Alstom-Siemens : la voie sans issue du dogme "tout Libéral" de l’Europe
La Commission Européenne vient d’annoncer sa décision de ne pas autoriser la fusion Alstom-Siemens.Cette décision constitue une grave erreur d’appréciation qui sera très lourde de conséquences pour notre industrie.

Cette décision est basée essentiellement sur un critère, dicté par le dogme Tout Libéral de l’Union Européenne, celui de la protection du consommateur dans le périmètre de l’Union.
En fondant sa décision sur ce critère, la Commission Européenne commet une double faute : d’abord, elle ne prend pas en considération l’emploi en Europe ; ensuite, elle méconnaît la situation concurrentielle mondiale du secteur de la construction ferroviaire.
Première faute : protéger le consommateur au détriment de l’emploi. La fusion Alstom-Siemens avait pour vocation de créer un acteur de la construction de matériel roulant apte à résister à la puissance du constructeur d’Etat chinois. Il y a en effet bientôt dix ans que le premier constructeur mondial, CRRC, est chinois, et écrase les trois autres grands constructeurs (le français Alstom, l’allemand Siemens et le canadien Bombardier) d’une domination sans partage.
Cette domination absolue du marché, qui trouve sa source dans l’immensité et la croissance du marché chinois (rappelons que, alors que nous ne sommes toujours pas capables depuis des décennies de sécuriser le financement pour construire une ligne à grande vitesse de deux cent kilomètres entre Bordeaux et Toulouse, la Chine construit chaque année des milliers de kilomètres de lignes grande vitesse) et dans la puissance financière de la Chine à l’export, va continuer à s’affermir dans les années qui viennent. Elle entraîne dans son sillage une dynamique vertueuse pour le constructeur chinois – l’étendue des investissements permis par la domination du marché lui confère une avance technologique et industrielle qui se creuse un peu plus chaque année. L’une des conséquences inévitables de cette dynamique est que la part de marché des constructeurs européens va décroître, et avec elle les emplois en Europe. L’une des façons de lutter contre cette dynamique est de créer un champion européen capable de rivaliser avec le champion chinois.
On peut débattre très longtemps de savoir si le fait d’accélérer la pénétration des trains chinois en Europe est favorable in fine au consommateur –j’ai pour ma part les doutes les plus vifs à ce sujet mais nous pouvons espérer que les services de Bruxelles ont conduit cette analyse avec le plus grand sérieux- ; en revanche aucun doute n’est permis sur le fait que cette accélération détruira des emplois en Europe.
Est-il besoin de rappeler aux âmes angéliques de Bruxelles que les Etats européens n’ont pas le droit d’interdire à leurs opérateurs nationaux d’acheter des trains ou des équipements de bord produits en Chine (à cause de la protection de la libre concurrence imposée par le droit européen), alors même qu’il est strictement impossible de vendre sur le marché chinois un train ou un équipement de bord qui n’est pas produit en Chine ?
Les autorités chinoises ont fait le choix de protéger leurs emplois, nous faisons le choix de protéger nos consommateurs.
Deuxième faute : restreindre l’analyse au marché européen. Aujourd’hui le constructeur chinois n’a pas encore réussi à vendre des trains en Europe. Les équipements de bord des trains circulant en Europe sont déjà pour certains fabriqués en Chine (je redis ici, pour illustrer l’absurdité de la position européenne, que l’inverse n’est pas vrai : aucun équipement de bord ne peut être vendu en Chine s’il n’est pas fabriqué en Chine), mais les trains eux-mêmes sont encore pour le moment fabriqués en Europe. Ainsi, si on ne regarde que le marché européen au jour aujourd’hui, il est exact de dire que le constructeur chinois n’y occupe pas encore une position dominante.
Or le marché de la construction ferroviaire est un marché qui est mondial depuis plusieurs décennies, et le constructeur chinois y domine, outre la Chine, l’Asie et l’Afrique. Il a également récemment réussi à pénétrer le très protectionniste marché nord-américain (il est vrai en fabriquant aux Etats-Unis une partie des trains concernés, car la loi outre-atlantique le lui impose), et son entrée en Europe n’est qu’une question de temps. Quelle terrible méprise que de croire que, parce qu’il n’est pas encore entré sur le marché européen, il ne faut pas prendre en considération le fait qu’il y sera demain !
En conclusion de ce triste épisode de l’histoire de l’industrie européenne, la Commission Européenne a sûrement fait consciencieusement son travail d’analyse en fonction de la mission qui lui a été fixée par le Traité de Rome : protéger le consommateur européen. Mais l’Europe aujourd’hui n’est plus celle de 1957. Le monde a changé. D’autres sont devenus entre-temps plus riches et plus puissants que nous, et la sauvegarde de nos emplois industriels est devenue vitale pour notre avenir.
Il est grand temps de fixer d’autres directions à notre Europe qui court dans le mur. Les élections européennes qui auront lieu dans trois mois nous offriront l’opportunité de choisir une Europe forte, une Europe qui protège ses emplois, une Europe pour laquelle le réalisme en matière internationale ne sera jamais supplanté par l’angélisme d’un dogme dépassé.







