité démocratique, mobilisé contre des extrêmes, censées menacer la démocratie. L’alternative était posée : macronisme ou barbarie ! La rhétorique anti-extrêmes au cœur du macronisme masquait toutefois une fixation bien plus précise sur la droite nationale - alors qu’il convergeait culturellement avec la gauche radicale. Le macronisme n’a jamais cessé de proposer une offre politique conjuguant diversitarisme et mondialisme, auxquels s’est ajoutée la transition énergétique, sous le signe d’un empire européen à construire. L’homme européen auquel rêvent les macronistes a souvent eu les traits d’un l’homo sovieticus revampé. Le macronisme semblait faire du multiculturalisme une promesse. Il croyait les tensions dans les quartiers solubles dans la croissance, convaincu qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre certaines civilisations, que l’islam est une religion comme une autre, et que le nombre, en matière migratoire, est une variable insignifiante. Il n’a pas vu et ne voit toujours pas la submersion migratoire, sauf pour la célébrer. Il se représente moins l’immigration comme une fatalité que comme un projet. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit Mathieu Bock-Côté Le macronisme se voulait aussi un technocratisme : les meilleurs enfin rassemblés pourraient facilement résoudre les problèmes de la France, dégraisser l’État social, relancer l’économie et libérer les énergies du pays. La pensée unique trouvait sa traduction pratique et quiconque entendait gouverner à partir d’autres principes était accusé de se laisser emporter par des bouffées idéologiques délirantes. La situation financière de la France laisse croire que cette stratégie était moins performante que prévu. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit. De 2017 à 2025, les initiatives se sont multipliées pour assurer une régulation publique de l’information, pour lutter contre les discours haineux, pour étendre la surveillance des pensées coupables au discours privé, sans oublier la dissolution de nombreux groupes identitaires, l’acharnement judiciaire et financier contre le RN et la fermeture d’une chaîne de télévision décrétée d’opposition. Le régime n’a plus de base populaire C’est ce qui a permis au macronisme de fédérer, l’an passé, les partis du système dans un front républicain allant de l’extrême gauche à la droite classique pour empêcher l’arrivée au pouvoir du RN. Le macronisme, à ce stade, abolissait le pluralisme politique authentique. Il n’y avait de diversité idéologique légitime qu’au sein du bloc central. L’extrême centre et la gauche radicale ont l’antifascisme en langage partagé. La droite classique, évidemment, s’est tue, de peur de déplaire. La seule opposition autorisée est celle qui se structure dans les paramètres du régime, et qui célèbre ses principes, avant de le contredire dans les détails. La révolte fiscale se fait entendre, la révolte identitaire et sécuritaire travaille la France depuis un bon moment, mais le macronisme est résolu à mater les gueux et les lépreux, qu’il se représente comme un peuple factieux, presque comme une meute de dégénérés dangereux. Le régime n’a plus vraiment de base populaire, mais ne s’en émeut guère. Le macronisme en est ainsi venu à confondre les palais de la République avec le maquis. Derrière les appels à répétition à sauver la démocratie, on trouve surtout une caste, qui est aussi une élite moins douée qu’elle ne le croit, résolue à prendre tous les moyens nécessaires pour conserver ses privilèges et ses avantages, effrayée devant la possibilité qu’une autre élite la congédie et la balaie. Les prébendes de la République valent bien la peine qu’on se batte pour elles.
par Julien Abbas (Valeurs Actuelles) 26 juillet 2025
Une tribune de Julien Abbas dans Valeurs Actuelles "La France, bercée par ses souvenirs de grandeur, se trouve aujourd’hui, après huit ans de présidence d’Emmanuel Macron, fragilisée sur l’échiquier mondial. L’action de Jean-Noël Barrot à la tête du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne fait qu’accentuer cette dérive." https://www.valeursactuelles.com/politique/jean-noel-barrot-un-ministre-etranger-aux-affaires
par Eric Chol (L'Express) 26 juillet 2025
Un edito d'Eric Chol dans l'Express (16/07) Et si on appliquait le plan Pinay-Rueff à la France ? Arrivé à Matignon en 1958, le général de Gaulle trouve un pays au bord de la banqueroute, comparable à la situation actuelle. Le président de la République a eu beau appeler à « la force d’âme », le pays aura du mal à se défaire du bonnet d’âne qui désormais le caractérise en Europe. Car comment qualifier autrement l’abyssesse des finances publiques, rendue possible par une croissance moribonde et dix ans de promesses mensongères successifs pour l’intendance, de la démagogie d’un personnel politique plus soucieux des élections que de l’intérêt national, et de l’addiction incurable de nos compatriotes aux chèques et à l’Etat ? On connaît (depuis 1974) la chanson, mais n’y fait : la France, année après année, déchoit. Même le plan Bayrou ne lui ressemble qu’à une énième incantation qui nourrira une gêne ou elle sera vite oubliée. Et si l’on essayait vraiment un plan de redressement national ? C’est ce qu’avait fait l’un des ministres des Finances les plus brillants, Antoine Pinay, nommé en 1958 par le général de Gaulle. Un esprit comparable mentalement au plus lucide des conseillers de Gaulle, lorsqu’il arrive à Matignon, c’est d’avoir compris que la crise budgétaire de la France, anémique, asphyxiée par les dépenses, dissuadait le grand débiteur d’agir. Pinay demande donc l’aide d’un directeur général du FMI de l’époque, le Suédois Per Jacobsson, ni plus ni moins. Le plus fou est qu’à Paris, comme à Washington, ce fut le diagnostic économique qui fit l’unanimité : la France, dans sa totalité – Intérieur, Défense, Affaires étrangères… – devait rendre les comptes à l’Etat, dans les moindres détails. Et c’est à ce moment-là que le général de Gaulle, aidé par Jacques Rueff, inspecteur des finances, met le pied dans la fourmilière. L’événement économique déterminant de décembre 1958, pour assainir le pays, Car oui, c’était possible, et de Gaulle l’a fait. Comment ? Tout d’abord en misant sur Jacques Rueff, un inspecteur des finances habitué à voler au secours des économies fragiles : trente ans plus tôt, dépêché par la Société des nations, cet ancien du cabinet Poincaré avait testé l’efficacité de ses recettes en Bulgarie, en Grèce ou au Portugal. De ces sauvetages, le polytechnicien a tiré une devise : « Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage. » Le plan Pinay-Rueff, adopté en décembre 1958, n’a rien d’un chemin de roses : augmentation de taxes et des impôts, compression des dépenses publiques, fin de nombreuses subventions, dévaluation du franc… La purge a un goût amer. « Et bien, les Français crient. Et après ? », rétorque de Gaulle à ses ministres inquiets. Mais les Français n’ont pas crié, et les comptes de la nation ont été rétablis en six mois. « La force de ce programme, c’est qu’il touchait l’ensemble des classes sociales : agriculteurs, retraités, fonctionnaires, chefs d’entreprise… Tout le monde a dû mettre la main à la poche », analyse l’historienne Laure Quennouëlle-Corre. Le plan Pinay-Rueff avait d’autres atouts. La popularité de Pinay, pour faire passer la pilule auprès des Français. « Sa mise en œuvre a été faite par un homme fort qui disposait d’un ascendant et d’une majorité très importante dans le pays. Le plan a été accepté parce qu’il était porté par de Gaulle, » précise l’auteur du Dénî de la dette. Une histoire française (Flammarion). Sept décennies plus tard, on a la recette, mais incontestablement, on manque encore d’un chef !
par LD31 26 juillet 2025
On croyait que la suppression des 2 jours fériés, ce serait pour réduire le cout du travail ? Raté ... ce sera pour financer un impôt supplémentaire sur les entreprises !
par François Vannesson 17 juillet 2025
Un post Linkedin de François Vannesson, avocat au barreau des Hauts-de-Seine et fondateur du cabinet Morpheus Avocats Najat Vallaud-Belkacem, L’avatar capillaire du pédagogisme invertébré, vient d’être bombardée à la Cour des comptes. Une récompense bien méritée pour l’immense œuvre de destruction méthodique qu’elle a menée contre l’instruction publique : elle a vidé les cerveaux avec une cuillère en bois, puis repeint les murs de la salle de classe avec les restes. À l’époque, elle nous vendait l’école comme un espace d’auto-expression émotive où la syntaxe était fasciste, la chronologie raciste, la discipline patriarcale et l’excellence un attentat psychologique. Elle dirigeait le ministère comme on organise une orgie dans un hospice : sans scrupule, sans hygiène, sans témoin. Et maintenant elle va compter. Pas les fautes, non, ni les manques, ni les milliards égarés entre deux lubies. Elle va compter avec sa méthode : à la louche, au ressenti, à l’échelle du trauma perçu. Chaque déficit sera une blessure symbolique, chaque trou dans le budget une opportunité de réinvention inclusive. Mais la meilleure part, c’est le parrainage. François Bayrou, incarnation ambulante du compromis diarrhéique, l’a propulsée là. L’homme qui croit encore à son destin présidentiel comme un vieil ivrogne croit au retour de l’amour conjugal. Il négocie une nomination comme un souteneur distribue des faveurs : contre une abstention PS sur la censure. République mon amour, tu n’es plus qu’un kiosque à prostitutions morales. La scène est si grotesque qu’on en pleurerait de rage : l’ancienne démolisseuse de la langue française promue gardienne des comptes. L’incompétence sanctifiée, l’idéologie élevée au rang de compétence, l’erreur transformée en critère de sélection. Bientôt viendra son premier rapport : « Vers une comptabilité intersectionnelle : décoloniser les bilans, racialiser les soldes ». Elle y ajoutera une bibliographie lacrymale, quelques verbes en inclusif approximatif, et un graphique en arc-en-ciel pour masquer l’effondrement. La France, pendant ce temps, crève à petit feu. On supprime les jours fériés, on broie les actifs, on appuie sur la gorge des classes moyennes jusqu’à ce qu’elles n’aient plus que l’impôt pour respirer. Mais au sommet de la pyramide invertie, les fossoyeurs se félicitent. On ne leur demande plus d’être bons. Juste d’avoir bien nui. Et là, Najat coche toutes les cases. Avec application. Et un très joli stylo.
par Interview du philosoque Pierre-Henri Tavoillot par Eugénie Boilait dans FigaroVox 16 juillet 2025
ENTRETIEN - Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot*, cette affirmation est doublement erronée. * Maître de conférences à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot est aussi le référent laïcité de la région Île-de-France. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/quoi-qu-en-dise-le-ministre-la-realite-du-terrain-confirme-l-existence-d-un-islamo-gauchisme-dans-les-universites-20250709 LE FIGARO. – Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté le 7 juillet sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». « Il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas », a-t-il assuré. Selon vous, cet argumentaire tient-il la route ? Passer la publicité Pierre-Henri TAVOILLOT. - À vrai dire, ce propos est doublement erroné : d’abord parce que le concept d’« islamo-gauchisme » est clairement identifié, et ensuite parce que, comme toute idéologie, il est évidemment présent à l’université, réceptacle naturel de toutes les idéologies existantes. Mais chaque chose en son temps. Revenons au concept qui a été construit par Pierre-André Taguieff dans les années 2000 et dont l’histoire est parfaitement connue. L’historien des idées l’évoque notamment dans son ouvrage Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Hermann, 2021). À partir de là, la définition de l’idéal-type est simple à établir, avec trois points fondamentaux qui le caractérisent. Il y a d’abord l’idée que l’islam est la religion des « opprimés » - ce qui permet aux révolutionnaires de gauche d’abjurer leur aversion du religieux, la religion étant traditionnellement perçue comme l’« opium du peuple ». Et la révolte islamiste est, pour le révolutionnaire en herbe, une « divine surprise » qui permet de pallier la tendance conservatrice, voire réactionnaire, du prolétariat européen. En effet celui-ci se contente dorénavant de « défendre les acquis sociaux » ou de voter pour le Rassemblement national. Dans ces conditions, la révolution n’est plus envisageable avec lui, d’où la deuxième idée structurante qui réside dans l’urgence de faire venir un prolétariat actif et révolutionnaire. L’islamo-gauchisme soutient donc l’ouverture sans limite des frontières et l’accueil de ceux qu’ils pointent comme les « damnés de la terre ». Avec ces derniers, il redevient possible d’envisager la destruction de la pseudo-social-démocratie libérale et du système capitaliste. La troisième idée est que l’islamisme est lui-même une simple réaction de défense, légitime donc, face à un impérialisme occidental et néocolonial qui veut imposer à coups de canon son « idéologie des droits de l’homme » dans le monde entier. De ce point de vue, les plus à l’extrême vont percevoir les attentats comme des réactions, à l’instar du pogrom du 7 Octobre en Israël, que certains ont qualifié d’« acte de résistance ». D’ailleurs, la judéophobie est l’une des dernières composantes, et non des moindres, de cette idéologie. On a là un raisonnement qui donne sa cohérence à bien des prises de position étranges de la part de La France insoumise, notamment. Dire que le concept n’existe pas, c’est se priver du moyen de comprendre l’extrême gauche, et même une partie de la gauche, qui met par exemple Gaza et le drapeau palestinien en tête de toutes ses revendications. D’après le ministre, tous les atermoiements des dernières années à l’université témoignent donc simplement d’une tradition française bien ancrée, celle de la forte politisation des universités. Sur ce point, il n’a pas tort : qu’est-ce qui différencie vraiment la période actuelle ? Il existe tout de même une inquiétude supplémentaire par rapport au passé : on a affaire là, potentiellement, à de la violence. Ce ne sont pas seulement des débats d’idées. On a vu ce qui s’est passé à l’école avec Samuel Paty et Dominique Bernard quand la haine est attisée. Ces choses sont à prendre au sérieux. Ce n’est pas majoritaire, mais c’est une minorité fanatique. Entre les débats même violents que l’on a pu connaître par le passé à l’université et ceux d’aujourd’hui, il y a un potentiel changement de nature. Cette idéologie existe donc à l’université ? Elle n’est pas majoritaire ni structurelle, mais elle est bien présente. Et cela dépend largement des secteurs. On peut en donner bien des exemples : il n’a par exemple échappé à personne qu’un certain nombre de blocages qui avaient eu lieu ces derniers mois devant ou dans nos universités se justifiaient par l’hostilité envers la guerre à Gaza. De prime abord, on peut se demander pourquoi, dans une université française, on bloque les cours du fait de la guerre au Moyen-Orient ? En effet, la France n’est pas cobelligérante : sur le strict plan universitaire, ça n’a pas de sens. Il a donc fallu trouver des justifications et on les a trouvées au cœur de ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme. Il faut arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime Pierre-Henri Tavoillot Plus personnellement, en tant que référent laïcité de la région Île-de-France, j’ai de nombreuses remontées de terrain qui témoignent de ce que l’on appelle l’« entrisme islamiste ». Ce n’est pas un fantasme. Il y a quelques mois, notre collègue Fabrice Balanche a été interrompu dans son propre cours par des activistes. À Lyon, on sait aussi qu’il existe des salles de prière au sein des établissements. Il y a le spectacle de l’Unef dont la dimension de gauche laïque cède la place aujourd’hui à une dimension « frériste » - cela laisse d’ailleurs dans la stupéfaction ceux qui furent ses anciens militants. Les étudiants sont-ils les seuls concernés ? Les professeurs le sont également. J’ai de nombreux collègues proches de La France insoumise, et ils sont d’ailleurs dans leur bon droit. Certains, comme François Burgat, se revendiquent même de l’islamo-gauchisme. Preuve, s’il en fallait, que, si, aujourd’hui, pour nombre de gens, ce terme est péjoratif, il est en premier lieu descriptif et renvoie à des idées et à un raisonnement. Je ne suis pas d’accord avec cette position, mais elle a de la cohérence : ainsi, dire que ça n’existe pas n’a absolument aucun sens… C’est une grille incontestable qui explique une partie des débats aujourd’hui en France. Dans la classification de la gauche selon Jacques Julliard, il y a la gauche collectiviste, la gauche libertaire, la gauche libérale et la gauche jacobine. Il y a beaucoup d’antagonismes entre elles, mais ce qui réunit les gauches libertaire et collectiviste, c’est précisément l’islamo-gauchisme. Elles vont se retrouver ensemble comme à la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Cette dernière avait réuni la CGT, l’Unef, le Parti communiste, Les Verts, Lutte ouvrière, LFI, le NPA. Il y avait une unification des deux gauches radicales qui s’opposaient, de ce point de vue, aux deux autres gauches, laïcardes. Il faut donc arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime. D’autant qu’il est de plus en plus marginal. Il faut être clair pour établir un diagnostic fiable. Ce serait d’ailleurs bienheureux pour tout le monde, car cela nous empêcherait à la fois de sous-réagir et de surréagir. Il faut plutôt accepter le réel, pour, ensuite, voir ce qui relève de la liberté d’expression politique et ce qui relève des attitudes et des actions contraires à l’esprit et à la lettre des universités. Là est le véritable enjeu. D’autant que la prise de parole du ministre s’oppose à ce que disaient certains de ses prédécesseurs… Cet effet yoyo est une constante depuis que Jean-Michel Blanquer a cessé d’être ministre. Lui a eu l’immense mérite d’avoir une politique claire et de long terme sur le sujet. Maintenant, les allers-retours sont permanents, alors même que la réalité commence à apparaître au grand jour.
par Stéphane Loignon et Solenn Poullennec (Les Echos) 14 juillet 2025
Les propositions pour réformer les dépenses publiques ne manquent pas et le Sénat a rendu récemment une nouvelle copie. Mais François Bayrou aura t'il ne courage de n'en retenir ne serait ce que quelques unes plutôt que de tomber dans la lâcheté habituelle des augmentations d’impôts ... https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-les-propositions-chocs-du-senat-pour-redresser-les-comptes-publics-2175473 Budget : les propositions chocs du Sénat pour redresser les comptes publics Gel des crédits, non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, jours de carence des fonctionnaires, « année blanche » sur les prestations sociales… La majorité sénatoriale a livré des recommandations drastiques pour redresser les comptes.Par Stéphane Loignon, Solenn Poullennec Le Sénat a rendu sa copie budgétaire au Premier ministre. Son contenu donne une idée de l'ampleur des sacrifices qui pourraient être demandés. Lundi, le président de la Chambre haute, Gérard Larcher, s'est rendu à Matignon pour dévoiler la contribution de la majorité sénatoriale au prochain budget, à une semaine de l'annonce par François Bayrou de son plan de redressement des finances publiques. « Les Echos » ont pu se procurer ce document révélé par Contexte. Sans prétendre remplacer le gouvernement, les sénateurs de la majorité du centre et de droite ont souhaité apporter leur pierre à l'édifice, en compilant des pistes d'économies pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB l'an prochain, contre 5,4 % visés cette année. « Il y a une voie, qui est exigeante, mais c'est maintenant qu'il faut le faire », insiste le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), à l'issue de ce travail collégial entamé mi-mai. « On a essayé d'équilibrer entre les entreprises, les retraités, les actifs. Que chacun puisse considérer qu'il est soumis au même régime d'effort… », témoigne la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales. Selon elle, « ce n'est pas la copie définitive » mais plutôt « des options ». Baisse des dépenses Alors que le gouvernement a estimé l'effort nécessaire à 40 milliards d'euros en 2026, les propositions sénatoriales aboutissent à une fourchette comprise entre 30 à 50 milliards d'euros. « Sur les presque 50 milliards, environ 45 milliards concernent la baisse de la dépense publique, ça ne s'est jamais fait », souligne Jean-François Husson. Le recours à la fiscalité se limite à un éventuel gel du barème de l'impôt sur le revenu, dans le cadre d'une « année blanche » si les baisses de dépenses ne suffisent pas, et à la pleine application du dispositif contre la fraude CumCum (1,5 à 2 milliards d'euros à la clé), prévu au budget 2025 et que les sénateurs jugent bridé par un texte d'application de Bercy. Tout le reste repose sur la baisse des dépenses, en premier lieu de l'Etat. A minima, le Sénat recommande le gel en valeur des crédits budgétaires - hors défense, charge de la dette et contribution à l'Union européenne -, qui produirait 10 milliards d'euros d'économies par rapport à l'évolution spontanée des dépenses. Chaque baisse de 1 % des crédits hors loi de programmation rapporterait 2,4 milliards d'euros supplémentaires. Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux Sauf pour les Armées, le Sénat propose même de « réinterroger » les lois de programmation qui encadrent les budgets du ministère de l'Intérieur, de la Justice et de la Recherche. Au maximum, ramener les crédits au niveau du dernier budget avant Covid (soit celui de 2019), en tenant compte de l'inflation, rapporterait carrément 22 milliards d'euros (un objectif qui ne pourrait être atteint que progressivement). Pour réaliser des économies dans la durée, les sénateurs veulent aussi que l'Etat reprenne le contrôle de sa masse salariale, qui a grimpé de 6,7 % l'an passé. Ils remettent sur la table le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy puis abandonné sous François Hollande. La mesure rapporterait 500 millions d'euros l'an prochain. Ils réclament également l'harmonisation du régime des jours de carence dans la fonction publique (un jour actuellement) avec celui du privé (trois jours), avec 200 millions d'euros à la clé en 2026. La rationalisation des agences et opérateurs apporterait 540 millions d'euros d'économies sur leur fonctionnement, en suivant les recommandations du rapport de la sénatrice LR Christine Lavarde. « Année blanche » notamment sur les retraites. Les collectivités apporteraient un écot modeste au redressement des comptes, à hauteur d'un « maximum de 2 milliards d'euros », comme cette année. Celles-ci ne sont que « de manière anecdotique responsable de l'aggravation de la dette publique depuis 2019 », juge le Sénat, contrairement à la Cour des comptes. Les sénateurs voient en revanche de gros gains potentiels dans la lutte contre l'enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités. L'application des recommandations du rapport Ravignon rapporterait jusqu'à 7,5 milliards d'euros, éventuellement au bout de deux ans (3,8 milliards la première année). Une réforme des décrets tertiaires, dont le coût qui pèse sur les collectivités aurait atteint 3,3 milliards d'euros en 2023, permettrait de récupérer cette somme, potentiellement en deux ans. Enfin, la Sécurité sociale fournirait environ 10 milliards d'euros d'économies en 2026 dans le plan des sénateurs, notamment via une « année blanche » (non-indexation) des prestations sociales (5 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros pour les retraites). L'Assurance Maladie apporterait aussi 5 milliards d'euros, par différentes mesures concernant entre autres la prise en charge des affections de longue durée, les médicaments et les dispositifs médicaux. Les assureurs santé pourraient se voir confier des missions de prévention, aujourd'hui assumées par la « Sécu ». Reste à savoir dans quelle mesure le gouvernement s'inspirera de ces nombreuses propositions.