Débat Bruckner-Shellenberger : « L'Occident est fatigué et déprimé »

  • par Gabriel Bouchaud et Thomas Mahler
  • 29 nov., 2019

Extinction Rebellion, Greta Thunberg, catastrophisme, nucléaire... Rencontre avec Pascal Bruckner et l'écologiste pragmatique Michael Shellenberger.  Propos recueillis par Gabriel Bouchaud et Thomas Mahler


Un article du journal le Point

Farouches contempteurs de l'écologie radicale, ils se connaissent depuis 2012. Nommé « héros de l'environnement » par le magazine Time en 2008, l'Américain Michael Shellenberger est un écologiste pragmatique qui défend le nucléaire comme meilleur outil pour lutter contre le réchauffement climatique. Bien connu de nos lecteurs, l'essayiste et romancier Pascal Bruckner, qui vient de publier Une brève éternité (Grasset), voit dans l'écologisme politique une tentation totalitaire. Nous les avons réunis dans les locaux du Point, en partenariat avec le site australien Quillette. L'occasion de débattre sur le millénarisme des collapsologues, d'Extinction Rebellion, du nucléaire décarboné, du déclin de l'idée de progrès, de l'optimisme qui a déserté l'Occident au profit des dictatures et, bien sûr, de Greta Thunberg... Et si les vrais progressistes, c'étaient eux  ?

Le Point : Vous êtes tous les deux des critiques de l'écologie radicale. Pourquoi ?

Michael Shellenberger : Je pense qu'il y a un lien entre les changements globaux que sont l'élection de Trump, le Brexit ou la montée du nationalisme et Extinction Rebellion, et Greta Thunberg. L'argument développé par Pascal dans Le Fanatisme de l'apocalypse, c'est que le climat s'est imposé comme un problème à la fin de la guerre froide. J'étais moi-même alarmiste à propos de la guerre froide et du risque de guerre nucléaire et, lorsqu'elle a fini, très abruptement, je me suis dit « où est passé mon millénarisme  ? ». J'ai donc recyclé ma crainte de la fin du monde vers une peur de catastrophe environnementale. Quand les activistes climatiques parlent du changement climatique, ils le font de la même manière qu'ils parlaient de la guerre nucléaire avant la chute du mur de Berlin. Aujourd'hui, nous assistons à une désintégration de l'ordre politique global, avec un repli sur les frontières nationales. On le voit avec le retrait des États-Unis du Moyen-Orient. Extinction Rebellion et Greta Thunberg sont des réactions à Trump et au Brexit, le signe d'une panique chez les progressistes, internationalistes et cosmopolites contre ce retour à un nationalisme de droite. Je pense que ça ne fonctionnera pas, parce qu'il y a trop peu de raisons de garder une solidarité internationale libérale aujourd'hui. On risque de revenir à un monde bipolaire, États-Unis contre Chine. Je ne sais pas ce que l'Europe sera dans ce nouveau monde.

Pascal Bruckner : Il y a beaucoup de choses dans ce que vient de dire Michael. La fin de la guerre froide a posé un problème majeur à l'Occident : la disparition de l'ennemi. On a donc cherché un ennemi de substitution. L'altermondialisme a d'abord succédé au communisme, puis ont suivi l'écologie et l'islam radical. Avec l'écologie profonde, l'ennemi est devenu l'homme lui-même. L'homme en ce qu'il est le créateur de son destin et en tant que dominateur de la nature pour imposer sa culture et sa civilisation. Toute l'ambiguïté de l'écologie est qu'on ne sait jamais si elle cherche à sauver la Terre ou à punir les hommes. Il semblerait qu'on ait envie de punir les hommes, et il y a d'ailleurs toute une fraction de l'écologie qui est exterminatrice. C'était déjà le cas avec le commandant Cousteau qui préconisait la disparition de plusieurs centaines de millions d'hommes, c'est vrai aussi avec les collapsologues comme Yves Cochet qui envisage avec un grand sourire l'extinction de l'espèce humaine. Sur ce plan-là, Extinction Rebellion est intéressant parce que ce sont des enfants de la classe moyenne supérieure, plutôt bien élevés et bien éduqués. Cela me fait penser à cette phrase : « Si un million d'enfants veulent nettoyer la Terre, qu'ils commencent par nettoyer leur chambre. » Je ne dis pas ça pour polémiquer, mais je suis allé voir le site d'Extinction Rebellion place du Châtelet à Paris, après leur départ, et c'était immonde ! Il y avait des déchets partout. Je ne comprends pas que de jeunes gens, animés d'intentions généreuses, ne commencent pas par nettoyer leurs propres saletés ou, mieux encore, les sites de déchets qui parsèment la grande couronne parisienne. Ce n'est sans doute pas assez noble pour eux, ils aiment les grandes idées, pas les petits gestes. Extinction Rebellion veut détruire le capitalisme. Il y a du boulot, car d'autres se sont essayés avant eux. On a l'impression que l'écologie n'est que le prétexte pour reprendre des mots d'ordre très anciens. Ces jeunes gens me paraissent très vieux...

À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c'est plutôt l'âge d'or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur.

Si on vous écoute, l'écologie est une idéologie comme le communisme. Mais il y a aujourd'hui une urgence climatique !

M. S. : Si on se préoccupait vraiment du climat, on demanderait la construction de centrales nucléaires qui fournissent une énergie décarbonée, et le monde entier s'inspirerait du mix énergétique français, dans lequel le nucléaire représente plus de 70 % de l'électricité. Mais les écologistes sont antinucléaires  ! Leurs objectifs n'ont donc pas grand-chose à voir avec la réduction des émissions de CO2, ils veulent réduire toute consommation énergétique. Leurs demandes ne concernent même pas tant les énergies renouvelables que la décroissance, et le fait qu'on ne prenne plus la voiture comme l'avion. À Londres, Extinction Rebellion a même bloqué le métro. On considère souvent l'apocalypse comme un Armageddon, mais, dans la pensée grecque et biblique, l'apocalypse est la révélation d'un nouveau monde, d'un nouvel ordre. Pascal, penses-tu que Extinction Rebellion ou Greta Thunberg correspondent à une demande d'utopie ou alors est-ce la destruction de nos sociétés ?

P. B. : C'est une sorte de messianisme négatif, issu du Moyen Âge. Mais, au Moyen Âge, ces grandes utopies avaient une connotation religieuse. Là, c'est une religion païenne qui met Gaïa au centre des revendications d'austérité, de pauvreté volontaire. Le modèle vient des communes paysannes, un peu comme les amish aux États-Unis. On retrouve aussi tous les attirails des zadistes, qui cumulent plusieurs époques dans leurs modes vestimentaires. Je suis sûr que Chanel s'en emparera un jour pour faire des défilés. Le monde moderne étant celui de l'argent roi, il faut revenir à la vie villageoise originelle, sans inégalité flagrante, où les rapports humains n'étaient pas corrompus par l'argent. Il faut détruire le monde actuel, qui est un obstacle à cette pureté originelle. Tout se mélange d'ailleurs dans leur discours : j'ai vu une vidéo sur Arte qui parle du mouvement « écosexuel ». C'est une sorte de panthéisme sensuel, mais on ne peut pas dire la même chose de Greta Thunberg ! Elle, c'est le visage hargneux d'une certaine jeunesse accusatrice, qui explique que l'heure des châtiments est arrivée, que nous avons trop joui, et que la fête industrielle est finie, comme disait Hans Jonas. Pour l'instant, un mouvement comme Extinction Rebellion présente un visage non violent. Jusqu'à quand  ? Je ne sais pas, mais ils ont déjà envahi un centre commercial en interdisant aux gens de consommer. Tous nos gestes quotidiens sont frappés d'interdits, sont montrés du doigt, notre simple mode de vie est un péché et je ne suis pas sûr que les Français vont adhérer longtemps à ce genre de discours.

M. S. : Donc tu penses qu'il y a dans ce mouvement la vision d'une société agraire ?

P. B. : La commune agraire était déjà très importante chez les bolcheviks, sous le maoïsme pendant la révolution culturelle, mais aussi chez les Khmers rouges. C'est le retour à la terre, qui a toujours été vécu par les hommes comme une punition, parce que c'est la condition du serf et du manant, courbé sur la glèbe. On voudrait renvoyer l'humanité entière à cette condition-là. Vous avez d'ailleurs l'exemple des néo-ruraux, qui s'extasient de voir pousser un concombre ou une tomate.

M. S. : Cette gauche écologiste, plus radicale, a éclipsé la gauche modérée. Mais cette gauche radicale n'existe pas dans un vide, elle prend naissance dans un contexte de retour du nationalisme. Le centre décline alors que les extrêmes montent. Cette poussée, à l'extrême gauche comme à l'extrême droite, est marquée par la nostalgie. À gauche, on regrette la vie agraire ; à droite, c'est plutôt l'âge d'or des sociétés industrielles. Mais personne ne propose une vision du futur. Moi, mon utopie est une société avec beaucoup d'énergie, marquée par la vitesse, le voyage et la découverte… C'est une vision du monde futuriste, celle de la Silicon Valley ou de Walt Disney, avec une ville blanche qui ne serait pas noire de fumée car utilisant l'énergie nucléaire. Mais personne ne se fait le porte-parole de cette vision ! Peut-être que le fait que les humains puissent être amoureux de l'idée du futur était temporaire, en gros du XIXe siècle aux années 1930. Après, plus personne n'a plus rien à dire de positif sur le futur. C'est vraiment triste. Moi, ma vision du futur, c'est que 11 milliards d'individus sur Terre puissent vivre des vies intéressantes : que le monde soit plein d'animaux sauvages parce que les surfaces agricoles se seront réduites du fait de fermes hydroponiques.(voir note 1) Pourquoi tout le monde est-il devenu nostalgique ?

P. B. : Michael a raison, il y a un déclin de l'idée de progrès et de l'idée d'avenir. Les deux grands marqueurs de ce déclin sont Hiroshima et Auschwitz. Ces deux événements ont jeté un voile sombre sur notre siècle, qui ne s'en est jamais remis. La réalisation des dégâts du monde industriel a aggravé le cas du progrès, et l'avenir prend aujourd'hui le visage de la catastrophe. Depuis Heidegger, Ivan Illich, Jacques Ellul puis Hans Jonas, on décrète l'aventure technologique finie : il faut se préparer aux vaches maigres. Nous en sommes au mercredi des Cendres, la punition va arriver. Cela posé, il y a différents types de collapsologues : le type solidaire, proche du personnalisme chrétien (Pablo Servigne), le type apocalyptique (Aurélien Barrau, avec son look à la Charles Manson), le type de la schadenfreude – en allemand, de la joie mauvaise éprouvée face au malheur des autres – propre à Yves Cochet qui tire de ses prédictions noires une bonne humeur étonnante. Dans les interviews qu'il donne, Cochet semble se délecter que des centaines de millions d'humains vont mourir. Les catastrophistes se réjouissent qu'une providence divine ou matérielle vienne nous donner une bonne correction, la catastrophe n'est pas leur crainte, elle est leur souhait le plus profond. C'est là qu'on reconnaît les prémisses d'une pensée réactionnaire, voire fascisante. Il ne faut pas oublier que les premières lois écologistes en Europe sont les Reichsnaturschutzgesetz, promus en 1935 par le régime nazi. Il y a dans l'écologie contemporaine une tentation totalitaire que l'on voit affleurer ici ou là. Je lisais dans Le Mondeun article de Jean-Baptiste Fressoz suggérant que l'État impose une diète à l'ensemble de la population, et nous prescrive quoi manger, comment et dans quelle proportion. Et qu'on ne vienne pas lui parler « d'écofascisme », puisque c'est au nom de la Terre qu'il faisait cette requête. Je suis tombé des nues en voyant cet article, et étonné que personne n'y réponde. Les futurs commissaires politiques du climat affûtent leurs armes.

En France, on considère parfois Pascal Bruckner comme un réactionnaire, alors qu'il défend l'idée de progrès. Comment expliquer ce paradoxe ?

P. B. : Plus je vieillis, plus je crois au progrès ! Je dois ma survie à la médecine et à la science. Il y a 100 ans, je serais probablement mort. C'est le sujet de mon dernier livre Une brève éternité, empli de gratitude envers la modernité même s'il faut distinguer le progrès moral du progrès matériel. Je reste un moderne, mais un moderne prudent.

M. S. : Beaucoup sont incapables d'imaginer que l'optimisme ne soit pas du déni. Pour un catastrophiste, être optimiste à l'égard du futur veut dire nier le changement climatique, ce qui est faux. Ce qui me fait peur, et on l'a vu après le discours horrible de Greta Thunberg devant les Nations unies, c'est que c'est Poutine qui aujourd'hui explique que beaucoup de pays pauvres voudraient se développer. Qui sont les défenseurs de la modernité aujourd'hui ? Poutine et Xi Jinping. Les Chinois et les Russes défendent la modernité et les aspirations des pays en développement. J'ai passé du temps en Afrique, où l'on m'a dit « on préférerait que ce soient les Américains qui investissent dans notre pays, mais ce sont les Chinois ». Ce qui est préoccupant, c'est que la Russie et la Chine ne sont pas des démocraties, mais des États autoritaires. Je suis favorable à l'énergie nucléaire que développent ces pays, mais, en Chine, il semble que le gouvernement récolte les organes des opposants politiques, utilise les réseaux sociaux et la reconnaissance faciale pour créer le panopticon (voir note 2) que Foucault craignait tant ; et Poutine se comporte comme un dictateur. Le mariage entre une croyance dans le progrès et la démocratie libérale était peut-être un phénomène temporaire. Je pensais, naïvement, que la prospérité conduirait la Chine à se démocratiser. Quelle erreur ! Comment peut-on être optimistes quand les seuls qui croient au futur et au progrès sont des leaders de régimes autoritaires ? Il semble que l'Ouest soit bien fatigué.

P. B. : Le fait d'être l'un des premiers à avoir critiqué Greta Thunberg en parlant d'infantilisme climatique me vaut encore les insultes de toute la doxa médiatique. J'ai même entendu quelqu'un sur France Culture parler de vieux mâle blanc à la virilité défaillante. Je ne vois pas le rapport ! Soutenir Greta, ce serait donc afficher une virilité triomphante ? Je pensais faire une remarque de bon sens : dans le cas de Greta Thunberg, la messagère cache le message. C'est une création médiatico-familiale, qui accapare totalement l'attention, et on a l'impression que l'écologie a commencé il y a un an, alors qu'on en parle depuis quarante ans ! Quand on dit qu'elle est un phénomène mondial, c'est faux aussi ! Elle n'est pas connue au-delà des États-Unis, de l'Europe et de l'Australie. Ailleurs, on la regarde comme une jeune fille de la bourgeoisie suédoise légèrement indécente quand elle ose se plaindre d'un sort enviable pour des millions d'autres enfants. Si une petite fille des îles Fidji ou des Maldives s'inquiétait de la montée des eaux, on aurait approuvé, mais Greta Thunberg, c'est le phénomène de l'enfant star, hypernarcissique, courtisée par Arnold Schwarzenegger, Leonardo DiCaprio et tout le show-biz. Ses solutions, décroissance et privation, sont sommaires. Je crains pour son avenir, car ce sera dur pour elle après tout cette attention médiatique.

Les écologistes radicaux se servent de Greta Thunberg comme d'une arme et, quand quelqu'un la contredit, ils accusent les critiques d'attaquer une enfant.

Est-ce que vous deux n'êtes pas trop obsédés par Greta Thunberg ?

M. S. : Qui est obsédé ? Elle est partout ! Tout le monde veut parler d'elle. C'est tellement cynique. Les écologistes radicaux se servent de Greta Thunberg comme d'une arme et, quand quelqu'un la contredit, ils accusent les critiques d'attaquer une enfant. Al Gore était Moïse, et Greta Thunberg, c'est Jeanne d'Arc.

P. B. : Jeanne d'Arc croisée avec Fifi Brindacier. Tous ces adultes qui la soutiennent sont frappés de jeunisme : ils veulent absolument monter dans le train de l'histoire, prêts à courtiser n'importe quelle cause pour se sentir dans le coup.

M. S. : Je trouve intéressant que Pascal, qui est un homme d'un certain âge, écrive sur le sexe, l'amour, et se montre jeune dans sa vision du monde, alors que Greta est un esprit âgé dans le corps d'une jeune femme. C'est un peu tragique, tous ces jeunes qui décrivent leur propre mort. Il semble que la gauche avait deux impulsions. Les hippies, avec leur amour libre, évoquaient un peu Peter Pan. Aujourd'hui, la gauche radicale est constituée de jeunes qui se comportent comme des grenouilles de bénitier. La candidate qui va probablement prendre la tête des sondages est Elizabeth Warren, apocalyptique à propos du changement climatique, et antinucléaire, parce qu'évidemment il n'y aura pas d'apocalypse si on développe une énergie décarbonée. Et, sans apocalypse, comment moraliser et mobiliser ? À chaque fois qu'Elizabeth Warren parle, j'ai l'impression d'être sur le point d'être puni. Pascal, pourquoi est-ce que le dynamisme et la jeunesse sont incarnés par la Russie et la Chine, malheureusement dans des États illibéraux et autoritaires, alors que l'Occident est fatigué et déprimé ?

P. B. : L'Europe est affectée depuis longtemps d'un complexe de culpabilité dû à son passé colonial. Elle a occupé le monde pendant quatre siècles. Contrairement à l'Empire ottoman qui a occupé une partie du monde pendant six siècles, elle éprouve un remords profond pour l'esclavage et l'impérialisme. Cette mauvaise conscience est en train de gagner la gauche américaine. Les États-Unis s'européanisent dans le camp démocrate et tout d'un coup regardent le progrès, nos acquis sociaux et culturels comme étant des marques d'infamie. L'histoire ne va plus vers le mieux, elle va vers l'effondrement. C'est la métaphore du Titanic utilisée par tous les écologistes. Nous sommes sur le Titanic et l'iceberg est là quelque part dans la nature. Une partie de l'Occident veut mourir, je le répète depuis le « Sanglot de l'homme blanc ». Cette pensée funeste ne peut qu'instiller le désespoir dans la jeunesse. Si j'avais 18 ans aujourd'hui et que j'écoutais Greta Thunberg et Extinction Rebellion, je me dirais que mes parents m'ont volé mon avenir. Et, par conséquent, je ne peux faire rien d'autre que brûler des voitures ou me retirer à la campagne en attendant la fin du monde. Mais Greta Thunberg ou ces militants ne sont que des perroquets reprenant des mots qu'on leur a instillés. Il y a une volupté narcissique à entendre nos enfants nous dire « vous avez détruit ce monde ». Comme le dit Michael, il faut effectivement retrouver le sens de l'histoire, aller dans les pays pauvres ou anciennement pauvres comme la Chine ou l'Inde, qui ont gardé l'espérance d'un lendemain meilleur.

M. S. : Nietzsche, dans sa Généalogie de la morale, se demande pourquoi des gens voudraient devenir ascétiques et se priver de nourriture. Parce que ça vous fait vous sentir puissant, ça vous donne du pouvoir sur les autres, et le pouvoir nous donne du plaisir ! C'est, je crois, ce qui est en train de se passer aujourd'hui. C'est sain, quand vous êtes un adolescent, d'être rebelle sur une courte période. Mais toute la société semble être devenue adulescente, même les gens au pouvoir. L'espoir pour un meilleur avenir est à chercher du côté de pays comme le Rwanda.

La démocratie libérale serait-elle une parenthèse dans l'histoire ?

P. B. : L'esprit des peuples en Europe occidentale est fatigué et inquiet. C'est un autre débat que l'écologie, mais les citoyens ont le sentiment aujourd'hui, et c'est le sens des protestations souverainistes et des démocraties illibérales, que l'Europe n'a pas su les protéger de la mondialisation, de l'immigration, du terrorisme islamique, et que, par conséquent, il faudrait revenir à une forme nationale plus classique pour retrouver la maîtrise de son destin. L'une des sources de l'épuisement démocratique, c'est ce sentiment de dépossession. Nous ne sommes plus maîtres chez nous. Nous pouvons même dans certains quartiers devenir étrangers. Ça explique cette méfiance vis-à-vis de la démocratie libérale. C'est pour cela qu'on retrouve chez des gens une grande admiration pour les despotes comme Erdogan ou Poutine, vénérés parce qu'ils font ce qu'ils disent. Aux yeux des populistes, la démocratie se perd dans des procédures interminables du fait de l'État de droit, alors que les démocratures sont, elles, beaucoup plus directes. Tout cela explique pourquoi les vieilles démocraties que nous sommes souffrent d'une crise de conscience. L'aspiration démocratique n'est pas morte, mais elle est en crise. Des sociétés, à certains moments, n'acceptent plus la tutelle d'un régime autoritaire, comme on peut le voir à Hongkong. Il y a un aller-retour étonnant entre de vieux peuples favorisés qui veulent un tyran pour les rassurer et de jeunes populations qui souhaitent renverser la tyrannie pour goûter à la liberté.

S'il y avait un Donald Trump en France, c'est-à-dire un individu, homme ou femme, qui brave les tabous et propose une autre voie, Macron perdrait, c'est certain.

M. S. : Du fait de l'arme nucléaire, les guerres entre États disparaissent. Les taux de mortalité sur les champs de bataille n'ont jamais été aussi bas. On se tue désormais sur les réseaux sociaux ou à travers les idées politiques (rires). Si la gauche revient au pouvoir aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, Extinction Rebellion disparaîtra. Mais, si Trump est réélu, cette guerre culturelle se poursuivra. La gauche est bien devenue violente dans les années 1960 et 1970.

P. B. : Ce qu'on expérimente en France, ce sont des incivilités, des attaques brutales, des explosions de rage sans raison, contre la police ou les représentants de l'autorité. C'est plus un symbole d'anarchie. Ce qui nous menace n'est pas le fascisme, contrairement à ce que nous disent les esprits paresseux, mais la désagrégation du tissu social. L'écologie peut être un des ingrédients de cette colère et de ces frustrations.

M. S. : Il me semble que des mouvements comme Extinction Rebellion veulent plus de chaos, là où vos Gilets jaunes sont en demande de plus d'ordre. Sont-ils la nouvelle gauche et la nouvelle droite ?

P. B. : Les Gilets jaunes sont une fraction de la moyenne bourgeoisie inférieure délaissée, vivant dans les périphéries des villes, et qui a protesté en raison de la hausse du carburant. Une taxe écologique a mis le feu aux poudres. Leur idée de génie a été de se revêtir de ce gilet jaune, qui est la tenue des travailleurs sur la route ou des ouvriers du bâtiment. Et c'est une rancœur contre les grandes villes, Paris, Lyon, Bordeaux... Même s'ils étaient peu nombreux, le mouvement s'est propagé rapidement et sa violence a été instantanée. Les Gilets jaunes ont été accueillis par la droite parce qu'ils étaient blancs, mais en fait ils ont adopté les tactiques de guérilla des banlieues en allant dans le cœur des grandes métropoles, comme Paris, dont ils ont voulu détruire les symboles : souiller l'Arc de Triomphe, brûler l'Élysée, décapiter Macron... Même s'ils se sont alliés depuis aux black blocs, des casseurs en chemise noire, assez proches des faisceaux mussoliniens des années 1930, les Gilets jaunes étaient au départ des anars aux cheveux blancs. Des retraités qui ont retrouvé une solidarité autour des ronds-points qui, Michael ne peut pas le savoir, sont une spécialité française (rires). Pour reprendre une expression proverbiale, les Gilets jaunes s'occupaient de la fin du mois, Extinction Rebellion de la fin du monde. Les Gilets jaunes sont proches du phénomène du Brexit ou de l'électorat de Trump : c'est la classe ouvrière blanche qui se sent abandonnée et déteste Macron, trop brillant, trop éduqué, beau parleur, cosmopolite et issu des milieux de la banque. Ils adressent un avertissement solennel aux classes supérieures qu'on aurait tort de ne pas écouter. Les écologistes devraient y réfléchir à deux fois avant de vouloir serrer la vis aux gens du peuple qui ont déjà peu de choses. Les collapsologues souhaitent casser notre niveau de vie, nous faire accepter l'idée d'une sobriété heureuse. Ce qui fait penser que l'écologie radicale n'est compatible qu'avec un régime autoritaire.

M. S. : C'est une nouvelle guerre de classes. D'un côté, il y a les électeurs de Trump, les pro-Brexit et les Gilets jaunes ; de l'autre, Extinction Rebellion, les démocrates américains et les écologistes. Macron est une exception, dans le sens où il essaye de défendre le centre dans une époque de plus en plus clivée. Aux États-Unis, Trump a maintenu sa base électorale, Boris Johnson semble réussir le Brexit, mais, en France, Marine Le Pen ne semble toujours pas pouvoir gagner...

P. B. : Macron a recréé à l'intérieur de La République en marche la gauche et la droite, parce que ces deux courants s'affrontent régulièrement au sein de son parti. Certains diront que c'est un jongleur, d'autres une girouette. J'ai voté pour lui et je revoterai pour lui, parce qu'il nous a prémunis de deux dangers majeurs, l'incompétente de l'extrême droite et le fada de l'extrême gauche. On l'a échappé belle, mais pour combien de temps ? Le principal problème de Macron est le régalien. C'est un séducteur, pas un chef d'État. S'il n'a pas une action ferme sur la sécurité, le terrorisme et l'islam politique, si la France continue à être balayée par des grèves à répétition, des attentats, des manifestations violentes, il risque d'être balayé en 2022. Marine Le Pen, Dieu merci, n'a pas le logiciel politique pour diriger un pays comme la France. Sans parler de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, est discrédité et vit sous la dictature de ses humeurs. C'est ce qui nous a sauvés. Mais s'il y avait un Donald Trump en France, c'est-à-dire un individu, homme ou femme, qui brave les tabous et propose une autre voie, Macron perdrait, c'est certain.

M. S. : Vu qu'Angela Merkel est déclinante et que Boris Johnson est en train d'organiser le départ de son pays de l'Union européenne, la France devient le leader de l'Europe. Vous voyez d'ailleurs Macron s'opposer à Trump, tout en dénonçant les positions de Greta Thunberg, deux figures radicales. Macron est un espoir pour un pouvoir libéral et modéré en cette période d'extrémisme.

P. B. : Macron est une chance qui ne sera peut-être jamais déployée. Au moment où Trump se retire de Syrie, où l'Amérique abandonne tous ses alliés, plus aucun peuple ne peut désormais compter sur la promesse américaine, contrairement à ce qui s'est passé avant. Il n'y a plus que la France à porter ce rêve libéral et démocratique du monde occidental. Et c'est le dernier pays dans l'Union européenne, après le départ britannique, qui a une armée. Évidemment, nous sommes des nains comparés aux États-Unis. Mais Macron a-t-il la carrure, le charisme et la persuasion pour entraîner les Européens avec lui ? Pour l'instant, il n'est pas aimé en Europe, comme l'a rappelé l'affaire Sylvie Goulard. J'adorerais que la France reprenne son rang, mais je n'en suis pas certain. Pour cela, il faut déjà qu'on remette de l'ordre chez nous, que les trains recirculent normalement, que des hordes de voyous ne viennent pas chaque semaine terroriser les centres-ville et briser le mobilier urbain. La grande politique commence dans les petits détails.


par Aurélie Jean et Erwan Le Noan dans FigaroVox 26 avril 2025
Une fois n'est pas coutume, une très belle tribune sur le libéralisme à lire dans FigaroVox :


TRIBUNE - La façon caricaturale dont est présenté le libéralisme dans le débat public est la preuve d’un manque criant de culture sur cette école de pensée, son exercice pratique, mais aussi sur ses acteurs et leurs origines, regrettent la docteur en sciences et l’essayiste*.

* Aurélie Jean a récemment publié « Le code a changé. Amour et sexualité au temps des algorithmes  » ( L’Observatoire, 2024). Erwan Le Noan est l’auteur de L’Obsession égalitaire. « Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice » (Presses de la Cité, 2023).


Admettons-le, en France le libéralisme n’a pas bonne presse. Il est réduit à une conflictualité sociale, à un chaos économique, à une vilenie humaine dont il faudrait se méfier et s’éloigner. Dans un contresens alimenté par quelques esprits acerbes ou ignorants, l’imaginaire collectif l’associe à des figures autoritaires, à des héros immoraux ou à des épisodes brutaux. Le débat politique le présente comme une idéologie, à la fois dominante et sans cesse vacillante, structurée mais incertaine. La caricature le décrit sous les traits de privilégiés avides, soucieux de leur égoïsme. Tout cela est faux et démontre un manque de culture populaire sur cette école de pensée et son exercice pratique, sur ses acteurs et sur leurs origines. Car, contre l’idée reçue, on ne naît pas libéral, on le devient !

Être libéral, c’est se demander sans cesse comment, en toutes circonstances, rendre chaque individu plus libre de choisir sa vie, en respectant celle des autres. Être libéral, c’est être convaincu que la meilleure voie pour y parvenir est l’autonomie (non l’indépendance) individuelle et l’échange, qui fait croître la richesse et le savoir - et la cohésion sociale par l’entraide. Être libéral, c’est se rappeler que la liberté est fragile et que la défendre est un combat continuellement renouvelé, qui n’accepte pas de solution unique et implique un questionnement permanent.

Le libéralisme ne propose ainsi qu’un guide de lecture, une référence dans toute réflexion : en revenir systématiquement au choix libre et responsable de l’individu, pour que chacun puisse déterminer par soi-même la voie de sa propre conception d’une vie réussie. C’est un goût pour le doute qui impose la modération et le changement en réponse aux déséquilibres sociaux, économiques et culturels. Le libéral assume de se tromper et corrige sa pensée.

Aussi, le libéralisme ne s’hérite pas, il s’acquiert. Les plus convaincus des libéraux et les plus convaincants sont certainement ceux qui, venant de tout horizon social et économique, ont fait un cheminement intellectuel propre à leurs expériences.

Sa quête est celle de la créativité. Être libéral, c’est reconnaître à chacun sa part de talent et d’inventivité – et donc sa légitimité à participer à l’enrichissement intellectuel ou matériel du monde.

Le libéral est, très tôt, revêche à toute forme d’autorité qui ne se légitime pas ou qui vient limiter l’épanouissement de l’individu. Il aime, chez Camus, l’aspiration à la révolte philosophique. Il remet sans cesse en question les affirmations. Cet esprit de fronde naît parfois dès l’école, comme chez Stefan Zweig.

Cette indocilité du libéral est une inquiétude, qui le conduit à se méfier de tout pouvoir, surtout démesuré, surtout s’il n’accepte pas la contestation : le libéral est fébrile devant les réflexes courtisans de ceux qui s’aplatissent complaisamment devant le renforcement continu de la puissance publique et son contrôle de nos vies. Il se retrouve dans Tocqueville ou Montesquieu. Il ne peut oublier que, au XXe siècle, c’est l’État, pas l’entreprise, qui a été l’instrument privilégié des pires abominations de l’histoire : le fascisme, le communisme, le nazisme. Le secteur privé n’est pas parfait, mais lui est soumis à la contradiction permanente de la concurrence.


 Défier les vérités imposées

La révolte libérale est, plus encore, celle de tous ceux qui, au nom de la dignité de l’individu, ont résisté par les mots ou par les armes, aux totalitarismes : Arendt, Aron, Havel, Voltaire… Un libéral cherche à défendre la liberté des autres, même celle de ses contradicteurs ou celle dont il ne bénéficie pas.

On devient libéral en doutant des choix subis, en défiant les vérités imposées : tous les individus étant égaux, personne n’a le droit de choisir votre vie à votre place sans votre consentement explicite. Le libéral se retrouve dans les combats de Simone Veil pour les femmes. Il est ouvert à une réflexion honnête sur les évolutions de la société : la liberté individuelle sera-t-elle confortée ou amoindrie si la société admet la GPA ou une loi sur la fin de vie ?

Le libéral ne saurait dès lors être conservateur et encore moins réactionnaire, car il refuse les états de fait, il conteste les vérités imposées, il renie les réflexes qui obstruent la pensée. Il s’inquiète, il s’interroge, il doute jusqu’à se forger une conviction intime, conscient qu’elle n’est pas nécessairement partagée.

Le libéral n’est pas non plus un révolutionnaire, car, convaincu de l’égalité entre les individus, il privilégie le droit et la délibération. Il croit à la dignité de chacun et à la légitimité de toutes les paroles. Il se défie de « l’homme providentiel ». Il est démocrate.


 Dépasser nos propre limites

Le libéral est dans un questionnement régulier, même en contradiction avec les siens. Avec Germaine de Staël, il s’inquiète des passions - et des populistes qui prétendent clore le débat. Il a appris à dompter les élans emportés de la colère, il plaide pour maîtriser la violence, même légitime. Il refuse tout ce qui attache les individus à une caste et rejette les assignations. Avec Vargas Llosa, il repousse l’obligation d’appartenir à une « tribu » et ne reconnaît que les allégeances choisies.

Sa quête est celle de la créativité. Être libéral, c’est reconnaître à chacun sa part de talent et d’inventivité - et donc sa légitimité à participer à l’enrichissement intellectuel ou matériel du monde.


La quête libérale se réalise souvent dans l’entrepreneuriat, c’est-à-dire dans la recherche du dépassement de nos propres limites, de notre propre finitude, en prenant le risque de créer ce vers quoi ou ceux vers qui conduisent nos aspirations. Est libéral celui qui cherche à créer sa voie. En ce sens, il favorise le marché, car il y voit le meilleur instrument de coordination volontaire de milliards de volontés divergentes.

Certains deviennent enfin libéraux par émotion. Par une répulsion instinctive de l’oppression, de l’injustice, de l’écrasement. Par une bouffée charnelle de liberté. Par une volonté irréductible et indomptable de tromper le sort. Par la découverte d’une force intérieure ou d’une espérance inextinguible. On ne naît pas libéral. On le devient.



par Aymeric Belaud 24 avril 2025
"Notre pays chute depuis 2020 et la période covid. De 66, sa note est descendue à 62,5 en 2024. Elle n’est certes pas la seule à voir son indice diminuer, mais elle reste une mauvaise élève parmi les pays développés. Elle a toujours été l‘une des dernières en Europe occidentale depuis la création de l’indice en 1995."
Une analyse intéressante de la liberté économique en France, pourtant qualifiée d'ultra libéral par certains ...

par Bernard Carayon 9 avril 2025
Magnifique tribunedans le JDD de notre ami Bernard Carayon qui souligne parfaitement toutes les incohérences de la Commission Européenne  en matière de défense !

par Pauline Condomines (VA) 8 avril 2025
"Ce mercredi 26 mars, au Palais des Sports, une conférence sur la menace islamiste a rassemblé un large public au Palais des Sports de Paris. Bruno Retailleau, Manuel Valls et de nombreux militants, chercheurs et auteurs ont appelé à la lutte contre un fléau qui “menace la République”."

par Lignes Droites 5 avril 2025

Nouveau grand succès pour la conférence de Lignes Droites du 3 avril !

Tous nos remerciements à Monsieur Patrice Michel pour son exposé très pédagogique sur le système judiciaire français, ses liens avec les instances européennes, son histoire, et son organisation au sein des différentes justices administratives, civiles et pénales.

Tous les participants (environ 75 personnes) ont particulièrement apprécié la clarté de cet exposé et quelques idées pour améliorer son efficacité. Deux rappels essentiels ont été fait :

- notre système judiciaire est là pour faire respecter la loi et bon nombre des reproches qui lui sont fait viennent en fait du politique.

- la neutralité de la justice française a été largement entamée par certains individus, en particulier issus du syndicat de la magistrature. Ce devrait être au Conseil Supérieur de la Magistrature de garantir cette neutralité politique.  Mais sans doute par corporatisme et lâcheté, il n'intervient pas assez, même face à des situations extrêmes comme celle du "mur des cons". Là encore ce devrait être au politique d'avoir le courage de mener à bien les réformes nécessaires pour s'assurer du bon fonctionnement du Conseil de la Magistrature.

par Maxime Duclos 4 avril 2025

Aujourd’hui, la France traverse un moment décisif. Dans une décision qui ne laisse aucun doute, Marine Le Pen se voit infliger une peine d’inéligibilité, à seulement deux ans des présidentielles. Ce verdict dépasse largement le simple domaine juridique pour s’inscrire dans un affrontement politique direct.

La magistrate Bénédicte de Perthuis affirme s’inspirer d’Eva Joly pour son parcours judiciaire et son engagement en tant que magistrate. Elle l’a d’ailleurs déclaré sans ambiguïté : « Eva Joly a changé mon destin. » lors d’un podcast en 2020. Une phrase forte, qui traduit bien plus qu’une simple admiration professionnelle. On y perçoit une affection profonde pour une figure dont les opinions, notamment sur la justice, sont tranchées et assumées.

Mais Eva Joly, au-delà de son parcours de magistrate, reste aussi un personnage politique clivant, dont l’engagement écologiste et les prises de position marquées ne laissent personne indifférent. L’apprécier, c’est souvent adhérer aussi, d’une certaine manière, à une certaine vision du monde et des combats idéologiques. Dès lors, difficile d’ignorer que cette inspiration, aussi sincère soit-elle, puisse laisser planer un doute sur une possible proximité idéologique.

Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature, connu pour ses positions marquées à gauche et ayant publiquement appelé à voter contre l’extrême droite le 12 juin 2024 ajoute une dimension particulière à cette affaire. Cette prise de position contribue à brouiller la frontière entre engagement idéologique et impartialité judiciaire.

Dès lors, difficile de ne pas voir dans cette condamnation un verdict dont l’écho dépasse le cadre strictement juridique pour résonner sur le terrain politique, au moment même où se prépare une échéance électorale majeure.

Encore plus inquiétant, l’identité des deux assesseurs qui ont participé au verdict reste inconnue, un manque de transparence qui renforce le sentiment d’un coup d’État judiciaire. Ce flou soulève des questions cruciales sur l’impartialité et l’indépendance de notre système judiciaire, surtout à l’approche d’un scrutin historique.

Ce moment demeure un symbole fort : la justice, qui devrait être la gardienne impartiale de nos lois, se retrouve aujourd’hui au centre d’interrogations profondes. Si la magistrate ne revendique pas ouvertement d’engagement politique, son admiration pour une figure aussi marquée qu’Eva Joly, ainsi que le contexte entourant cette décision, peuvent laisser penser que son jugement pourrait être influencé par une certaine orientation idéologique. Cela envoie un message clair à l’ensemble du paysage politique français et soulève inévitablement des questions sur la frontière, de plus en plus ténue, entre justice et politique.

Face à cette situation inédite, la nécessité de transparence s’impose, et il est essentiel que les interrogations sur l’indépendance de la justice soient pleinement abordées. Ce moment marque un tournant dans la vie politique française et pose une question fondamentale : la justice peut-elle encore être perçue comme une institution neutre, ou court-elle le risque d’être influencée par des dynamiques idéologiques qui dépassent son cadre strictement juridique ?

Comme l’ont souligné plusieurs responsables politiques, dans un moment aussi décisif, même si une condamnation doit être prononcée, le fait de rendre Marine Le Pen inéligible à seulement deux ans des présidentielles soulève des doutes légitimes sur la volonté politique et idéologique de l’empêcher d’accéder au pouvoir. Selon des estimations récentes de l’IFOP, Marine Le Pen aurait eu la possibilité d’obtenir entre 34 et 38% des voix au premier tour des présidentielles de 2027, selon plusieurs sondages récents. Cette décision semble dépasser le simple cadre juridique. Ce choix, dans un contexte aussi crucial, appartient au peuple et non à une juridiction.

Il en va de la confiance des 11 millions d’électeurs qui, sans pouvoir débattre, parlementer ou exercer leur droit démocratique, se voient privés de la possibilité de voter pour la représentante politique qui, selon les projections, aurait toutes les chances de jouer un rôle clé dans la politique de 2027. Cette décision semble porter une forme de nonchalance envers ces électeurs, en les privant de la possibilité d’exprimer leur voix de manière libre et démocratique. Ce n’est pas simplement une question de légalité, mais une tentative potentielle de déstabiliser le Rassemblement National, d’affaiblir ses capacités à se renforcer et à atteindre, d’ici 2027, une représentativité de 37% des suffrages, au moment où le débat politique pourrait être radicalement transformé par leur ascension.



NDLR : Merci à Maxime Duclos pour ses billets d'humeur toujours très intéressant. On pourrait ajouter queBénédicte de Perthuis n'avait pourtant pas une réputation de sévérité particulière puisque c’est elle qui avait prononcé la relaxe du ministre Olivier Dussopt, jugé pour favoritisme (et finalement condamné en appel !). Deux poids et deux mesures ?


par Pierre Lemaignen 2 avril 2025

Par la voix d'Eric Lombard, le ministre de l’économie, Bpifrance annonçait la semaine dernière vouloir collecter 450 millions d’euros auprès des Français pour les entreprises de défense, et la création à cette fin d’un fonds baptisé « Bpifrance Défense », réservé aux particuliers et destiné à la défense et à la cybersécurité.

Voyons le côté positif des choses : les Français vont peut-être enfin découvrir ce qu'est le private equity et ses bienfaits ! Sur la période 2013/2023, les rendements du private equity français ont été de l'ordre de 13% brut. Quelqu'un qui aurait investi 500 € en France dans cette classe d'actifs aurait aujourd'hui un capital net de frais d'environ 1000 €. Sur le papier, cet investissement a donc tout pour plaire avec des entreprises qui existent déjà et qui sont souvent bien implantées, un marché a priori florissant dans les années à venir et a priori une montagne de commandes à venir. Mais comme cela est répété pour toute publicité pour un placement financier : " Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ". Car dans ce cas de figure en particulier, il y a des hics et pas des moindres ... Le problème essentiel n'est pas l'investissement ! Il y a énormément d'épargne et de trésorerie sur le marché actuellement. Le problème essentiel c'est qu'il faut des commandes sur le long terme. Or ces commandes publiques annoncées par les pays européens seront-elles encore là dans cinq ans ?

Il faut souligner plusieurs aspects sur le risque qui porte sur ces commandes publiques en particulier pour la France :

1. Chaque pays européen va investir en fonction de deux logiques :

- diplomatique : certains continueront à acheter du matériel américain quoi qu'il arrive

- industrielle : les commandes seront soumises à des impératifs nationaux pour soutenir l’industrie locale.

On peut donc toujours mettre en avant les investissements prévus pour l'ensemble de l'Europe, l'essentiel des retombées pour l'industrie française seront essentiellement issues de la politique nationale et pas seulement européenne ...

2. Quelle confiance peut-on avoir dans les annonces d'aujourd'hui ? L'Europe a toujours été une vraie girouette sur les sujets relatifs à la défense européenne, à la fois en termes de stratégie et d'investissement.

Encore aujourd'hui, un label ESG dans ce domaine est, de fait, quasi impossible (aux côtés de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent ...).

Même la France qui a pourtant fait partie des bons élèves en termes d'investissement dans le domaine de la défense n'a pas toujours fait preuve d'une réelle constance (en particulier sous Hollande).

Au lendemain d'un inéluctable traité de paix signé entre l'Ukraine et la Russie dans l'année à venir, ou après un hypothétique effondrement du régime russe dont ils rêvent tous, l'hystérie collective de nos dirigeants européens sera-t-elle encore d'actualité ?

3. Acheter des chars est un investissement qui trouvera toujours des détracteurs acharnés dans notre société. Bien malin est celui capable aujourd'hui de nous dire qui sera au pouvoir en France en 2030 à l'échéance de ce fond d'investissement.  

4. Comment la France compte tenu de son endettement pourra-t-elle financer ces investissements ? Compte tenu de notre niveau d'endettement, il faudra soit augmenter la fiscalité (mais nous sommes déjà champion du monde ce qui plombe nos entreprises), soit trouver des arbitrages au détriment d'autres dépenses ... Mais quels sont les arbitrages que les français accepteront : la justice ? l'éducation ? La santé ? Je ne vous parle même pas des retraites ! Certains sondages montrent qu'une majorité de Français (et j'en fais partie) est favorable aujourd'hui à cette politique de réarmement ... Mais dès que le même sondage pose des questions sur les moyens de financer cette politique, d'ores et déjà, cette majorité s'effondre. Qu'en sera t'il dans deux ou trois ans ?

La France fait déjà aujourd'hui face à un mur de la dette absolument vertigineux ( la question n'est pas son existence mais la distance à laquelle il se trouve et le temps qu'il nous reste avant qu'on se le prenne en pleine figure) et une incapacité depuis 50 ans à apporter la moindre réforme à son modèle social. Comment peut on considérer sérieusement les annonces d'augmentation du budget français de la défense de plusieurs dizaines de milliards d'euros ?

Bref, ce type de financement peut éventuellement être une poule aux œufs d'or. Il présente aussi des risques intrinsèques majeurs ! Et il faudra regarder en détail l'offre qui sera faite et analyser de manière très prudente les engagements sur les commandes à venir. Mais il est fort à craindre que dans la précipitation, nous soyons en train de mettre la charrue avant les bœufs pour participer au développement de nos entreprises !

par LR31 1 avril 2025
par Lignes Droites 13 mars 2025
Lignes Droites soutiendra toutes les candidatures d’union des droites. Bonne chance à David Gerson et à sa future équipe !

par Emmanuel Chaunu 13 mars 2025
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