Débat Bruckner-Shellenberger : « L'Occident est fatigué et déprimé »

Gabriel Bouchaud et Thomas Mahler • 29 novembre 2019

Extinction Rebellion, Greta Thunberg, catastrophisme, nucléaire... Rencontre avec Pascal Bruckner et l'écologiste pragmatique Michael Shellenberger. Propos recueillis par Gabriel Bouchaud et Thomas Mahler


Un article du journal le Point

Farouches contempteurs de l'écologie radicale, ils se connaissent depuis 2012. Nommé « héros de l'environnement » par le magazine Time en 2008, l'Américain Michael Shellenberger est un écologiste pragmatique qui défend le nucléaire comme meilleur outil pour lutter contre le réchauffement climatique. Bien connu de nos lecteurs, l'essayiste et romancier Pascal Bruckner , qui vient de publier Une brève éternité ( Grasset ), voit dans l'écologisme politique une tentation totalitaire. Nous les avons réunis dans les locaux du Point , en partenariat avec le site australien Quillette. L'occasion de débattre sur le millénarisme des collapsologues, d'Extinction Rebellion, du nucléaire décarboné, du déclin de l'idée de progrès, de l'optimisme qui a déserté l'Occident au profit des dictatures et, bien sûr, de Greta Thunberg... Et si les vrais progressistes, c'étaient eux  ?

Le Point : Vous êtes tous les deux des critiques de l'écologie radicale. Pourquoi ?

Michael Shellenberger : Je pense qu'il y a un lien entre les changements globaux que sont l'élection de Trump, le Brexit ou la montée du nationalisme et Extinction Rebellion, et Greta Thunberg. L'argument développé par Pascal dans Le Fanatisme de l'apocalypse , c'est que le climat s'est imposé comme un problème à la fin de la guerre froide. J'étais moi-même alarmiste à propos de la guerre froide et du risque de guerre nucléaire et, lorsqu'elle a fini, très abruptement, je me suis dit « où est passé mon millénarisme  ? ». J'ai donc recyclé ma crainte de la fin du monde vers une peur de catastrophe environnementale. Quand les activistes climatiques parlent du changement climatique, ils le font de la même manière qu'ils parlaient de la guerre nucléaire avant la chute du mur de Berlin. Aujourd'hui, nous assistons à une désintégration de l'ordre politique global, avec un repli sur les frontières nationales. On le voit avec le retrait des États-Unis du Moyen-Orient. Extinction Rebellion et Greta Thunberg sont des réactions à Trump et au Brexit, le signe d'une panique chez les progressistes, internationalistes et cosmopolites contre ce retour à un nationalisme de droite. Je pense que ça ne fonctionnera pas, parce qu'il y a trop peu de raisons de garder une solidarité internationale libérale aujourd'hui. On risque de revenir à un monde bipolaire, États-Unis contre Chine. Je ne sais pas ce que l'Europe sera dans ce nouveau monde.

Pascal Bruckner : Il y a beaucoup de choses dans ce que vient de dire Michael. La fin de la guerre froide a posé un problème majeur à l'Occident : la disparition de l'ennemi. On a donc cherché un ennemi de substitution. L'altermondialisme a d'abord succédé au communisme, puis ont suivi l'écologie et l'islam radical. Avec l'écologie profonde, l'ennemi est devenu l'homme lui-même. L'homme en ce qu'il est le créateur de son destin et en tant que dominateur de la nature pour imposer sa culture et sa civilisation. Toute l'ambiguïté de l'écologie est qu'on ne sait jamais si elle cherche à sauver la Terre ou à punir les hommes. Il semblerait qu'on ait envie de punir les hommes, et il y a d'ailleurs toute une fraction de l'écologie qui est exterminatrice. C'était déjà le cas avec le commandant Cousteau qui préconisait la disparition de plusieurs centaines de millions d'hommes , c'est vrai aussi avec les collapsologues comme Yves Cochet qui envisage avec un grand sourire l'extinction de l'espèce humaine. Sur ce plan-là, Extinction Rebellion est intéressant parce que ce sont des enfants de la classe moyenne supérieure, plutôt bien élevés et bien éduqués. Cela me fait penser à cette phrase : « Si un million d'enfants veulent nettoyer la Terre, qu'ils commencent par nettoyer leur chambre. » Je ne dis pas ça pour polémiquer, mais je suis allé voir le site d'Extinction Rebellion place du Châtelet à Paris, après leur départ, et c'était immonde ! Il y avait des déchets partout. Je ne comprends pas que de jeunes gens, animés d'intentions généreuses, ne commencent pas par nettoyer leurs propres saletés ou, mieux encore, les sites de déchets qui parsèment la grande couronne parisienne. Ce n'est sans doute pas assez noble pour eux, ils aiment les grandes idées, pas les petits gestes. Extinction Rebellion veut détruire le capitalisme. Il y a du boulot, car d'autres se sont essayés avant eux. On a l'impression que l'écologie n'est que le prétexte pour reprendre des mots d'ordre très anciens. Ces jeunes gens me paraissent très vieux...

À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c'est plutôt l'âge d'or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur.

Si on vous écoute, l'écologie est une idéologie comme le communisme. Mais il y a aujourd'hui une urgence climatique !

M. S. : Si on se préoccupait vraiment du climat, on demanderait la construction de centrales nucléaires qui fournissent une énergie décarbonée , et le monde entier s'inspirerait du mix énergétique français, dans lequel le nucléaire représente plus de 70 % de l'électricité. Mais les écologistes sont antinucléaires  ! Leurs objectifs n'ont donc pas grand-chose à voir avec la réduction des émissions de CO2, ils veulent réduire toute consommation énergétique. Leurs demandes ne concernent même pas tant les énergies renouvelables que la décroissance, et le fait qu'on ne prenne plus la voiture comme l'avion. À Londres, Extinction Rebellion a même bloqué le métro. On considère souvent l'apocalypse comme un Armageddon, mais, dans la pensée grecque et biblique, l'apocalypse est la révélation d'un nouveau monde, d'un nouvel ordre. Pascal, penses-tu que Extinction Rebellion ou Greta Thunberg correspondent à une demande d'utopie ou alors est-ce la destruction de nos sociétés ?

P. B. : C'est une sorte de messianisme négatif, issu du Moyen Âge. Mais, au Moyen Âge, ces grandes utopies avaient une connotation religieuse. Là, c'est une religion païenne qui met Gaïa au centre des revendications d'austérité, de pauvreté volontaire. Le modèle vient des communes paysannes, un peu comme les amish aux États-Unis. On retrouve aussi tous les attirails des zadistes, qui cumulent plusieurs époques dans leurs modes vestimentaires. Je suis sûr que Chanel s'en emparera un jour pour faire des défilés. Le monde moderne étant celui de l'argent roi, il faut revenir à la vie villageoise originelle, sans inégalité flagrante, où les rapports humains n'étaient pas corrompus par l'argent. Il faut détruire le monde actuel, qui est un obstacle à cette pureté originelle. Tout se mélange d'ailleurs dans leur discours : j'ai vu une vidéo sur Arte qui parle du mouvement « écosexuel ». C'est une sorte de panthéisme sensuel, mais on ne peut pas dire la même chose de Greta Thunberg ! Elle, c'est le visage hargneux d'une certaine jeunesse accusatrice, qui explique que l'heure des châtiments est arrivée, que nous avons trop joui, et que la fête industrielle est finie, comme disait Hans Jonas. Pour l'instant, un mouvement comme Extinction Rebellion présente un visage non violent. Jusqu'à quand  ? Je ne sais pas, mais ils ont déjà envahi un centre commercial en interdisant aux gens de consommer. Tous nos gestes quotidiens sont frappés d'interdits, sont montrés du doigt, notre simple mode de vie est un péché et je ne suis pas sûr que les Français vont adhérer longtemps à ce genre de discours.

M. S. : Donc tu penses qu'il y a dans ce mouvement la vision d'une société agraire ?

P. B. : La commune agraire était déjà très importante chez les bolcheviks, sous le maoïsme pendant la révolution culturelle, mais aussi chez les Khmers rouges. C'est le retour à la terre, qui a toujours été vécu par les hommes comme une punition, parce que c'est la condition du serf et du manant, courbé sur la glèbe. On voudrait renvoyer l'humanité entière à cette condition-là. Vous avez d'ailleurs l'exemple des néo-ruraux, qui s'extasient de voir pousser un concombre ou une tomate.

M. S. : Cette gauche écologiste, plus radicale, a éclipsé la gauche modérée. Mais cette gauche radicale n'existe pas dans un vide, elle prend naissance dans un contexte de retour du nationalisme. Le centre décline alors que les extrêmes montent. Cette poussée, à l'extrême gauche comme à l'extrême droite, est marquée par la nostalgie. À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c'est plutôt l'âge d'or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur. Moi, mon utopie est une société avec beaucoup d'énergie, marquée par la vitesse, le voyage et la découverte… C'est une vision du monde futuriste, celle de la Silicon Valley ou de Walt Disney, avec une ville blanche qui ne serait pas noire de fumée car utilisant l'énergie nucléaire. Mais personne ne se fait le porte-parole de cette vision ! Peut-être que le fait que les humains puissent être amoureux de l'idée du futur était temporaire, en gros du XIXe siècle aux années 1930. Après, plus personne n'a plus rien à dire de positif sur le futur. C'est vraiment triste. Moi, ma vision du futur, c'est que 11 milliards d'individus sur Terre puissent vivre des vies intéressantes : que le monde soit plein d'animaux sauvages parce que les surfaces agricoles se seront réduites du fait de fermes hydroponiques . (voir note 1) Pourquoi tout le monde est-il devenu nostalgique ?

P. B. : Michael a raison, il y a un déclin de l'idée de progrès et de l'idée d'avenir. Les deux grands marqueurs de ce déclin sont Hiroshima et Auschwitz. Ces deux événements ont jeté un voile sombre sur notre siècle, qui ne s'en est jamais remis. La réalisation des dégâts du monde industriel a aggravé le cas du progrès, et l'avenir prend aujourd'hui le visage de la catastrophe. Depuis Heidegger, Ivan Illich, Jacques Ellul puis Hans Jonas, on décrète l'aventure technologique finie : il faut se préparer aux vaches maigres. Nous en sommes au mercredi des Cendres, la punition va arriver. Cela posé, il y a différents types de collapsologues : le type solidaire, proche du personnalisme chrétien (Pablo Servigne), le type apocalyptique (Aurélien Barrau, avec son look à la Charles Manson), le type de la schadenfreude – en allemand, de la joie mauvaise éprouvée face au malheur des autres – propre à Yves Cochet qui tire de ses prédictions noires une bonne humeur étonnante. Dans les interviews qu'il donne, Cochet semble se délecter que des centaines de millions d'humains vont mourir. Les catastrophistes se réjouissent qu'une providence divine ou matérielle vienne nous donner une bonne correction, la catastrophe n'est pas leur crainte, elle est leur souhait le plus profond. C'est là qu'on reconnaît les prémisses d'une pensée réactionnaire, voire fascisante. Il ne faut pas oublier que les premières lois écologistes en Europe sont les Reichsnaturschutzgesetz, promus en 1935 par le régime nazi. Il y a dans l'écologie contemporaine une tentation totalitaire que l'on voit affleurer ici ou là. Je lisais dans Le Monde un article de Jean-Baptiste Fressoz suggérant que l'État impose une diète à l'ensemble de la population, et nous prescrive quoi manger, comment et dans quelle proportion. Et qu'on ne vienne pas lui parler « d'écofascisme », puisque c'est au nom de la Terre qu'il faisait cette requête. Je suis tombé des nues en voyant cet article, et étonné que personne n'y réponde. Les futurs commissaires politiques du climat affûtent leurs armes.

En France, on considère parfois Pascal Bruckner comme un réactionnaire, alors qu'il défend l'idée de progrès. Comment expliquer ce paradoxe ?

P. B. : Plus je vieillis, plus je crois au progrès ! Je dois ma survie à la médecine et à la science. Il y a 100 ans, je serais probablement mort. C'est le sujet de mon dernier livre Une brève éternité , empli de gratitude envers la modernité même s'il faut distinguer le progrès moral du progrès matériel. Je reste un moderne, mais un moderne prudent.

M. S. : Beaucoup sont incapables d'imaginer que l'optimisme ne soit pas du déni. Pour un catastrophiste, être optimiste à l'égard du futur veut dire nier le changement climatique, ce qui est faux. Ce qui me fait peur, et on l'a vu après le discours horrible de Greta Thunberg devant les Nations unies, c'est que c'est Poutine qui aujourd'hui explique que beaucoup de pays pauvres voudraient se développer. Qui sont les défenseurs de la modernité aujourd'hui ? Poutine et Xi Jinping. Les Chinois et les Russes défendent la modernité et les aspirations des pays en développement. J'ai passé du temps en Afrique, où l'on m'a dit « on préférerait que ce soient les Américains qui investissent dans notre pays, mais ce sont les Chinois ». Ce qui est préoccupant, c'est que la Russie et la Chine ne sont pas des démocraties, mais des États autoritaires. Je suis favorable à l'énergie nucléaire que développent ces pays, mais, en Chine, il semble que le gouvernement récolte les organes des opposants politiques, utilise les réseaux sociaux et la reconnaissance faciale pour créer le panopticon (voir note 2) que Foucault craignait tant ; et Poutine se comporte comme un dictateur. Le mariage entre une croyance dans le progrès et la démocratie libérale était peut-être un phénomène temporaire. Je pensais, naïvement, que la prospérité conduirait la Chine à se démocratiser. Quelle erreur ! Comment peut-on être optimistes quand les seuls qui croient au futur et au progrès sont des leaders de régimes autoritaires ? Il semble que l'Ouest soit bien fatigué.

P. B. : Le fait d'être l'un des premiers à avoir critiqué Greta Thunberg en parlant d'infantilisme climatique me vaut encore les insultes de toute la doxa médiatique. J'ai même entendu quelqu'un sur France Culture parler de vieux mâle blanc à la virilité défaillante. Je ne vois pas le rapport ! Soutenir Greta, ce serait donc afficher une virilité triomphante ? Je pensais faire une remarque de bon sens : dans le cas de Greta Thunberg, la messagère cache le message. C'est une création médiatico-familiale, qui accapare totalement l'attention, et on a l'impression que l'écologie a commencé il y a un an, alors qu'on en parle depuis quarante ans ! Quand on dit qu'elle est un phénomène mondial, c'est faux aussi ! Elle n'est pas connue au-delà des États-Unis, de l'Europe et de l'Australie. Ailleurs, on la regarde comme une jeune fille de la bourgeoisie suédoise légèrement indécente quand elle ose se plaindre d'un sort enviable pour des millions d'autres enfants. Si une petite fille des îles Fidji ou des Maldives s'inquiétait de la montée des eaux, on aurait approuvé, mais Greta Thunberg, c'est le phénomène de l'enfant star, hypernarcissique, courtisée par Arnold Schwarzenegger, Leonardo DiCaprio et tout le show-biz. Ses solutions, décroissance et privation, sont sommaires. Je crains pour son avenir, car ce sera dur pour elle après tout cette attention médiatique.

Les écologistes radicaux se servent de Greta Thunberg comme d'une arme et, quand quelqu'un la contredit, ils accusent les critiques d'attaquer une enfant.

Est-ce que vous deux n'êtes pas trop obsédés par Greta Thunberg ?

M. S. : Qui est obsédé ? Elle est partout ! Tout le monde veut parler d'elle. C'est tellement cynique. Les écologistes radicaux se servent de Greta Thunberg comme d'une arme et, quand quelqu'un la contredit, ils accusent les critiques d'attaquer une enfant. Al Gore était Moïse, et Greta Thunberg, c'est Jeanne d'Arc.

P. B. : Jeanne d'Arc croisée avec Fifi Brindacier. Tous ces adultes qui la soutiennent sont frappés de jeunisme : ils veulent absolument monter dans le train de l'histoire, prêts à courtiser n'importe quelle cause pour se sentir dans le coup.

M. S. : Je trouve intéressant que Pascal, qui est un homme d'un certain âge, écrive sur le sexe, l'amour, et se montre jeune dans sa vision du monde, alors que Greta est un esprit âgé dans le corps d'une jeune femme. C'est un peu tragique, tous ces jeunes qui décrivent leur propre mort. Il semble que la gauche avait deux impulsions. Les hippies, avec leur amour libre, évoquaient un peu Peter Pan. Aujourd'hui, la gauche radicale est constituée de jeunes qui se comportent comme des grenouilles de bénitier. La candidate qui va probablement prendre la tête des sondages est Elizabeth Warren, apocalyptique à propos du changement climatique, et antinucléaire, parce qu'évidemment il n'y aura pas d'apocalypse si on développe une énergie décarbonée. Et, sans apocalypse, comment moraliser et mobiliser ? À chaque fois qu'Elizabeth Warren parle, j'ai l'impression d'être sur le point d'être puni. Pascal, pourquoi est-ce que le dynamisme et la jeunesse sont incarnés par la Russie et la Chine, malheureusement dans des États illibéraux et autoritaires, alors que l'Occident est fatigué et déprimé ?

P. B. : L'Europe est affectée depuis longtemps d'un complexe de culpabilité dû à son passé colonial. Elle a occupé le monde pendant quatre siècles. Contrairement à l'Empire ottoman qui a occupé une partie du monde pendant six siècles, elle éprouve un remords profond pour l'esclavage et l'impérialisme. Cette mauvaise conscience est en train de gagner la gauche américaine. Les États-Unis s'européanisent dans le camp démocrate et tout d'un coup regardent le progrès, nos acquis sociaux et culturels comme étant des marques d'infamie. L'histoire ne va plus vers le mieux, elle va vers l'effondrement. C'est la métaphore du Titanic utilisée par tous les écologistes. Nous sommes sur le Titanic et l'iceberg est là quelque part dans la nature. Une partie de l'Occident veut mourir, je le répète depuis le « Sanglot de l'homme blanc ». Cette pensée funeste ne peut qu'instiller le désespoir dans la jeunesse. Si j'avais 18 ans aujourd'hui et que j'écoutais Greta Thunberg et Extinction Rebellion, je me dirais que mes parents m'ont volé mon avenir. Et, par conséquent, je ne peux faire rien d'autre que brûler des voitures ou me retirer à la campagne en attendant la fin du monde. Mais Greta Thunberg ou ces militants ne sont que des perroquets reprenant des mots qu'on leur a instillés. Il y a une volupté narcissique à entendre nos enfants nous dire « vous avez détruit ce monde ». Comme le dit Michael, il faut effectivement retrouver le sens de l'histoire, aller dans les pays pauvres ou anciennement pauvres comme la Chine ou l'Inde, qui ont gardé l'espérance d'un lendemain meilleur.

M. S. : Nietzsche, dans sa Généalogie de la morale , se demande pourquoi des gens voudraient devenir ascétiques et se priver de nourriture. Parce que ça vous fait vous sentir puissant, ça vous donne du pouvoir sur les autres, et le pouvoir nous donne du plaisir ! C'est, je crois, ce qui est en train de se passer aujourd'hui. C'est sain, quand vous êtes un adolescent, d'être rebelle sur une courte période. Mais toute la société semble être devenue adulescente, même les gens au pouvoir. L'espoir pour un meilleur avenir est à chercher du côté de pays comme le Rwanda.

La démocratie libérale serait-elle une parenthèse dans l'histoire ?

P. B. : L'esprit des peuples en Europe occidentale est fatigué et inquiet. C'est un autre débat que l'écologie, mais les citoyens ont le sentiment aujourd'hui, et c'est le sens des protestations souverainistes et des démocraties illibérales, que l'Europe n'a pas su les protéger de la mondialisation, de l'immigration, du terrorisme islamique, et que, par conséquent, il faudrait revenir à une forme nationale plus classique pour retrouver la maîtrise de son destin. L'une des sources de l'épuisement démocratique, c'est ce sentiment de dépossession. Nous ne sommes plus maîtres chez nous. Nous pouvons même dans certains quartiers devenir étrangers. Ça explique cette méfiance vis-à-vis de la démocratie libérale. C'est pour cela qu'on retrouve chez des gens une grande admiration pour les despotes comme Erdogan ou Poutine, vénérés parce qu'ils font ce qu'ils disent. Aux yeux des populistes, la démocratie se perd dans des procédures interminables du fait de l'État de droit, alors que les démocratures sont, elles, beaucoup plus directes. Tout cela explique pourquoi les vieilles démocraties que nous sommes souffrent d'une crise de conscience. L'aspiration démocratique n'est pas morte, mais elle est en crise. Des sociétés, à certains moments, n'acceptent plus la tutelle d'un régime autoritaire, comme on peut le voir à Hongkong. Il y a un aller-retour étonnant entre de vieux peuples favorisés qui veulent un tyran pour les rassurer et de jeunes populations qui souhaitent renverser la tyrannie pour goûter à la liberté.

S'il y avait un Donald Trump en France, c'est-à-dire un individu, homme ou femme, qui brave les tabous et propose une autre voie, Macron perdrait, c'est certain.

M. S. : Du fait de l'arme nucléaire, les guerres entre États disparaissent. Les taux de mortalité sur les champs de bataille n'ont jamais été aussi bas. On se tue désormais sur les réseaux sociaux ou à travers les idées politiques (rires). Si la gauche revient au pouvoir aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, Extinction Rebellion disparaîtra. Mais, si Trump est réélu, cette guerre culturelle se poursuivra. La gauche est bien devenue violente dans les années 1960 et 1970.

P. B. : Ce qu'on expérimente en France, ce sont des incivilités, des attaques brutales, des explosions de rage sans raison, contre la police ou les représentants de l'autorité. C'est plus un symbole d'anarchie. Ce qui nous menace n'est pas le fascisme, contrairement à ce que nous disent les esprits paresseux, mais la désagrégation du tissu social. L'écologie peut être un des ingrédients de cette colère et de ces frustrations.

M. S. : Il me semble que des mouvements comme Extinction Rebellion veulent plus de chaos, là où vos Gilets jaunes sont en demande de plus d'ordre. Sont-ils la nouvelle gauche et la nouvelle droite ?

P. B. : Les Gilets jaunes sont une fraction de la moyenne bourgeoisie inférieure délaissée, vivant dans les périphéries des villes, et qui a protesté en raison de la hausse du carburant. Une taxe écologique a mis le feu aux poudres. Leur idée de génie a été de se revêtir de ce gilet jaune, qui est la tenue des travailleurs sur la route ou des ouvriers du bâtiment. Et c'est une rancœur contre les grandes villes, Paris, Lyon, Bordeaux... Même s'ils étaient peu nombreux, le mouvement s'est propagé rapidement et sa violence a été instantanée. Les Gilets jaunes ont été accueillis par la droite parce qu'ils étaient blancs, mais en fait ils ont adopté les tactiques de guérilla des banlieues en allant dans le cœur des grandes métropoles, comme Paris, dont ils ont voulu détruire les symboles : souiller l'Arc de Triomphe, brûler l'Élysée, décapiter Macron... Même s'ils se sont alliés depuis aux black blocs, des casseurs en chemise noire, assez proches des faisceaux mussoliniens des années 1930, les Gilets jaunes étaient au départ des anars aux cheveux blancs. Des retraités qui ont retrouvé une solidarité autour des ronds-points qui, Michael ne peut pas le savoir, sont une spécialité française (rires). Pour reprendre une expression proverbiale, les Gilets jaunes s'occupaient de la fin du mois, Extinction Rebellion de la fin du monde. Les Gilets jaunes sont proches du phénomène du Brexit ou de l'électorat de Trump : c'est la classe ouvrière blanche qui se sent abandonnée et déteste Macron, trop brillant, trop éduqué, beau parleur, cosmopolite et issu des milieux de la banque. Ils adressent un avertissement solennel aux classes supérieures qu'on aurait tort de ne pas écouter. Les écologistes devraient y réfléchir à deux fois avant de vouloir serrer la vis aux gens du peuple qui ont déjà peu de choses. Les collapsologues souhaitent casser notre niveau de vie, nous faire accepter l'idée d'une sobriété heureuse. Ce qui fait penser que l'écologie radicale n'est compatible qu'avec un régime autoritaire.

M. S. : C'est une nouvelle guerre de classes. D'un côté, il y a les électeurs de Trump, les pro-Brexit et les Gilets jaunes ; de l'autre, Extinction Rebellion, les démocrates américains et les écologistes. Macron est une exception, dans le sens où il essaye de défendre le centre dans une époque de plus en plus clivée. Aux États-Unis, Trump a maintenu sa base électorale, Boris Johnson semble réussir le Brexit, mais, en France, Marine Le Pen ne semble toujours pas pouvoir gagner...

P. B. : Macron a recréé à l'intérieur de La République en marche la gauche et la droite, parce que ces deux courants s'affrontent régulièrement au sein de son parti. Certains diront que c'est un jongleur, d'autres une girouette. J'ai voté pour lui et je revoterai pour lui, parce qu'il nous a prémunis de deux dangers majeurs, l'incompétente de l'extrême droite et le fada de l'extrême gauche. On l'a échappé belle, mais pour combien de temps ? Le principal problème de Macron est le régalien. C'est un séducteur, pas un chef d'État. S'il n'a pas une action ferme sur la sécurité, le terrorisme et l'islam politique, si la France continue à être balayée par des grèves à répétition, des attentats, des manifestations violentes, il risque d'être balayé en 2022. Marine Le Pen, Dieu merci, n'a pas le logiciel politique pour diriger un pays comme la France. Sans parler de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, est discrédité et vit sous la dictature de ses humeurs. C'est ce qui nous a sauvés. Mais s'il y avait un Donald Trump en France, c'est-à-dire un individu, homme ou femme, qui brave les tabous et propose une autre voie, Macron perdrait, c'est certain.

M. S. : Vu qu'Angela Merkel est déclinante et que Boris Johnson est en train d'organiser le départ de son pays de l'Union européenne, la France devient le leader de l'Europe. Vous voyez d'ailleurs Macron s'opposer à Trump, tout en dénonçant les positions de Greta Thunberg, deux figures radicales. Macron est un espoir pour un pouvoir libéral et modéré en cette période d'extrémisme.

P. B. : Macron est une chance qui ne sera peut-être jamais déployée. Au moment où Trump se retire de Syrie, où l'Amérique abandonne tous ses alliés, plus aucun peuple ne peut désormais compter sur la promesse américaine, contrairement à ce qui s'est passé avant. Il n'y a plus que la France à porter ce rêve libéral et démocratique du monde occidental. Et c'est le dernier pays dans l'Union européenne, après le départ britannique, qui a une armée. Évidemment, nous sommes des nains comparés aux États-Unis. Mais Macron a-t-il la carrure, le charisme et la persuasion pour entraîner les Européens avec lui ? Pour l'instant, il n'est pas aimé en Europe, comme l'a rappelé l'affaire Sylvie Goulard. J'adorerais que la France reprenne son rang, mais je n'en suis pas certain. Pour cela, il faut déjà qu'on remette de l'ordre chez nous, que les trains recirculent normalement, que des hordes de voyous ne viennent pas chaque semaine terroriser les centres-ville et briser le mobilier urbain. La grande politique commence dans les petits détails.


par Une interview de François Lenglet par Ronan Planchon dans FigaroVox 5 août 2025
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-lenglet-la-commission-europeenne-court-comme-un-canard-sans-tete-desorientee-par-la-disparition-du-monde-d-hier-20250803 ENTRETIEN - Après l’accord signé avec les États-Unis de Donald Trump le 27 juillet en Écosse, l’Europe entame son «siècle de l’humiliation», estime le journaliste économique et essayiste. François Lenglet est éditorialiste économique à TF1-LCI et RTL. Son prochain livre : Qui sera le prochain maître du monde ?, Éditions Plon, octobre 2025. LE FIGARO. - Dans le cadre de son accord avec Trump , l’Union européenne accepte de voir la quasi-totalité de ses exportations de biens vers les États-Unis frappées de droits de douane à hauteur de 15 % et n’obtient ni ne sanctionne rien en retour. Une autre issue était-elle possible ? Passer la publicité François LENGLET. - Non, cet accord est tout sauf surprenant. Il matérialise le rapport de force entre l’Amérique de Trump et l’Europe : tout pour moi, le reste pour toi. C’est la conséquence du rôle nouveau qu’occupent les États-Unis dans les affaires du monde, la « superpuissance voyou », pour reprendre les termes de l’universitaire américain Michael Beckley. C’est-à-dire la puissance numéro un sans autre ambition que de se renforcer au détriment des autres, à commencer par les alliés de naguère - ce sont eux qui offrent le meilleur rendement dans le chantage, parce qu’ils sont faibles. Le plus frappant dans cette affaire, c’est que l’Union européenne est contente. Humiliée et satisfaite. Alors même qu’en plus des tarifs, Bruxelles piétine ses propres politiques, pour satisfaire Trump. Elle accepte ainsi d’investir 600 milliards en Amérique, alors que l’exode de l’investissement est justement le principal problème pointé par le rapport Draghi… Elle s’engage à acheter des armes américaines, alors qu’elle exhorte les pays membres à renforcer leur base industrielle de défense… Elle s’engage à acheter des tombereaux de gaz américains alors qu’elle œuvre pour le zéro carbone ! Quant à la prétendue « prévisibilité » offerte par l’accord aux exportateurs, c’est une vaste blague. Un condamné à dix ans de prison peut évidemment se féliciter de la prévisibilité de son cadre de vie pour la prochaine décennie. Londres a obtenu de la Maison-Blanche le taux de tarifs douaniers les plus bas possible à ce jour (10 %). Cette « victoire » participe-t-elle à la décrédibilisation de l’Union européenne ? Le commerce américain avec le Royaume-Uni n’est pas déficitaire, cela peut expliquer le traitement plus favorable qu’a obtenu Londres. Dans la hiérarchie des royaumes tributaires de l’empire américain, nous occupons un rang intermédiaire, entre le Royaume-Uni, qui s’en sort mieux, et le Japon, duquel Trump a obtenu le versement de plusieurs centaines de milliards directement au Trésor américain. Et tous ceux qui sont menacés aujourd’hui de 30 % ou 40 % s’ils ne concluent pas d’accord cette semaine. Si l’Union européenne n’était pas en position de force, est-ce parce qu’elle ne maîtrise aucune de ses positions stratégiques à l’échelle de l’économie globale ? Oui, sans aucun doute. Il faut se souvenir que l’Union européenne n’a pas été conçue pour peser dans le jeu mondial. La raison d’être fondamentale de la Commission de Bruxelles, c’est de surveiller les États membres pour qu’ils se soumettent aux règles du marché unique et de la concurrence. Bruxelles a été dressé pour éradiquer les frontières et le nationalisme économique à l’intérieur de l’Union. L’édification de ce marché unique a d’ailleurs été une propédeutique utile pour apprivoiser la mondialisation, surtout pour la France et sa bureaucratie. Mais les temps sont bouleversés. La mondialisation change de nature et de périmètre, elle se fragmente, à cause du recentrage de la puissance principale sur ses intérêts exclusifs au détriment d’un ordre mondial. Il ne peut y avoir de mondialisation sans maître du monde assumé. La Commission devrait donc s’appuyer sur les frontières et pratiquer une sorte de nationalisme européen, si cette expression n’était pas un oxymore, pour défendre les États membres dans la grande confrontation entre les empires. Elle en est incapable car il faudrait pour cela qu’elle renie les traités. Elle court donc comme un canard sans tête, désorientée par la disparition du monde d’hier. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. François Lenglet L’Europe-puissance est une chimère, entretenue par les fédéralistes qui voudraient encore sauver leur rêve. C’est le dernier stade du déni, avant l’acceptation de la réalité : l’Europe entame son « siècle de l’humiliation », comme la Chine de 1842, après la guerre de l’opium. Trump, exactement comme les Britanniques de l’époque, force l’ouverture de nos ports. Avec ces accords, l’Europe signe donc son traité de Nankin, qui avait asservi l’empire du Milieu aux intérêts commerciaux britanniques. Mais à la décharge de Bruxelles, le problème est plus grave que celui de la seule Commission. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui rechignent à la puissance et aux sacrifices qu’elle exigerait d’eux. « Nous n’avons pas été craints », aurait dit Emmanuel Macron juste après cet accord-capitulation. C’est ce qu’on appelle une litote… Le problème pour être craint, c’est bien sûr d’avoir des moyens de rétorsion, mais c’est surtout de vouloir les utiliser. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. Pire, les officiels français expliquaient à la veille de l’accord qu’il n’y aurait pas de rétorsions tarifaires, car les économistes avaient calculé qu’elles seraient préjudiciables à nos consommateurs ! Pour Trump, ces tarifs visent-ils surtout à relocaliser la production aux États-Unis ? Oui, il veut siphonner la croissance mondiale. Il récuse la position de « consommateur en dernier ressort », qui avait toujours été celle du maître du monde, les États-Unis au XXe siècle, le Royaume-Uni au XIXe. Il vise au contraire la réindustrialisation de son pays. C’est pour cela qu’il veut des tarifs et un dollar faible, afin d’inciter les industriels du monde entier à s’installer aux États-Unis. Il ne s’arrêtera pas là. Ces tarifs vont servir à la coercition des partenaires, afin qu’ils réévaluent leurs devises ou financent gratuitement la dette américaine, avec les fameuses obligations à coupon zéro prônées par l’un des inspirateurs de Trump, Stephen Miran. L’autre objectif est bien sûr budgétaire. Les taxes douanières vont remplir les coffres de Washington. Rien que l’accord avec l’Europe pourrait lui fournir une centaine de milliards de ressources annuelles supplémentaires. Il s’agit de financer le « Big and Beautiful Budget », les baisses d’impôts votées par le Congrès le mois dernier. Dans les deux cas, c’est la stratégie de la prédation : l’Amérique pompe les investissements pour arroser son sol, et les ressources financières des autres pour les redistribuer à ses entreprises sous forme de baisse d’impôt. Ne surestime-t-on pas la victoire de Trump ? Les engagements d’achats et d’investissements européens n’ont d’autre valeur que politique… C’est vrai que les chiffres sont tellement fous qu’ils ne sont pas crédibles. Ursula von der Leyen s’est engagée à 250 milliards d’achats de gaz liquéfié par an, alors que nous sommes, pour l’Europe entière, en dessous de 100 milliards aujourd’hui… Mais cela crée quand même une pression pour les années qui viennent, et c’est sans doute ce que cherchaient les négociateurs américains. Aussi déraisonnables qu’ils soient, ces montants ont été semble-t-il validés par l’Europe. Et, au-delà des considérations sur les montants, une leçon doit être retenue : l’accès aux marchés internationaux a un prix, car il a une valeur. Et ce prix est à la hausse, depuis l’élection de Trump. L’Europe ferait donc bien de réfléchir au prix de l’accès à son propre marché, l’un des plus grands du monde, et à la façon de négocier les prochains accords commerciaux. À quoi peut-on s’attendre, concrètement, sur le plan commercial ? Toute la question est de savoir qui va payer les tarifs. En bonne logique, c’est le consommateur américain, qui verra augmenter le prix des biens importés. Non pas de 15 %, car dans le prix final, les coûts de distribution comptent pour jusqu’à un tiers. En réalité, chacun des intervenants dans le circuit commercial, exportateur, transporteur, importateur, distributeur et consommateur va être mis sous pression pour réduire ses marges ou payer un peu plus. La répartition de ces efforts sera variable en fonction du rapport de force sur le marché, très différent selon les secteurs. Tout cela devrait contracter les flux commerciaux à destination de l’Amérique. Avec des conséquences sur la croissance, moins fortes en France qu’en Allemagne et en Italie, plus exportatrices, comme on le constate déjà sur les chiffres du deuxième trimestre 2025. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. François Lenglet Quels seront les secteurs les plus touchés ? Les entreprises de luxe peuvent supporter à la fois une augmentation de prix et une contraction de leurs marges, qui sont importantes. En revanche, pour les produits laitiers et fromage, c’est l’un de nos postes d’exportation importants, le consommateur sera moins enclin à payer. Ce seront les exportateurs qui vont devoir encaisser la moins-value, s’ils ne veulent pas perdre des parts de marché. Idem pour la cosmétique, également l’une de nos forces à l’export. Le haut de gamme s’en sortira, grâce à la puissance des marques et à l’image du « made in France », mais les produits grand public, plus sensibles au prix, devraient souffrir. L’automobile n’est concernée qu’indirectement, car nous n’exportons pas de voitures françaises outre-Atlantique. Les équipementiers français, sous-traitants des constructeurs européens, pourraient toutefois subir les conséquences de la pression sur les exportateurs allemands. Dans tous ces domaines, les industriels vont tenter de produire davantage aux États-Unis, pour échapper aux taxes. Il peut donc y avoir une nouvelle vague de délocalisations. Restent enfin des industries dans l’incertitude, car leur régime douanier n’a pas encore été défini, comme la pharmacie. Peut-on s’attendre désormais à une marginalisation de la Commission européenne ? Von der Leyen va-t-elle devenir l’amie que les États membres n’assument plus ? Les questions commerciales divisent l’Europe depuis toujours, à la fois entre États membres, qui n’ont pas les mêmes intérêts, et d’un secteur à l’autre au sein d’un même pays. Cette fois-ci, pourtant, le continent n’est pas vraiment divisé, il se partage entre les perdants résignés et les perdants soulagés. Soulagés parce qu’ils redoutaient pire - c’est la force de Trump que d’avoir attendri la viande pendant les négociations, en menaçant de taxes encore plus punitives. Au-delà des jérémiades, il n’y a donc pas de réelle volonté de remettre en cause l’accord avalisé par la présidente de la Commission. De plus, plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis ont déjà avalé leur pilule, le Japon, la Corée du Sud, et tous ceux qui attendent dans le couloir de la Maison-Blanche… Il n’y a plus guère que la Chine qui tienne tête à l’Amérique. Il faut espérer que cette affaire aura au moins eu pour effet de révéler à l’Europe, à ses citoyens et ses dirigeants, l’ampleur des changements en cours dans les relations internationales. Dans la confrontation qui s’intensifie, tout est stratégique, y compris les questions commerciales. Tout a un prix. Tout est levier pour obtenir de l’influence ou des ressources. Cela exige de nous une révolution, dans l’idéologie et dans l’action, après quarante ans où le libre-échange était considéré comme l’état naturel des rapports internationaux, indépendant des questions politiques et profitables à tous. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. Pour reprendre un aphorisme de l’économiste Marc de Scitivaux, dans la longue histoire du coup de pied au derrière, ce n’est pas toujours le pied le plus coupable.
par Henri Guaino 4 août 2025
"Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets" Une tribune d'Henri Guaino parue dans Le Figaro le 28 juillet 2025 : https://www.notrefrance.fr/index.php/medias/
par Louise Morice 26 juillet 2025
"Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le solde naturel est négatif. Ce que l’on attendait pour 2027 est déjà là, en 2025. Trop tôt. Trop vite. Et pourtant, pas un sursaut. Pas un électrochoc. Le pays continue, imperturbable, comme sous anesthésie. Ce chiffre, pourtant fondamental, ne suscite ni débat national, ni mobilisation. On le constate, on le commente, puis on passe à autre chose. Comme toujours." https://www.frontieresmedia.fr/tribunes/tribune-louise-morice-le-silence-des-enfants-le-prix-du-renoncement
par Mathieu Bock-Côté 26 juillet 2025
Une tribune de Mathieu Bock-Côté dans FigaroVox (25/07/2025) https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mathieu-bock-cote-de-la-fin-du-macronisme-20250724 CHRONIQUE - Le macronisme, dont Bruno Retailleau a prédit la fin une fois qu’Emmanuel Macron ne sera plus président de la République, a d’abord été le réflexe de survie d’un régime en panne, avant de se muer en une forme de centrisme autoritaire. C’est une des polémiques de l’été : sommes-nous témoins de la fin du macronisme ? La question peut se comprendre au premier degré : dans quelle mesure Emmanuel Macron peut-il encore peser jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 ? Pour certains, elle relève de l’hérésie. La garde prétorienne du président accuse ainsi de lèse macronisme les figures du gouvernement qui n’ont pourtant jamais caché leur hostilité à son endroit. Voyons-y la joute politique ordinaire. À découvrir La question ne devient pourtant intéressante qu’en se détachant de la personnalité du président de la République pour faire plutôt le bilan de la synthèse qu’il a cherché à composer en 2017. Ce qui nous oblige à revenir à ses origines. Le macronisme fut d’abord le réflexe de survie d’un régime en panne, aux clivages devenus stériles, sentant monter une menace « populiste » et voulant se donner les moyens de la mater en ripolinant sa façade et en confiant la direction du pays à un jeune homme qu’on disait exceptionnel. Les élites politiques concurrentes qui, jusqu’alors, s’affrontaient selon la loi de l’alternance entre la gauche et la droite, se fédérèrent alors dans ce qu’on allait appeler un bloc central revendiquant le monopole de la République, de ses valeurs et de la légitimité démocratique, mobilisé contre des extrêmes, censées menacer la démocratie. L’alternative était posée : macronisme ou barbarie ! La rhétorique anti-extrêmes au cœur du macronisme masquait toutefois une fixation bien plus précise sur la droite nationale - alors qu’il convergeait culturellement avec la gauche radicale. Le macronisme n’a jamais cessé de proposer une offre politique conjuguant diversitarisme et mondialisme, auxquels s’est ajoutée la transition énergétique, sous le signe d’un empire européen à construire. L’homme européen auquel rêvent les macronistes a souvent eu les traits d’un l’homo sovieticus revampé. Le macronisme semblait faire du multiculturalisme une promesse. Il croyait les tensions dans les quartiers solubles dans la croissance, convaincu qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre certaines civilisations, que l’islam est une religion comme une autre, et que le nombre, en matière migratoire, est une variable insignifiante. Il n’a pas vu et ne voit toujours pas la submersion migratoire, sauf pour la célébrer. Il se représente moins l’immigration comme une fatalité que comme un projet. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit Mathieu Bock-Côté Le macronisme se voulait aussi un technocratisme : les meilleurs enfin rassemblés pourraient facilement résoudre les problèmes de la France, dégraisser l’État social, relancer l’économie et libérer les énergies du pays. La pensée unique trouvait sa traduction pratique et quiconque entendait gouverner à partir d’autres principes était accusé de se laisser emporter par des bouffées idéologiques délirantes. La situation financière de la France laisse croire que cette stratégie était moins performante que prévu. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit. De 2017 à 2025, les initiatives se sont multipliées pour assurer une régulation publique de l’information, pour lutter contre les discours haineux, pour étendre la surveillance des pensées coupables au discours privé, sans oublier la dissolution de nombreux groupes identitaires, l’acharnement judiciaire et financier contre le RN et la fermeture d’une chaîne de télévision décrétée d’opposition. Le régime n’a plus de base populaire C’est ce qui a permis au macronisme de fédérer, l’an passé, les partis du système dans un front républicain allant de l’extrême gauche à la droite classique pour empêcher l’arrivée au pouvoir du RN. Le macronisme, à ce stade, abolissait le pluralisme politique authentique. Il n’y avait de diversité idéologique légitime qu’au sein du bloc central. L’extrême centre et la gauche radicale ont l’antifascisme en langage partagé. La droite classique, évidemment, s’est tue, de peur de déplaire. La seule opposition autorisée est celle qui se structure dans les paramètres du régime, et qui célèbre ses principes, avant de le contredire dans les détails. La révolte fiscale se fait entendre, la révolte identitaire et sécuritaire travaille la France depuis un bon moment, mais le macronisme est résolu à mater les gueux et les lépreux, qu’il se représente comme un peuple factieux, presque comme une meute de dégénérés dangereux. Le régime n’a plus vraiment de base populaire, mais ne s’en émeut guère. Le macronisme en est ainsi venu à confondre les palais de la République avec le maquis. Derrière les appels à répétition à sauver la démocratie, on trouve surtout une caste, qui est aussi une élite moins douée qu’elle ne le croit, résolue à prendre tous les moyens nécessaires pour conserver ses privilèges et ses avantages, effrayée devant la possibilité qu’une autre élite la congédie et la balaie. Les prébendes de la République valent bien la peine qu’on se batte pour elles.
par Julien Abbas (Valeurs Actuelles) 26 juillet 2025
Une tribune de Julien Abbas dans Valeurs Actuelles "La France, bercée par ses souvenirs de grandeur, se trouve aujourd’hui, après huit ans de présidence d’Emmanuel Macron, fragilisée sur l’échiquier mondial. L’action de Jean-Noël Barrot à la tête du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne fait qu’accentuer cette dérive." https://www.valeursactuelles.com/politique/jean-noel-barrot-un-ministre-etranger-aux-affaires
par Eric Chol (L'Express) 26 juillet 2025
Un edito d'Eric Chol dans l'Express (16/07) Et si on appliquait le plan Pinay-Rueff à la France ? Arrivé à Matignon en 1958, le général de Gaulle trouve un pays au bord de la banqueroute, comparable à la situation actuelle. Le président de la République a eu beau appeler à « la force d’âme », le pays aura du mal à se défaire du bonnet d’âne qui désormais le caractérise en Europe. Car comment qualifier autrement l’abyssesse des finances publiques, rendue possible par une croissance moribonde et dix ans de promesses mensongères successifs pour l’intendance, de la démagogie d’un personnel politique plus soucieux des élections que de l’intérêt national, et de l’addiction incurable de nos compatriotes aux chèques et à l’Etat ? On connaît (depuis 1974) la chanson, mais n’y fait : la France, année après année, déchoit. Même le plan Bayrou ne lui ressemble qu’à une énième incantation qui nourrira une gêne ou elle sera vite oubliée. Et si l’on essayait vraiment un plan de redressement national ? C’est ce qu’avait fait l’un des ministres des Finances les plus brillants, Antoine Pinay, nommé en 1958 par le général de Gaulle. Un esprit comparable mentalement au plus lucide des conseillers de Gaulle, lorsqu’il arrive à Matignon, c’est d’avoir compris que la crise budgétaire de la France, anémique, asphyxiée par les dépenses, dissuadait le grand débiteur d’agir. Pinay demande donc l’aide d’un directeur général du FMI de l’époque, le Suédois Per Jacobsson, ni plus ni moins. Le plus fou est qu’à Paris, comme à Washington, ce fut le diagnostic économique qui fit l’unanimité : la France, dans sa totalité – Intérieur, Défense, Affaires étrangères… – devait rendre les comptes à l’Etat, dans les moindres détails. Et c’est à ce moment-là que le général de Gaulle, aidé par Jacques Rueff, inspecteur des finances, met le pied dans la fourmilière. L’événement économique déterminant de décembre 1958, pour assainir le pays, Car oui, c’était possible, et de Gaulle l’a fait. Comment ? Tout d’abord en misant sur Jacques Rueff, un inspecteur des finances habitué à voler au secours des économies fragiles : trente ans plus tôt, dépêché par la Société des nations, cet ancien du cabinet Poincaré avait testé l’efficacité de ses recettes en Bulgarie, en Grèce ou au Portugal. De ces sauvetages, le polytechnicien a tiré une devise : « Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage. » Le plan Pinay-Rueff, adopté en décembre 1958, n’a rien d’un chemin de roses : augmentation de taxes et des impôts, compression des dépenses publiques, fin de nombreuses subventions, dévaluation du franc… La purge a un goût amer. « Et bien, les Français crient. Et après ? », rétorque de Gaulle à ses ministres inquiets. Mais les Français n’ont pas crié, et les comptes de la nation ont été rétablis en six mois. « La force de ce programme, c’est qu’il touchait l’ensemble des classes sociales : agriculteurs, retraités, fonctionnaires, chefs d’entreprise… Tout le monde a dû mettre la main à la poche », analyse l’historienne Laure Quennouëlle-Corre. Le plan Pinay-Rueff avait d’autres atouts. La popularité de Pinay, pour faire passer la pilule auprès des Français. « Sa mise en œuvre a été faite par un homme fort qui disposait d’un ascendant et d’une majorité très importante dans le pays. Le plan a été accepté parce qu’il était porté par de Gaulle, » précise l’auteur du Dénî de la dette. Une histoire française (Flammarion). Sept décennies plus tard, on a la recette, mais incontestablement, on manque encore d’un chef !
par LD31 26 juillet 2025
On croyait que la suppression des 2 jours fériés, ce serait pour réduire le cout du travail ? Raté ... ce sera pour financer un impôt supplémentaire sur les entreprises !
par François Vannesson 17 juillet 2025
Un post Linkedin de François Vannesson, avocat au barreau des Hauts-de-Seine et fondateur du cabinet Morpheus Avocats Najat Vallaud-Belkacem, L’avatar capillaire du pédagogisme invertébré, vient d’être bombardée à la Cour des comptes. Une récompense bien méritée pour l’immense œuvre de destruction méthodique qu’elle a menée contre l’instruction publique : elle a vidé les cerveaux avec une cuillère en bois, puis repeint les murs de la salle de classe avec les restes. À l’époque, elle nous vendait l’école comme un espace d’auto-expression émotive où la syntaxe était fasciste, la chronologie raciste, la discipline patriarcale et l’excellence un attentat psychologique. Elle dirigeait le ministère comme on organise une orgie dans un hospice : sans scrupule, sans hygiène, sans témoin. Et maintenant elle va compter. Pas les fautes, non, ni les manques, ni les milliards égarés entre deux lubies. Elle va compter avec sa méthode : à la louche, au ressenti, à l’échelle du trauma perçu. Chaque déficit sera une blessure symbolique, chaque trou dans le budget une opportunité de réinvention inclusive. Mais la meilleure part, c’est le parrainage. François Bayrou, incarnation ambulante du compromis diarrhéique, l’a propulsée là. L’homme qui croit encore à son destin présidentiel comme un vieil ivrogne croit au retour de l’amour conjugal. Il négocie une nomination comme un souteneur distribue des faveurs : contre une abstention PS sur la censure. République mon amour, tu n’es plus qu’un kiosque à prostitutions morales. La scène est si grotesque qu’on en pleurerait de rage : l’ancienne démolisseuse de la langue française promue gardienne des comptes. L’incompétence sanctifiée, l’idéologie élevée au rang de compétence, l’erreur transformée en critère de sélection. Bientôt viendra son premier rapport : « Vers une comptabilité intersectionnelle : décoloniser les bilans, racialiser les soldes ». Elle y ajoutera une bibliographie lacrymale, quelques verbes en inclusif approximatif, et un graphique en arc-en-ciel pour masquer l’effondrement. La France, pendant ce temps, crève à petit feu. On supprime les jours fériés, on broie les actifs, on appuie sur la gorge des classes moyennes jusqu’à ce qu’elles n’aient plus que l’impôt pour respirer. Mais au sommet de la pyramide invertie, les fossoyeurs se félicitent. On ne leur demande plus d’être bons. Juste d’avoir bien nui. Et là, Najat coche toutes les cases. Avec application. Et un très joli stylo.
par Interview du philosoque Pierre-Henri Tavoillot par Eugénie Boilait dans FigaroVox 16 juillet 2025
ENTRETIEN - Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot*, cette affirmation est doublement erronée. * Maître de conférences à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot est aussi le référent laïcité de la région Île-de-France. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/quoi-qu-en-dise-le-ministre-la-realite-du-terrain-confirme-l-existence-d-un-islamo-gauchisme-dans-les-universites-20250709 LE FIGARO. – Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté le 7 juillet sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». « Il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas », a-t-il assuré. Selon vous, cet argumentaire tient-il la route ? Passer la publicité Pierre-Henri TAVOILLOT. - À vrai dire, ce propos est doublement erroné : d’abord parce que le concept d’« islamo-gauchisme » est clairement identifié, et ensuite parce que, comme toute idéologie, il est évidemment présent à l’université, réceptacle naturel de toutes les idéologies existantes. Mais chaque chose en son temps. Revenons au concept qui a été construit par Pierre-André Taguieff dans les années 2000 et dont l’histoire est parfaitement connue. L’historien des idées l’évoque notamment dans son ouvrage Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Hermann, 2021). À partir de là, la définition de l’idéal-type est simple à établir, avec trois points fondamentaux qui le caractérisent. Il y a d’abord l’idée que l’islam est la religion des « opprimés » - ce qui permet aux révolutionnaires de gauche d’abjurer leur aversion du religieux, la religion étant traditionnellement perçue comme l’« opium du peuple ». Et la révolte islamiste est, pour le révolutionnaire en herbe, une « divine surprise » qui permet de pallier la tendance conservatrice, voire réactionnaire, du prolétariat européen. En effet celui-ci se contente dorénavant de « défendre les acquis sociaux » ou de voter pour le Rassemblement national. Dans ces conditions, la révolution n’est plus envisageable avec lui, d’où la deuxième idée structurante qui réside dans l’urgence de faire venir un prolétariat actif et révolutionnaire. L’islamo-gauchisme soutient donc l’ouverture sans limite des frontières et l’accueil de ceux qu’ils pointent comme les « damnés de la terre ». Avec ces derniers, il redevient possible d’envisager la destruction de la pseudo-social-démocratie libérale et du système capitaliste. La troisième idée est que l’islamisme est lui-même une simple réaction de défense, légitime donc, face à un impérialisme occidental et néocolonial qui veut imposer à coups de canon son « idéologie des droits de l’homme » dans le monde entier. De ce point de vue, les plus à l’extrême vont percevoir les attentats comme des réactions, à l’instar du pogrom du 7 Octobre en Israël, que certains ont qualifié d’« acte de résistance ». D’ailleurs, la judéophobie est l’une des dernières composantes, et non des moindres, de cette idéologie. On a là un raisonnement qui donne sa cohérence à bien des prises de position étranges de la part de La France insoumise, notamment. Dire que le concept n’existe pas, c’est se priver du moyen de comprendre l’extrême gauche, et même une partie de la gauche, qui met par exemple Gaza et le drapeau palestinien en tête de toutes ses revendications. D’après le ministre, tous les atermoiements des dernières années à l’université témoignent donc simplement d’une tradition française bien ancrée, celle de la forte politisation des universités. Sur ce point, il n’a pas tort : qu’est-ce qui différencie vraiment la période actuelle ? Il existe tout de même une inquiétude supplémentaire par rapport au passé : on a affaire là, potentiellement, à de la violence. Ce ne sont pas seulement des débats d’idées. On a vu ce qui s’est passé à l’école avec Samuel Paty et Dominique Bernard quand la haine est attisée. Ces choses sont à prendre au sérieux. Ce n’est pas majoritaire, mais c’est une minorité fanatique. Entre les débats même violents que l’on a pu connaître par le passé à l’université et ceux d’aujourd’hui, il y a un potentiel changement de nature. Cette idéologie existe donc à l’université ? Elle n’est pas majoritaire ni structurelle, mais elle est bien présente. Et cela dépend largement des secteurs. On peut en donner bien des exemples : il n’a par exemple échappé à personne qu’un certain nombre de blocages qui avaient eu lieu ces derniers mois devant ou dans nos universités se justifiaient par l’hostilité envers la guerre à Gaza. De prime abord, on peut se demander pourquoi, dans une université française, on bloque les cours du fait de la guerre au Moyen-Orient ? En effet, la France n’est pas cobelligérante : sur le strict plan universitaire, ça n’a pas de sens. Il a donc fallu trouver des justifications et on les a trouvées au cœur de ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme. Il faut arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime Pierre-Henri Tavoillot Plus personnellement, en tant que référent laïcité de la région Île-de-France, j’ai de nombreuses remontées de terrain qui témoignent de ce que l’on appelle l’« entrisme islamiste ». Ce n’est pas un fantasme. Il y a quelques mois, notre collègue Fabrice Balanche a été interrompu dans son propre cours par des activistes. À Lyon, on sait aussi qu’il existe des salles de prière au sein des établissements. Il y a le spectacle de l’Unef dont la dimension de gauche laïque cède la place aujourd’hui à une dimension « frériste » - cela laisse d’ailleurs dans la stupéfaction ceux qui furent ses anciens militants. Les étudiants sont-ils les seuls concernés ? Les professeurs le sont également. J’ai de nombreux collègues proches de La France insoumise, et ils sont d’ailleurs dans leur bon droit. Certains, comme François Burgat, se revendiquent même de l’islamo-gauchisme. Preuve, s’il en fallait, que, si, aujourd’hui, pour nombre de gens, ce terme est péjoratif, il est en premier lieu descriptif et renvoie à des idées et à un raisonnement. Je ne suis pas d’accord avec cette position, mais elle a de la cohérence : ainsi, dire que ça n’existe pas n’a absolument aucun sens… C’est une grille incontestable qui explique une partie des débats aujourd’hui en France. Dans la classification de la gauche selon Jacques Julliard, il y a la gauche collectiviste, la gauche libertaire, la gauche libérale et la gauche jacobine. Il y a beaucoup d’antagonismes entre elles, mais ce qui réunit les gauches libertaire et collectiviste, c’est précisément l’islamo-gauchisme. Elles vont se retrouver ensemble comme à la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Cette dernière avait réuni la CGT, l’Unef, le Parti communiste, Les Verts, Lutte ouvrière, LFI, le NPA. Il y avait une unification des deux gauches radicales qui s’opposaient, de ce point de vue, aux deux autres gauches, laïcardes. Il faut donc arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime. D’autant qu’il est de plus en plus marginal. Il faut être clair pour établir un diagnostic fiable. Ce serait d’ailleurs bienheureux pour tout le monde, car cela nous empêcherait à la fois de sous-réagir et de surréagir. Il faut plutôt accepter le réel, pour, ensuite, voir ce qui relève de la liberté d’expression politique et ce qui relève des attitudes et des actions contraires à l’esprit et à la lettre des universités. Là est le véritable enjeu. D’autant que la prise de parole du ministre s’oppose à ce que disaient certains de ses prédécesseurs… Cet effet yoyo est une constante depuis que Jean-Michel Blanquer a cessé d’être ministre. Lui a eu l’immense mérite d’avoir une politique claire et de long terme sur le sujet. Maintenant, les allers-retours sont permanents, alors même que la réalité commence à apparaître au grand jour.
par Stéphane Loignon et Solenn Poullennec (Les Echos) 14 juillet 2025
Les propositions pour réformer les dépenses publiques ne manquent pas et le Sénat a rendu récemment une nouvelle copie. Mais François Bayrou aura t'il ne courage de n'en retenir ne serait ce que quelques unes plutôt que de tomber dans la lâcheté habituelle des augmentations d’impôts ... https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-les-propositions-chocs-du-senat-pour-redresser-les-comptes-publics-2175473 Budget : les propositions chocs du Sénat pour redresser les comptes publics Gel des crédits, non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, jours de carence des fonctionnaires, « année blanche » sur les prestations sociales… La majorité sénatoriale a livré des recommandations drastiques pour redresser les comptes.Par Stéphane Loignon, Solenn Poullennec Le Sénat a rendu sa copie budgétaire au Premier ministre. Son contenu donne une idée de l'ampleur des sacrifices qui pourraient être demandés. Lundi, le président de la Chambre haute, Gérard Larcher, s'est rendu à Matignon pour dévoiler la contribution de la majorité sénatoriale au prochain budget, à une semaine de l'annonce par François Bayrou de son plan de redressement des finances publiques. « Les Echos » ont pu se procurer ce document révélé par Contexte. Sans prétendre remplacer le gouvernement, les sénateurs de la majorité du centre et de droite ont souhaité apporter leur pierre à l'édifice, en compilant des pistes d'économies pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB l'an prochain, contre 5,4 % visés cette année. « Il y a une voie, qui est exigeante, mais c'est maintenant qu'il faut le faire », insiste le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), à l'issue de ce travail collégial entamé mi-mai. « On a essayé d'équilibrer entre les entreprises, les retraités, les actifs. Que chacun puisse considérer qu'il est soumis au même régime d'effort… », témoigne la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales. Selon elle, « ce n'est pas la copie définitive » mais plutôt « des options ». Baisse des dépenses Alors que le gouvernement a estimé l'effort nécessaire à 40 milliards d'euros en 2026, les propositions sénatoriales aboutissent à une fourchette comprise entre 30 à 50 milliards d'euros. « Sur les presque 50 milliards, environ 45 milliards concernent la baisse de la dépense publique, ça ne s'est jamais fait », souligne Jean-François Husson. Le recours à la fiscalité se limite à un éventuel gel du barème de l'impôt sur le revenu, dans le cadre d'une « année blanche » si les baisses de dépenses ne suffisent pas, et à la pleine application du dispositif contre la fraude CumCum (1,5 à 2 milliards d'euros à la clé), prévu au budget 2025 et que les sénateurs jugent bridé par un texte d'application de Bercy. Tout le reste repose sur la baisse des dépenses, en premier lieu de l'Etat. A minima, le Sénat recommande le gel en valeur des crédits budgétaires - hors défense, charge de la dette et contribution à l'Union européenne -, qui produirait 10 milliards d'euros d'économies par rapport à l'évolution spontanée des dépenses. Chaque baisse de 1 % des crédits hors loi de programmation rapporterait 2,4 milliards d'euros supplémentaires. Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux Sauf pour les Armées, le Sénat propose même de « réinterroger » les lois de programmation qui encadrent les budgets du ministère de l'Intérieur, de la Justice et de la Recherche. Au maximum, ramener les crédits au niveau du dernier budget avant Covid (soit celui de 2019), en tenant compte de l'inflation, rapporterait carrément 22 milliards d'euros (un objectif qui ne pourrait être atteint que progressivement). Pour réaliser des économies dans la durée, les sénateurs veulent aussi que l'Etat reprenne le contrôle de sa masse salariale, qui a grimpé de 6,7 % l'an passé. Ils remettent sur la table le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy puis abandonné sous François Hollande. La mesure rapporterait 500 millions d'euros l'an prochain. Ils réclament également l'harmonisation du régime des jours de carence dans la fonction publique (un jour actuellement) avec celui du privé (trois jours), avec 200 millions d'euros à la clé en 2026. La rationalisation des agences et opérateurs apporterait 540 millions d'euros d'économies sur leur fonctionnement, en suivant les recommandations du rapport de la sénatrice LR Christine Lavarde. « Année blanche » notamment sur les retraites. Les collectivités apporteraient un écot modeste au redressement des comptes, à hauteur d'un « maximum de 2 milliards d'euros », comme cette année. Celles-ci ne sont que « de manière anecdotique responsable de l'aggravation de la dette publique depuis 2019 », juge le Sénat, contrairement à la Cour des comptes. Les sénateurs voient en revanche de gros gains potentiels dans la lutte contre l'enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités. L'application des recommandations du rapport Ravignon rapporterait jusqu'à 7,5 milliards d'euros, éventuellement au bout de deux ans (3,8 milliards la première année). Une réforme des décrets tertiaires, dont le coût qui pèse sur les collectivités aurait atteint 3,3 milliards d'euros en 2023, permettrait de récupérer cette somme, potentiellement en deux ans. Enfin, la Sécurité sociale fournirait environ 10 milliards d'euros d'économies en 2026 dans le plan des sénateurs, notamment via une « année blanche » (non-indexation) des prestations sociales (5 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros pour les retraites). L'Assurance Maladie apporterait aussi 5 milliards d'euros, par différentes mesures concernant entre autres la prise en charge des affections de longue durée, les médicaments et les dispositifs médicaux. Les assureurs santé pourraient se voir confier des missions de prévention, aujourd'hui assumées par la « Sécu ». Reste à savoir dans quelle mesure le gouvernement s'inspirera de ces nombreuses propositions.