Document de synthèse "Europe et industrialisation"
- par Simone Pauzin-Fournié
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- 12 mai, 2019
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De l'urgence de définir une stratégie industrielle européenne

Le groupe de réflexion de Lignes Droites 31 animé par Simone Pauzin-Fournié sur la désindustrialisation en Europe vous propose ce document de synthèse. Cette analyse montre le besoin urgent d'arrêter d'être naïf et de promouvoir l'ouverture à la libre concurrence mondiale de manière quasi illimitée. Le patriotisme économique ne doit plus être un tabou. Il faut au contraire redéfinir une stratégie européenne au service du développement des industries européennes pour rétablir une vraie règle de réciprocité, et permettre à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents.
1 Bref Historique de l’Union Européenne
Nombre de pays |
date |
commentaire |
6 : Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg |
1951 |
Création du CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) |
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1957 |
Traité de Rome : création de EURATOM (Communauté Européenne de l’Energie ATOMique) et de la CEE |
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1962 |
Mise en place de la PAC (Politique Agricole Commune) |
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1965 |
Fusion CECA,CEE, EURATOM |
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1966 |
Compromis de Luxembourg :décision à la majorité et non unanimité sauf si intérêts nationaux menacés |
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1968 |
Accord tarif douanier commun vis-à-vis reste du monde |
9 Royaume Uni, Irlande, Danemark |
1973 |
1er élargissement |
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1974 |
Création Conseil européen (dirigeants), mise en place politique Régionale et des infrastructures |
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1978 |
SME (Système Monétaire Européen) |
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1979 |
Election du Parlement Européen au suffrage universel |
10 Grèce |
1981 |
Adhésion de la Grèce |
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1984 |
Crise de la PAC. Margaret Tatcher « i want my money back » |
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1985 |
Accord de Schengen: libre circulation des personnes |
12 Espagne et Portugal |
1986 |
Acte unique : vote à la majorité qualifiée au Conseil de Européen, création d’ERASMUS (échanges étudiants), notion de « pollueur-payeur » |
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1992 |
Traité de Maastricht : création de l’UE, citoyenneté européenne, politique extérieure et de sécurité commune (PESC) |
15 Autriche, Suède, Finlande |
1995 |
3 nouveaux entrants |
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1997 |
Traité d’Amsterdam : Haut représentant pour la PESC, visas, asile, immigration |
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1990-1999 |
Mise en place des 4 libertés : circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux |
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2001 |
Traité de Nice : préparation élargissement ++ |
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2002 |
Entrée en vigueur de l’EURO (sauf Danemark, Royaume Uni, Suède) |
25 Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Malte Lituanie, Pologne, Rep Tchèque, Slovaquie, Slovénie |
2004 |
Adhésion 10 nouveaux pays |
27 Bulgarie, Roumanie |
2007 |
Adhésion 2 nouveaux pays |
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2008 |
Crise économique et financière mondiale touche Grèce, Irlande, Portugal, Italie, Chypre… Création du Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF) |
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2009 |
Traité de Lisbonne (en vigueur fin 2009) Modifications constitutionnelles, élection du Psdt du conseil pour 2 ans ½ , extension pouvoir parlement |
28 Croatie |
2013 |
Adhésion 1 pays, entrée en vigueur pacte de stabilité budget |
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Juin 2016 |
Référendum sur le Brexit |
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2015-2018 |
Crise migratoire, terrorisme djihadiste, chômage, dette publique de certains pays, montée des populismes… |
27 sortie prévue du RU |
2019 |
Quel avenir pour l’Europe ? élections 26 mai 2019 |

2.1 Les institutions et organes de l'UE en bref
Organisation institutionnelle (sans équivalent dans le monde) de l'Union européenne:
- Les grandes priorités de l'UE sont fixées par le Conseil européen, qui réunit dirigeants nationaux et européens; il fixe les orientations politiques globales de l'UE
- Les citoyens de l'UE sont représentés par les députés, élus au suffrage universel direct au Parlement européen
- Les intérêts de l'UE dans son ensemble sont défendus par la Commission européenne, dont les membres sont désignés par les gouvernements nationaux; la Commission présente les propositions de législation à adopter par le parlement et le conseil
- Les intérêts des États membres sont défendus par les gouvernements nationaux au sein du Conseil de l'Union européenne
- Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) veille au respect de la législation UE
- Banque centrale européenne (BCE) est responsable de la politique monétaire européenne
- Cour des comptes européenne contrôle le financement des activités UE
- Service européen pour l’action extérieure (SEAE) dirige la politique étrangère et de sécurité commune
- Comité économique et social européen (CESE) représente la société civile, les employeurs et les salariés.
- Comité européen des régions (CdR) représente les autorités régionales et locales
- Banque européenne d'investissement (BEI) finance les projets d'investissement européens et aide les PME par l'intermédiaire du Fonds européen d'investissement
- Médiateur européen enquête sur les plaintes pour mauvaise administration déposées contre des institutions ou organes de l'Union européenne
- Contrôleur européen de la protection des données est chargé de protéger les données à caractère personnel et la vie privée des citoyens.
- Services interinstitutionnels divers
2.2 Dans quel état errons nous ? Europe des Nations, Fédérale ou des Régions ?
La Commission européenne est un organe supranational qui dispose du monopole de proposition, pour tout ce qui relève à l’époque du domaine communautaire, mais elle n’a pas de pouvoir de décision. Celui-ci est dévolu au Conseil des Ministres, qui vote les propositions de la Commission. Or, le Conseil peut voter à la majorité, ce qui est un élément clairement supranational, puisque des États s’étant opposés à un texte se voient dans l’obligation de l’appliquer s’il a été adopté. Cependant, il se peut aussi, dans certains domaines, comme le social ou la fiscalité, qu’il doive voter à l’unanimité, ce qui constitue un élément intergouvernemental préservant la souveraineté des États. L’utilisation du vote à la majorité, étendue par les traités de Maastricht, de Nice puis enfin de Lisbonne qui la redéfinit (double majorité), redonne un aspect plus fédéral à l’Union européenne (UE).
L’élément sans doute le plus fédéral du système européen est le droit. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) renommée ainsi par le traité de Lisbonne, disposant de l’autorité de la chose jugée et dont les décisions s’imposent aux États membres constitue le fondement du fédéralisme européen. En affirmant l’applicabilité directe de ce droit et sa primauté sur les droits nationaux, la cour a posé les principes même d’un droit dans une fédération. Pourtant, l’UE n’est toujours pas une véritable fédération et reste un "objet politique non identifié".
L’instauration en 1974 du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement sur une base strictement intergouvernementale, a redonné du poids à l’Europe des nations. Son renforcement par le traité de Lisbonne (reconnaissance comme une institution et présidence stable) a été l’objet de débats entre partisans d’une Europe intergouvernementale et avocats d’une Europe supranationale qui auraient souhaité un renforcement de la Commission ou, à tout le moins, que le président stable du Conseil européen soit le président de la Commission européenne. Le traité de Maastricht, en faisant cohabiter trois piliers, le premier communautaire à tendance fédérale (comprenant les acquis de la CEE, de l’Acte unique et de l’Union économique et monétaire) et les deuxième (Politique étrangère et de sécurité commune – PESC) et troisième (coopération policière et judiciaire en matière pénale, ex-JAI) de nature intergouvernementale, donnait à l’UE une nature hybride. Le traité de Lisbonne l’a fait évoluer en supprimant les piliers, le caractère intergouvernemental n’étant conservé que pour un nombre limité de domaines comme la PESC.
Quant aux régions elles tentent de se regrouper entre elles de part et d’autres des frontières pour faire valoir leurs intérêts propres (régions de l’arc Atlantique, Catalogne française et espagnole…). La création du Comité des régions par le traité de Maastricht a confirmé cette tendance à dépasser le cadre étatique et à créer un lien direct entre les régions et l’UE.
Si l’Europe peine à trancher pour un modèle plutôt que pour un autre, c’est parce que s’affrontent dans la construction européenne deux légitimités, celle des États et celle de l’Union. Il s’agit de préserver à la fois les intérêts des États qui restent les acteurs principaux de la construction européenne et continuent de veiller jalousement sur leur souveraineté et l’intérêt général de l’Union et de ses peuples. Mais le prix de cet équilibre est la complexité du système institutionnel, difficilement compréhensible par les citoyens. Rapprocher l’Europe des citoyens passe donc en partie par une simplification de ce système.
Le traité sur la stabilité est entré en vigueur au 1er janvier 2013. L'article 3 du traité pose le principe de la règle d'or budgétaire qui impose aux Etats européens un équilibre de leurs comptes publics sous peine de sanctions. A l’heure actuelle le bilan de la crise (2007-2008) semble mitigé. Elle a conduit au renforcement d’une Europe à deux vitesses, avec d’un côté l’Eurogroupe en faveur de plus d’intégration et négociant le renforcement du fédéralisme budgétaire et bancaire et de l’autre les pays n’appartenant pas à la zone euro, avec à leur tête la Grande-Bretagne et qui ont tendance à se désolidariser de la zone euro.
En conclusion un système hybride qui risque de durer longtemps !!
3.1 Etat de la désindustrialisation
Désindustrialisation : « réduction du nombre d’emplois dans le secteur industriel d’un pays, de même que celle du secteur de l’industrie par rapport aux autres secteurs d’activité ». L’industrie est, depuis plusieurs années, confrontée à un mouvement de désindustrialisation rapide et important, dont la prise de conscience est récente. Souvent présentée comme un phénomène inéluctable, cette dynamique commence à inquiéter l’opinion et les décideurs en raison des menaces de « perte de substance économique », voire de « déclin » qu’elle fait peser sur l’ensemble de l’économie nationale.
La désindustrialisation n’est pas une nouveauté en France puisque ce phénomène était déjà l’œuvre dès la seconde moitié des années 1970, sans pour autant avoir donné lieu à un discours spécifique et alarmant. C’est cette spectaculaire tertiarisation de l’emploi dans les pays développés qui est d’ailleurs à l’origine du succès de l’expression de « société post-industrielle » , au point de laisser penser à tort a posteriori que l’industrie n’était plus aussi essentielle pour la puissance et le rayonnement d’un Etat.
|
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
Fermetures |
380 |
261 |
190 |
266 |
266 |
220 |
192 |
136 |
Ouvertures |
156 |
226 |
156 |
177 |
127 |
177 |
159 |
136 |
|
-224 |
-261 |
-34 |
-89 |
-140 |
-43 |
-33 |
0 |
Tableau : évolution des fermetures et des ouvertures d’usines en France (2009-2016)
Cette désindustrialisation ne s’est pas manifestée de manière égale sur tout le territoire Français comme on peut le constater sur les 2 cartes ci-dessous.
Les zones d’emploi d’un grand quart
nord-est de la France, qui étaient les plus industrielles, sont celles qui ont
perdu le plus d’emplois industriels au cours des dernières décennies. À
l’inverse, dans les régions de l’Ouest et du Sud, l’industrie a plutôt eu
tendance à progresser. Ce glissement géographique a participé à éloigner les
territoires d’industrie français des espaces les plus moteurs de l’Union
européenne.
Carte 1 -
Gain et pertes d’emplois industriels par zones d’emplois (1998-2014) :

Carte 2 - Evolution de l’emploi industriel par zones d’emplois (1998-2014) :

Elaboré par l’INSEE, l’effondrement continu des effectifs de l’industrie française (salariés et non-salariés, à temps plein ou pas) est passé de 5,6 millions en 1970 à 3,3 millions en 2014, soit une baisse de 2,3 millions (la baisse annuelle moyenne s’élevant à environ 52 200 personnes), sachant que l’emploi industriel a connu historiquement son plus haut niveau en France en 1973, avec 5 959 000 personnes
Comme mentionnée plus haut et visible sur les 2 cartes ci-dessus cette désindustrialisation n’a pas affectée de manière homogène tous les territoires français. Par exemple, la zone d’emplois de Toulouse en Occitanie (carte 1), par ailleurs la plus vaste zone d’emplois de la métropole avec 717 communes, est la seule à se singulariser en France par sa progression très vigoureuse en valeur absolue entre les deux dates de référence (+ 12 575 emplois), grâce en particulier au dynamisme du secteur aéronautique et spatial, dont dépendent aussi de nombreux centres de R & D (leurs effectifs sont comptabilisés au titre de l’industrie lorsqu’ils relèvent de groupes industriels), ainsi qu’un très important réseau d’entreprises sous-traitantes.
Cependant cette situation est fragile car dépendante d’un mono secteur. C’est pour cela que les pouvoirs publics tentent de développer d’autres secteurs de productions (Santé, robotisation…).
Pour ce qui concerne l’Europe, l’industrie demeure le premier moteur de l’activité économique mais le « cœur industriel » de l’UE se situe désormais en Allemagne et dans les pays d’Europe centrale. La France, l’Italie, le Royaume-Uni, même s’ils continuent de peser fortement dans la production européenne, ont connu une très forte érosion et une fragilisation de leur industrie.CF carte 3.
Actuellement 10.8% de la part de la valeur ajoutée de l’industrie Européenne est produite en France et la part des emplois industriels localisés en France est de 8.2% pour 12% de l’ensemble des emplois de l’UE 28.
Carte 3 - Part
de l’industrie dans la valeur ajoutée (1) et l’emploi industriel au
sein de chaque pays de l’UE en 2016 :

Le développement des secteurs innovants est l’un des principaux leviers du renouveau de l’industrie européenne. Il s’agit par ailleurs d’une des priorités d’intervention de l’UE, mais cette politique risque d’avoir des répercussions très différentes selon les États membres. L’industrie européenne est en effet loin d’être uniforme. Selon les pays et les régions, des spécialisations ressortent. De manière très schématique, les industries d’Europe de l’Ouest sont davantage tournées vers les hautes technologies quand celles d’Europe de l’Est et du Sud sont plutôt orientées vers les basses technologies. À l’intérieur des États, des différences notables apparaissent également. Les régions capitales
concentrent une part d’emplois dépendant des hautes technologies plus importante que le reste. L’Allemagne, mais également le Danemark et la Hongrie, se distinguent par une industrie manufacturière globalement orientée vers les
hautes et moyennes technologies. La France, le Royaume-Uni, l’Autriche, la Slovénie et la Finlande ont des profils industriels plus mixtes (hautes et « moyennes-basses » technologies s’y côtoient). La France se caractérise par un profil assez généraliste (chimie/pharmaceutique [Sanofi], agroalimentaire [Danone], automobile [PSA, Renault], etc.). Cette orientation technologique s’explique en partie par les évolutions des vingt-cinq dernières années : « En raison du recul de l'automobile, et dans une moindre mesure, des produits électriques et optiques, la production industrielle française s'est concentrée d'une part sur des secteurs de faibles ou moyennement faibles technologies, tels que l'agroalimentaire
et les produits métallurgiques, et d'autre part sur des secteurs de hautes ou moyennement hautes technologies (aéronautique et machines-outils par exemple). L’Irlande, la Belgique et Malte ont également des profils assez mixtes mais avec des différences de niveaux technologiques entre industries encore plus marquées. Au sein de ces pays, l’Irlande a un profil atypique. Il s’agit en effet du pays européen où les hautes technologies sont les plus surreprésentées (26,4 % des emplois manufacturiers en 2016 contre 6,9 % en moyenne à l’échelle de l’UE28). Cette situation est liée au développement de l’industrie pharmaceutique et à l’installation d’usines de production de médicaments. Les basses technologies sont toutefois également très présentes en Irlande.
Les premiers effets de la désindustrialisation ont commencé à être plus clairement perceptibles à partir du milieu des années 1980, à la faveur de la concurrence exercée par les pays à bas salaires (on ne parlait pas encore de pays « émergents »). L’abandon des activités à fort coefficient de main-d’œuvre et à faible contenu technologique (textile-habillement et chaussure dans le bas de gamme par exemple) est alors apparu comme inéluctable, à moins de les délocaliser vers l’Europe du sud, l’Afrique du nord ou certains pays asiatiques.
Ceci dit, la véritable prise en compte au niveau national date de 2012. La publication en 2012 du rapport intitulé « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », remis au Premier ministre par le comité d’experts dirigé par Louis Gallois, a fait office d’électrochoc national, le rapport Gallois officialisait que les pays émergents (la Chine en particulier) et à plus bas salaires d’une manière générale, jouaient désormais un rôle plus important que par le passé dans la destruction des emplois industriels en France. La principale mesure issue du rapport « Gallois » étant la création du crédit d’Impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Le récent rapport (octobre 2018) sur le suivi du CICE en fait un bilan mitigé notamment en terme d’investissements.
Les coûts salariaux élevés de la main-d’œuvre : le coût horaire moyen de la France se situe en 2017 au quatrième rang européen, derrière ceux de la Belgique, de la Suède et du Danemark. Pourtant l’industrie de deux derniers pays ne semble pas en pâtir particulièrement et cette question n’y fait pas débat comme en France, sans doute en raison de leur positionnement sectoriel plus orienté vers le haut de gamme. Par ailleurs, la fiscalité appliquée aux entreprises françaises, qui est la seconde la plus élevée d’Europe (avec un taux moyen de 33,33 % en 2017), ou encore les lourdeurs évidentes de l’actuel Code du travail ne favorisent pas nos industries.
La spectaculaire montée en puissance des pays émergents d’Asie orientale, d’Amérique latine ou d’Europe orientale au cours des années 1990-2000 a encore aggravé la situation, car elle a poussé les entreprises industrielles françaises, au même titre que celles des autres pays industrialisés, à réorganiser leur production sur une base mondiale (sinon à l’échelle des zones d’intégration régionale comme l’Union européenne, l’ALENA, le MERCOSUR, etc.) pour faire face à cette concurrence imprévue par son ampleur et sa rapidité, mais aussi pour profiter de nouvelles opportunités de croissance.
Mais c’est le degré de robotisation des usines qui focalise le plus l’attention ces dernières années, à la fois comme mesure de l’un des talons d’Achille de l’industrie française (par son insuffisance, reflet du sous-investissement chronique), mais aussi comme solution prometteuse pour sauver l’industrie.
La désindustrialisation contemporaine doit aussi beaucoup à la faiblesse de l’effort consenti en R & D, donc à l’innovation et ce depuis de nombreuses années. La France est en effet encore loin du seuil annuel des 3 % de PIB dans la R & D ainsi qu’y invitait dès 2000 l’agenda de Lisbonne dans le cadre européen (injonction renouvelée en 2010 par l’adoption de la Stratégie Europe 2020) : 2,21 % du PIB en 2016 (valeur qui a très peu évolué depuis 1996), contre 2,87 % en Allemagne, où ces dépenses ont par contre grimpé de 75 % entre 2005 et 2016. Ce handicap majeur empêche fondamentalement l’immense majorité des entreprises industrielles de monter en gamme et donc de proposer des produits nouveaux, à fortes marges, susceptibles d’être réinvesties dans la R & D.
Cette situation est encore aggravée par un « effet taille »: la France manque en effet d’entreprises moyennes et de taille intermédiaire, à la différence de l’Allemagne. Cette insuffisance de la R & D et de l’innovation est étroitement corrélée au médiocre positionnement sectoriel des entreprises industrielles françaises, qui est favorable à la désindustrialisation. Ainsi, la surreprésentation de l’emploi industriel dans les secteurs de basse et de moyenne-basse technologies (66 %) selon la nomenclature d’activités françaises est porteuse de beaucoup de destructions d’emplois, car c’est bien dans ces domaines que l’on trouve en premier lieu les fonctions les plus menacées par l’accroissement de la productivité, de même que les faillites potentielles d’entreprises. La part de l’emploi industriel dans les secteurs des moyennes-hautes technologies (24 %) et surtout des hautes technologies (10 %) est donc encore trop faible en France. Ainsi, si Airbus est implanté solidement dans la région toulousaine, ce n’est pas parce que le coût du travail est plus faible à Toulouse qu’ailleurs ou parce que l’offre foncière est particulièrement abondante. C’est parce que l’avionneur trouve dans la région toulousaine les compétences dont il a besoin pour former et compléter les siennes : des écoles d’ingénieurs en aéronautique aux multiples équipementiers petits et grands en passant par les bureaux d’études, qui sont aujourd’hui mobilisés pour concevoir et produire un avion, un écosystème existe qui est la meilleure raison pour Airbus de ne pas quitter la région toulousaine.
4 Ré industrialisation besoins et obstacles UE
Un emploi perdu dans l’industrie entraîne dans son sillage funeste trois emplois perdus dans le reste de l’économie. La désindustrialisation est aussi synonyme de déficit abyssal du commerce extérieur. Outre le passage sous pavillon étranger de la plupart de nos fleurons industriels, ceux qui restent français n’en finissent pas de négliger leur base productive en France pour lui préférer des investissements principalement réalisés hors de France.
Sur la base de ce constat, reste à savoir si l’accent doit être mis sur la maîtrise prioritaire des coûts et des prix ou sur l’amélioration de l’image de l’industrie et l’élévation du niveau de qualité des produits offerts par l’industrie française (2).
Un accent excessif mis sur la (haute) technologie et les start-up au détriment de l’industrie dite « traditionnelle » est une autre erreur, cette fois de politique industrielle. Certes, chacune de ces cibles mérite d’être soutenue, mais un accent trop exclusif sur la haute technologie est de nature à faire oublier que la plupart des secteurs industriels, au moins autant que de haute technologie, ont besoin d’être en capacité de produire des biens innovants et à forte valeur ajoutée.
· Des produits comme les automobiles, les meubles, les jouets, l’habillement ne sont pas des produits qui ont besoin d’être nécessairement de haute technologie. Ces produits doivent surtout répondre aux besoins de leurs utilisateurs et des solutions de technologie moyenne peuvent parfaitement être adaptées.
· Pour ce qui est des start-up, la très grande majorité de ces micro-entreprises se concentre sur des niches et, surtout, a une espérance de vie très limitée. Ces entreprises sont indispensables au renouvellement du tissu productif…à condition que celui-ci ne disparaisse pas entre temps.
Réductions d’impôts ou de cotisations sociales, quasi absence de mesures de protection afin d’éviter des cessions portant sur des actifs stratégiques, ces différentes facettes « en creux » de l’attractivité de la France ne sont assurément pas les meilleures s’il s’agit de développer l’industrie française.
La faible protection dont sont entourés les fleurons de l’industrie française pouvant être vendus au plus offrants est également une erreur.
Si la France et l’Europe veulent rester des puissances industrielles, il faut inciter à des mesures fortes.
· Libérer les initiatives de nos chercheurs et simplifier les démarches de dépôt de projet (un chercheur doit être à 70% sur sa recherche, 10% sur son évaluation et 20% en relation avec le monde de l’entreprise) et non passer du temps à remplir des dossiers avec des règles d’éligibilité des coûts disparates.
· Inciter les banques à injecter de l’argent dans l’économie réelle et à favoriser les prêts à taux bas pour les créateurs d’entreprises.
· Exiger que les entreprises nationales et européennes augmentent leur taux de R&D sans attendre systématiquement des aides de l’Etat ou de l’UE (3).
· La mise à jour des lignes directrices actuelles en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence au niveau mondial, de la concurrence potentielle future et du calendrier de développement de la concurrence. Cela nécessite une adaptation du règlement n° 139/2004 UE et des lignes directrices actuelles en matière de concentrations
· Il faut revoir la réciprocité des règles d’attribution des marchés: il n’est pas acceptable par exemple que l’état chinois oblige les entreprises ferroviaires étrangères à construire leurs équipements en Chine si elles veulent avoir accès aux marchés publics chinois, alors qu’en même temps les lois européennes interdisent à SNCF de spécifier dans ses appels d’offre que les équipements doivent être fabriqués en Europe (car cela contreviendrait aux lois de libre concurrence): le dogme de protection absolue de la liberté de concurrence imposé par l’union européenne se justifiait peut-être lors du traité de Rome en 1957, mais il est désormais devenu mortifère pour notre industrie. Il est urgent de l’abroger et d’instaurer à sa place un principe de juste réciprocité
· la protection accrue de la Propriété Intellectuelle (PI):
- L'UE doit obtenir que les autres blocs économiques (notamment la Chine) respectent le droit international sur la PI; ceci signifie que la Chine doit effectivement traduire dans son propre droit les provisions du droit international, mais aussi et surtout permettre que les tribunaux ou chambres d'arbitrage internationaux aient la possibilité de mener des enquêtes, et porter des jugements qui seront effectivement suivis d'effet. Le meilleur moyen pour faire en sorte que la Chine prenne, et tienne, un tel engagement, est de le lier à des accords économiques (types droits de douane) révocables si l'engagement n'est pas tenu.
- L'UE doit faire en sorte que, lorsqu'une entreprise non-européenne (essentiellement aujourd'hui chinoise ou US) achète une entreprise européenne qui a des technologies différenciantes, la technologie européenne doit rester en Europe et créer des emplois en Europe: elle ne peut pas être simplement transférée en Chine ou aux US et y générer là-bas des emplois à la place du site européen. Ceci peut être obtenu par des lois qui soit restreignent la propriété de la technologie (l'acheteur étranger achète l'entreprise européenne mais n'est pas l'unique propriétaire de la technologie de cette entreprise, un organisme public européen en est également propriétaire), soit contrôlent l'exportation de cette technologie à l'étranger (à l'instar par exemple du contrôle des exportations sur les technologies militaires).
Il faut faire émerger l’élaboration d’une politique industrielle européenne car au nom du même dogme mortifère évoqué plus haut, l’UE s’interdit et interdit aux États membres de définir une stratégie industrielle. Or il est évident depuis toujours que les grandes industries structurantes en termes d’emplois nécessitent une politique industrielle. Les chinois, les indiens et les américains l’ont bien compris, qui œuvrent à l’édification de filières industrielles fortes alors que nous œuvrons à la destruction des nôtres !
La prise en compte de ce besoin de structuration de politique industrielle européenne et d’une nouvelle stratégie à mettre en place pour la décennie à venir a commencé à émerger via le Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle publié à la suite d’une rencontre à Berlin, le 19 février 2019 entre les deux ministres respectifs de l’économie de ces 2 pays.
Souhaitons que la nouvelle commission européenne en fasse une priorité absolue et agrège d’autres pays de l’UE.
a) https://www.touteleurope.eu/actualite/
b) https://europa.eu/european-union/
d) http://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr Novembre 2018
e) François Bost et Dalila Messaoudi, « La désindustrialisation : quelles réalités dans le cas français ? », Revue Géographique de l'Est [En ligne], vol.57 / 1-2 | 2017, mis en ligne le 15 novembre 2017.
f) site web: ec.europa.eu/eurostat/
g) Désindustrialisation : une erreur de diagnostic : Gabriel Colletis 15/11/2018. Gabriel Colletis président de l’Association du manifeste pour l’Industrie.
h) Comité de suivi du CICE rapport 2018, octobre 2018, France Stratégie.
i) Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ("le règlement CE sur les concentrations") (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) Journal officiel n° L 024 du 29/01/2004 p. 0001 – 0022
j) Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle été publié à la suite d’une rencontre à Berlin, le 19 février 2019, B Lemaire avec mon homologue allemand Peter Altmaier.
(1) La valeur ajoutée est définie comme la différence
entre la valeur
finale de la
production (valorisée
par le chiffre d’affaires ) et la valeur des
biens qui ont été consommés
par le
processus de production (consommations intermédiaires, comme les matières
premières).
(2) Le 5 octobre 2018, l’Assemblée nationale a voté l’article 61 de la loi pacte. Cet article pose une nouvelle définition de la société et de la responsabilité des entreprises. Désormais, la loi indique que la société doit être gérée dans l’intérêt commun des associés, tout en préservant son intérêt social, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.
(3) Évolution de la Dépense
Intérieure en Recherche et Développement de 2007 à 2018 (en milliard de dollars
base 2007- à prix constants et à parité de pouvoir d'achat) et comparaison en %
de l’effort R&D entre différents pays/économies(Source OECD : estimated based on OECD Main Science and Technology
indicators database, February 2019) :




Nouveau grand succès pour la conférence de Lignes Droites du 3 avril !
Tous nos remerciements à Monsieur Patrice Michel pour son exposé très pédagogique sur le système judiciaire français, ses liens avec les instances européennes, son histoire, et son organisation au sein des différentes justices administratives, civiles et pénales.
Tous les participants (environ 75 personnes) ont particulièrement apprécié la clarté de cet exposé et quelques idées pour améliorer son efficacité. Deux rappels essentiels ont été fait :
- notre système judiciaire est là pour faire respecter la loi et bon nombre des reproches qui lui sont fait viennent en fait du politique.
- la neutralité de la justice française a été largement entamée par certains individus, en particulier issus du syndicat de la magistrature. Ce devrait être au Conseil Supérieur de la Magistrature de garantir cette neutralité politique. Mais sans doute par corporatisme et lâcheté, il n'intervient pas assez, même face à des situations extrêmes comme celle du "mur des cons". Là encore ce devrait être au politique d'avoir le courage de mener à bien les réformes nécessaires pour s'assurer du bon fonctionnement du Conseil de la Magistrature.

Aujourd’hui, la France traverse un moment décisif. Dans une décision qui ne laisse aucun doute, Marine Le Pen se voit infliger une peine d’inéligibilité, à seulement deux ans des présidentielles. Ce verdict dépasse largement le simple domaine juridique pour s’inscrire dans un affrontement politique direct.
La magistrate Bénédicte de Perthuis affirme s’inspirer d’Eva Joly pour son parcours judiciaire et son engagement en tant que magistrate. Elle l’a d’ailleurs déclaré sans ambiguïté : « Eva Joly a changé mon destin. » lors d’un podcast en 2020. Une phrase forte, qui traduit bien plus qu’une simple admiration professionnelle. On y perçoit une affection profonde pour une figure dont les opinions, notamment sur la justice, sont tranchées et assumées.
Mais Eva Joly, au-delà de son parcours de magistrate, reste aussi un personnage politique clivant, dont l’engagement écologiste et les prises de position marquées ne laissent personne indifférent. L’apprécier, c’est souvent adhérer aussi, d’une certaine manière, à une certaine vision du monde et des combats idéologiques. Dès lors, difficile d’ignorer que cette inspiration, aussi sincère soit-elle, puisse laisser planer un doute sur une possible proximité idéologique.
Dans ce contexte, le Syndicat de la magistrature, connu pour ses positions marquées à gauche et ayant publiquement appelé à voter contre l’extrême droite le 12 juin 2024 ajoute une dimension particulière à cette affaire. Cette prise de position contribue à brouiller la frontière entre engagement idéologique et impartialité judiciaire.
Dès lors, difficile de ne pas voir dans cette condamnation un verdict dont l’écho dépasse le cadre strictement juridique pour résonner sur le terrain politique, au moment même où se prépare une échéance électorale majeure.
Encore plus inquiétant, l’identité des deux assesseurs qui ont participé au verdict reste inconnue, un manque de transparence qui renforce le sentiment d’un coup d’État judiciaire. Ce flou soulève des questions cruciales sur l’impartialité et l’indépendance de notre système judiciaire, surtout à l’approche d’un scrutin historique.
Ce moment demeure un symbole fort : la justice, qui devrait être la gardienne impartiale de nos lois, se retrouve aujourd’hui au centre d’interrogations profondes. Si la magistrate ne revendique pas ouvertement d’engagement politique, son admiration pour une figure aussi marquée qu’Eva Joly, ainsi que le contexte entourant cette décision, peuvent laisser penser que son jugement pourrait être influencé par une certaine orientation idéologique. Cela envoie un message clair à l’ensemble du paysage politique français et soulève inévitablement des questions sur la frontière, de plus en plus ténue, entre justice et politique.
Face à cette situation inédite, la nécessité de transparence s’impose, et il est essentiel que les interrogations sur l’indépendance de la justice soient pleinement abordées. Ce moment marque un tournant dans la vie politique française et pose une question fondamentale : la justice peut-elle encore être perçue comme une institution neutre, ou court-elle le risque d’être influencée par des dynamiques idéologiques qui dépassent son cadre strictement juridique ?
Comme l’ont souligné plusieurs responsables politiques, dans un moment aussi décisif, même si une condamnation doit être prononcée, le fait de rendre Marine Le Pen inéligible à seulement deux ans des présidentielles soulève des doutes légitimes sur la volonté politique et idéologique de l’empêcher d’accéder au pouvoir. Selon des estimations récentes de l’IFOP, Marine Le Pen aurait eu la possibilité d’obtenir entre 34 et 38% des voix au premier tour des présidentielles de 2027, selon plusieurs sondages récents. Cette décision semble dépasser le simple cadre juridique. Ce choix, dans un contexte aussi crucial, appartient au peuple et non à une juridiction.
Il en va de la confiance des 11 millions d’électeurs qui, sans pouvoir débattre, parlementer ou exercer leur droit démocratique, se voient privés de la possibilité de voter pour la représentante politique qui, selon les projections, aurait toutes les chances de jouer un rôle clé dans la politique de 2027. Cette décision semble porter une forme de nonchalance envers ces électeurs, en les privant de la possibilité d’exprimer leur voix de manière libre et démocratique. Ce n’est pas simplement une question de légalité, mais une tentative potentielle de déstabiliser le Rassemblement National, d’affaiblir ses capacités à se renforcer et à atteindre, d’ici 2027, une représentativité de 37% des suffrages, au moment où le débat politique pourrait être radicalement transformé par leur ascension.
NDLR : Merci à Maxime Duclos pour ses billets d'humeur toujours très intéressant. On pourrait ajouter queBénédicte de Perthuis n'avait pourtant pas une réputation de sévérité
particulière puisque c’est elle qui avait prononcé la relaxe du ministre
Olivier Dussopt, jugé pour favoritisme (et finalement condamné
en appel !). Deux poids et deux mesures ?

Par la voix d'Eric Lombard, le ministre de l’économie, Bpifrance annonçait la semaine dernière vouloir collecter 450 millions d’euros auprès des Français pour les entreprises de défense, et la création à cette fin d’un fonds baptisé « Bpifrance Défense », réservé aux particuliers et destiné à la défense et à la cybersécurité.
Voyons le côté positif des choses : les Français vont peut-être enfin découvrir ce qu'est le private equity et ses bienfaits ! Sur la période 2013/2023, les rendements du private equity français ont été de l'ordre de 13% brut. Quelqu'un qui aurait investi 500 € en France dans cette classe d'actifs aurait aujourd'hui un capital net de frais d'environ 1000 €. Sur le papier, cet investissement a donc tout pour plaire avec des entreprises qui existent déjà et qui sont souvent bien implantées, un marché a priori florissant dans les années à venir et a priori une montagne de commandes à venir. Mais comme cela est répété pour toute publicité pour un placement financier : " Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ". Car dans ce cas de figure en particulier, il y a des hics et pas des moindres ... Le problème essentiel n'est pas l'investissement ! Il y a énormément d'épargne et de trésorerie sur le marché actuellement. Le problème essentiel c'est qu'il faut des commandes sur le long terme. Or ces commandes publiques annoncées par les pays européens seront-elles encore là dans cinq ans ?
Il faut souligner plusieurs aspects sur le risque qui porte sur ces commandes publiques en particulier pour la France :
1. Chaque pays européen va investir en fonction de deux logiques :
- diplomatique : certains continueront à acheter du matériel américain quoi qu'il arrive
- industrielle : les commandes seront soumises à des impératifs nationaux pour soutenir l’industrie locale.
On peut donc toujours mettre en avant les investissements prévus pour l'ensemble de l'Europe, l'essentiel des retombées pour l'industrie française seront essentiellement issues de la politique nationale et pas seulement européenne ...
2. Quelle confiance peut-on avoir dans les annonces d'aujourd'hui ? L'Europe a toujours été une vraie girouette sur les sujets relatifs à la défense européenne, à la fois en termes de stratégie et d'investissement.
Encore aujourd'hui, un label ESG dans ce domaine est, de fait, quasi impossible (aux côtés de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent ...).
Même la France qui a pourtant fait partie des bons élèves en termes d'investissement dans le domaine de la défense n'a pas toujours fait preuve d'une réelle constance (en particulier sous Hollande).
Au lendemain d'un inéluctable traité de paix signé entre l'Ukraine et la Russie dans l'année à venir, ou après un hypothétique effondrement du régime russe dont ils rêvent tous, l'hystérie collective de nos dirigeants européens sera-t-elle encore d'actualité ?
3. Acheter des chars est un investissement qui trouvera toujours des détracteurs acharnés dans notre société. Bien malin est celui capable aujourd'hui de nous dire qui sera au pouvoir en France en 2030 à l'échéance de ce fond d'investissement.
4. Comment la France compte tenu de son endettement pourra-t-elle financer ces investissements ? Compte tenu de notre niveau d'endettement, il faudra soit augmenter la fiscalité (mais nous sommes déjà champion du monde ce qui plombe nos entreprises), soit trouver des arbitrages au détriment d'autres dépenses ... Mais quels sont les arbitrages que les français accepteront : la justice ? l'éducation ? La santé ? Je ne vous parle même pas des retraites ! Certains sondages montrent qu'une majorité de Français (et j'en fais partie) est favorable aujourd'hui à cette politique de réarmement ... Mais dès que le même sondage pose des questions sur les moyens de financer cette politique, d'ores et déjà, cette majorité s'effondre. Qu'en sera t'il dans deux ou trois ans ?
La France fait déjà aujourd'hui face à un mur de la dette absolument vertigineux ( la question n'est pas son existence mais la distance à laquelle il se trouve et le temps qu'il nous reste avant qu'on se le prenne en pleine figure) et une incapacité depuis 50 ans à apporter la moindre réforme à son modèle social. Comment peut on considérer sérieusement les annonces d'augmentation du budget français de la défense de plusieurs dizaines de milliards d'euros ?
Bref, ce type de financement peut éventuellement être une poule aux œufs d'or. Il présente aussi des risques intrinsèques majeurs ! Et il faudra regarder en détail l'offre qui sera faite et analyser de manière très prudente les engagements sur les commandes à venir. Mais il est fort à craindre que dans la précipitation, nous soyons en train de mettre la charrue avant les bœufs pour participer au développement de nos entreprises !

En 1997, l’année de ma naissance, le taux de fécondité était de 1,71 enfant par femme, un chiffre déjà bien inférieur au seuil de remplacement des générations, estimé à environ 2,1 enfants par femme, sans que cela signifie pour autant que la parentalité allait de soi. Mais en 2024, les chiffres sont sans appel : 1,62 enfant par femme, et une chute des naissances qui semble inarrêtable. Comment en est on arrivé là ? Et surtout, pourquoi les jeunes d’aujourd’hui ne veulent-ils plus fonder de famille ?
La natalité française a connu une première chute importante après 1972, Mai 68 a profondément transformé la société française, et même si la chute de la natalité après 1972 n’est pas directement causée par ces événements, ils ont joué un rôle dans l’évolution des mentalités et des comportements qui ont ensuite influencé la fécondité. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail, l’accès à la contraception et la légalisation de l’IVG en 1975 ont profondément modifié les comportements familiaux. Cependant, après cette période de déclin, la fécondité s’est stabilisée autour de 1,8-2 enfants par femme pendant plusieurs décennies. Depuis 2010, en revanche, la chute est spectaculaire : entre 2010 et 2024, le nombre de naissances est passé de 832 800 à 663 000, soit une baisse de 21,50 %. Un effondrement historique qui ne cesse de s’accélérer, sans qu’aucun véritable sursaut ne semble pointer à l’horizon.
Les raisons sont multiples, mais elles pointent toutes vers une réalité inquiétante : avoir un enfant en 2024 est devenu un choix difficile, parfois même un luxe. Pourtant, il est essentiel d’être honnête avec nous-mêmes : la précarité économique, bien que réelle, n’explique pas tout. Trop de jeunes se cachent derrière cet argument pour justifier un refus d’engagement bien plus profond. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui préfèrent "profiter" avant d’avoir des enfants, cherchant un confort personnel au détriment de la responsabilité collective. Cette mentalité est en partie héritée d’une éducation plus permissive, où les limites ont été repoussées, où la contrainte est devenue un gros mot. Les méthodes pédagogiques modernes, comme Montessori, sont souvent citées comme un progrès, mais elles traduisent aussi un changement de paradigme issu des transformations post-68 : un enfant doit s’épanouir à son rythme, être libre de ses choix, et ne pas être contraint. Résultat ? Une génération qui repousse l’effort, qui cherche avant tout son propre bien-être, et qui voit la parentalité comme une privation de liberté plutôt que comme un accomplissement.
Au-delà de cette évolution sociétale, l’idée même de nation s’efface. Faire des enfants, c’est assurer le renouvellement des générations, maintenir une dynamique économique, préserver un équilibre social. Or, nous vivons dans une société où l’individualisme prime sur l’intérêt collectif. Nous consommons, nous voyageons, nous vivons pour nous-mêmes sans nous soucier des répercussions à long terme. Cette quête incessante de liberté, ce refus des obligations, nous mènent à une impasse. Car moins de naissances, c’est aussi moins de travailleurs demain, une économie qui s’essouffle, et des systèmes de retraite qui s’effondrent. Nous ne voulons plus d’enfants, mais qui paiera alors pour notre vieillesse ?
Peut-on encore inverser la tendance ? Il ne s’agit pas de forcer les jeunes à avoir des enfants, mais de redonner du sens à la parentalité. Il faut retrouver un intérêt commun, réapprendre à voir l’avenir autrement que par le prisme de la jouissance immédiate. Faire des enfants, ce n’est pas seulement une contrainte, c’est une transmission, une continuité, un acte fondateur pour une société. Il faut redonner envie, réhabiliter la famille comme un pilier essentiel du bien-être personnel et collectif, et non plus comme une entrave. Tant que nous resterons enfermés dans cette quête illusoire de liberté absolue, tant que nous refuserons de voir au-delà de notre propre existence, la chute des naissances n’aura aucune raison de s’arrêter. Et avec elle, c’est tout un modèle de société qui s’effondrera.
Sources :
INSEE “Bilan démographique annuel”
INED “Pratiques parentales et enfance"