L’éducation nationale démantelée ou le chantier de démolition permanent
Un exemple : la récente réforme du lycée

La réforme du lycée, à la rentrée 2019, pour les voies générales et technologiques, avec la suppression des classiques filières S, ES et L au profit d'un enseignement de tronc commun1 assorti de trois2 enseignements de spécialité (au choix parmi douze) est un véritable fiasco conçu par des technocrates illuminés. Et ceci, soi-disant, pour favoriser découverte et épanouissement des lycéens, ces pauvres chéris ô combien martyrisés par « les matières traditionnelles ».
Pourquoi ?
Constats :
1. D’une part, ces derniers et notamment les moins accompagnés (euphémisme), ont cru bon de délaisser des matières essentielles pour lesquelles ils n’avaient pas un goût particulier ou par attirance ou non de tel ou tel professeur, ou encore par intérêt du « fun » (langage djeun) et du moindre effort. Donc ils ont fait comme chez Mc Do, menu à la carte avec beaucoup de sucreries, sans se soucier de leur régime à venir.
2. D’autre part, les parents (les moins sachants) perdus dans cet embrouillamini de spécialités et n’arrivant plus à identifier les orientations futures ou conséquences de tel ou tel choix, s’en sont remis aux sélections de leurs chérubins ou pire au jeu de l’oie !
Conséquences immédiates :
1.Cette réforme a suscité un mécontentement général des enseignants des matières dites générales (maths, physique, langues, …) qui ont vu leurs quotas d’heures diminués par classe et leurs disciplines régresser (tant en effectif qu’en niveau) voir par ex note 3.
2.Un casse-tête au niveau des personnels chargés des emplois du temps et de l’organisation du fonctionnement des lycées.
3.Un désespoir des parents et de certains élèves qui se sont aperçus un peu tard (Parcoursup) qu’ils n’avaient pas pris les « bonnes spécialités ».
4.Disparition de la classe traditionnelle, lieu de socialisation et de repère pour les élèves qui sont regroupés maintenant tout au long de la semaine au gré des enseignements de tronc commun, de spécialités et d’options. Cette nouveauté rend très difficile et aléatoire l’étude des dossiers des élèves de Terminale pour leur orientation dans le supérieur.
Conséquences à court terme :
1.Une inadéquation des connaissances attendues versus le prolongement dans le supérieur alors que des coups de boutoirs ont été dispensés par le ministère et comités Théodule associés envers les établissements du supérieur afin qu’ils adaptent leurs « sélections » d’entrée de candidats au « souk » engendré, heureusement, encore, sans trop de succès pour le recrutement de la rentrée 2021.
2.La réforme du lycée est bien avancée quand les services ministériels s’aperçoivent qu’il n’y aura pas d’adéquation entre le programme de terminale et les différentes CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles). Des commissions sont mises en place rapidement pour adapter les filières et les programmes. Cela n’aura pas de grandes conséquences (du moins au niveau des programmes et des filières) pour les classes scientifiques et littéraires. En revanche, l’évolution est nette pour la voie économique.
Il y avait auparavant 3 filières dans cette voie, correspondant aux différentes voies du baccalauréat : scientifique, économique et technologique. La filière technologique ne sera pas touchée, pour l’instant. Pour les deux autres, les lycéens pourront choisir entre quatre voies possibles qui correspondent à peu près aux choix de spécialités proposés dans le second cycle :
a. Maths approfondies/Economie
b. Maths approfondies/Histoire, Géopolitique
c. Maths appliquées/Economie
d. Maths appliquées/Histoire, Géopolitique
En théorie, aucun des choix faits par les lycéens au niveau de leurs spécialités en 1ère ou Terminale ne pourra les empêcher de candidater en CPGE ECG (Ecoles de Commerce et de Gestion). Quand on lit les intitulés des quatre voies possibles, commençant tous par « Maths », et que l’on connaît le volume horaire et le coefficient de cette matière en prépa économique, il sera très difficile pour un élève ayant abandonné les mathématiques en fin de seconde d’envisager une orientation couronnée de succès dans cette voie !
Conséquences à moyen/long terme :
1.Un déclin du choix des matières scientifiques par les lycéens (abandon des Maths par environ 45% des élèves, cf. réf 1) alors que le besoin national pour des formations dans ces disciplines est absolument avéré pour les décennies à venir (un manque évalué à 20 - 35% par an).
2. La réforme des CPGE est entrée en vigueur en septembre 2021, la baisse des effectifs est immédiate : -13%. La réaction des autorités ne se fait pas attendre : fermeture de classes annoncées dès le mois de novembre, réduction de la capacité d’accueil pour d’autres et à terme bien d’autres fermetures. Bien entendu, les classes fermées ne se trouvent pas dans les lycées prestigieux ou de centre-ville, mais dans les lycées dits de proximité, là où l’ascenseur social est à l’œuvre grâce à ces classes.
Les écoles de commerce, quant à elles, ont commencé à anticiper cette évolution en ouvrant à fond les places en Bachelor (titre et non diplôme de niveau bac+3, sauf pour certaines écoles accréditées au niveau national).
Si cette évolution n’est pas enrayée, le pays devra se passer, à moyen terme, de cadres supérieurs bien formés au niveau Master.
Le point 1 a été particulièrement mis en exergue (ref 1) par les représentants de la communauté scientifique, technique, éducative et de recherche en mathématiques, et plus généralement en sciences, dans une tribune du Monde de l’Education du 15/03/2022 à l’occasion d’une réunion d’un comité d’experts (comité installé le 16/02/2022 par le ministre de l’Education nationale), comité présidé par la même personne aux manettes de la réforme du lycée, sur l’enseignement des mathématiques pour rendre ses préconisations au ministre.
Selon la référence 4, "toutes les disciplines de spécialités scientifiques accusent une baisse d’heures importante, exceptée l’informatique. Globalement, la formation scientifique baisse de 17.5 % en volume alors que le nombre d’élèves ne baisse que de 3 %. Par discipline, la baisse en volume est de 31 % en SVT, 35 % en physique-chimie, 38 % en mathématiques, et 75 % en SI".
"sur tous les élèves de terminale générale, 200 000 suivaient un parcours scientifique en terminale S en 2019. En 2020, 165 000 élèves ont des parcours scientifiques, et plutôt 155 000 en 2021 selon les premières estimations de la DEPP. La baisse du nombre d’élèves en parcours scientifiques est donc d’environ 20 %".
Par ailleurs, en sortant les maths du tronc commun en 1ère et Terminale, les chiffres montrent que la réforme creuse le fossé entre les élèves (ref 2). Fossé entre les garçons et les filles qui, pour des raisons de stéréotype de genres, ont tendance à abandonner plus facilement la matière (a). Fossé aussi entre les élèves issus de milieux défavorisés et ceux de familles CSP + qui bénéficient davantage de soutien scolaire en cas de difficulté mais aussi d'informations sur les stratégies d'orientation (b).
a) Parmi les élèves de 1ère ayant choisi la spécialité maths, on comptait 50,1 % de filles en 2019, 48,5 % en 2020 et 48,1 % en 2021 et parmi les Terminales ayant gardé la spé maths, seuls 41,9 % des élèves étaient des filles en 2020, 39,8 % en 2021 selon les statistiques de l'Education nationale.
b) Les élèves très favorisés sont surreprésentés parmi les Terminales ayant choisi la spécialité maths (48 %) et les plus défavorisés sont surreprésentés en littérature (35 %) selon mêmes stats.
Il y a urgence à revoir le processus d’accès aux études scientifiques et techniques (ref 3), face au recul important du nombre d’élèves, passé en cinq ans de 193 000 bacheliers scientifiques à 79 000. De plus, malgré un réel effort pour attirer plus de jeunes filles, le taux de féminisation plafonne à 27 % depuis cinq ans dans nos écoles d’ingénieurs et reste en deçà de 28 %, en moyenne, dans les entreprises. Ceci n’est pas sans conséquence pour la réindustrialisation de la France et les métiers d’avenir (technologie dites 4.0).
De même cela aura des conséquences sur le PIB de notre pays. Décrochage de plus en plus important du PIB/habitant en France par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE depuis 30 ans. Si en 2012 l’écart de PIB/habitant était de 7% entre l’Allemagne et la France (34,13K€/31,8K€), il est passé à 18% en 2020 (40.12K€ vs 34K€) !
Perspectives
A L’issue des consultations et des efforts des représentants mentionnés ci-dessus, le comité de consultation de la place des maths au lycée a remis ses propositions au ministre de l'Éducation nationale. Il recommande d'ajouter 1h30 à 2h de maths en première dès la rentrée 2022 pour les élèves qui ne suivront pas la spécialité maths, et de réfléchir aux programmes pour la rentrée 2023.
Concrètement, les auteurs suggèrent d'ajouter ces temps dédiés aux maths dans le programme d'enseignement scientifique. La matière deviendrait alors "ESM" (enseignement scientifique et mathématique) et passerait de 2h actuellement à 3h30 ou 4h. Cet ajout concernerait uniquement les élèves n'ayant pas pris la spécialité mathématiques.
Le comité a toutefois ouvert quelques pistes pour la rentrée 2023 :
·donner accès à l'ESM à tous les élèves de première, y compris ceux ayant la spécialité maths ;
·revoir les programmes de mathématiques en seconde, en spécialité de première et en option complémentaire en terminale ;
·ouvrir l'option maths complémentaires aux élèves n'ayant pas suivi la spécialité maths en première.
Il faut continuer, à l’instar de certaines institutions ou collectifs (par ex voir ref 5 et 6) de prendre en compte ces problèmes afin d’envisager un avenir plus serein.
Conclusions :
Souhaitons que le prochain ministre de l’EN du futur gouvernement ne soit pas encore pris d’une frénésie de destruction (ou déconstruction pour employer un terme à la mode) en décidant d’une nouvelle réforme et mette fin à cette course néfaste qui entraine le « casse du siècle4 permanent ».
Le Ministère de l’Education Nationale (MEN) doit cesser d’être un laboratoire d’expérimentations plus ou moins farfelues, piloté par des inspecteurs généraux bien éloignés du terrain et autres conseillers idéologues ou cabinets de conseils mandatés.
Les enfants, leurs parents, le corps enseignant méritent mieux et l’avenir de notre nation dans la formation des futurs cadres en dépend.
STOP au MENgate !!
Notes
1 pour les élèves de première, seules deux heures d'enseignement scientifique sont enseignées dans le tronc commun par semaine.
2puis 2 en terminale
3 l es mathématiques sont la matière qui a perdu le plus grand nombre d'heures d'enseignement entre 2018 et 2020 en première et en terminale. Bien que la spécialité mathématiques demeure la plus choisie par les élèves de terminale générale, le nombre d'heures dispensées par les professeurs de mathématiques a chuté de plus 18% sur cette période, ce qui représente 33.500 heures en moins. N’est-ce pas là la véritable raison de la Réforme ? l’Education Nationale peine à recruter des enseignants, en particulier de mathématiques. Sous couvert de discours ministériel moderniste, la baisse de l’horaire de mathématique pallie en fait la faiblesse du recrutement.
4casse initié depuis 1969 (XX siècle) et perdure depuis le début du XXI siècle
Références
1 Article Le Monde de l’Education du 15/03/2022 signé par le Collectif des sociétés savantes et associations de mathématiques, astronomie et astrophysique, biométrie, biophysique, informatique, ingénieures, physique, physique-chimie, classes préparatoires scientifiques.
2 Article de la Provence par Laurence Mildonian publié le 21/02/2022 et entretien avec Cédric Villani
3 Livre Blanc de L’IESF : Face aux défis du XXI siècle les Propositions et Recommandations des Ingénieurs et Scientifiques de France, publié le 22 novembre 2021.
4 Dépêche AEF n°667670 Enseignement / Recherche - Enseignement scolaire, rédigé par Erwin Canard, publiée le 18/02/2022.
5 Nous, polytechniciennes, nous nous unissons pour promouvoir les mathématiques auprès des jeunes filles ». Les mathématiques offrent des possibilités de carrières infinies et une rigueur nécessaire dans un monde surinformé, expliquent, dans une tribune au « Monde », cinquante polytechniciennes, parmi lesquelles Karine Berger, Nathalie Kosciusko, Catherine Sueur et Estelle Brachlianoff. Par Collectif de l’X Publié le 31 mars 2022 à 13h00.
6 La mission sénatoriale sur le "bilan des mesures éducatives du quinquennat" a rendu ses conclusions le 23 février 2022.







