Renégociation de la Politique Agricole Commune : le naufrage annoncé

La Politique Agricole Commune (PAC) est en cours de renégociation entre les Etats-Membres de l’Union Européenne.
Les directions qui y sont évoquées constitueraient un double naufrage si elles devaient être retenues comme pouvant fournir les bases d’un accord.
Premier naufrage : la réduction du budget.
La Politique Agricole Commune coûte cher, c’est un fait. Mais elle apporte énormément en retour : elle permet à l’Union européenne de continuer à développer une agriculture forte dans une période de l’histoire où le contexte lui est défavorable. Réduire le budget de la Politique Agricole Commune, c’est priver une grande partie de nos exploitations agricoles de débouchés viables et mettre en danger le soutien à la vie de plusieurs de nos territoires ruraux.
Les ambitions agricoles de nos concurrents (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil, pays émergents) la compétitivité des coûts de main-d’œuvre des exploitations agricoles de nombre d’entre eux, la très faible contrainte légale et environnementale dont ils ont décidé de doter leur agriculture, les placent momentanément dans une situation artificiellement beaucoup plus compétitive que l’Europe – et en particulier beaucoup plus compétitive que la France !
Est-ce une raison pour abandonner notre agriculture en accélérant son déclin économique ?
Le fait que nos concurrents soutiennent leur agriculture beaucoup plus puissamment que nous-mêmes soutenons la nôtre doit-il nous faire renoncer à nos agriculteurs ?
Certainement pas ! Notre agriculture est la garantie de notre capacité à jouer demain le rôle géopolitique qui nous reviendra –notamment lorsque l’autosuffisance alimentaire redeviendra un enjeu planétaire majeur-, en même temps que la perpétuation de la vitalité de nos territoires, de notre culture et de notre identité. La sacrifier à un manque provisoire et artificiel de compétitivité –lui-même causé en très large mesure par la puissance du soutien de nos concurrents à leur propre agriculture- constitue une faute majeure au regard de l’avenir de notre continent.
Laisser détruire en quelques décennies ce que notre civilisation européenne a construit en plus de deux millénaires est une insulte au peuple européen d’aujourd’hui, autant qu’à nos descendants et à nos ancêtres.
Deuxième naufrage : le retour à une gestion nationale de l’agriculture européenne, chaque pays fixant les lois et règlements applicables à ses exploitations agricoles, en s’écartant de la gestion au niveau européen qui avait prévalu jusqu’ici.
Nos exploitations françaises souffrent déjà exagérément de la distorsion de concurrence que crée, par rapport aux autres exploitations européennes, le fardeau disproportionné que fait peser l’interprétation toujours maximaliste par la France des directives européennes, notamment pour ce qui concerne la protection de l’environnement. Alors même que les autres Etats-Membres font preuve de beaucoup plus de flexibilité, quand ce n’est pas d’astuce, dans l’application de ces directives par leurs exploitations nationales.
C’est ce qui explique par exemple que, dans une conjoncture mondiale difficile, les filières lait et viande françaises ont été plongées depuis quelques années dans une crise profonde alors que leurs homologues néerlandaises et allemandes sont parvenues à rester florissantes.
Mais au moins aujourd’hui sur le papier les règles sont les mêmes pour tout le monde. Si nous devions revenir à une situation où chacun fait ses propres règles, alors il apparaît évident que l’Etat français suivra sa tendance historique à la normalisation excessive, en même temps que nos voisins européens suivront leur tendance historique à favoriser la compétitivité de leur agriculture au détriment des considérations environnementales, ce qui accentuera encore l’écart entre les exploitations françaises et leurs concurrentes européennes.
L’incapacité de l’Etat français à être cohérent à l’égard de notre monde agricole, par exemple dans la compatibilité entre les contraintes de protection de l’environnement et celles de la compétitivité des exploitations, a été illustrée récemment dans l’infortuné épisode de l’autorisation donnée à Total d’importer des quantités très importantes d’huile de palme, au mépris de la survie de la filière soja, à laquelle on avait pourtant expliqué que l’Etat la protègerait de la perte de compétitivité liée aux contraintes environnementales très sévères auquel ce même Etat la contraint !
Une telle approche aurait pour résultat de précipiter la fin de nombreuses exploitations agricoles françaises et la désertification des campagnes, ce qui serait inacceptable à tous points de vue : emploi, territoires, environnement, culture, identité et avenir de notre pays.
Quelques chiffres
La PAC (Politique Agricole Commune) représente 39 % du total du budget UE pour la période 2014-2020.
La baisse de la PAC devrait avoisiner 12 % sur la période 2021-2027 (en euros constants c.-à-d. en tenant compte de l’inflation).
Les subventions directes seraient, elles, affectées de 8 % sur la période 2021-2027 par rapport au niveau de 2020, pénalisant directement le revenu des agriculteurs.
Quant au deuxième pilier de la PAC, correspondant à du cofinancement européen de projets ruraux (aide à l’installation, au bio…), il chute de 23 % en euros constants sur 2021-2027.
Au total, la France risque de perdre près de 5 milliards d’euros d’aide directe sur la période 2021-2027, selon les calculs.

En réalité, si la France est le premier
bénéficiaire de la PAC, cette aide ne représente que 62% de l'enveloppe totale
que le pays reçoit de l'UE. C'est en Irlande que la part de la PAC est la plus
importante dans le montant des aides perçues, soit 80%, suivie de la Finlande
(72%), l'Autriche (64%), la Suède (61%) et enfin la Lituanie (60%).
Pour l'Espagne et l'Allemagne, soit les 2ème et 3ème bénéficiaires de la PAC, ces aides représentent respectivement 49% et 54%.
Pour rappel, les plus gros contributeurs au budget de l'Union européenne sont l'Allemagne (23,3 milliards d'euros en 2016), la France (19,5 milliards d'euros) et l'Italie (13,9 milliards d'euros). Le Royaume-Uni, sur le départ, arrive en quatrième position avec une contribution au budget de l'UE qui s'élève à 12,8 milliards d'euros.
Source : Multiannual Financial Framework 2014-2020 and financing of the CAP







