L'art météore
- par Alain Dubois
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- 26 déc., 2017
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La culture est-elle encore perçue comme, notamment, la « fructification des dons naturels permettant à l'homme de s'élever au-dessus de sa condition initiale et d'accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur » (Trésor de la Langue Française informatisé) ?
I. Problème. Le 26 décembre 1986, dans un débat qui l’opposa à Guy Béart dans l’émission Apostrophe présentée par Bernard Pivot, Serge Gainsbourg affirma : « un art majeur demande une initiation, pas un art mineur, comme les conneries que nous faisons nous ». Il précisa que l’on entend par art majeur : « l’architecture, la peinture, la musique classique, la littérature et la poésie ». Sans doute doit-on ajouter la sculpture, nous interroger sur la photographie et le cinéma (d’aucuns évoquent en sus les jeux-vidéo) et, enfin, avancer que par « musique classique », Serge Gainsbourg faisait référence à la grande musique (ou musique savante), dont le classique n’est qu’une période inscrite entre le baroque et le romantique.
Ainsi s’opposait-il à l’idéologie du relativisme culturel ou moral, qui prétend que tout se vaut, que tout est opinion, qu’il n’y a plus de divergences mais que des désaccords, qu’il n’y a plus des maîtres et des élèves, qu’une œuvre de Tchaïkovski n’est pas supérieure à une chanson de Madonna, qu’un texte de IAM vaut Rimbaud. Somme toute proclame-t-il la fin du discernement. En effet, avec le relativisme, « il n’y a plus ni vérité ni mensonge, ni stéréotype ni invention, ni beauté ni laideur, mais une palette infinie de plaisirs, différents et égaux. La démocratie qui impliquait l’accès de tous à la culture se définit désormais par le droit de chacun à la culture de son choix (ou à nommer culture sa pulsion du moment). » (Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Folio essais).
Bien que difficile, toute tentative de hiérarchisation des arts et des œuvres, s’inscrit dans une démarche qui, contrairement au relativisme, n’autorise pas un certain nombre de discours insatisfaisants du type : « une bande dessinée qui combine une intrigue palpitante avec de belles images vaut un roman de Nabokov ; (…) un slogan publicitaire efficace vaut un poème d’Apollinaire (…) ; un beau match de football vaut un ballet de Pina Bausch ; un grand couturier vaut Manet, Picasso, Michel-Ange ; l’opéra d’aujourd’hui – "celui de la vie, du clip, du jingle, du spot" – vaut largement Verdi ou Wagner » (idem). C’est ainsi que « ce n’est plus la grande culture qui est désacralisée (…) ce sont le sport, la mode, le loisir qui forcent les portes de la grande culture. L’absorption vengeresse ou masochiste du cultivé (la vie de l’esprit) dans le culturel (l’existence coutumière) est remplacée par une sorte de confusion joyeuse qui élève la totalité des pratiques culturelles au rang des grandes créations de l’humanité. » (Idem). Par où est avenu le « triomphe de l’indistinction » et par là l’obligation de « couvrir de la même étiquette culturelle l’auteur des Essais et un empereur de la télévision » (idem).
Les individus s’abandonnant à un rapport de consommateurs avec la science et la culture, « ce ne sont pas les cultures en tant que telles qu’ils apprécient, mais leur version édulcorée, la part d’elles-mêmes qu’ils peuvent tester, savourer et jeter après usage » (idem). Ainsi s’étend le règne de la quantité sur la qualité. Il en va de même de certains étudiants, qui consomment les cours en empruntant le regard de poissons sur un train de marchandises, a fortiori lorsqu’ils sont invités à être démonstratifs et ainsi à sortir du « je résonne » (le par cœur) pour embrasser le « je raisonne » (la réflexion).
Or, le relativisme, en prétendant que tout est relatif et en éliminant la distinction entre le vrai et le faux, s’oblige malgré lui à être précisément un principe relatif : il est donc auto-réfutatif. Soit s’autodétruit-il, soit confère-t-il une égale valeur à son opposé : l’absolutisme ou la hiérarchisation. Il n’est pas question de défendre ici la culture dans la douleur ; nous avons incommensurablement joui avec d’abondantes œuvres issues de l’art mineur. Mais nous nous sommes toujours efforcés de prendre acte de la virtuelle supériorité d’œuvres sur d’autres. Il y a de même du mineur dans l’art majeur et du mineur dans l’art mineur, etc. Le rap nous en offre d’édifiantes illustrations.
II. Illustration. Bien qu’il soit excessif de qualifier le rap de « sous-culture d'analphabètes » (Éric Zemmour, L’hebdo, France Ô), nous constatons que les textes sont souvent d'une « misère poétique affligeante » (Alain Finkielkraut, Esprits libres, France 2) et la musique d'une pauvreté inouïe. Ainsi nous a-t-il été suggéré d'écouter l'album « Le chant des sirènes » de Orelsan. Dont acte.
Les thèmes. Ils ne s’organisent certes pas autour du triptyque classique qui éloigne le rap d’un certain universalisme : banlieues – ethnique – délinquance ou religion. En effet, « le rap français est une musique d’installation (…) le métissage revendiqué parfois n’a rien à voir avec l’interpénétration universaliste en acte dans la musique rock. » (Paul Yonnet, « Rap, musique, langage, violence, sexe », Le débat, 2000/5 n° 112). Mais les thèmes abordés par Orelsan sont souvent naïfs, décousus, immatures et vulgaires, au sens « d’ordinaire, de courant, de conventionnel ; qui perd tout intérêt du fait de sa fréquence, de sa répétition » (TLFi). Ils se limitent généralement en effet à l'alcool, aux soirées, aux filles et... à Orelsan lui-même ! Très centré sur ses petites histoires peu intéressantes, il n’a presque que son individualité à montrer. Avec Alain Finkielkraut, nous aimerions « une musique qui s’ouvre davantage à toute la gamme des émotions humaines » (Alain Finkielkraut, Avant premières, France 2). Son œuvre – le ton de sa voix est à ce titre édifiant – témoigne d’une obsession à se plaindre. Par où « le phrasé du rap est une sorte de monotonie de la vitupération » (idem). On a pu dire « qu’il cite quand même l’Odyssée et Le Chant des sirènes » (Avant premières, France 2) ; c’est dire à quel point on attend peu culturellement de ces textes. Orelsan se réfère mais sans prétention littéraire ou du moins sans présenter un niveau de lecture sophistiqué. Au mieux cela donne-t-il un aspect intellectualisant à son œuvre, tout comme « Quelque chose de Tennessee », pour Johnny Halliday.
Sur le fil du rasoir pouvons-nous tempérer ces propos, non sans réserve, en citant Paul Yonnet pour qui « la violence du rap, pour évoquer la ville, le monde, le sexe ou les rapports sociaux, est la dernière chose à lui reprocher. Celle-ci est contrainte par des conditions exogènes et, s’il y a un regret à formuler, il serait à constater la relative impuissance des rappeurs à sublimer les contraintes dont ils sont nés et la rareté des talents à réussir à s’en libérer. » (Paul Yonnet, idem). Pour autant, « les gens sont enfermés, emprisonnés dans un jargon sinistre qui, précisément, ne leur fait rien voir de la réalité du monde. Qu’est-ce vous voyez du monde dans des textes comme ça ? Rien. Au lieu de les sortir de leur prison, on s’extasie et on leur dit : "bravo". Il y a là une idolâtrie, un fétichisme absolument dérisoire et cela me fait à la fois rire et pleurer » (Alain Finkielkraut, Esprits libres, France 2). En tout état de cause, le rap demeure majoritairement « [l']expression de micro-sociétés masculines ou entièrement dominées par les hommes". À ce titre, par exemple – et c’est courant – il "trahit volontiers une sensibilité antihomosexuelle, tout autant qu’il se caractérise, on le sait, par un langage dominateur ou outrancier vis-à-vis des femmes » (Paul Yonnet, idem).
Les paroles[1]. L'esthétique est incroyablement laide, les rimes sont d’une pauvreté édifiante. D’aucuns disent qu’il s’agit de poésie. Est-ce parce que l’on n’a pas la même définition de la poésie ? Est-ce la question essentielle ? Nous ne limitons pas notre critique à des questions de versification ou de règles prosodiques particulières. Nous évoquons plus le degré que la nature : c’est poétiquement pauvre, notamment au regard de l’esthétique des vers, des rimes, de la mise en valeur du rythme, de l'harmonie et des images.
En outre, « "Baise-moi", "nique ta mère", "enculé" (…) On ne mesure pas à quel point cette apparition des expressions rares ou extrêmes dans l’ordinaire et la diffusion de masse a pu transformer la sensibilité, ce qu’elle signifie en termes de perte de la sensibilité aux mots. C’est l’un des multiples aspects de la vaste reconfiguration du ciel de l’acceptable et de l’interdit dans lequel évoluent à présent les individus, la voûte remaniée sous laquelle ils respirent. » (Paul Yonnet, idem).
Doit-on pour autant juger le rap qu’à l’aune de ses textes ? Ils sont écrits (ce sur quoi porte notre critique) mais ils sont aussi déclamés et s'insèrent dans une rythmique (ce sur quoi notre critique porte peu). Orelsan ne dit rien d’important sur l’adolescence et autres des thèmes qu’il aborde. Ne confondons pas le thème et la façon de le traiter. La littérature donne une cathédrale d’exemples de traitement majestueux de thèmes banals qu’elle sublime. Il y a bien plus saisissant et instructif à lire sur les objets abordés par ce rappeur. Qu’importe d’ailleurs qu’Orelsan aborde ici ou là un thème majeur. Lui apporte-t-il pour autant (le prétend-il ?) des réponses intéressantes. Alors on va chercher chez lui, dans les sensations fortes du rap, une critique nihiliste du néant dénonçant notre société d’individus en perte de sens. Or, il y a d’autres voies. Que nous montre Orelsan de ces autres voies ? Il réussit l’exploit d’enfoncer superficiellement des portes ouvertes. Parfois s’esquisse un fond de vérité… dans un océan de stéréotypes ; d’une sensibilité et d’une subtilité peu développées. Le grand artiste est-il celui qui sait sortir du temps et de l’espace ? Ici, assiste-t-on tout au plus à l’expression de sus et de vécus assez communs, dont on n’a pas grand-chose à extraire. Nous ne voyons pas vraiment ce qu’il nous montre du monde, ce qu’il y a à retenir de tout cela.
La musique. En général d’une pauvreté abyssale. Notamment, parce qu'elle est asservie par le texte, elle ne laisse aucune place à une quelconque virtuosité. Décontextualisée, une lecture de la plupart des partitions de cet albums ne pourra que renforcer ce sentiment. Qui partirait à la recherche de ces partitions pour les interpréter avec son instrument ? C’est extrêmement simpliste…
Certes, le rap ne semble pas prétendre ou essayer de produire une musique savante ou élaborée. Au fond, nous y venons précisément parce c’est ce qu’il nous reste à voir après avoir évincé les textes pour les raisons précédemment évoquées. En offrant une si faible place à la virtuosité et en étant en somme aussi creuse, elle ne porte, elle aussi, à nos yeux que très peu d’intérêt.
Par surcroit, le rap est un genre esthétiquement mineur dans la musique populaire ou mineure. Par exemple, le heavy métal est sans doute à classer dans l’art mineur, bien qu’il lui arrive d’osciller, selon les œuvres, entre le mineur et le majeur (v. par ex. Dream Theater). Contrairement au rap, on y trouve souvent des compositions élaborées, couramment écrites par des musiciens talentueux, qui cherchent à déployer une certaine rigueur et créativité. Malgré tout, le talent des musiciens ne suffit pas. Encore faut-il qu’ils cherchent à composer de belles choses. Or, il ne semble pas que le rap les oblige à rechercher une musique élaborée. Quelques éléments, certes insuffisant en soit pour juger de la qualité musicale d’une œuvre, s’inscrivent dans un faisceau d’indice pouvant montrer que le heavy metal est supérieur au rap (en général et si l’on sélectionnait les meilleurs œuvres des deux genres respectifs) : le heavy métal déploie des auteurs-compositeurs-interprètes, de très bons musiciens et notamment de bons chanteurs (v. par ex. Bruce Dickinson), des partitions qui attirent des musiciens du monde entier (qui, par exemple, les interprètent sur YouTube). Alors que dans le rap, c’est plutôt le texte qui sera interprété, la musique reste l’accessoire au service du texte et asservie par ce dernier), des solos de guitare (ce qui marque la volonté de produire une musique travaillée). De même, le heavy métal est plus technique, il dégage une vraie rigueur ou vigueur musicale. La technicité peut produire de mauvais résultats, mais s’inscrit tout de même aussi dans le faisceau d’indices. Revenons au relativisme.
III. Réponse. Lors d’un débat sur la musique d’Orelsan, nous offrions à nos interlocuteurs Vivaldi comme exemple d'une musique riche. L'outrance ressentie par notre réponse fut édifiante : tout ne se vaut pas, une possible hiérarchisation des œuvres n'est pas sans fondement rationnel. Certes Orelsan n’a sans doute pas l’ambition de créer un objet aussi grand (le put-il). Il n’en demeure pas moins évident que les partitions (notamment) de Vivaldi sont supérieures à celles dudit rappeur.
Au fond, il est moins question du goût (j’aime ou je n’aime pas) que de la richesse artistique de l’œuvre (notamment sa beauté). N’avons-nous jamais vu un film qui nous a déplu mais dont nous reconnaissons la réussite artistique objective ? Un film dont nous pensons qu’il va faire date ? Orelsan ne fera pas date (et) pour de bonnes raisons : il n’y a rien de grandiose chez lui. Le goût et le beau sont deux cercles qui s'entrecroisent. Nous aimons des œuvres que nous considérons comme mineures et inversement. L’objet de ce propos n’est pas, avant tout, d’oser reprocher à quiconque d’aimer ou non telle ou telle d’œuvre mais de dénoncer l’infâme supercherie conduisant à tout égaliser, à considérer que tout se vaut. L’art, « expression dans les œuvres humaines d’un idéal de beauté » (TLFi), transmute en météore, « celui qui éblouit de façon vive mais passagère » (idem).
Reste que la question est double : peut-on hiérarchiser les œuvres, par exemple selon un modèle majeur/mineur, et quelle frontière pour cette distinction ? Pourquoi des œuvres d’art traversent-elles le temps et l’espace ? Peut-être en partie parce qu’il y a un processus de rationalisation diffuse à l’œuvre, une sélection darwinienne des œuvres (Raymond Boudon, Le relativisme, Puf). Si certains jugements esthétiques relèvent du goût, d’autres s’accompagnent du sentiment qu’ils sont fondés sur des raisons ayant vocation à être partagées (transsubjectives). Si la liste des classiques littéraire et artistique apparaît stable dans le temps, c’est qu’elle résulte de raisons partagées (idem). Au fond est-on étonné que l’œuvre de Tchaïkovski, de Baudelaire ou de Hemingway ait survécu ? La capacité d’un artiste de produire une œuvre à dimension universalisante pouvant traverser le temps et l’espace demeure sans doute un indice qualitatif permettant de penser ce qu’est une grande œuvre, un grand artiste.
La distinction mineur/majeur est certes cohérente au sein d’un paradigme, d’une théorie ou d’axiomes et de conceptions esthétiques. Bien entendu, l’on peut rejeter cela et poser comme axiome, par exemple, la vulgarité au sommet des critères d’esthétique : alors, Orelsan sera considéré comme majeur et la musique classique comme mineure. Or, sous réserve de l’étendue de toute notre incompétence en la matière, les fondements de la hiérarchisation des œuvres, de la classification majeur/mineur et du classement de la musique classique au sommet nous semblent être bien plus probants… Disons qu’ils conduisent à placer au sommet et à retenir des œuvres qui ont bien plus à nous montrer du monde.
Peut-être une certaine éducation musicale, a développé chez nous une sensibilité propre à « suranalyser » des œuvres et parfois à souffrir excessivement d’une laideur latente et en expansion. Sur un objet, certes assez différent, Marc Lambron a développé l’idée d’une souffrance de l’intelligence : « un rapport assez aigu à l’intelligible. Quand on a ces grilles de lecture et qu’on entre dans la bouffonnerie et une certaine vulgarité (…) du monde contemporain, une certaine arrogance d’une forme d’inculture sidérante (…), le crédit qui est fait d’effrayantes, de stupéfiantes fariboles, fait que les intelligences un peu raffinées ou décrypteuses peuvent se sentir personnellement atteintes voire bafouées (…). Plus les capteurs sont affinés, plus une certaine douleur peut être ressentie et intensifiée » (Émission Répliques, France culture, 3 juin 2017).
Alain Dubois
[1] Voici quelques extraits, parmi les plus laids, de l’album :
« Ça m'énerve pas, je respecte
Je fais comme Rocky dans la réserve : je m'en bats les steaks (…)
En route vers le succès, j’me fais sucer dans l'train
J’trouve la plénitude au sens propre : complètement plein (…)
T'es p'tit, tu t'réveilles en pleine nuit
T'entres dans la chambre de tes parents sans frapper... Mauvaise idée ! (…)
Quand j'veux être au calme, j'squatte chez elle
Elle fait l'ménage et la cuisine, j'fais les courses et la vaisselle (…)
J'suis pas mûr pour fonder une famille, d'accord
Mais c'est pas une raison pour serrer chaque fille qui m'aborde, non ? (…)
J’prends l'volant après quinze vodkas, j’conduis bizarrement
J’parle de Super Mario Kart sur Wii : évidemment ! (…)
Une sorte de Blanc qui s’prend pour un Chintok
J’essaye de sortir plus de classiques que les usines Reebok (…)
J’écris avec le sang d’une vierge des versets diaboliques
J’viens détourner plus de gosses que l'Église Catholique (…)
On m’a dit : "Tais-toi, nettoie"
Hey, pauvre conne : lèche-moi les noix, cochonne : mets-toi des doigts (…)
Bimbadabim bimbadaboum
Ils sont coooooooools »


Nouveau grand succès pour la conférence de Lignes Droites du 3 avril !
Tous nos remerciements à Monsieur Patrice Michel pour son exposé très pédagogique sur le système judiciaire français, ses liens avec les instances européennes, son histoire, et son organisation au sein des différentes justices administratives, civiles et pénales.
Tous les participants (environ 75 personnes) ont particulièrement apprécié la clarté de cet exposé et quelques idées pour améliorer son efficacité. Deux rappels essentiels ont été fait :
- notre système judiciaire est là pour faire respecter la loi et bon nombre des reproches qui lui sont fait viennent en fait du politique.
- la neutralité de la justice française a été largement entamée par certains individus, en particulier issus du syndicat de la magistrature. Ce devrait être au Conseil Supérieur de la Magistrature de garantir cette neutralité politique. Mais sans doute par corporatisme et lâcheté, il n'intervient pas assez, même face à des situations extrêmes comme celle du "mur des cons". Là encore ce devrait être au politique d'avoir le courage de mener à bien les réformes nécessaires pour s'assurer du bon fonctionnement du Conseil de la Magistrature.

Aujourd’hui, la France traverse un moment décisif. Dans une décision qui ne laisse aucun doute, Marine Le Pen se voit infliger une peine d’inéligibilité, à seulement deux ans des présidentielles. Ce verdict dépasse largement le simple domaine juridique pour s’inscrire dans un affrontement politique direct.
La magistrate Bénédicte de Perthuis affirme s’inspirer d’Eva Joly pour son parcours judiciaire et son engagement en tant que magistrate. Elle l’a d’ailleurs déclaré sans ambiguïté : « Eva Joly a changé mon destin. » lors d’un podcast en 2020. Une phrase forte, qui traduit bien plus qu’une simple admiration professionnelle. On y perçoit une affection profonde pour une figure dont les opinions, notamment sur la justice, sont tranchées et assumées.
Mais Eva Joly, au-delà de son parcours de magistrate, reste aussi un personnage politique clivant, dont l’engagement écologiste et les prises de position marquées ne laissent personne indifférent. L’apprécier, c’est souvent adhérer aussi, d’une certaine manière, à une certaine vision du monde et des combats idéologiques. Dès lors, difficile d’ignorer que cette inspiration, aussi sincère soit-elle, puisse laisser planer un doute sur une possible proximité idéologique.
Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature, connu pour ses positions marquées à gauche et ayant publiquement appelé à voter contre l’extrême droite le 12 juin 2024 ajoute une dimension particulière à cette affaire. Cette prise de position contribue à brouiller la frontière entre engagement idéologique et impartialité judiciaire.
Dès lors, difficile de ne pas voir dans cette condamnation un verdict dont l’écho dépasse le cadre strictement juridique pour résonner sur le terrain politique, au moment même où se prépare une échéance électorale majeure.
Encore plus inquiétant, l’identité des deux assesseurs qui ont participé au verdict reste inconnue, un manque de transparence qui renforce le sentiment d’un coup d’État judiciaire. Ce flou soulève des questions cruciales sur l’impartialité et l’indépendance de notre système judiciaire, surtout à l’approche d’un scrutin historique.
Ce moment demeure un symbole fort : la justice, qui devrait être la gardienne impartiale de nos lois, se retrouve aujourd’hui au centre d’interrogations profondes. Si la magistrate ne revendique pas ouvertement d’engagement politique, son admiration pour une figure aussi marquée qu’Eva Joly, ainsi que le contexte entourant cette décision, peuvent laisser penser que son jugement pourrait être influencé par une certaine orientation idéologique. Cela envoie un message clair à l’ensemble du paysage politique français et soulève inévitablement des questions sur la frontière, de plus en plus ténue, entre justice et politique.
Face à cette situation inédite, la nécessité de transparence s’impose, et il est essentiel que les interrogations sur l’indépendance de la justice soient pleinement abordées. Ce moment marque un tournant dans la vie politique française et pose une question fondamentale : la justice peut-elle encore être perçue comme une institution neutre, ou court-elle le risque d’être influencée par des dynamiques idéologiques qui dépassent son cadre strictement juridique ?
Comme l’ont souligné plusieurs responsables politiques, dans un moment aussi décisif, même si une condamnation doit être prononcée, le fait de rendre Marine Le Pen inéligible à seulement deux ans des présidentielles soulève des doutes légitimes sur la volonté politique et idéologique de l’empêcher d’accéder au pouvoir. Selon des estimations récentes de l’IFOP, Marine Le Pen aurait eu la possibilité d’obtenir entre 34 et 38% des voix au premier tour des présidentielles de 2027, selon plusieurs sondages récents. Cette décision semble dépasser le simple cadre juridique. Ce choix, dans un contexte aussi crucial, appartient au peuple et non à une juridiction.
Il en va de la confiance des 11 millions d’électeurs qui, sans pouvoir débattre, parlementer ou exercer leur droit démocratique, se voient privés de la possibilité de voter pour la représentante politique qui, selon les projections, aurait toutes les chances de jouer un rôle clé dans la politique de 2027. Cette décision semble porter une forme de nonchalance envers ces électeurs, en les privant de la possibilité d’exprimer leur voix de manière libre et démocratique. Ce n’est pas simplement une question de légalité, mais une tentative potentielle de déstabiliser le Rassemblement National, d’affaiblir ses capacités à se renforcer et à atteindre, d’ici 2027, une représentativité de 37% des suffrages, au moment où le débat politique pourrait être radicalement transformé par leur ascension.
NDLR : Merci à Maxime Duclos pour ses billets d'humeur toujours très intéressant. On pourrait ajouter queBénédicte de Perthuis n'avait pourtant pas une réputation de sévérité
particulière puisque c’est elle qui avait prononcé la relaxe du ministre
Olivier Dussopt, jugé pour favoritisme (et finalement condamné
en appel !). Deux poids et deux mesures ?

Par la voix d'Eric Lombard, le ministre de l’économie, Bpifrance annonçait la semaine dernière vouloir collecter 450 millions d’euros auprès des Français pour les entreprises de défense, et la création à cette fin d’un fonds baptisé « Bpifrance Défense », réservé aux particuliers et destiné à la défense et à la cybersécurité.
Voyons le côté positif des choses : les Français vont peut-être enfin découvrir ce qu'est le private equity et ses bienfaits ! Sur la période 2013/2023, les rendements du private equity français ont été de l'ordre de 13% brut. Quelqu'un qui aurait investi 500 € en France dans cette classe d'actifs aurait aujourd'hui un capital net de frais d'environ 1000 €. Sur le papier, cet investissement a donc tout pour plaire avec des entreprises qui existent déjà et qui sont souvent bien implantées, un marché a priori florissant dans les années à venir et a priori une montagne de commandes à venir. Mais comme cela est répété pour toute publicité pour un placement financier : " Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ". Car dans ce cas de figure en particulier, il y a des hics et pas des moindres ... Le problème essentiel n'est pas l'investissement ! Il y a énormément d'épargne et de trésorerie sur le marché actuellement. Le problème essentiel c'est qu'il faut des commandes sur le long terme. Or ces commandes publiques annoncées par les pays européens seront-elles encore là dans cinq ans ?
Il faut souligner plusieurs aspects sur le risque qui porte sur ces commandes publiques en particulier pour la France :
1. Chaque pays européen va investir en fonction de deux logiques :
- diplomatique : certains continueront à acheter du matériel américain quoi qu'il arrive
- industrielle : les commandes seront soumises à des impératifs nationaux pour soutenir l’industrie locale.
On peut donc toujours mettre en avant les investissements prévus pour l'ensemble de l'Europe, l'essentiel des retombées pour l'industrie française seront essentiellement issues de la politique nationale et pas seulement européenne ...
2. Quelle confiance peut-on avoir dans les annonces d'aujourd'hui ? L'Europe a toujours été une vraie girouette sur les sujets relatifs à la défense européenne, à la fois en termes de stratégie et d'investissement.
Encore aujourd'hui, un label ESG dans ce domaine est, de fait, quasi impossible (aux côtés de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent ...).
Même la France qui a pourtant fait partie des bons élèves en termes d'investissement dans le domaine de la défense n'a pas toujours fait preuve d'une réelle constance (en particulier sous Hollande).
Au lendemain d'un inéluctable traité de paix signé entre l'Ukraine et la Russie dans l'année à venir, ou après un hypothétique effondrement du régime russe dont ils rêvent tous, l'hystérie collective de nos dirigeants européens sera-t-elle encore d'actualité ?
3. Acheter des chars est un investissement qui trouvera toujours des détracteurs acharnés dans notre société. Bien malin est celui capable aujourd'hui de nous dire qui sera au pouvoir en France en 2030 à l'échéance de ce fond d'investissement.
4. Comment la France compte tenu de son endettement pourra-t-elle financer ces investissements ? Compte tenu de notre niveau d'endettement, il faudra soit augmenter la fiscalité (mais nous sommes déjà champion du monde ce qui plombe nos entreprises), soit trouver des arbitrages au détriment d'autres dépenses ... Mais quels sont les arbitrages que les français accepteront : la justice ? l'éducation ? La santé ? Je ne vous parle même pas des retraites ! Certains sondages montrent qu'une majorité de Français (et j'en fais partie) est favorable aujourd'hui à cette politique de réarmement ... Mais dès que le même sondage pose des questions sur les moyens de financer cette politique, d'ores et déjà, cette majorité s'effondre. Qu'en sera t'il dans deux ou trois ans ?
La France fait déjà aujourd'hui face à un mur de la dette absolument vertigineux ( la question n'est pas son existence mais la distance à laquelle il se trouve et le temps qu'il nous reste avant qu'on se le prenne en pleine figure) et une incapacité depuis 50 ans à apporter la moindre réforme à son modèle social. Comment peut on considérer sérieusement les annonces d'augmentation du budget français de la défense de plusieurs dizaines de milliards d'euros ?
Bref, ce type de financement peut éventuellement être une poule aux œufs d'or. Il présente aussi des risques intrinsèques majeurs ! Et il faudra regarder en détail l'offre qui sera faite et analyser de manière très prudente les engagements sur les commandes à venir. Mais il est fort à craindre que dans la précipitation, nous soyons en train de mettre la charrue avant les bœufs pour participer au développement de nos entreprises !

En 1997, l’année de ma naissance, le taux de fécondité était de 1,71 enfant par femme, un chiffre déjà bien inférieur au seuil de remplacement des générations, estimé à environ 2,1 enfants par femme, sans que cela signifie pour autant que la parentalité allait de soi. Mais en 2024, les chiffres sont sans appel : 1,62 enfant par femme, et une chute des naissances qui semble inarrêtable. Comment en est on arrivé là ? Et surtout, pourquoi les jeunes d’aujourd’hui ne veulent-ils plus fonder de famille ?
La natalité française a connu une première chute importante après 1972, Mai 68 a profondément transformé la société française, et même si la chute de la natalité après 1972 n’est pas directement causée par ces événements, ils ont joué un rôle dans l’évolution des mentalités et des comportements qui ont ensuite influencé la fécondité. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail, l’accès à la contraception et la légalisation de l’IVG en 1975 ont profondément modifié les comportements familiaux. Cependant, après cette période de déclin, la fécondité s’est stabilisée autour de 1,8-2 enfants par femme pendant plusieurs décennies. Depuis 2010, en revanche, la chute est spectaculaire : entre 2010 et 2024, le nombre de naissances est passé de 832 800 à 663 000, soit une baisse de 21,50 %. Un effondrement historique qui ne cesse de s’accélérer, sans qu’aucun véritable sursaut ne semble pointer à l’horizon.
Les raisons sont multiples, mais elles pointent toutes vers une réalité inquiétante : avoir un enfant en 2024 est devenu un choix difficile, parfois même un luxe. Pourtant, il est essentiel d’être honnête avec nous-mêmes : la précarité économique, bien que réelle, n’explique pas tout. Trop de jeunes se cachent derrière cet argument pour justifier un refus d’engagement bien plus profond. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui préfèrent "profiter" avant d’avoir des enfants, cherchant un confort personnel au détriment de la responsabilité collective. Cette mentalité est en partie héritée d’une éducation plus permissive, où les limites ont été repoussées, où la contrainte est devenue un gros mot. Les méthodes pédagogiques modernes, comme Montessori, sont souvent citées comme un progrès, mais elles traduisent aussi un changement de paradigme issu des transformations post-68 : un enfant doit s’épanouir à son rythme, être libre de ses choix, et ne pas être contraint. Résultat ? Une génération qui repousse l’effort, qui cherche avant tout son propre bien-être, et qui voit la parentalité comme une privation de liberté plutôt que comme un accomplissement.
Au-delà de cette évolution sociétale, l’idée même de nation s’efface. Faire des enfants, c’est assurer le renouvellement des générations, maintenir une dynamique économique, préserver un équilibre social. Or, nous vivons dans une société où l’individualisme prime sur l’intérêt collectif. Nous consommons, nous voyageons, nous vivons pour nous-mêmes sans nous soucier des répercussions à long terme. Cette quête incessante de liberté, ce refus des obligations, nous mènent à une impasse. Car moins de naissances, c’est aussi moins de travailleurs demain, une économie qui s’essouffle, et des systèmes de retraite qui s’effondrent. Nous ne voulons plus d’enfants, mais qui paiera alors pour notre vieillesse ?
Peut-on encore inverser la tendance ? Il ne s’agit pas de forcer les jeunes à avoir des enfants, mais de redonner du sens à la parentalité. Il faut retrouver un intérêt commun, réapprendre à voir l’avenir autrement que par le prisme de la jouissance immédiate. Faire des enfants, ce n’est pas seulement une contrainte, c’est une transmission, une continuité, un acte fondateur pour une société. Il faut redonner envie, réhabiliter la famille comme un pilier essentiel du bien-être personnel et collectif, et non plus comme une entrave. Tant que nous resterons enfermés dans cette quête illusoire de liberté absolue, tant que nous refuserons de voir au-delà de notre propre existence, la chute des naissances n’aura aucune raison de s’arrêter. Et avec elle, c’est tout un modèle de société qui s’effondrera.
Sources :
INSEE “Bilan démographique annuel”
INED “Pratiques parentales et enfance"