Document de synthèse "Europe et industrialisation" 

Simone Pauzin-Fournié • 12 mai 2019

De l'urgence de définir une stratégie industrielle européenne

Le groupe de réflexion de Lignes Droites 31 animé par Simone Pauzin-Fournié sur la désindustrialisation en Europe vous propose ce document de synthèse. Cette analyse montre le besoin urgent d'arrêter d'être naïf et de promouvoir l'ouverture à la libre concurrence mondiale de manière quasi illimitée. Le patriotisme économique ne doit plus être un tabou. Il faut au contraire redéfinir une stratégie européenne au service du développement des industries européennes pour rétablir une vraie règle de réciprocité, et permettre à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents.


1 Bref Historique de l’Union Européenne


Nombre de pays

date

commentaire

6 : Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg

1951

Création du CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier)


1957

Traité de Rome : création de EURATOM (Communauté Européenne de l’Energie ATOMique) et de la CEE


1962

Mise en place de la PAC (Politique Agricole Commune)


1965

Fusion CECA,CEE, EURATOM


1966

Compromis de Luxembourg :décision à la majorité et non unanimité sauf si intérêts nationaux menacés


1968

Accord tarif douanier commun vis-à-vis reste du monde

9 Royaume Uni, Irlande, Danemark

1973

1er élargissement


1974

Création Conseil européen (dirigeants), mise en place politique Régionale et des infrastructures


1978

SME (Système Monétaire Européen)


1979

Election du Parlement Européen au suffrage universel

10 Grèce

1981

Adhésion de la Grèce


1984

Crise de la PAC . Margaret Tatcher « i want my money back »


1985

Accord de Schengen : libre circulation des personnes

12 Espagne et Portugal

1986

Acte unique : vote à la majorité qualifiée au Conseil de Européen, création d’ ERASMUS (échanges étudiants), notion de « pollueur-payeur »


1992

Traité de Maastricht : création de l’UE, citoyenneté européenne, politique extérieure et de sécurité commune ( PESC )

15 Autriche, Suède, Finlande

1995

3 nouveaux entrants


1997

Traité d’Amsterdam : Haut représentant pour la PESC, visas, asile, immigration


1990-1999

Mise en place des 4 libertés : circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux


2001

Traité de Nice : préparation élargissement ++


2002

Entrée en vigueur de l’ EURO (sauf Danemark, Royaume Uni, Suède)

25 Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Malte Lituanie, Pologne, Rep Tchèque, Slovaquie, Slovénie

2004

Adhésion 10 nouveaux pays

27 Bulgarie, Roumanie

2007

Adhésion 2 nouveaux pays

2008

Crise économique et financière mondiale touche Grèce, Irlande, Portugal, Italie, Chypre… Création du M écanisme E uropéen de S tabilité Financière ( MESF )


2009

Traité de Lisbonne (en vigueur fin 2009) Modifications constitutionnelles, élection du Psdt du conseil pour 2 ans ½ , extension pouvoir parlement

28 Croatie

2013

Adhésion 1 pays, entrée en vigueur pacte de stabilité budget

Juin 2016

Référendum sur le Brexit

2015-2018

Crise migratoire, terrorisme djihadiste, chômage, dette publique de certains pays, montée des populismes…

27 sortie prévue du RU

2019

Quel avenir pour l’Europe ? élections 26 mai 2019



2 L’Europe Aujourd’hui

2.1 Les institutions et organes de l'UE en bref

Organisation institutionnelle (sans équivalent dans le monde) de l'Union européenne:

2.2 Dans quel état errons nous ? Europe des Nations, Fédérale ou des Régions ?

La Commission européenne est un organe supranational qui dispose du monopole de proposition, pour tout ce qui relève à l’époque du domaine communautaire, mais elle n’a pas de pouvoir de décision. Celui-ci est dévolu au Conseil des Ministres , qui vote les propositions de la Commission. Or, le Conseil peut voter à la majorité, ce qui est un élément clairement supranational, puisque des États s’étant opposés à un texte se voient dans l’obligation de l’appliquer s’il a été adopté. Cependant, il se peut aussi, dans certains domaines, comme le social ou la fiscalité, qu’il doive voter à l’unanimité, ce qui constitue un élément intergouvernemental préservant la souveraineté des États. L’utilisation du vote à la majorité, étendue par les traités de Maastricht, de Nice puis enfin de Lisbonne qui la redéfinit (double majorité), redonne un aspect plus fédéral à l’Union européenne (UE).

L’élément sans doute le plus fédéral du système européen est le droit. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne ( CJUE ) renommée ainsi par le traité de Lisbonne, disposant de l’autorité de la chose jugée et dont les décisions s’imposent aux États membres constitue le fondement du fédéralisme européen. En affirmant l’applicabilité directe de ce droit et sa primauté sur les droits nationaux, la cour a posé les principes même d’un droit dans une fédération. Pourtant, l’UE n’est toujours pas une véritable fédération et reste un "objet politique non identifié".

L’instauration en 1974 du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement sur une base strictement intergouvernementale, a redonné du poids à l’Europe des nations . Son renforcement par le traité de Lisbonne (reconnaissance comme une institution et présidence stable) a été l’objet de débats entre partisans d’une Europe intergouvernementale et avocats d’une Europe supranationale qui auraient souhaité un renforcement de la Commission ou, à tout le moins, que le président stable du Conseil européen soit le président de la Commission européenne. Le traité de Maastricht, en faisant cohabiter trois piliers , le premier communautaire à tendance fédérale (comprenant les acquis de la CEE, de l’Acte unique et de l’Union économique et monétaire) et les deuxième (Politique étrangère et de sécurité commune – PESC) et troisième (coopération policière et judiciaire en matière pénale, ex-JAI) de nature intergouvernementale , donnait à l’UE une nature hybride . Le traité de Lisbonne l’a fait évoluer en supprimant les piliers, le caractère intergouvernemental n’étant conservé que pour un nombre limité de domaines comme la PESC .

Quant aux régions elles tentent de se regrouper entre elles de part et d’autres des frontières pour faire valoir leurs intérêts propres (régions de l’arc Atlantique, Catalogne française et espagnole …). La création du Comité des régions par le traité de Maastricht a confirmé cette tendance à dépasser le cadre étatique et à créer un lien direct entre les régions et l’UE.

Si l’Europe peine à trancher pour un modèle plutôt que pour un autre, c’est parce que s’affrontent dans la construction européenne deux légitimités, celle des États et celle de l’Union. Il s’agit de préserver à la fois les intérêts des États qui restent les acteurs principaux de la construction européenne et continuent de veiller jalousement sur leur souveraineté et l’intérêt général de l’Union et de ses peuples. Mais le prix de cet équilibre est la complexité du système institutionnel , difficilement compréhensible par les citoyens. Rapprocher l’Europe des citoyens passe donc en partie par une simplification de ce système.

Le traité sur la stabilité est entré en vigueur au 1er janvier 2013 . L'article 3 du traité pose le principe de la règle d'or budgétaire qui impose aux Etats européens un équilibre de leurs comptes publics sous peine de sanctions. A l’heure actuelle le bilan de la crise (2007-2008) semble mitigé. Elle a conduit au renforcement d’une Europe à deux vitesses , avec d’un côté l’Eurogroupe en faveur de plus d’intégration et négociant le renforcement du fédéralisme budgétaire et bancaire et de l’autre les pays n’appartenant pas à la zone euro, avec à leur tête la Grande-Bretagne et qui ont tendance à se désolidariser de la zone euro.

En conclusion un système hybride qui risque de durer longtemps !!


3 Désindustrialisation F/UE

3.1 Etat de la désindustrialisation

Désindustrialisation : « réduction du nombre d’emplois dans le secteur industriel d’un pays, de même que celle du secteur de l’industrie par rapport aux autres secteurs d’activité ». L’industrie est, depuis plusieurs années, confrontée à un mouvement de désindustrialisation rapide et important, dont la prise de conscience est récente. Souvent présentée comme un phénomène inéluctable, cette dynamique commence à inquiéter l’opinion et les décideurs en raison des menaces de « perte de substance économique », voire de « déclin » qu’elle fait peser sur l’ensemble de l’économie nationale.

La désindustrialisation n’est pas une nouveauté en France puisque ce phénomène était déjà l’œuvre dès la seconde moitié des années 1970, sans pour autant avoir donné lieu à un discours spécifique et alarmant. C’est cette spectaculaire tertiarisation de l’emploi dans les pays développés qui est d’ailleurs à l’origine du succès de l’expression de « société post-industrielle » , au point de laisser penser à tort a posteriori que l’industrie n’était plus aussi essentielle pour la puissance et le rayonnement d’un Etat.



 2009

2010 

2011 

2012 

2013

 2014

 2015 

2016

Fermetures

 380

261

190

266

266

 220

 192

136

Ouvertures

 156 

226

156

177

127

 177

 159

136

 -224 

-261

-34

-89

-140

 -43

 -33

0

Tableau : évolution des fermetures et des ouvertures d’usines en France (2009-2016)

Cette désindustrialisation ne s’est pas manifestée de manière égale sur tout le territoire Français comme on peut le constater sur les 2 cartes ci-dessous.

Les zones d’emploi d’un grand quart nord-est de la France, qui étaient les plus industrielles, sont celles qui ont perdu le plus d’emplois industriels au cours des dernières décennies. À l’inverse, dans les régions de l’Ouest et du Sud, l’industrie a plutôt eu tendance à progresser. Ce glissement géographique a participé à éloigner les territoires d’industrie français des espaces les plus moteurs de l’Union européenne.

Carte 1 - Gain et pertes d’emplois industriels par zones d’emplois (1998-2014) :



Carte 2 - Evolution de l’emploi industriel par zones d’emplois (1998-2014) :

Elaboré par l’INSEE, l’effondrement continu des effectifs de l’industrie française (salariés et non-salariés, à temps plein ou pas) est passé de 5,6 millions en 1970 à 3,3 millions en 2014, soit une baisse de 2,3 millions (la baisse annuelle moyenne s’élevant à environ 52 200 personnes), sachant que l’emploi industriel a connu historiquement son plus haut niveau en France en 1973, avec 5 959 000 personnes

Comme mentionnée plus haut et visible sur les 2 cartes ci-dessus cette désindustrialisation n’a pas affectée de manière homogène tous les territoires français. Par exemple, la zone d’emplois de Toulouse en Occitanie (carte 1), par ailleurs la plus vaste zone d’emplois de la métropole avec 717 communes, est la seule à se singulariser en France par sa progression très vigoureuse en valeur absolue entre les deux dates de référence (+ 12 575 emplois), grâce en particulier au dynamisme du secteur aéronautique et spatial, dont dépendent aussi de nombreux centres de R & D (leurs effectifs sont comptabilisés au titre de l’industrie lorsqu’ils relèvent de groupes industriels), ainsi qu’un très important réseau d’entreprises sous-traitantes.

Cependant cette situation est fragile car dépendante d’un mono secteur. C’est pour cela que les pouvoirs publics tentent de développer d’autres secteurs de productions (Santé, robotisation…).


Pour ce qui concerne l’Europe, l’industrie demeure le premier moteur de l’activité économique mais le « cœur industriel » de l’UE se situe désormais en Allemagne et dans les pays d’Europe centrale. La France, l’Italie, le Royaume-Uni, même s’ils continuent de peser fortement dans la production européenne, ont connu une très forte érosion et une fragilisation de leur industrie.CF carte 3.

Actuellement 10.8% de la part de la valeur ajoutée de l’industrie Européenne est produite en France et la part des emplois industriels localisés en France est de 8.2% pour 12% de l’ensemble des emplois de l’UE 28.

Carte 3 - Part de l’industrie dans la valeur ajoutée (1) et l’emploi industriel au sein de chaque pays de l’UE en 2016 :


Le développement des secteurs innovants est l’un des principaux leviers du renouveau de l’industrie européenne. Il s’agit par ailleurs d’une des priorités d’intervention de l’UE, mais cette politique risque d’avoir des répercussions très différentes selon les États membres. L’industrie européenne est en effet loin d’être uniforme. Selon les pays et les régions, des spécialisations ressortent. De manière très schématique, les industries d’Europe de l’Ouest sont davantage tournées vers les hautes technologies quand celles d’Europe de l’Est et du Sud sont plutôt orientées vers les basses technologies. À l’intérieur des États, des différences notables apparaissent également. Les régions capitales

concentrent une part d’emplois dépendant des hautes technologies plus importante que le reste. L’Allemagne, mais également le Danemark et la Hongrie, se distinguent par une industrie manufacturière globalement orientée vers les

hautes et moyennes technologies. La France, le Royaume-Uni, l’Autriche, la Slovénie et la Finlande ont des profils industriels plus mixtes (hautes et « moyennes-basses » technologies s’y côtoient). La France se caractérise par un profil assez généraliste (chimie/pharmaceutique [Sanofi], agroalimentaire [Danone], automobile [PSA, Renault], etc.). Cette orientation technologique s’explique en partie par les évolutions des vingt-cinq dernières années : « En raison du recul de l'automobile, et dans une moindre mesure, des produits électriques et optiques, la production industrielle française s'est concentrée d'une part sur des secteurs de faibles ou moyennement faibles technologies, tels que l'agroalimentaire

et les produits métallurgiques, et d'autre part sur des secteurs de hautes ou moyennement hautes technologies (aéronautique et machines-outils par exemple). L’Irlande, la Belgique et Malte ont également des profils assez mixtes mais avec des différences de niveaux technologiques entre industries encore plus marquées. Au sein de ces pays, l’Irlande a un profil atypique. Il s’agit en effet du pays européen où les hautes technologies sont les plus surreprésentées (26,4 % des emplois manufacturiers en 2016 contre 6,9 % en moyenne à l’échelle de l’UE28). Cette situation est liée au développement de l’industrie pharmaceutique et à l’installation d’usines de production de médicaments. Les basses technologies sont toutefois également très présentes en Irlande.

3.2 Causes

Les premiers effets de la désindustrialisation ont commencé à être plus clairement perceptibles à partir du milieu des années 1980, à la faveur de la concurrence exercée par les pays à bas salaires (on ne parlait pas encore de pays « émergents »). L’abandon des activités à fort coefficient de main-d’œuvre et à faible contenu technologique (textile-habillement et chaussure dans le bas de gamme par exemple) est alors apparu comme inéluctable, à moins de les délocaliser vers l’Europe du sud, l’Afrique du nord ou certains pays asiatiques.

Ceci dit, la véritable prise en compte au niveau national date de 2012. La publication en 2012 du rapport intitulé « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », remis au Premier ministre par le comité d’experts dirigé par Louis Gallois, a fait office d’électrochoc national, le rapport Gallois officialisait que les pays émergents (la Chine en particulier) et à plus bas salaires d’une manière générale, jouaient désormais un rôle plus important que par le passé dans la destruction des emplois industriels en France. La principale mesure issue du rapport « Gallois » étant la création du crédit d’Impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Le récent rapport (octobre 2018) sur le suivi du CICE en fait un bilan mitigé notamment en terme d’investissements.

Les coûts salariaux élevés de la main-d’œuvre : le coût horaire moyen de la France se situe en 2017 au quatrième rang européen, derrière ceux de la Belgique, de la Suède et du Danemark. Pourtant l’industrie de deux derniers pays ne semble pas en pâtir particulièrement et cette question n’y fait pas débat comme en France, sans doute en raison de leur positionnement sectoriel plus orienté vers le haut de gamme. Par ailleurs , la fiscalité appliquée aux entreprises françaises, qui est la seconde la plus élevée d’Europe (avec un taux moyen de 33,33 % en 2017), ou encore les lourdeurs évidentes de l’actuel Code du travail ne favorisent pas nos industries.

La spectaculaire montée en puissance des pays émergents d’Asie orientale, d’Amérique latine ou d’Europe orientale au cours des années 1990-2000 a encore aggravé la situation, car elle a poussé les entreprises industrielles françaises, au même titre que celles des autres pays industrialisés, à réorganiser leur production sur une base mondiale (sinon à l’échelle des zones d’intégration régionale comme l’Union européenne, l’ALENA, le MERCOSUR, etc.) pour faire face à cette concurrence imprévue par son ampleur et sa rapidité, mais aussi pour profiter de nouvelles opportunités de croissance.

Mais c’est le degré de robotisation des usines qui focalise le plus l’attention ces dernières années, à la fois comme mesure de l’un des talons d’Achille de l’industrie française (par son insuffisance, reflet du sous-investissement chronique), mais aussi comme solution prometteuse pour sauver l’industrie.


La désindustrialisation contemporaine doit aussi beaucoup à la faiblesse de l’effort consenti en R & D , donc à l’innovation et ce depuis de nombreuses années. La France est en effet encore loin du seuil annuel des 3 % de PIB dans la R & D ainsi qu’y invitait dès 2000 l’agenda de Lisbonne dans le cadre européen (injonction renouvelée en 2010 par l’adoption de la Stratégie Europe 2020) : 2,21 % du PIB en 2016 (valeur qui a très peu évolué depuis 1996), contre 2,87 % en Allemagne, où ces dépenses ont par contre grimpé de 75 % entre 2005 et 2016. Ce handicap majeur empêche fondamentalement l’immense majorité des entreprises industrielles de monter en gamme et donc de proposer des produits nouveaux, à fortes marges, susceptibles d’être réinvesties dans la R & D.

Cette situation est encore aggravée par un « effet taille »: la France manque en effet d’entreprises moyennes et de taille intermédiaire , à la différence de l’Allemagne. Cette insuffisance de la R & D et de l’innovation est étroitement corrélée au médiocre positionnement sectoriel des entreprises industrielles françaises, qui est favorable à la désindustrialisation. Ainsi, la surreprésentation de l’emploi industriel dans les secteurs de basse et de moyenne-basse technologies (66 %) selon la nomenclature d’activités françaises est porteuse de beaucoup de destructions d’emplois, car c’est bien dans ces domaines que l’on trouve en premier lieu les fonctions les plus menacées par l’accroissement de la productivité, de même que les faillites potentielles d’entreprises. La part de l’emploi industriel dans les secteurs des moyennes-hautes technologies (24 %) et surtout des hautes technologies (10 %) est donc encore trop faible en France. Ainsi, si Airbus est implanté solidement dans la région toulousaine, ce n’est pas parce que le coût du travail est plus faible à Toulouse qu’ailleurs ou parce que l’offre foncière est particulièrement abondante. C’est parce que l’avionneur trouve dans la région toulousaine les compétences dont il a besoin pour former et compléter les siennes : des écoles d’ingénieurs en aéronautique aux multiples équipementiers petits et grands en passant par les bureaux d’études, qui sont aujourd’hui mobilisés pour concevoir et produire un avion, un écosystème existe qui est la meilleure raison pour Airbus de ne pas quitter la région toulousaine.

4 Ré industrialisation besoins et obstacles UE

Un emploi perdu dans l’industrie entraîne dans son sillage funeste trois emplois perdus dans le reste de l’économie. La désindustrialisation est aussi synonyme de déficit abyssal du commerce extérieur. Outre le passage sous pavillon étranger de la plupart de nos fleurons industriels, ceux qui restent français n’en finissent pas de négliger leur base productive en France pour lui préférer des investissements principalement réalisés hors de France.

Sur la base de ce constat, reste à savoir si l’accent doit être mis sur la maîtrise prioritaire des coûts et des prix ou sur l’amélioration de l’image de l’industrie et l’élévation du niveau de qualité des produits offerts par l’industrie française (2).

Un accent excessif mis sur la (haute) technologie et les start-up au détriment de l’industrie dite « traditionnelle » est une autre erreur, cette fois de politique industrielle. Certes, chacune de ces cibles mérite d’être soutenue, mais un accent trop exclusif sur la haute technologie est de nature à faire oublier que la plupart des secteurs industriels, au moins autant que de haute technologie, ont besoin d’être en capacité de produire des biens innovants et à forte valeur ajoutée.

·Des produits comme les automobiles, les meubles, les jouets, l’habillement ne sont pas des produits qui ont besoin d’être nécessairement de haute technologie. Ces produits doivent surtout répondre aux besoins de leurs utilisateurs et des solutions de technologie moyenne peuvent parfaitement être adaptées.

·Pour ce qui est des start-up , la très grande majorité de ces micro-entreprises se concentre sur des niches et, surtout, a une espérance de vie très limitée. Ces entreprises sont indispensables au renouvellement du tissu productif…à condition que celui-ci ne disparaisse pas entre temps.

Réductions d’impôts ou de cotisations sociales, quasi absence de mesures de protection afin d’éviter des cessions portant sur des actifs stratégiques, ces différentes facettes « en creux » de l’attractivité de la France ne sont assurément pas les meilleures s’il s’agit de développer l’industrie française.

La faible protection dont sont entourés les fleurons de l’industrie française pouvant être vendus au plus offrants est également une erreur.

Si la France et l’Europe veulent rester des puissances industrielles, il faut inciter à des mesures fortes.

·Libérer les initiatives de nos chercheurs et simplifier les démarches de dépôt de projet (un chercheur doit être à 70% sur sa recherche, 10% sur son évaluation et 20% en relation avec le monde de l’entreprise) et non passer du temps à remplir des dossiers avec des règles d’éligibilité des coûts disparates.

·Inciter les banques à injecter de l’argent dans l’économie réelle et à favoriser les prêts à taux bas pour les créateurs d’entreprises.

·Exiger que les entreprises nationales et européennes augmentent leur taux de R&D sans attendre systématiquement des aides de l’Etat ou de l’UE (3).

·La mise à jour des lignes directrices actuelles en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence au niveau mondial, de la concurrence potentielle future et du calendrier de développement de la concurrence. Cela nécessite une adaptation du règlement n° 139/2004 UE et des lignes directrices actuelles en matière de concentrations

·Il faut revoir la réciprocité des règles d’attribution des marchés : il n’est pas acceptable par exemple que l’état chinois oblige les entreprises ferroviaires étrangères à construire leurs équipements en Chine si elles veulent avoir accès aux marchés publics chinois, alors qu’en même temps les lois européennes interdisent à SNCF de spécifier dans ses appels d’offre que les équipements doivent être fabriqués en Europe (car cela contreviendrait aux lois de libre concurrence): le dogme de protection absolue de la liberté de concurrence imposé par l’union européenne se justifiait peut-être lors du traité de Rome en 1957, mais il est désormais devenu mortifère pour notre industrie. Il est urgent de l’abroger et d’instaurer à sa place un principe de juste réciprocité

·la protection accrue de la Propriété Intellectuelle (PI):

  • L'UE doit obtenir que les autres blocs économiques (notamment la Chine) respectent le droit international sur la PI ; ceci signifie que la Chine doit effectivement traduire dans son propre droit les provisions du droit international, mais aussi et surtout permettre que les tribunaux ou chambres d'arbitrage internationaux aient la possibilité de mener des enquêtes, et porter des jugements qui seront effectivement suivis d'effet. Le meilleur moyen pour faire en sorte que la Chine prenne, et tienne, un tel engagement, est de le lier à des accords économiques (types droits de douane) révocables si l'engagement n'est pas tenu.
  • L'UE doit faire en sorte que , lorsqu'une entreprise non-européenne (essentiellement aujourd'hui chinoise ou US) achète une entreprise européenne qui a des technologies différenciantes, la technologie européenne doit rester en Europe et créer des emplois en Europe: elle ne peut pas être simplement transférée en Chine ou aux US et y générer là-bas des emplois à la place du site européen. Ceci peut être obtenu par des lois qui soit restreignent la propriété de la technologie (l'acheteur étranger achète l'entreprise européenne mais n'est pas l'unique propriétaire de la technologie de cette entreprise, un organisme public européen en est également propriétaire), soit contrôlent l'exportation de cette technologie à l'étranger (à l'instar par exemple du contrôle des exportations sur les technologies militaires).

5 Conclusion

Il faut faire émerger l’élaboration d’une politique industrielle européenne car au nom du même dogme mortifère évoqué plus haut, l’UE s’interdit et interdit aux États membres de définir une stratégie industrielle. Or il est évident depuis toujours que les grandes industries structurantes en termes d’emplois nécessitent une politique industrielle. Les chinois, les indiens et les américains l’ont bien compris, qui œuvrent à l’édification de filières industrielles fortes alors que nous œuvrons à la destruction des nôtres !

La prise en compte de ce besoin de structuration de politique industrielle européenne et d’une nouvelle stratégie à mettre en place pour la décennie à venir a commencé à émerger via le Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle publié à la suite d’une rencontre à Berlin, le 19 février 2019 entre les deux ministres respectifs de l’économie de ces 2 pays.

Souhaitons que la nouvelle commission européenne en fasse une priorité absolue et agrège d’autres pays de l’UE.


6 Sources

a) https://www.touteleurope.eu/actualite/

b) https://europa.eu/european-union/

c) http://www.vie-publique.fr

d) http://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr Novembre 2018

e) François Bost et Dalila Messaoudi, « La désindustrialisation : quelles réalités dans le cas français ? », Revue Géographique de l'Est [En ligne], vol.57 / 1-2 | 2017, mis en ligne le 15 novembre 2017.

f)site web: ec.europa.eu/eurostat/

g)Désindustrialisation : une erreur de diagnostic : Gabriel Colletis 15/11/2018. Gabriel Colletis président de l’Association du manifeste pour l’Industrie.

h)Comité de suivi du CICE rapport 2018, octobre 2018, France Stratégie.

i) Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ("le règlement CE sur les concentrations") (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) Journal officiel n° L 024 du 29/01/2004 p. 0001 – 0022

j) Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle été publié à la suite d’une rencontre à Berlin, le 19 février 2019, B Lemaire avec mon homologue allemand Peter Altmaier.


7 Notes

(1)La valeur ajoutée est définie comme la différence entre la valeur finale de la production (valorisée par le chiffre d’affaires ) et la valeur des biens qui ont été consommés par le processus de production (consommations intermédiaires, comme les matières premières).

(2) Le 5 octobre 2018, l’Assemblée nationale a voté l’article 61 de la loi pacte. Cet article pose une nouvelle définition de la société et de la responsabilité des entreprises. Désormais, la loi indique que la société doit être gérée dans l’intérêt commun des associés, tout en préservant son intérêt social, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

(3) Évolution de la Dépense Intérieure en Recherche et Développement de 2007 à 2018 (en milliard de dollars base 2007- à prix constants et à parité de pouvoir d'achat) et comparaison en % de l’effort R&D entre différents pays/économies(Source OECD : estimated based on OECD Main Science and Technology indicators database, February 2019) :



par Une interview de François Lenglet par Ronan Planchon dans FigaroVox 5 août 2025
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/francois-lenglet-la-commission-europeenne-court-comme-un-canard-sans-tete-desorientee-par-la-disparition-du-monde-d-hier-20250803 ENTRETIEN - Après l’accord signé avec les États-Unis de Donald Trump le 27 juillet en Écosse, l’Europe entame son «siècle de l’humiliation», estime le journaliste économique et essayiste. François Lenglet est éditorialiste économique à TF1-LCI et RTL. Son prochain livre : Qui sera le prochain maître du monde ?, Éditions Plon, octobre 2025. LE FIGARO. - Dans le cadre de son accord avec Trump , l’Union européenne accepte de voir la quasi-totalité de ses exportations de biens vers les États-Unis frappées de droits de douane à hauteur de 15 % et n’obtient ni ne sanctionne rien en retour. Une autre issue était-elle possible ? Passer la publicité François LENGLET. - Non, cet accord est tout sauf surprenant. Il matérialise le rapport de force entre l’Amérique de Trump et l’Europe : tout pour moi, le reste pour toi. C’est la conséquence du rôle nouveau qu’occupent les États-Unis dans les affaires du monde, la « superpuissance voyou », pour reprendre les termes de l’universitaire américain Michael Beckley. C’est-à-dire la puissance numéro un sans autre ambition que de se renforcer au détriment des autres, à commencer par les alliés de naguère - ce sont eux qui offrent le meilleur rendement dans le chantage, parce qu’ils sont faibles. Le plus frappant dans cette affaire, c’est que l’Union européenne est contente. Humiliée et satisfaite. Alors même qu’en plus des tarifs, Bruxelles piétine ses propres politiques, pour satisfaire Trump. Elle accepte ainsi d’investir 600 milliards en Amérique, alors que l’exode de l’investissement est justement le principal problème pointé par le rapport Draghi… Elle s’engage à acheter des armes américaines, alors qu’elle exhorte les pays membres à renforcer leur base industrielle de défense… Elle s’engage à acheter des tombereaux de gaz américains alors qu’elle œuvre pour le zéro carbone ! Quant à la prétendue « prévisibilité » offerte par l’accord aux exportateurs, c’est une vaste blague. Un condamné à dix ans de prison peut évidemment se féliciter de la prévisibilité de son cadre de vie pour la prochaine décennie. Londres a obtenu de la Maison-Blanche le taux de tarifs douaniers les plus bas possible à ce jour (10 %). Cette « victoire » participe-t-elle à la décrédibilisation de l’Union européenne ? Le commerce américain avec le Royaume-Uni n’est pas déficitaire, cela peut expliquer le traitement plus favorable qu’a obtenu Londres. Dans la hiérarchie des royaumes tributaires de l’empire américain, nous occupons un rang intermédiaire, entre le Royaume-Uni, qui s’en sort mieux, et le Japon, duquel Trump a obtenu le versement de plusieurs centaines de milliards directement au Trésor américain. Et tous ceux qui sont menacés aujourd’hui de 30 % ou 40 % s’ils ne concluent pas d’accord cette semaine. Si l’Union européenne n’était pas en position de force, est-ce parce qu’elle ne maîtrise aucune de ses positions stratégiques à l’échelle de l’économie globale ? Oui, sans aucun doute. Il faut se souvenir que l’Union européenne n’a pas été conçue pour peser dans le jeu mondial. La raison d’être fondamentale de la Commission de Bruxelles, c’est de surveiller les États membres pour qu’ils se soumettent aux règles du marché unique et de la concurrence. Bruxelles a été dressé pour éradiquer les frontières et le nationalisme économique à l’intérieur de l’Union. L’édification de ce marché unique a d’ailleurs été une propédeutique utile pour apprivoiser la mondialisation, surtout pour la France et sa bureaucratie. Mais les temps sont bouleversés. La mondialisation change de nature et de périmètre, elle se fragmente, à cause du recentrage de la puissance principale sur ses intérêts exclusifs au détriment d’un ordre mondial. Il ne peut y avoir de mondialisation sans maître du monde assumé. La Commission devrait donc s’appuyer sur les frontières et pratiquer une sorte de nationalisme européen, si cette expression n’était pas un oxymore, pour défendre les États membres dans la grande confrontation entre les empires. Elle en est incapable car il faudrait pour cela qu’elle renie les traités. Elle court donc comme un canard sans tête, désorientée par la disparition du monde d’hier. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. François Lenglet L’Europe-puissance est une chimère, entretenue par les fédéralistes qui voudraient encore sauver leur rêve. C’est le dernier stade du déni, avant l’acceptation de la réalité : l’Europe entame son « siècle de l’humiliation », comme la Chine de 1842, après la guerre de l’opium. Trump, exactement comme les Britanniques de l’époque, force l’ouverture de nos ports. Avec ces accords, l’Europe signe donc son traité de Nankin, qui avait asservi l’empire du Milieu aux intérêts commerciaux britanniques. Mais à la décharge de Bruxelles, le problème est plus grave que celui de la seule Commission. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui rechignent à la puissance et aux sacrifices qu’elle exigerait d’eux. « Nous n’avons pas été craints », aurait dit Emmanuel Macron juste après cet accord-capitulation. C’est ce qu’on appelle une litote… Le problème pour être craint, c’est bien sûr d’avoir des moyens de rétorsion, mais c’est surtout de vouloir les utiliser. Bruxelles a passé des semaines à élaborer des contre-mesures punitives pour les États-Unis en expliquant que nous n’allions pas les utiliser… Les fonctionnaires ont inventé la version commerciale du pistolet à bouchon. Pire, les officiels français expliquaient à la veille de l’accord qu’il n’y aurait pas de rétorsions tarifaires, car les économistes avaient calculé qu’elles seraient préjudiciables à nos consommateurs ! Pour Trump, ces tarifs visent-ils surtout à relocaliser la production aux États-Unis ? Oui, il veut siphonner la croissance mondiale. Il récuse la position de « consommateur en dernier ressort », qui avait toujours été celle du maître du monde, les États-Unis au XXe siècle, le Royaume-Uni au XIXe. Il vise au contraire la réindustrialisation de son pays. C’est pour cela qu’il veut des tarifs et un dollar faible, afin d’inciter les industriels du monde entier à s’installer aux États-Unis. Il ne s’arrêtera pas là. Ces tarifs vont servir à la coercition des partenaires, afin qu’ils réévaluent leurs devises ou financent gratuitement la dette américaine, avec les fameuses obligations à coupon zéro prônées par l’un des inspirateurs de Trump, Stephen Miran. L’autre objectif est bien sûr budgétaire. Les taxes douanières vont remplir les coffres de Washington. Rien que l’accord avec l’Europe pourrait lui fournir une centaine de milliards de ressources annuelles supplémentaires. Il s’agit de financer le « Big and Beautiful Budget », les baisses d’impôts votées par le Congrès le mois dernier. Dans les deux cas, c’est la stratégie de la prédation : l’Amérique pompe les investissements pour arroser son sol, et les ressources financières des autres pour les redistribuer à ses entreprises sous forme de baisse d’impôt. Ne surestime-t-on pas la victoire de Trump ? Les engagements d’achats et d’investissements européens n’ont d’autre valeur que politique… C’est vrai que les chiffres sont tellement fous qu’ils ne sont pas crédibles. Ursula von der Leyen s’est engagée à 250 milliards d’achats de gaz liquéfié par an, alors que nous sommes, pour l’Europe entière, en dessous de 100 milliards aujourd’hui… Mais cela crée quand même une pression pour les années qui viennent, et c’est sans doute ce que cherchaient les négociateurs américains. Aussi déraisonnables qu’ils soient, ces montants ont été semble-t-il validés par l’Europe. Et, au-delà des considérations sur les montants, une leçon doit être retenue : l’accès aux marchés internationaux a un prix, car il a une valeur. Et ce prix est à la hausse, depuis l’élection de Trump. L’Europe ferait donc bien de réfléchir au prix de l’accès à son propre marché, l’un des plus grands du monde, et à la façon de négocier les prochains accords commerciaux. À quoi peut-on s’attendre, concrètement, sur le plan commercial ? Toute la question est de savoir qui va payer les tarifs. En bonne logique, c’est le consommateur américain, qui verra augmenter le prix des biens importés. Non pas de 15 %, car dans le prix final, les coûts de distribution comptent pour jusqu’à un tiers. En réalité, chacun des intervenants dans le circuit commercial, exportateur, transporteur, importateur, distributeur et consommateur va être mis sous pression pour réduire ses marges ou payer un peu plus. La répartition de ces efforts sera variable en fonction du rapport de force sur le marché, très différent selon les secteurs. Tout cela devrait contracter les flux commerciaux à destination de l’Amérique. Avec des conséquences sur la croissance, moins fortes en France qu’en Allemagne et en Italie, plus exportatrices, comme on le constate déjà sur les chiffres du deuxième trimestre 2025. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. François Lenglet Quels seront les secteurs les plus touchés ? Les entreprises de luxe peuvent supporter à la fois une augmentation de prix et une contraction de leurs marges, qui sont importantes. En revanche, pour les produits laitiers et fromage, c’est l’un de nos postes d’exportation importants, le consommateur sera moins enclin à payer. Ce seront les exportateurs qui vont devoir encaisser la moins-value, s’ils ne veulent pas perdre des parts de marché. Idem pour la cosmétique, également l’une de nos forces à l’export. Le haut de gamme s’en sortira, grâce à la puissance des marques et à l’image du « made in France », mais les produits grand public, plus sensibles au prix, devraient souffrir. L’automobile n’est concernée qu’indirectement, car nous n’exportons pas de voitures françaises outre-Atlantique. Les équipementiers français, sous-traitants des constructeurs européens, pourraient toutefois subir les conséquences de la pression sur les exportateurs allemands. Dans tous ces domaines, les industriels vont tenter de produire davantage aux États-Unis, pour échapper aux taxes. Il peut donc y avoir une nouvelle vague de délocalisations. Restent enfin des industries dans l’incertitude, car leur régime douanier n’a pas encore été défini, comme la pharmacie. Peut-on s’attendre désormais à une marginalisation de la Commission européenne ? Von der Leyen va-t-elle devenir l’amie que les États membres n’assument plus ? Les questions commerciales divisent l’Europe depuis toujours, à la fois entre États membres, qui n’ont pas les mêmes intérêts, et d’un secteur à l’autre au sein d’un même pays. Cette fois-ci, pourtant, le continent n’est pas vraiment divisé, il se partage entre les perdants résignés et les perdants soulagés. Soulagés parce qu’ils redoutaient pire - c’est la force de Trump que d’avoir attendri la viande pendant les négociations, en menaçant de taxes encore plus punitives. Au-delà des jérémiades, il n’y a donc pas de réelle volonté de remettre en cause l’accord avalisé par la présidente de la Commission. De plus, plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis ont déjà avalé leur pilule, le Japon, la Corée du Sud, et tous ceux qui attendent dans le couloir de la Maison-Blanche… Il n’y a plus guère que la Chine qui tienne tête à l’Amérique. Il faut espérer que cette affaire aura au moins eu pour effet de révéler à l’Europe, à ses citoyens et ses dirigeants, l’ampleur des changements en cours dans les relations internationales. Dans la confrontation qui s’intensifie, tout est stratégique, y compris les questions commerciales. Tout a un prix. Tout est levier pour obtenir de l’influence ou des ressources. Cela exige de nous une révolution, dans l’idéologie et dans l’action, après quarante ans où le libre-échange était considéré comme l’état naturel des rapports internationaux, indépendant des questions politiques et profitables à tous. Le commerce retourne à sa place, asservi à des objectifs politiques. De ce point de vue, Trump nous donne une leçon douloureuse, mais fort utile. Pour reprendre un aphorisme de l’économiste Marc de Scitivaux, dans la longue histoire du coup de pied au derrière, ce n’est pas toujours le pied le plus coupable.
par Henri Guaino 4 août 2025
"Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon à propos de la langue française et de quelques autres sujets" Une tribune d'Henri Guaino parue dans Le Figaro le 28 juillet 2025 : https://www.notrefrance.fr/index.php/medias/
par Louise Morice 26 juillet 2025
"Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le solde naturel est négatif. Ce que l’on attendait pour 2027 est déjà là, en 2025. Trop tôt. Trop vite. Et pourtant, pas un sursaut. Pas un électrochoc. Le pays continue, imperturbable, comme sous anesthésie. Ce chiffre, pourtant fondamental, ne suscite ni débat national, ni mobilisation. On le constate, on le commente, puis on passe à autre chose. Comme toujours." https://www.frontieresmedia.fr/tribunes/tribune-louise-morice-le-silence-des-enfants-le-prix-du-renoncement
par Mathieu Bock-Côté 26 juillet 2025
Une tribune de Mathieu Bock-Côté dans FigaroVox (25/07/2025) https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mathieu-bock-cote-de-la-fin-du-macronisme-20250724 CHRONIQUE - Le macronisme, dont Bruno Retailleau a prédit la fin une fois qu’Emmanuel Macron ne sera plus président de la République, a d’abord été le réflexe de survie d’un régime en panne, avant de se muer en une forme de centrisme autoritaire. C’est une des polémiques de l’été : sommes-nous témoins de la fin du macronisme ? La question peut se comprendre au premier degré : dans quelle mesure Emmanuel Macron peut-il encore peser jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 ? Pour certains, elle relève de l’hérésie. La garde prétorienne du président accuse ainsi de lèse macronisme les figures du gouvernement qui n’ont pourtant jamais caché leur hostilité à son endroit. Voyons-y la joute politique ordinaire. À découvrir La question ne devient pourtant intéressante qu’en se détachant de la personnalité du président de la République pour faire plutôt le bilan de la synthèse qu’il a cherché à composer en 2017. Ce qui nous oblige à revenir à ses origines. Le macronisme fut d’abord le réflexe de survie d’un régime en panne, aux clivages devenus stériles, sentant monter une menace « populiste » et voulant se donner les moyens de la mater en ripolinant sa façade et en confiant la direction du pays à un jeune homme qu’on disait exceptionnel. Les élites politiques concurrentes qui, jusqu’alors, s’affrontaient selon la loi de l’alternance entre la gauche et la droite, se fédérèrent alors dans ce qu’on allait appeler un bloc central revendiquant le monopole de la République, de ses valeurs et de la légitimité démocratique, mobilisé contre des extrêmes, censées menacer la démocratie. L’alternative était posée : macronisme ou barbarie ! La rhétorique anti-extrêmes au cœur du macronisme masquait toutefois une fixation bien plus précise sur la droite nationale - alors qu’il convergeait culturellement avec la gauche radicale. Le macronisme n’a jamais cessé de proposer une offre politique conjuguant diversitarisme et mondialisme, auxquels s’est ajoutée la transition énergétique, sous le signe d’un empire européen à construire. L’homme européen auquel rêvent les macronistes a souvent eu les traits d’un l’homo sovieticus revampé. Le macronisme semblait faire du multiculturalisme une promesse. Il croyait les tensions dans les quartiers solubles dans la croissance, convaincu qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre certaines civilisations, que l’islam est une religion comme une autre, et que le nombre, en matière migratoire, est une variable insignifiante. Il n’a pas vu et ne voit toujours pas la submersion migratoire, sauf pour la célébrer. Il se représente moins l’immigration comme une fatalité que comme un projet. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit Mathieu Bock-Côté Le macronisme se voulait aussi un technocratisme : les meilleurs enfin rassemblés pourraient facilement résoudre les problèmes de la France, dégraisser l’État social, relancer l’économie et libérer les énergies du pays. La pensée unique trouvait sa traduction pratique et quiconque entendait gouverner à partir d’autres principes était accusé de se laisser emporter par des bouffées idéologiques délirantes. La situation financière de la France laisse croire que cette stratégie était moins performante que prévu. Le macronisme s’est aussi rapidement dévoilé comme une forme de centrisme autoritaire qui préfère se faire appeler État de droit. De 2017 à 2025, les initiatives se sont multipliées pour assurer une régulation publique de l’information, pour lutter contre les discours haineux, pour étendre la surveillance des pensées coupables au discours privé, sans oublier la dissolution de nombreux groupes identitaires, l’acharnement judiciaire et financier contre le RN et la fermeture d’une chaîne de télévision décrétée d’opposition. Le régime n’a plus de base populaire C’est ce qui a permis au macronisme de fédérer, l’an passé, les partis du système dans un front républicain allant de l’extrême gauche à la droite classique pour empêcher l’arrivée au pouvoir du RN. Le macronisme, à ce stade, abolissait le pluralisme politique authentique. Il n’y avait de diversité idéologique légitime qu’au sein du bloc central. L’extrême centre et la gauche radicale ont l’antifascisme en langage partagé. La droite classique, évidemment, s’est tue, de peur de déplaire. La seule opposition autorisée est celle qui se structure dans les paramètres du régime, et qui célèbre ses principes, avant de le contredire dans les détails. La révolte fiscale se fait entendre, la révolte identitaire et sécuritaire travaille la France depuis un bon moment, mais le macronisme est résolu à mater les gueux et les lépreux, qu’il se représente comme un peuple factieux, presque comme une meute de dégénérés dangereux. Le régime n’a plus vraiment de base populaire, mais ne s’en émeut guère. Le macronisme en est ainsi venu à confondre les palais de la République avec le maquis. Derrière les appels à répétition à sauver la démocratie, on trouve surtout une caste, qui est aussi une élite moins douée qu’elle ne le croit, résolue à prendre tous les moyens nécessaires pour conserver ses privilèges et ses avantages, effrayée devant la possibilité qu’une autre élite la congédie et la balaie. Les prébendes de la République valent bien la peine qu’on se batte pour elles.
par Julien Abbas (Valeurs Actuelles) 26 juillet 2025
Une tribune de Julien Abbas dans Valeurs Actuelles "La France, bercée par ses souvenirs de grandeur, se trouve aujourd’hui, après huit ans de présidence d’Emmanuel Macron, fragilisée sur l’échiquier mondial. L’action de Jean-Noël Barrot à la tête du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne fait qu’accentuer cette dérive." https://www.valeursactuelles.com/politique/jean-noel-barrot-un-ministre-etranger-aux-affaires
par Eric Chol (L'Express) 26 juillet 2025
Un edito d'Eric Chol dans l'Express (16/07) Et si on appliquait le plan Pinay-Rueff à la France ? Arrivé à Matignon en 1958, le général de Gaulle trouve un pays au bord de la banqueroute, comparable à la situation actuelle. Le président de la République a eu beau appeler à « la force d’âme », le pays aura du mal à se défaire du bonnet d’âne qui désormais le caractérise en Europe. Car comment qualifier autrement l’abyssesse des finances publiques, rendue possible par une croissance moribonde et dix ans de promesses mensongères successifs pour l’intendance, de la démagogie d’un personnel politique plus soucieux des élections que de l’intérêt national, et de l’addiction incurable de nos compatriotes aux chèques et à l’Etat ? On connaît (depuis 1974) la chanson, mais n’y fait : la France, année après année, déchoit. Même le plan Bayrou ne lui ressemble qu’à une énième incantation qui nourrira une gêne ou elle sera vite oubliée. Et si l’on essayait vraiment un plan de redressement national ? C’est ce qu’avait fait l’un des ministres des Finances les plus brillants, Antoine Pinay, nommé en 1958 par le général de Gaulle. Un esprit comparable mentalement au plus lucide des conseillers de Gaulle, lorsqu’il arrive à Matignon, c’est d’avoir compris que la crise budgétaire de la France, anémique, asphyxiée par les dépenses, dissuadait le grand débiteur d’agir. Pinay demande donc l’aide d’un directeur général du FMI de l’époque, le Suédois Per Jacobsson, ni plus ni moins. Le plus fou est qu’à Paris, comme à Washington, ce fut le diagnostic économique qui fit l’unanimité : la France, dans sa totalité – Intérieur, Défense, Affaires étrangères… – devait rendre les comptes à l’Etat, dans les moindres détails. Et c’est à ce moment-là que le général de Gaulle, aidé par Jacques Rueff, inspecteur des finances, met le pied dans la fourmilière. L’événement économique déterminant de décembre 1958, pour assainir le pays, Car oui, c’était possible, et de Gaulle l’a fait. Comment ? Tout d’abord en misant sur Jacques Rueff, un inspecteur des finances habitué à voler au secours des économies fragiles : trente ans plus tôt, dépêché par la Société des nations, cet ancien du cabinet Poincaré avait testé l’efficacité de ses recettes en Bulgarie, en Grèce ou au Portugal. De ces sauvetages, le polytechnicien a tiré une devise : « Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage. » Le plan Pinay-Rueff, adopté en décembre 1958, n’a rien d’un chemin de roses : augmentation de taxes et des impôts, compression des dépenses publiques, fin de nombreuses subventions, dévaluation du franc… La purge a un goût amer. « Et bien, les Français crient. Et après ? », rétorque de Gaulle à ses ministres inquiets. Mais les Français n’ont pas crié, et les comptes de la nation ont été rétablis en six mois. « La force de ce programme, c’est qu’il touchait l’ensemble des classes sociales : agriculteurs, retraités, fonctionnaires, chefs d’entreprise… Tout le monde a dû mettre la main à la poche », analyse l’historienne Laure Quennouëlle-Corre. Le plan Pinay-Rueff avait d’autres atouts. La popularité de Pinay, pour faire passer la pilule auprès des Français. « Sa mise en œuvre a été faite par un homme fort qui disposait d’un ascendant et d’une majorité très importante dans le pays. Le plan a été accepté parce qu’il était porté par de Gaulle, » précise l’auteur du Dénî de la dette. Une histoire française (Flammarion). Sept décennies plus tard, on a la recette, mais incontestablement, on manque encore d’un chef !
par LD31 26 juillet 2025
On croyait que la suppression des 2 jours fériés, ce serait pour réduire le cout du travail ? Raté ... ce sera pour financer un impôt supplémentaire sur les entreprises !
par François Vannesson 17 juillet 2025
Un post Linkedin de François Vannesson, avocat au barreau des Hauts-de-Seine et fondateur du cabinet Morpheus Avocats Najat Vallaud-Belkacem, L’avatar capillaire du pédagogisme invertébré, vient d’être bombardée à la Cour des comptes. Une récompense bien méritée pour l’immense œuvre de destruction méthodique qu’elle a menée contre l’instruction publique : elle a vidé les cerveaux avec une cuillère en bois, puis repeint les murs de la salle de classe avec les restes. À l’époque, elle nous vendait l’école comme un espace d’auto-expression émotive où la syntaxe était fasciste, la chronologie raciste, la discipline patriarcale et l’excellence un attentat psychologique. Elle dirigeait le ministère comme on organise une orgie dans un hospice : sans scrupule, sans hygiène, sans témoin. Et maintenant elle va compter. Pas les fautes, non, ni les manques, ni les milliards égarés entre deux lubies. Elle va compter avec sa méthode : à la louche, au ressenti, à l’échelle du trauma perçu. Chaque déficit sera une blessure symbolique, chaque trou dans le budget une opportunité de réinvention inclusive. Mais la meilleure part, c’est le parrainage. François Bayrou, incarnation ambulante du compromis diarrhéique, l’a propulsée là. L’homme qui croit encore à son destin présidentiel comme un vieil ivrogne croit au retour de l’amour conjugal. Il négocie une nomination comme un souteneur distribue des faveurs : contre une abstention PS sur la censure. République mon amour, tu n’es plus qu’un kiosque à prostitutions morales. La scène est si grotesque qu’on en pleurerait de rage : l’ancienne démolisseuse de la langue française promue gardienne des comptes. L’incompétence sanctifiée, l’idéologie élevée au rang de compétence, l’erreur transformée en critère de sélection. Bientôt viendra son premier rapport : « Vers une comptabilité intersectionnelle : décoloniser les bilans, racialiser les soldes ». Elle y ajoutera une bibliographie lacrymale, quelques verbes en inclusif approximatif, et un graphique en arc-en-ciel pour masquer l’effondrement. La France, pendant ce temps, crève à petit feu. On supprime les jours fériés, on broie les actifs, on appuie sur la gorge des classes moyennes jusqu’à ce qu’elles n’aient plus que l’impôt pour respirer. Mais au sommet de la pyramide invertie, les fossoyeurs se félicitent. On ne leur demande plus d’être bons. Juste d’avoir bien nui. Et là, Najat coche toutes les cases. Avec application. Et un très joli stylo.
par Interview du philosoque Pierre-Henri Tavoillot par Eugénie Boilait dans FigaroVox 16 juillet 2025
ENTRETIEN - Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot*, cette affirmation est doublement erronée. * Maître de conférences à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot est aussi le référent laïcité de la région Île-de-France. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/quoi-qu-en-dise-le-ministre-la-realite-du-terrain-confirme-l-existence-d-un-islamo-gauchisme-dans-les-universites-20250709 LE FIGARO. – Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté le 7 juillet sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». « Il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas », a-t-il assuré. Selon vous, cet argumentaire tient-il la route ? Passer la publicité Pierre-Henri TAVOILLOT. - À vrai dire, ce propos est doublement erroné : d’abord parce que le concept d’« islamo-gauchisme » est clairement identifié, et ensuite parce que, comme toute idéologie, il est évidemment présent à l’université, réceptacle naturel de toutes les idéologies existantes. Mais chaque chose en son temps. Revenons au concept qui a été construit par Pierre-André Taguieff dans les années 2000 et dont l’histoire est parfaitement connue. L’historien des idées l’évoque notamment dans son ouvrage Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Hermann, 2021). À partir de là, la définition de l’idéal-type est simple à établir, avec trois points fondamentaux qui le caractérisent. Il y a d’abord l’idée que l’islam est la religion des « opprimés » - ce qui permet aux révolutionnaires de gauche d’abjurer leur aversion du religieux, la religion étant traditionnellement perçue comme l’« opium du peuple ». Et la révolte islamiste est, pour le révolutionnaire en herbe, une « divine surprise » qui permet de pallier la tendance conservatrice, voire réactionnaire, du prolétariat européen. En effet celui-ci se contente dorénavant de « défendre les acquis sociaux » ou de voter pour le Rassemblement national. Dans ces conditions, la révolution n’est plus envisageable avec lui, d’où la deuxième idée structurante qui réside dans l’urgence de faire venir un prolétariat actif et révolutionnaire. L’islamo-gauchisme soutient donc l’ouverture sans limite des frontières et l’accueil de ceux qu’ils pointent comme les « damnés de la terre ». Avec ces derniers, il redevient possible d’envisager la destruction de la pseudo-social-démocratie libérale et du système capitaliste. La troisième idée est que l’islamisme est lui-même une simple réaction de défense, légitime donc, face à un impérialisme occidental et néocolonial qui veut imposer à coups de canon son « idéologie des droits de l’homme » dans le monde entier. De ce point de vue, les plus à l’extrême vont percevoir les attentats comme des réactions, à l’instar du pogrom du 7 Octobre en Israël, que certains ont qualifié d’« acte de résistance ». D’ailleurs, la judéophobie est l’une des dernières composantes, et non des moindres, de cette idéologie. On a là un raisonnement qui donne sa cohérence à bien des prises de position étranges de la part de La France insoumise, notamment. Dire que le concept n’existe pas, c’est se priver du moyen de comprendre l’extrême gauche, et même une partie de la gauche, qui met par exemple Gaza et le drapeau palestinien en tête de toutes ses revendications. D’après le ministre, tous les atermoiements des dernières années à l’université témoignent donc simplement d’une tradition française bien ancrée, celle de la forte politisation des universités. Sur ce point, il n’a pas tort : qu’est-ce qui différencie vraiment la période actuelle ? Il existe tout de même une inquiétude supplémentaire par rapport au passé : on a affaire là, potentiellement, à de la violence. Ce ne sont pas seulement des débats d’idées. On a vu ce qui s’est passé à l’école avec Samuel Paty et Dominique Bernard quand la haine est attisée. Ces choses sont à prendre au sérieux. Ce n’est pas majoritaire, mais c’est une minorité fanatique. Entre les débats même violents que l’on a pu connaître par le passé à l’université et ceux d’aujourd’hui, il y a un potentiel changement de nature. Cette idéologie existe donc à l’université ? Elle n’est pas majoritaire ni structurelle, mais elle est bien présente. Et cela dépend largement des secteurs. On peut en donner bien des exemples : il n’a par exemple échappé à personne qu’un certain nombre de blocages qui avaient eu lieu ces derniers mois devant ou dans nos universités se justifiaient par l’hostilité envers la guerre à Gaza. De prime abord, on peut se demander pourquoi, dans une université française, on bloque les cours du fait de la guerre au Moyen-Orient ? En effet, la France n’est pas cobelligérante : sur le strict plan universitaire, ça n’a pas de sens. Il a donc fallu trouver des justifications et on les a trouvées au cœur de ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme. Il faut arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime Pierre-Henri Tavoillot Plus personnellement, en tant que référent laïcité de la région Île-de-France, j’ai de nombreuses remontées de terrain qui témoignent de ce que l’on appelle l’« entrisme islamiste ». Ce n’est pas un fantasme. Il y a quelques mois, notre collègue Fabrice Balanche a été interrompu dans son propre cours par des activistes. À Lyon, on sait aussi qu’il existe des salles de prière au sein des établissements. Il y a le spectacle de l’Unef dont la dimension de gauche laïque cède la place aujourd’hui à une dimension « frériste » - cela laisse d’ailleurs dans la stupéfaction ceux qui furent ses anciens militants. Les étudiants sont-ils les seuls concernés ? Les professeurs le sont également. J’ai de nombreux collègues proches de La France insoumise, et ils sont d’ailleurs dans leur bon droit. Certains, comme François Burgat, se revendiquent même de l’islamo-gauchisme. Preuve, s’il en fallait, que, si, aujourd’hui, pour nombre de gens, ce terme est péjoratif, il est en premier lieu descriptif et renvoie à des idées et à un raisonnement. Je ne suis pas d’accord avec cette position, mais elle a de la cohérence : ainsi, dire que ça n’existe pas n’a absolument aucun sens… C’est une grille incontestable qui explique une partie des débats aujourd’hui en France. Dans la classification de la gauche selon Jacques Julliard, il y a la gauche collectiviste, la gauche libertaire, la gauche libérale et la gauche jacobine. Il y a beaucoup d’antagonismes entre elles, mais ce qui réunit les gauches libertaire et collectiviste, c’est précisément l’islamo-gauchisme. Elles vont se retrouver ensemble comme à la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Cette dernière avait réuni la CGT, l’Unef, le Parti communiste, Les Verts, Lutte ouvrière, LFI, le NPA. Il y avait une unification des deux gauches radicales qui s’opposaient, de ce point de vue, aux deux autres gauches, laïcardes. Il faut donc arrêter ce déni qui, en plus d’être agaçant, donne l’impression que c’est l’ignorance qui prime. D’autant qu’il est de plus en plus marginal. Il faut être clair pour établir un diagnostic fiable. Ce serait d’ailleurs bienheureux pour tout le monde, car cela nous empêcherait à la fois de sous-réagir et de surréagir. Il faut plutôt accepter le réel, pour, ensuite, voir ce qui relève de la liberté d’expression politique et ce qui relève des attitudes et des actions contraires à l’esprit et à la lettre des universités. Là est le véritable enjeu. D’autant que la prise de parole du ministre s’oppose à ce que disaient certains de ses prédécesseurs… Cet effet yoyo est une constante depuis que Jean-Michel Blanquer a cessé d’être ministre. Lui a eu l’immense mérite d’avoir une politique claire et de long terme sur le sujet. Maintenant, les allers-retours sont permanents, alors même que la réalité commence à apparaître au grand jour.
par Stéphane Loignon et Solenn Poullennec (Les Echos) 14 juillet 2025
Les propositions pour réformer les dépenses publiques ne manquent pas et le Sénat a rendu récemment une nouvelle copie. Mais François Bayrou aura t'il ne courage de n'en retenir ne serait ce que quelques unes plutôt que de tomber dans la lâcheté habituelle des augmentations d’impôts ... https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-les-propositions-chocs-du-senat-pour-redresser-les-comptes-publics-2175473 Budget : les propositions chocs du Sénat pour redresser les comptes publics Gel des crédits, non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, jours de carence des fonctionnaires, « année blanche » sur les prestations sociales… La majorité sénatoriale a livré des recommandations drastiques pour redresser les comptes.Par Stéphane Loignon, Solenn Poullennec Le Sénat a rendu sa copie budgétaire au Premier ministre. Son contenu donne une idée de l'ampleur des sacrifices qui pourraient être demandés. Lundi, le président de la Chambre haute, Gérard Larcher, s'est rendu à Matignon pour dévoiler la contribution de la majorité sénatoriale au prochain budget, à une semaine de l'annonce par François Bayrou de son plan de redressement des finances publiques. « Les Echos » ont pu se procurer ce document révélé par Contexte. Sans prétendre remplacer le gouvernement, les sénateurs de la majorité du centre et de droite ont souhaité apporter leur pierre à l'édifice, en compilant des pistes d'économies pour ramener le déficit à 4,6 % du PIB l'an prochain, contre 5,4 % visés cette année. « Il y a une voie, qui est exigeante, mais c'est maintenant qu'il faut le faire », insiste le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), à l'issue de ce travail collégial entamé mi-mai. « On a essayé d'équilibrer entre les entreprises, les retraités, les actifs. Que chacun puisse considérer qu'il est soumis au même régime d'effort… », témoigne la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales. Selon elle, « ce n'est pas la copie définitive » mais plutôt « des options ». Baisse des dépenses Alors que le gouvernement a estimé l'effort nécessaire à 40 milliards d'euros en 2026, les propositions sénatoriales aboutissent à une fourchette comprise entre 30 à 50 milliards d'euros. « Sur les presque 50 milliards, environ 45 milliards concernent la baisse de la dépense publique, ça ne s'est jamais fait », souligne Jean-François Husson. Le recours à la fiscalité se limite à un éventuel gel du barème de l'impôt sur le revenu, dans le cadre d'une « année blanche » si les baisses de dépenses ne suffisent pas, et à la pleine application du dispositif contre la fraude CumCum (1,5 à 2 milliards d'euros à la clé), prévu au budget 2025 et que les sénateurs jugent bridé par un texte d'application de Bercy. Tout le reste repose sur la baisse des dépenses, en premier lieu de l'Etat. A minima, le Sénat recommande le gel en valeur des crédits budgétaires - hors défense, charge de la dette et contribution à l'Union européenne -, qui produirait 10 milliards d'euros d'économies par rapport à l'évolution spontanée des dépenses. Chaque baisse de 1 % des crédits hors loi de programmation rapporterait 2,4 milliards d'euros supplémentaires. Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux Sauf pour les Armées, le Sénat propose même de « réinterroger » les lois de programmation qui encadrent les budgets du ministère de l'Intérieur, de la Justice et de la Recherche. Au maximum, ramener les crédits au niveau du dernier budget avant Covid (soit celui de 2019), en tenant compte de l'inflation, rapporterait carrément 22 milliards d'euros (un objectif qui ne pourrait être atteint que progressivement). Pour réaliser des économies dans la durée, les sénateurs veulent aussi que l'Etat reprenne le contrôle de sa masse salariale, qui a grimpé de 6,7 % l'an passé. Ils remettent sur la table le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy puis abandonné sous François Hollande. La mesure rapporterait 500 millions d'euros l'an prochain. Ils réclament également l'harmonisation du régime des jours de carence dans la fonction publique (un jour actuellement) avec celui du privé (trois jours), avec 200 millions d'euros à la clé en 2026. La rationalisation des agences et opérateurs apporterait 540 millions d'euros d'économies sur leur fonctionnement, en suivant les recommandations du rapport de la sénatrice LR Christine Lavarde. « Année blanche » notamment sur les retraites. Les collectivités apporteraient un écot modeste au redressement des comptes, à hauteur d'un « maximum de 2 milliards d'euros », comme cette année. Celles-ci ne sont que « de manière anecdotique responsable de l'aggravation de la dette publique depuis 2019 », juge le Sénat, contrairement à la Cour des comptes. Les sénateurs voient en revanche de gros gains potentiels dans la lutte contre l'enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités. L'application des recommandations du rapport Ravignon rapporterait jusqu'à 7,5 milliards d'euros, éventuellement au bout de deux ans (3,8 milliards la première année). Une réforme des décrets tertiaires, dont le coût qui pèse sur les collectivités aurait atteint 3,3 milliards d'euros en 2023, permettrait de récupérer cette somme, potentiellement en deux ans. Enfin, la Sécurité sociale fournirait environ 10 milliards d'euros d'économies en 2026 dans le plan des sénateurs, notamment via une « année blanche » (non-indexation) des prestations sociales (5 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros pour les retraites). L'Assurance Maladie apporterait aussi 5 milliards d'euros, par différentes mesures concernant entre autres la prise en charge des affections de longue durée, les médicaments et les dispositifs médicaux. Les assureurs santé pourraient se voir confier des missions de prévention, aujourd'hui assumées par la « Sécu ». Reste à savoir dans quelle mesure le gouvernement s'inspirera de ces nombreuses propositions.