par Pierre Brochand (ancien directeur général de la DGSE)
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18 octobre 2025
Immigration de masse, insécurité, risque de guerre civile... Le cri d’alarme de Pierre Brochand (ex-DGSE) "EXCLUSIF - Vingt ans après les émeutes qui avaient éclaté à Clichy-sous-Bois puis dans toutes les banlieues, l’ancien directeur général de la DGSE dresse le constat inquiétant d’une France au bord de la « confrontation interne »." Une tribune à lire dans FigaroVox : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/immigration-de-masse-insecurite-risque-de-guerre-civile-le-cri-d-alarme-de-pierre-brochand-ex-dgse-20251017 LE FIGARO MAGAZINE. - Il y a tout juste vingt ans, le 27 octobre 2005, éclataient les premières grandes émeutes de banlieue. Plus qu’une expression de violence passagère, était-ce le début d’un long processus nous conduisant à une forme de « guerre civile » ? Pierre BROCHAND. - Avec le recul, ce qui s’est passé, il y a vingt ans, apparaît, d’abord, comme un révélateur cruel de l’état du pays. Depuis les années 1980, s’était dessiné un paysage inédit : des émeutes ethniques, jamais vues, fusaient ponctuellement en zones urbaines, sur fond de délinquance, d’islamisation et de séparation. La vague d’octobre, en étendant l’incendie à plusieurs villes simultanément, a sonné un réveil en fanfare. Deux tiers de nos compatriotes en ont déduit qu’il fallait « arrêter l’immigration ». Ceux qui détenaient le pouvoir ne les ont pas écoutés. Résultat : rien n’a été fait. Ce qui nous amène directement aux angoisses d’aujourd’hui, que résume la prophétie de « guerre civile ». Je doute que celle-ci se réalise à court terme. En revanche, je tiens pour certaines les affirmations suivantes : – Si nous restons bras croisés, nous irons vers le pire. – Ce pire sera la régression de notre pays en tous domaines, à commencer par la sécurité de ses habitants et, plus généralement, leur bonheur de vivre. – L’épicentre en sera la débâcle de la confiance sociale, clé de voûte des peuples heureux, dont la perte disloque non seulement les sociétés « multi » mais aussi les fondements de l’État-providence. – Je ne vois pas d’autre ferment à ces ébranlements que l’irruption d’une immigration de masse, aux caractéristiques antagoniques des nôtres. Qu’est-ce qui vous rend dubitatif à l’égard du terme « guerre civile », pourtant repris par nombre de responsables politiques ? D’abord, les mots eux-mêmes. Je viens de le dire : pour moi, le fait générateur de troubles à venir ne peut être qu’importé. En effet, dans une démocratie avancée et apaisée, les différends, entre autochtones, ne semblent plus de nature à ressusciter la Révolution ou la Commune. La parenthèse de la « question sociale », ouverte en 1848, refermée en 1968, a laissé la place à des compromis quantitatifs sur le partage d’un gâteau commun, autour de la notion de pouvoir d’achat. De même, les problèmes sociétaux, qui ont pris la suite, n’ont jamais donné lieu à échanges de coups de feu : la haute tenue de la Manif pour tous en a fourni la preuve. Pour faire simple, je dirais qu’entre citoyens de souche, la violence, politique et sociale, n’est plus de mise : pour eux, l’Histoire est finie, au sens de Fukuyama. Leurs débats sont canalisés pour converger fatalement vers un centrisme bien-pensant, quel que soit le numéro de la République. Ceux qui le contestent ne sont pas nombreux : les black blocs ont affiché leurs limites, l’ultradroite parade modestement. L’échec des « gilets jaunes » a, en outre, confirmé qu’aucun projet, centré sur la redistribution du gâteau, ne pouvait renverser la table. Pour la même raison, j’écarte les concepts de « décivilisation » et d’« ensauvagement », qui, en douce, tendent à mettre tout le monde dans le même sac. J’irai plus loin : c’est le thème même de l’immigration, qui, par rétroaction, risque de susciter les plus graves dissensions chez les natifs, entre « universalistes » (mondialistes mercantiles, humanistes rêveurs, wokistes justiciers) et « localistes » (patriotes têtus, régionalistes renaissants, communautaires de tradition). Schisme, qui, d’ailleurs, réintroduit, dans le jeu belliqueux, certains de nos extrémistes, tenants d’une mythique « convergence des luttes », prêts à servir de cheval de Troie aux factions les plus militantes de l’immigration. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière Pierre Brochand Ensuite, le fait que les fauteurs de troubles de 2005, comme leurs prédécesseurs et successeurs, soient majoritairement de nationalité française ne change en rien le diagnostic. Nos immigrés sont entrés avec de lourds bagages culturels, religieux, historiques, qu’ils n’ont pas abandonnés à la frontière. Ces bagages étaient même si pesants qu’une partie de leurs arrière-petits-enfants continuent à les porter. Énumérons-les, une fois encore, puisque tout en découle : origine du tiers-monde, mœurs communautaires, majorité musulmane, culture de l’honneur, passé colonisé, démographie dynamique, endogamie élevée, faible niveau culturel, productivité et employabilité inférieures, coagulation en isolats géographiques et, surtout, donc, aggravation de ces dispositions au fil des générations dans un contexte global de vengeance du Sud sur le Nord. De ce point de vue, la distinction entre guerre « civile » et « étrangère » ressort brouillée. Nous sommes, au minimum, dans un cas hybride, qui efface, dès le départ, la dimension fratricide des luttes entre Armagnacs et Bourguignons, catholiques et protestants, et où la géopolitique intervient au moins autant que la politique. C’est pourquoi je préfère parler de confrontation interne, vulnérable à des ingérences extérieures. Dans ce tableau, il faut toutefois réserver un sort particulier à l’outre-mer, héritier lui aussi de l’ère coloniale, et doté d’une géographie lointaine et insulaire : on peut y voir des « laboratoires », où des débuts d’insurrection ont déjà opposé des citoyens français, selon leur origine ethnique. Enfin, une « vraie » guerre civile est une lutte armée, au sein d’une même collectivité, entre parties organisées qui s’en disputent le contrôle. Soit le basculement, brutal et total, d’un pays tout entier dans une violence physique concertée. Je le redis : cette vision paraît simpliste. Car d’innombrables hypothèses, plus complexes, sortant des sentiers battus, peuvent se vérifier. Même si nous pensons très fort à l’Empire romain, nul précédent ne saurait nous guider. Gardons à l’esprit qu’aucune société, avant la nôtre, n’a vécu sous le règne de l’individualisme de masse, sorte de terra incognita, sans carte ni boussole. Si nous ne nous dirigeons pas tout à fait vers une « guerre civile », vers quoi allons-nous ? Mon sentiment est le suivant. Bien avant d’en arriver à une bataille à mort pour la souveraineté, nous allons continuer de nous enfoncer dans des sables mouvants. Le raz-de-marée migratoire, s’il persiste, va produire un enchaînement de dégradations, à la fois sous-jacentes dans la durée et explosives dans l’instant. L’immigration actuelle est un fait social total dont les ondes de choc se font sentir partout. Pour les schématiser, elles raniment, d’abord, les clivages non négociables, c’est-à-dire non solubles en procédures, que nous pensions derrière nous : discorde religieuse, inimitié coloniale, fléau racial, gouffre culturel, allégeances nationales incompatibles, auxquels s’ajoute, pour faire bonne mesure, inadéquation économique. En bref, nous prenons, en pleine figure, le boomerang d’une Histoire, loin d’être finie ailleurs. Cheminement souterrain, donc, quand ces disruptions, imperceptibles au jour le jour, finissent par émerger à force de cumulation. Bouffées détonantes lorsque, de ces transformations, naissent des contradictions que les mécanismes d’absorption – autrefois performants avec les eurochrétiens – ne parviennent plus à surmonter. La violence devient, alors, la seule issue. Violence multiforme – délinquante, nihiliste, métapolitique –, d’abord sporadique et dispersée, mais prenant une tournure agglutinante, au fur et à mesure qu’empirent les dérèglements. Soit, au final, un processus quasi volcanique, associant un magma souterrain, porteur de tendances lourdes, et des éruptions soudaines, survenant à tout prétexte. Étant entendu que le choix n’est pas toujours entre la vie et la mort, mais aussi entre une existence qui mérite d’être vécue et d’autres qui n’en valent pas la peine. Sinon, à quoi bon ? J’ai bien conscience qu’ainsi esquissé, ce futur reste nébuleux. Ce qui n’interdit pas d’ouvrir un cadre de réflexion, qui, tout en essayant d’exclure la paranoïa – tâche parfois difficile – met en évidence un éventail de possibles. Sous la forme de l’État de droit, l’État régalien n’est plus que l’ombre de lui-même Pierre Brochand Vous parlez d’un « cadre de réflexion ». Pouvez-vous mieux le cerner ? À mon avis, il faut commencer par prendre conscience du point d’arrivée, lui, irrécusable : une France à majorité africaine et musulmane, bien avant la fin de ce siècle. Bouleversement que je défie quiconque d’espérer paisible et débonnaire. La logique conduit, donc, d’abord à identifier les acteurs de cette tragédie. Si l’on en croit la grille de lecture en vigueur, ils sont en nombre illimité, puisque tout n’est que cas particuliers. Ce n’est pas mon approche. Mon expérience professionnelle m’incite à commettre le péché d’amalgame. Les groupes restent des agents historiques déterminants, et le redeviennent encore plus quand refont surface les casus belli d’antan. Pour moi, ces groupes sont au nombre de quatre. Le plus proactif est constitué de « ceux venus d’ailleurs ». Le critère pertinent, pour l’analyser, est celui de l’acculturation. Faute de statistiques, je m’en tiendrais à l’intuition. Sur un effectif qui atteint désormais 25 à 30% des résidents (sur trois générations), les « assimilés » ne sont plus, à mon sens, que 5 à 10%, les « intégrés » comptent pour 30 à 40% et le reste flotte de la non-adhésion à la haine sur fond d’assistanat. La jeunesse masculine en représente le fer de lance. C’est à travers cette dernière strate que sont ravivés, dans l’espace public, les us et coutumes des pays de départ, avec lesquels nous n’avons jamais demandé à cohabiter. J’attire l’attention sur le fait que l’intégration, « espoir suprême et suprême pensée », n’est qu’un CDD (le respect de la loi contre l’emploi, chacun gardant son quant-à-soi) : en période de basculement, les intégrés pèseront naturellement dans ce sens. Restent « ceux d’ici », les « déjà-là », rejoints par la frange des assimilés. Là aussi, en usant d’une sociologie de la hache, j’y distinguerai trois sous-groupes. « Ceux d’en haut » forment un noyau dur minoritaire, à l’abri des métropoles, à partir desquelles ils font rayonner l’idéologie du « laissez passer, laissez tomber », apothéose prétendue de la « civilisation ». Métropoles où se nouent, d’autre part, des relations pragmatiques de connivence, au moins matérielles, avec « ceux d’ailleurs », rassemblés alentour. « Ceux d’en bas » (65 à 70% du grand total) n’ont pas la même vision : soumis en permanence à des chocs avec des « civilisations » (minuscules, plurielles) aux pratiques antithétiques des leurs, ils n’acceptent plus cette situation et cherchent à le faire savoir poliment, sans y parvenir. Néanmoins, le haut et le bas se retrouvent pour rejeter l’autodéfense et se blottir derrière un quatrième agent : les forces de l’ordre, seule formation armée autorisée sur le territoire français. Ce monopole de la violence est, toutefois, soumis à fortes contraintes. D’abord budgétaires : l’efficacité de ces « gardiens de la paix » est conditionnée par la taille de leurs effectifs, ce qui pose le problème crucial de leur saturation en cas de coup dur. Restrictions juridiques, surtout, sous la forme de l’État de droit, pierre angulaire de la « société des individus » : sous ce régime, l’État national régalien, modèle prédominant auparavant, n’est plus que l’ombre de lui-même. D’une certaine façon, il est même un adversaire à désarmer, car menaçant, du reste de son autorité, les droits fondamentaux de chacun, étrangers et malfaisants compris. Cette impuissance voulue est source d’une incohérence mortelle. En effet, l’immigration ne tombe pas du ciel. Elle est, elle aussi, la conséquence du renversement de paradigme, survenu dans les années 1970, quand nous sommes passés de l’autodétermination des peuples, délimitée par des frontières, à celle des individus, libres de se mouvoir à l’échelle planétaire. Révolution qui, d’un même élan, a donné le feu vert à des exodes massifs, et empêché la puissance publique des pays de destination de les entraver. Or, la survie d’un tissu social, aussi fragile que le nôtre, ne tient qu’à un fil : celui d’une homogénéité culturelle parfaite, autour d’un « néochristianisme païen » unanime, seul à même d’intérioriser l’injonction du vivre-ensemble. Personne ne niera que les nouveaux venus n’ont pas du tout – mais, alors, pas du tout – suivi ce parcours historique, qui nous a conduit à l’épuisement de l’inimitié. D’où la quadrature du cercle : une société qui se veut ouverte mais ne peut se perpétuer que fermée à ceux qui ne partagent pas sa xénophilie. Voilà pour la distribution de la pièce, où nous jouons notre survie. Les réseaux sociaux enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. OLIVIER CORET / OLIVIER CORET pour le Figaro Mag Si nous continuons d’explorer votre cadre de réflexion entre ces acteurs, quels sont les paramètres principaux des évolutions à venir ? Ce que vous me demandez, c’est comment va évoluer le rapport des forces. Si l’on reprend la métaphore d’un fleuve souterrain incandescent, la question devient : quels sont les éléments qui l’accélèrent et ceux qui le ralentissent ? L’accélérateur décisif est, bien sûr, la démographie, indicateur le plus fiable des temps futurs. On ne le répétera jamais assez : nous nous acheminons vers une inversion de majorité, ethnique et religieuse, dans notre pays. Ce n’est plus l’épaisseur du trait. De surcroît, ce chassé-croisé, hors de contrôle, tend à l’exponentialité : il se nourrit des droits opposables, dont se prévalent les immigrés, mais aussi de l’auto-engendrement des diasporas, qui génèrent un fort excédent naturel, disparu chez « ceux d’ici ». En outre, l’immigration est une grandeur non scalable, dont la qualité mute avec la quantité. D’où la notion de masse critique, au-delà de laquelle ce qui était possible en deçà ne l’est plus. Les quartiers où tous ces seuils sont dépassés sont la vitrine de ce qui nous attend. On y retrouve les réminiscences des pays de départ, dont aucun n’est démocratique, développé et égalitaire : incivisme, xénophobie, intolérance, banditisme, omerta, consanguinité, corruption, clientélisme, etc. Ce chamboulement, annoncé par l’arithmétique, ne peut se dérouler sans convulsions. Il y a aussi des « retardants » au processus. Mais ce ne sont, hélas, que des expédients temporaires visant à reculer pour mieux sauter. Le premier est l’évitement, entre anciens et nouveaux. Chacun vote avec ses pieds et se regroupe par affinités, preuve par neuf qu’on ne s’apprécie que mollement : « ceux d’en haut » dans la zone verte des centres-villes, « ceux d’en bas » en France périphérique, « ceux d’ailleurs » dans les banlieues. À ce contournement primaire s’ajoutent des fuites secondaires : la ruée vers l’enseignement privé, l’expatriation des jeunes diplômés, l’alya des Français juifs. Mais le vase déborde déjà : en attestent la répartition autoritaire des demandeurs d’asile en milieu rural et l’implantation obligatoire de logements sociaux dans des villes qui n’en veulent pas. Ensuite, viennent les petits arrangements pour acheter la paix sociale, voire des gains électoraux, sans secouer le cocotier. Ces concessions unilatérales se pratiquent à tous les échelons, depuis la politique de la ville au niveau national, jusqu’aux compromissions municipales, avec des consultants peu recommandables (imams, caïds, grands frères). On songe à la du Barry : « Encore une minute, monsieur le bourreau ! » Autre aspect : les deux minorités actives, susceptibles de coordonner les « révoltés » – trafiquants et Frères musulmans –, n’ont pas intérêt à renverser immédiatement la table. Les premiers en sont au stade embryonnaire de la cartellisation (DZ Mafia), avec pour ambition d’éliminer la concurrence et d’exploiter la poule aux œufs d’or, sans l’achever. Les seconds préfèrent l’entrisme à bas bruit afin d’imposer progressivement les codes de leur religion, en comptant sur l’inexorable loi du nombre pour triompher. Reste le plus grand frein à la belligérance : le comportement des « natifs d’en bas ». Chacun admire leur retenue («vous n’aurez pas notre haine »). Certes, leurs votes, croissants, en faveur de la « maîtrise des flux » montrent que leur imaginaire demeure national. Mais leur choix dans l’isoloir ne se double d’aucune démonstration de rue, pourtant circuit le plus court pour se faire entendre en France. Le poids des seniors ne pousse, évidemment, pas à l’action ni aux changements de cap. Mais, surtout, l’ensemble de la société vit sous les sédatifs obligatoires, que réclame le traitement de l’anarchie individualiste et de l’agressivité multiculturaliste. Citons pêle-mêle : la recherche du bien-être par la consommation, comme unique but commun ; la manipulation des émotions tétanisantes, telles que la peur (épidémies, Russie, climat) et la culpabilité (Vichy, colonialisme, racisme) ; le recours transversal au divertissement. Encore davantage, l’individu-roi, replié sur lui-même, attache un prix démesuré à sa vie biologique, occasion unique à ne pas rater, face à des extraterrestres (terroristes, délinquants) dont les valeurs « héroïques » lui sont devenues illisibles. C’est pourquoi les manifestations qu’il s’autorise – marches blanches, bougies, peluches – clament, avant tout, son refus d’en découdre. Les Français n’ont-ils pas restitué 150.000 armes en 2022 ? Notre orgueil de civilisé est de refouler nos pulsions. Attitude louable et honorable. Mais, alors, ne nous plaignons pas si nous sommes confrontés à des dissidences, que notre passivité enhardit. "La tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux" Pierre Brochand Vous évoquez un fleuve souterrain qui avance, mais aussi fait éruption en surface. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point ? Notre pronostic vital est-il engagé, comme vous l’envisagiez en 2023 ? Il faut partir de l’état des lieux ! 1500 portions de territoire, en « peau de léopard », échappent au plein contrôle des autorités publiques, et la pression sociale qui s’y exerce va à rebours de nos façons de vivre et de penser. Se répand, dans ces contre-sociétés enclavées, une guérilla de basse intensité contre ce qui y subsiste de l’État national et, plus généralement, d’influence française (pompiers, médecins, enseignants, arbitres). Un pessimiste y décèlerait même le retour, en mode mineur, des insurrections coloniales : commissariats-fortins, check-points, « hits and runs » réciproques, caves-sanctuaires, contraste jour/nuit, lutte pour la « conquête des cœurs » (la politique de la ville, resucée du Plan de Constantine, contre l’entraide sociale fournie par imams et dealers), recherche d’interlocuteurs valables, « porteurs de valise », omerta ordinaire, etc. Ne manque – et ce n’est pas rien – que l’armature du FLN. La crainte la plus plausible est que cet écosystème ne gagne en extension, fréquence et intensité, en vertu de la combinaison d’effectifs qui s’accroissent et d’une distance culturelle qui ne se réduit pas. Le modèle, que je privilégie, vous l’aurez compris, est celui de plaques tectoniques, mises en branle par le couple infernal individualisme-immigration, dont le frottement produit des étincelles qui finissent par embraser la plaine. Sur cette base, rien, hélas, n’interdit que soient franchis, un à un, des seuils critiques irréversibles : usage d’armes létales, pénétrations en « zone verte », submersion des forces classiques, entrée en scène de l’armée, prises d’otages, etc. Parmi les phénomènes déstabilisants, un sort à part doit être fait au terrorisme, bien sûr, mais encore plus aux pillages, auxquels les jeunes des quartiers se sont déjà adonnés : rien n’est plus facile, contagieux et efficace pour réduire à zéro la confiance sociale, libérer les instincts et mettre à genoux une société, bien au-delà des méfaits eux-mêmes. Et, voilà que, pour couronner le tout, pointent les drones, innovation stupéfiante qui met à portée de chacun des capacités incalculables de dissémination de la terreur. En fond de tableau, il faut aussi garder à l’esprit que nous vivons sur le fil du rasoir, en raison de notre dépendance à des réseaux, qui sont autant de catalyseurs de chaos. Les réseaux « sociaux » remettent au premier plan la psychologie des foules, décuplent le potentiel de tangage et enclenchent des spirales de contamination aussi soudaines qu’incontrôlables. Quant aux « vitaux » – électricité, eau, gaz, transports, communication –, leur rupture nous renverrait en un éclair à un état de nature, où régneraient les moins inhibés, dont on devine qui ils seraient. À l’échelle nationale, ce scénario, qui suppose un haut degré de planification et exécution, relève de la science-fiction et nous éloigne des quartiers pour nous renvoyer vers des activistes indigènes, voire des services étrangers. Mais, on ne saurait écarter des applications locales, dont tireraient parti les éléments incontrôlés, dont il est question ici. Quant aux détonateurs proprement dits, la liste en est plus longue qu’on ne croit : aux attentats d’ampleur, « bavures », heurts communautaires habituels s’ajoutent des situations insoupçonnées, comme une brutale sortie de l’euro, suscitant une ruée vers les banques et, par engrenage, une déstabilisation de la rue, livrée aux exactions. Sans doute aucun de ces « fantasmes raisonnés » ne se produira, à brève échéance. Sans doute allons-nous continuer à vivre sur les pentes d’un Etna, dont les projections ne frapperont pas tout le monde, tout le temps, mais de plus en plus de monde, de plus en plus souvent. En tout cas, restons sûrs que la tiers-mondisation de notre corps social n’ira pas sans gros dégâts collatéraux, y compris physiques. Jusqu’à l’engagement du pronostic vital ? À très long terme, on ne peut malheureusement qu’opiner, en raison de la dynamique démographique, hors laquelle, il faut bien le reconnaître, tout n’est que bavardage, plus ou moins informé. Cette grande régression peut-elle être enrayée ? Un redressement est-il possible ? Comment ? Contrairement aux apparences, c’est votre question la plus facile, car les réponses existent et sont devenues banales. Mais, elles sont aussi inévitablement féroces, à proportion du temps et du terrain perdus. S’il reste une petite chance d’éteindre la mèche, il n’est d’autre voie que celle d’un radicalisme sans remords. Soit, à la fois, réduire les flux d’entrée à leur plus simple expression, reprendre le contrôle des diasporas et rétablir l’ordre public. Ce qui est tout à fait possible, mais exige un formidable regain de volonté. D’abord, prendre des mesures immédiatement opérationnelles en matière d’immigration (gel des régularisations, réduction drastique des naturalisations, raréfaction des visas des pays à risque). Puis, enjamber le préambule constitutionnel, indispensable au rétablissement des droits, collectifs et autonomes, du peuple français. Enfin, sur ce canevas, faire flèche de tout bois : externaliser les demandes d’asile, ramener à zéro l’attractivité sociale et médicale de la France, dégonfler les diasporas en agissant sur les titres de séjour, muscler la laïcité en l’étendant à l’espace public. Plus généralement, s’attaquer au virus mortel de l’impunité, par une réforme pénale décomplexée, s’adressant au moins autant aux peines, telles qu’elles sont décidées et appliquées, en cas de récidive, qu’à leur quantum. Sous cette brève formulation, l’ordonnance cache, on le sait, une entreprise herculéenne, dont, les choses étant ce qu’elles sont, j’ai le plus grand mal à imaginer qu’elle soit mise en œuvre. Mais, à l’inverse, je suis en mesure de garantir à vos lecteurs que, si nous persistons à céder au biais de normalité, pour repousser à plus tard ce qui aurait dû être fait hier, nous ne préparons pas à nos descendants des lendemains qui chantent.