Dans le regard d'en face
- par Serban Iclanzan
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- 25 janv., 2018
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Récemment une trentaine de cadres du PS publiaient dans le JDD à l’initiative de Sébastien Vincini, patron de la fédération de Haute-Garonne un manifeste dit pour un « progrès partagé ». Je vais peut-être vous surprendre en vous disant que c’est un document de grande valeur non seulement pour la pensée de gauche en France, mais aussi pour la droite.
Trois raisons nous permettent de dire cela.
Première raison : une base de réflexion et de départ solide
Il y a d’abord la capacité de donner une base solide et un large écho à ce manifeste qui en soi n’est qu’une motion à vocation majoritaire en préparation du prochain congrès du PS. La démarche n’est pas celle d'un simple regroupement d’élus et de cadres sur une photo, tare moderne de la pratique politique contemporaine. Elle est surtout une vision commune, un regroupement d’idées qui intervient à un moment ou Générations (mouvement de Benoît Hamon) attire une partie de la pensée de gauche autour d’une vision du monde assez travaillée et revisitée issue de la campagne des primaires et de celle à l’élection présidentielle de son leader. Ainsi, ce manifeste est la première réaction intellectuelle construite et volontaire du PS et cela n’a aucune importance si elle arrive des territoires et non pas du sommet.
A droite, pour l’instant rien de cela. Chez les LR, le parti sort d’une élection interne menée davantage sur des postures et des tendances par rapport à des attentes électorales et un besoin de regroupement. Tristement les perdants de cette élection s’empressent de contester déjà l’aura, l’autorité et les choix du chef. Le tout est pour l’instant dépourvu de contenu, puisque ce contenu devrait justement être l’œuvre majeure et la mission principale pour laquelle Laurent Wauquiez avait été élu : refonder les LR sur un socle de valeurs inspirés de la sensibilité qu’il a bien voulu porter dans son discours et ses promesses. Alors, avant même de pouvoir travailler, on lui fait un procès d’intention et on pose des conditions à sa liberté de réflexion et de parole. Bien entendu, sans tenir compte de la légitimité qui est la sienne et qui est celle des urnes ! La règle démocratique de la majorité est ainsi contestée, bafouée. Contrairement au PS ou la motion précitée n’est qu’à « vocation majoritaire », chez les LR la majorité est déjà définie, mais le contenu, les orientations et les idées sont contestés puisqu’ils n’ont jamais été présentés comme une vision du monde. Il y a là un défaut de base solide.
Du côté souverainiste, un mouvement comme le MPF anciennement fondé par Philippe de Villiers reste bloqué dans une éternelle attente du retour espéré de son leader charismatique. Chez Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, on note un repli sur des positions assez aseptisées et classiques et réduites au plus petit dénominateur commun de ce que les uns et les autres peuvent accepter au sens du mouvement après son aventure électorale de 2017. Enfin, au FN, c’est la lutte des cartels de pouvoir au sein même d’un cartel familial. Pourtant le moment est plus propice que jamais au développement d’une pensée souverainiste en Europe (regardons le Brexit, la fronde des 12 pays d’Europe centrale et orientale, les frustrations de l’Italie, le besoin de ressourcer l’unité espagnole, l’incapacité d’assimiler une aussi grande vague migratoire…), à une vision d’un monde plus respectueux de la diversité des identités nationales, à l’affirmation d’un socle civilisationnel non négociable. Rien de cela et aucun travail de reconstruction d’une vision du monde! Il serait péremptoire de dire que les droites françaises sont en échec. Ce qui est certain en revanche c’est qu’elles sont commotionnées et elles font preuve d’une terrible lenteur. Une lenteur intellectuelle.
Le centre ne mérite pas d’être évoqué dans ces lignes car n’étant rien d’autre qu’une approche circonstancielle du monde entre « ni…ni… » et « à la fois…et en même temps… ». La posture centriste est une démarche de gestionnaire, non pas de leader. Le centre sera toujours une posture périphérique mais nécessaire à ceux qui auront l’audace d’imaginer l’avenir et en assumer les risques de leurs dessins.
Le deuxième raison pour laquelle le manifeste du PS est si pertinent c’est parce qu’il traite justement des valeurs et d’une certaine vision du monde.
Certes, un lecteur ancré à droite (et même parmi les centristes) n’y trouvera pas son compte, ni son âme dans certaines de ces valeurs et cette vision du monde de la gauche française. Mais elles ont le mérite d’être courageusement annoncées, d’être assumées et de donner un cap au-delà de la désignation d’un éventuel capitaine ou des moyens pour y parvenir à la simple gestion du pouvoir. Etre de droite signifie être à un bout d’un mouvement de balancier qui doit sereinement porter notre société dans son mouvement en face entre les visions du monde de la gauche et celle de la droite.
Il est rassurant d’avoir un critique et un contradicteur, car cela nous oblige à nous surpasser dans la recherche de nos valeurs, à en être convaincus et à argumenter. A contrario, sans ces visions si fortes et clivantes du monde nous n’y trouverons que des compromissions au lieu des valeurs et cela s’appelé vulgairement « des intérêts », pas de conviction (donc pas d’avis) et l’adhésion acclamative bête et béate sans la force des arguments (l’antichambre des totalitarismes et de la dépersonnalisation).
Voyons dans ce manifeste un défi pour la gauche, mais aussi un vrai défi pour la droite qui est maintenant obligé d’arrêter de se cacher derrière le doigt et proclamer elle aussi ses valeurs et sa vision du monde. Et cela librement, sans auto-censure et en assumant les éventuelles imperfections. Comme le font ces trente cadres du PS ayant emboîté le pas de Sébastien Vincini.
Si la pensée de droite n’a pas l’énergie d’une méthode, elle pourrait tout simplement s’emparer de ce manifeste, le commenter, le critiquer et y opposer des valeurs et une vision du monde alternative…
Poser la question fondamentale de l’utilité sociale d’une formation politique est la troisième raison qui donne de la valeur à ce manifeste
Le monde des partis a connu un glissement manifeste du rôle de réflexion et principal médiateur dans le champ social et sociétal à celui de simple gestionnaire des forces militantes et des guichets d’investitures (surtout par la proximité et le nombre des échéances électorales plus propices à la distribution des rôles qu’à la réflexion de fond). Le séisme des élections présidentielles et législatives de 2017 oblige les partis à se repenser et à se remettre en cause. Il s’agit pour les appareils d’assumer leur part de responsabilité dans les défaites, de renouveler les méthodes et les pratiques. Mais ce qui est encore plus important c’est le fait que pour la première fois le répit électoral donne le temps nécessaire à cet œuvre de « pansement des plaies » et de « rééducation ». Car, tel un estropié et accidenté de la vie, il faut réapprendre a vivre en société avec les nouvelles contraintes, conscient du fait qu’il sera impossible de retrouver ce qu’il a perdu, qu’il ne sera plus jamais le même et qu’il ne verra plus le monde de la même façon et que le monde le regardera différemment.
Le manifeste du PS parle de « nouveaux outils » et de « nouvelles pratiques ». Cela nécessite de la force, de l’exemplarité et du courage, car je suis toujours sidéré de voir à quel point on se réjouit de voir à droite des militants se lever contre le système des primaires sans leur en expliquer les vertus. D’abord les primaires en tant que nouvelle pratique ont apporté un début de débat sur le fond, sur les valeurs, sur les façons de faire. Cela nous a permis d’écouter, d’adhérer, d’être déçus, en tout cas de choisir un minimum « sur pièces ». Ensuite, contester les primaires c’est finalement s’insurger contre un principe démocratique. C’est bien cela que d’avoir peur de se soumettre à la règle démocratique et laisser à un "conclave d’assassins" vous imposer le meilleur d’entre eux, déjà paralysé dans ses choix et son action future par les « ascenseurs qu’il aura à renvoyer » en guise de remerciement aux complices de sa victoire.
Il reste, certes le débat des primaires ouvertes. La force des convictions entraine des adhésions massives à un projet et ouvre le monde des partis à des citoyens non engagés. Cela ne peut être au final que vertueux et légitimant. Cependant beaucoup de militants ont vécu avec le sentiment et la peur d’un vote parasite et impertinent par des gens venus d’autres horizons de valeurs dans le but était celui de saboter le résultat final. Soyons sérieux, le plébiscite des gagnants des primaires - d’un bord comme de l’autre - était tel que même si de tels comportements ont pu exister, ils n’auraient que peu influencé l’issue finale.
La conclusion est donc une rupture flagrante entre le choix assumé et courageux des électeurs (militants, sympathisants et simples citoyens) et ce qui aurait été « stratégiquement bon » pour les appareils. Et la chute que les partis nous suggèrent joue sur notre peur « primaire » de l’adversaire et propose la fin de l’expérimentation démocratique. Cela mérite réflexion et méfiance. Et cela demande surtout au-delà de « nouveaux outils » et « de nouvelles pratiques », de nouvelles cartes mentales de la part des appareils politiques et des élus qui les incarnent.
Les partis sont paradoxalement déclassés aujourd'hui par un monde « jupitérien » qui fait naviguer les citoyens sur d’autres orbites, en apparence libérés des attractions habituelles, mais aspirés par un immense trou noir sans aspect, sans contenu et qui souhaiterait absorber tout et toute raison par une inavouée propension totalitaire et absolue.
Les partis doivent se réinventer, inventer la force de leur attraction, porter un message incarné par des valeurs assumés et des comportements qui y concourent. Les partis ont toujours été condamnés à travailler avec les angoisses et les espoirs des gens. Mais apaiser une angoisse ne signifie pas seulement l’énoncer, comme d’ailleurs énoncer l’espoir ne signifie pas lui donner une chance de s’accomplir. L’utilité sociale des formations politiques est un vrai enjeu.
Les formations politiques, les partis, retrouveront leur lettre de grandeur quand le dire pour exister et gagner la confiance laissera la place à « Vous permettre de dire, pour que Nous fassions et redonnions confiance ».
L’utilité sociale d’un parti ne peut être évaluée qu’à l’aune à la fois d’une vision du monde et à la fois des pratiques qui seraient toutes au service de l’intérêt général.
Parce que réfléchir à droite signifie se nourrir de ses propres expériences, de ses convictions et ses idées, mais aussi de la connaissance de la vision du monde de nos plus courageux contradicteurs, voyons qu’elle est la part de réflexion et d’introspection sur les valeurs que nous pourrions tirer de la lecture de leur manifeste. C’est à cet exercice que je vous invite. Il ne saurait être complet et complété que par notre propre et si attendue catharsis :
"Beaucoup a été dit sur les causes de la défaite des socialistes en 2017 : divisions, usure du pouvoir, renoncements et reniements. Mais n’oublions pas la dimension la plus grave, la marginalisation idéologique. Le Congrès d’Aubervilliers, ne pourra pas être le congrès de toutes les réponses mais il s’agira bien de la question fondamentale pour une formation politique : celle de son utilité sociale. C’est à celle-ci qu’il convient d’apporter une réponse et tout en faisant émerger de nouveaux outils et de nouvelles pratiques politiques.
La victoire du prétendu "ni de droite ni de gauche" a sidéré l’opinion publique et bousculé le paysage politique. Six mois plus tard il reste une vision moins idyllique. La loi de l’individualisme s’impose et le Président de la République peine à réduire la fracture entre gagnants et perdants de la modernité alors même que ce qui fait nation réside justement dans ce sentiment que le progrès sera partagé. La cohésion d’une société ne se décrète pas par éléments de langage distillés à la télévision.
Ce libéralisme nous montre également son incapacité à répondre à l’urgence climatique
La forme contemporaine du libéralisme se traduit par des mutations technologiques et sociétales d’une ampleur inédite. Nous sommes bel et bien face à un nouveau monde, mais celui-ci ne se résume pas à un rajeunissement du personnel politique ou à l’arrivée massive de DRH à l’Assemblée. Il est avant tout celui d’une violence sociale sans précédent, d’une rupture des mécanismes de solidarité, d’une remise en cause permanente des protections collectives.
Ce libéralisme nous montre également son incapacité à répondre à l’urgence climatique et sa cécité face à l’ère anthropocène qui s’annonce. C’est d’ailleurs logique, le libéralisme économique considérant que le bien commun n’est rien d’autre que la somme des intérêts individuels, il est incapable d’affronter un défi qui nous dépasse tous, qui nécessite un sursaut collectif qui est contraire à l’essence même de sa doctrine.
La faillite de la social-démocratie européenne complique encore davantage notre tâche face à ces nouveaux enjeux : un sentiment d’impuissance voire de complaisance vis-à-vis de la mondialisation et du capitalisme s’est installé. C’est l’idée même du progrès qui est mise en cause face aux risques climatique et écologique, tout autant que face à l’incompréhension devant les mutations engendrées par la révolution technologique et de l’intelligence artificielle. L'action dans les territoires est sans doute le levier le plus puissant pour agir efficacement sur la vie des citoyens.
Nous devons comprendre ces nouvelles douleurs contemporaines. C’est en ce sens que le PS doit faire l’effort de compréhension avant de vouloir et de pouvoir être force de proposition.
Pour cela, l’action dans les territoires est sans doute le levier le plus puissant pour agir efficacement sur la vie des citoyens. C’est là que doit se mener concrètement le combat, de l’écoute, de l’action et de la preuve. Seule cette proximité et ce caractère concret peuvent permettre de regagner la confiance. C’est pourquoi le territoire est, et doit être au centre de la refondation du PS. Le territoire c’est le réel.
Beaucoup dans leur vie quotidienne se ressentent du côté des perdants et éprouvent un sentiment de dépossession et de déclassement. Notre projet doit être marqué par l’exigence de « vies dignes » pour tous en leur apportant la protection qui est un droit (accès à la santé, à un logement digne, au bien-être au travail, à une protection sociale de qualité pour tous les travailleurs), en renforçant leur confiance dans le progrès à laquelle ils aspirent ((tiers de confiance, intimité numérique), en faisant appel à l’innovation sociale, comme l’expérimentation lancée récemment par des départements sur le revenu de base. L’Europe doit devenir une Europe-providence pour atteindre le meilleur niveau possible de bien-être économique, social et culturel
C’est pourquoi le PS doit proposer un projet de société des Nouveaux possibles Maîtrisés s’articulant autour de nouveaux communs qui sont une redéfinition des services publics notamment à l’aune de la révolution numérique, un nouveau modèle productif écologique, de nouveaux droits sociétaux et de nouveaux mécanismes redistributifs qui poursuive le combat pour l’égalité
L’Europe dans ce contexte doit devenir une Europe-providence pour atteindre le meilleur niveau possible de bien-être économique, social et culturel pour ses peuples, et une puissance pour mettre l'humain au cœur de la mondialisation.
Nous devons porter notre idéal républicain d’émancipation et d’accomplissement de chacun par l’accès de tous à l’éducation, à la culture, à l’art, et à la garantie pour chacun d’un temps de loisir suffisant pour pouvoir s’épanouir, alors que les mutations du monde du travail posent la question de la déconnexion et de la capacité à échapper à une vie passée entre les transports et l’entreprise. Cet idéal est le meilleur rempart contre le réveil de particularismes identitaires sources de division. À contre-courant de l’uniformisation, qui génère pertes de repères et d’identité dans un monde où tout se dématérialise, notre identité repose à la fois sur des patrimoines culturels et historiques, auquel il faut redonner de la vie et du sens, en bâtissant la deuxième phase de l’exception culturelle.
Ce nouveau cadre idéologique du socialisme sera celui de l’affirmation de nos valeurs humanistes face à une techno-finance sans contrôle. Le Congrès d’Aubervilliers doit être une première étape vers la construction d’une nouvelle doctrine, celle où le progrès est mieux partagé, un nouvel horizon à dessiner, pour que les Français considèrent à nouveau le socialisme comme un chemin d’espoir."
Les premiers signataires :
Sébastien Vincini (1er Féd Haute-Garonne), Valérie Rabault (Députée, 1er Féd Tarn-et-Garonne), Emmanuel Grégoire (1er Féd Paris), Gabrielle Siry (SN), Edouardo Rihan Cypel (SN), Nicolas Brien (1er Féd Allier), Sébastien Denaja (SN), Annie Guillemot (Sénatrice, co-resp. Rhône), Gilbert-Luc (Sénateur, co-resp. Rhône) et Sylvie Guillaume (Députée européenne, co-resp. Rhône), (Boris Faure (1er Féd Français de l’Etranger), Didier Steinville (1er Féd intérimaire Hautes-Alpes), Emmanuelle De Gentili (1er Féd Haute-Corse), Etienne Lejeune (1er Féd Creuse), Frédéric Orain (1er Féd Loir et Cher), Guillaume Crépin (1er Féd Cher), Guillaume Mathelier (1er Féd Haute-Savoie), Jean-Jacques Thomas (1er Féd Aisne), Joël Carreiras (SN), Laurent Cervoni (SN), Marc Mancel (SN), Maxime Picard (1er Féd Morbihan), Nathalie Malmberg (SN), Nicolas Sfez (SN), Philippe Dussert (1er Féd Hautes-Pyrénées), Rémi Demersseman (SN), Stéphane Ibarra (1er Féd Vendée), Sylvain Mathieu (1er Féd Nièvre), Vincent Recoules (1er Féd Tarn), Vincent Véron (1er Féd Orne), Olivia Polski (adjointe Paris, Secrétaire Nationale)
1er Fed : 1er fédéral de département
SN : Secrétaire national

TRIBUNE - La façon caricaturale dont est présenté le libéralisme dans le débat public est la preuve d’un manque criant de culture sur cette école de pensée, son exercice pratique, mais aussi sur ses acteurs et leurs origines, regrettent la docteur en sciences et l’essayiste*.
* Aurélie Jean a récemment publié « Le code a changé. Amour et sexualité au temps des algorithmes » ( L’Observatoire, 2024). Erwan Le Noan est l’auteur de L’Obsession égalitaire. « Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice » (Presses de la Cité, 2023).
Admettons-le, en France le libéralisme n’a pas bonne presse. Il est réduit à une conflictualité sociale, à un chaos économique, à une vilenie humaine dont il faudrait se méfier et s’éloigner. Dans un contresens alimenté par quelques esprits acerbes ou ignorants, l’imaginaire collectif l’associe à des figures autoritaires, à des héros immoraux ou à des épisodes brutaux. Le débat politique le présente comme une idéologie, à la fois dominante et sans cesse vacillante, structurée mais incertaine. La caricature le décrit sous les traits de privilégiés avides, soucieux de leur égoïsme. Tout cela est faux et démontre un manque de culture populaire sur cette école de pensée et son exercice pratique, sur ses acteurs et sur leurs origines. Car, contre l’idée reçue, on ne naît pas libéral, on le devient !
Être libéral, c’est se demander sans cesse comment, en toutes circonstances, rendre chaque individu plus libre de choisir sa vie, en respectant celle des autres. Être libéral, c’est être convaincu que la meilleure voie pour y parvenir est l’autonomie (non l’indépendance) individuelle et l’échange, qui fait croître la richesse et le savoir - et la cohésion sociale par l’entraide. Être libéral, c’est se rappeler que la liberté est fragile et que la défendre est un combat continuellement renouvelé, qui n’accepte pas de solution unique et implique un questionnement permanent.
Le libéralisme ne propose ainsi qu’un guide de lecture, une référence dans toute réflexion : en revenir systématiquement au choix libre et responsable de l’individu, pour que chacun puisse déterminer par soi-même la voie de sa propre conception d’une vie réussie. C’est un goût pour le doute qui impose la modération et le changement en réponse aux déséquilibres sociaux, économiques et culturels. Le libéral assume de se tromper et corrige sa pensée.
Aussi, le libéralisme ne s’hérite pas, il s’acquiert. Les plus convaincus des libéraux et les plus convaincants sont certainement ceux qui, venant de tout horizon social et économique, ont fait un cheminement intellectuel propre à leurs expériences.
Sa quête est celle de la créativité. Être libéral, c’est reconnaître à chacun sa part de talent et d’inventivité – et donc sa légitimité à participer à l’enrichissement intellectuel ou matériel du monde.Le libéral est, très tôt, revêche à toute forme d’autorité qui ne se légitime pas ou qui vient limiter l’épanouissement de l’individu. Il aime, chez Camus, l’aspiration à la révolte philosophique. Il remet sans cesse en question les affirmations. Cet esprit de fronde naît parfois dès l’école, comme chez Stefan Zweig.
Cette indocilité du libéral est une inquiétude, qui le conduit à se méfier de tout pouvoir, surtout démesuré, surtout s’il n’accepte pas la contestation : le libéral est fébrile devant les réflexes courtisans de ceux qui s’aplatissent complaisamment devant le renforcement continu de la puissance publique et son contrôle de nos vies. Il se retrouve dans Tocqueville ou Montesquieu. Il ne peut oublier que, au XXe siècle, c’est l’État, pas l’entreprise, qui a été l’instrument privilégié des pires abominations de l’histoire : le fascisme, le communisme, le nazisme. Le secteur privé n’est pas parfait, mais lui est soumis à la contradiction permanente de la concurrence.
Défier les vérités imposées
La révolte libérale est, plus encore, celle de tous ceux qui, au nom de la dignité de l’individu, ont résisté par les mots ou par les armes, aux totalitarismes : Arendt, Aron, Havel, Voltaire… Un libéral cherche à défendre la liberté des autres, même celle de ses contradicteurs ou celle dont il ne bénéficie pas.
On devient libéral en doutant des choix subis, en défiant les vérités imposées : tous les individus étant égaux, personne n’a le droit de choisir votre vie à votre place sans votre consentement explicite. Le libéral se retrouve dans les combats de Simone Veil pour les femmes. Il est ouvert à une réflexion honnête sur les évolutions de la société : la liberté individuelle sera-t-elle confortée ou amoindrie si la société admet la GPA ou une loi sur la fin de vie ?
Le libéral ne saurait dès lors être conservateur et encore moins réactionnaire, car il refuse les états de fait, il conteste les vérités imposées, il renie les réflexes qui obstruent la pensée. Il s’inquiète, il s’interroge, il doute jusqu’à se forger une conviction intime, conscient qu’elle n’est pas nécessairement partagée.
Le libéral n’est pas non plus un révolutionnaire, car, convaincu de l’égalité entre les individus, il privilégie le droit et la délibération. Il croit à la dignité de chacun et à la légitimité de toutes les paroles. Il se défie de « l’homme providentiel ». Il est démocrate.
Dépasser nos propre limites
Le libéral est dans un questionnement régulier, même en contradiction avec les siens. Avec Germaine de Staël, il s’inquiète des passions - et des populistes qui prétendent clore le débat. Il a appris à dompter les élans emportés de la colère, il plaide pour maîtriser la violence, même légitime. Il refuse tout ce qui attache les individus à une caste et rejette les assignations. Avec Vargas Llosa, il repousse l’obligation d’appartenir à une « tribu » et ne reconnaît que les allégeances choisies.
Sa quête est celle de la créativité. Être libéral, c’est reconnaître à chacun sa part de talent et d’inventivité - et donc sa légitimité à participer à l’enrichissement intellectuel ou matériel du monde.
La quête libérale se réalise souvent dans l’entrepreneuriat, c’est-à-dire dans la recherche du dépassement de nos propres limites, de notre propre finitude, en prenant le risque de créer ce vers quoi ou ceux vers qui conduisent nos aspirations. Est libéral celui qui cherche à créer sa voie. En ce sens, il favorise le marché, car il y voit le meilleur instrument de coordination volontaire de milliards de volontés divergentes.
Certains deviennent enfin libéraux par émotion. Par une répulsion instinctive de l’oppression, de l’injustice, de l’écrasement. Par une bouffée charnelle de liberté. Par une volonté irréductible et indomptable de tromper le sort. Par la découverte d’une force intérieure ou d’une espérance inextinguible. On ne naît pas libéral. On le devient.


Nouveau grand succès pour la conférence de Lignes Droites du 3 avril !
Tous nos remerciements à Monsieur Patrice Michel pour son exposé très pédagogique sur le système judiciaire français, ses liens avec les instances européennes, son histoire, et son organisation au sein des différentes justices administratives, civiles et pénales.
Tous les participants (environ 75 personnes) ont particulièrement apprécié la clarté de cet exposé et quelques idées pour améliorer son efficacité. Deux rappels essentiels ont été fait :
- notre système judiciaire est là pour faire respecter la loi et bon nombre des reproches qui lui sont fait viennent en fait du politique.
- la neutralité de la justice française a été largement entamée par certains individus, en particulier issus du syndicat de la magistrature. Ce devrait être au Conseil Supérieur de la Magistrature de garantir cette neutralité politique. Mais sans doute par corporatisme et lâcheté, il n'intervient pas assez, même face à des situations extrêmes comme celle du "mur des cons". Là encore ce devrait être au politique d'avoir le courage de mener à bien les réformes nécessaires pour s'assurer du bon fonctionnement du Conseil de la Magistrature.

Aujourd’hui, la France traverse un moment décisif. Dans une décision qui ne laisse aucun doute, Marine Le Pen se voit infliger une peine d’inéligibilité, à seulement deux ans des présidentielles. Ce verdict dépasse largement le simple domaine juridique pour s’inscrire dans un affrontement politique direct.
La magistrate Bénédicte de Perthuis affirme s’inspirer d’Eva Joly pour son parcours judiciaire et son engagement en tant que magistrate. Elle l’a d’ailleurs déclaré sans ambiguïté : « Eva Joly a changé mon destin. » lors d’un podcast en 2020. Une phrase forte, qui traduit bien plus qu’une simple admiration professionnelle. On y perçoit une affection profonde pour une figure dont les opinions, notamment sur la justice, sont tranchées et assumées.
Mais Eva Joly, au-delà de son parcours de magistrate, reste aussi un personnage politique clivant, dont l’engagement écologiste et les prises de position marquées ne laissent personne indifférent. L’apprécier, c’est souvent adhérer aussi, d’une certaine manière, à une certaine vision du monde et des combats idéologiques. Dès lors, difficile d’ignorer que cette inspiration, aussi sincère soit-elle, puisse laisser planer un doute sur une possible proximité idéologique.
Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature, connu pour ses positions marquées à gauche et ayant publiquement appelé à voter contre l’extrême droite le 12 juin 2024 ajoute une dimension particulière à cette affaire. Cette prise de position contribue à brouiller la frontière entre engagement idéologique et impartialité judiciaire.
Dès lors, difficile de ne pas voir dans cette condamnation un verdict dont l’écho dépasse le cadre strictement juridique pour résonner sur le terrain politique, au moment même où se prépare une échéance électorale majeure.
Encore plus inquiétant, l’identité des deux assesseurs qui ont participé au verdict reste inconnue, un manque de transparence qui renforce le sentiment d’un coup d’État judiciaire. Ce flou soulève des questions cruciales sur l’impartialité et l’indépendance de notre système judiciaire, surtout à l’approche d’un scrutin historique.
Ce moment demeure un symbole fort : la justice, qui devrait être la gardienne impartiale de nos lois, se retrouve aujourd’hui au centre d’interrogations profondes. Si la magistrate ne revendique pas ouvertement d’engagement politique, son admiration pour une figure aussi marquée qu’Eva Joly, ainsi que le contexte entourant cette décision, peuvent laisser penser que son jugement pourrait être influencé par une certaine orientation idéologique. Cela envoie un message clair à l’ensemble du paysage politique français et soulève inévitablement des questions sur la frontière, de plus en plus ténue, entre justice et politique.
Face à cette situation inédite, la nécessité de transparence s’impose, et il est essentiel que les interrogations sur l’indépendance de la justice soient pleinement abordées. Ce moment marque un tournant dans la vie politique française et pose une question fondamentale : la justice peut-elle encore être perçue comme une institution neutre, ou court-elle le risque d’être influencée par des dynamiques idéologiques qui dépassent son cadre strictement juridique ?
Comme l’ont souligné plusieurs responsables politiques, dans un moment aussi décisif, même si une condamnation doit être prononcée, le fait de rendre Marine Le Pen inéligible à seulement deux ans des présidentielles soulève des doutes légitimes sur la volonté politique et idéologique de l’empêcher d’accéder au pouvoir. Selon des estimations récentes de l’IFOP, Marine Le Pen aurait eu la possibilité d’obtenir entre 34 et 38% des voix au premier tour des présidentielles de 2027, selon plusieurs sondages récents. Cette décision semble dépasser le simple cadre juridique. Ce choix, dans un contexte aussi crucial, appartient au peuple et non à une juridiction.
Il en va de la confiance des 11 millions d’électeurs qui, sans pouvoir débattre, parlementer ou exercer leur droit démocratique, se voient privés de la possibilité de voter pour la représentante politique qui, selon les projections, aurait toutes les chances de jouer un rôle clé dans la politique de 2027. Cette décision semble porter une forme de nonchalance envers ces électeurs, en les privant de la possibilité d’exprimer leur voix de manière libre et démocratique. Ce n’est pas simplement une question de légalité, mais une tentative potentielle de déstabiliser le Rassemblement National, d’affaiblir ses capacités à se renforcer et à atteindre, d’ici 2027, une représentativité de 37% des suffrages, au moment où le débat politique pourrait être radicalement transformé par leur ascension.
NDLR : Merci à Maxime Duclos pour ses billets d'humeur toujours très intéressant. On pourrait ajouter queBénédicte de Perthuis n'avait pourtant pas une réputation de sévérité
particulière puisque c’est elle qui avait prononcé la relaxe du ministre
Olivier Dussopt, jugé pour favoritisme (et finalement condamné
en appel !). Deux poids et deux mesures ?

Par la voix d'Eric Lombard, le ministre de l’économie, Bpifrance annonçait la semaine dernière vouloir collecter 450 millions d’euros auprès des Français pour les entreprises de défense, et la création à cette fin d’un fonds baptisé « Bpifrance Défense », réservé aux particuliers et destiné à la défense et à la cybersécurité.
Voyons le côté positif des choses : les Français vont peut-être enfin découvrir ce qu'est le private equity et ses bienfaits ! Sur la période 2013/2023, les rendements du private equity français ont été de l'ordre de 13% brut. Quelqu'un qui aurait investi 500 € en France dans cette classe d'actifs aurait aujourd'hui un capital net de frais d'environ 1000 €. Sur le papier, cet investissement a donc tout pour plaire avec des entreprises qui existent déjà et qui sont souvent bien implantées, un marché a priori florissant dans les années à venir et a priori une montagne de commandes à venir. Mais comme cela est répété pour toute publicité pour un placement financier : " Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ". Car dans ce cas de figure en particulier, il y a des hics et pas des moindres ... Le problème essentiel n'est pas l'investissement ! Il y a énormément d'épargne et de trésorerie sur le marché actuellement. Le problème essentiel c'est qu'il faut des commandes sur le long terme. Or ces commandes publiques annoncées par les pays européens seront-elles encore là dans cinq ans ?
Il faut souligner plusieurs aspects sur le risque qui porte sur ces commandes publiques en particulier pour la France :
1. Chaque pays européen va investir en fonction de deux logiques :
- diplomatique : certains continueront à acheter du matériel américain quoi qu'il arrive
- industrielle : les commandes seront soumises à des impératifs nationaux pour soutenir l’industrie locale.
On peut donc toujours mettre en avant les investissements prévus pour l'ensemble de l'Europe, l'essentiel des retombées pour l'industrie française seront essentiellement issues de la politique nationale et pas seulement européenne ...
2. Quelle confiance peut-on avoir dans les annonces d'aujourd'hui ? L'Europe a toujours été une vraie girouette sur les sujets relatifs à la défense européenne, à la fois en termes de stratégie et d'investissement.
Encore aujourd'hui, un label ESG dans ce domaine est, de fait, quasi impossible (aux côtés de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent ...).
Même la France qui a pourtant fait partie des bons élèves en termes d'investissement dans le domaine de la défense n'a pas toujours fait preuve d'une réelle constance (en particulier sous Hollande).
Au lendemain d'un inéluctable traité de paix signé entre l'Ukraine et la Russie dans l'année à venir, ou après un hypothétique effondrement du régime russe dont ils rêvent tous, l'hystérie collective de nos dirigeants européens sera-t-elle encore d'actualité ?
3. Acheter des chars est un investissement qui trouvera toujours des détracteurs acharnés dans notre société. Bien malin est celui capable aujourd'hui de nous dire qui sera au pouvoir en France en 2030 à l'échéance de ce fond d'investissement.
4. Comment la France compte tenu de son endettement pourra-t-elle financer ces investissements ? Compte tenu de notre niveau d'endettement, il faudra soit augmenter la fiscalité (mais nous sommes déjà champion du monde ce qui plombe nos entreprises), soit trouver des arbitrages au détriment d'autres dépenses ... Mais quels sont les arbitrages que les français accepteront : la justice ? l'éducation ? La santé ? Je ne vous parle même pas des retraites ! Certains sondages montrent qu'une majorité de Français (et j'en fais partie) est favorable aujourd'hui à cette politique de réarmement ... Mais dès que le même sondage pose des questions sur les moyens de financer cette politique, d'ores et déjà, cette majorité s'effondre. Qu'en sera t'il dans deux ou trois ans ?
La France fait déjà aujourd'hui face à un mur de la dette absolument vertigineux ( la question n'est pas son existence mais la distance à laquelle il se trouve et le temps qu'il nous reste avant qu'on se le prenne en pleine figure) et une incapacité depuis 50 ans à apporter la moindre réforme à son modèle social. Comment peut on considérer sérieusement les annonces d'augmentation du budget français de la défense de plusieurs dizaines de milliards d'euros ?
Bref, ce type de financement peut éventuellement être une poule aux œufs d'or. Il présente aussi des risques intrinsèques majeurs ! Et il faudra regarder en détail l'offre qui sera faite et analyser de manière très prudente les engagements sur les commandes à venir. Mais il est fort à craindre que dans la précipitation, nous soyons en train de mettre la charrue avant les bœufs pour participer au développement de nos entreprises !